Regarde ces photos ; regarde les vraiment (PAM#1)


Un texte qui à la base était pour le petit atelier des mots de MiniMarjo, mais qui est trois fois trop long.



Ça, c'est moi à 16 ans lors d'une balade en forêt. Ça, tu le sais. C'est mes parents qui ont pris cette photo. Ça, tu le sais aussi. On faisait des balades en forêt presque chaque week-end ; j'ai toujours adoré la nature. Tout ça tu le sais, bien sûr. Mais au fond tu ne sais rien de cette photo. Et des fois j'ai l'impression que c'est comme ça de tout. Que dans tout ce que tu crois savoir et comprendre, il y a toujours une part infinie que tu ne vois pas. Ça, c'est moi à 16 ans lors d'une balade en forêt. J'étais avec mes parents mais je ne faisais pas attention à eux. J'étais dans la nature mais je ne faisais pas attention à elle. Je partais devant, comme si j'étais à la recherche de quelque chose. Mais je n'avais pas la moindre idée de ce que je recherchais. Enfin si, j'avais une petite idée. Une mauvaise idée. J'avais 16 ans. Et je croyais chercher l'amour. Je savais bien que ce n'était pas au milieu de cette forêt que je le trouverais. Mais c'est à lui que je pensais. A toi ? A toi et pas vraiment à toi ; je ne t'avais pas encore rencontré. Je pensais à ma vie. Tout ce que je sais c'est que je me sentais malheureuse, incomplète. Et, bêtement, je croyais que l'amour serait la solution ; qu'une fois que je l'aurais trouvé je serais heureuse. Mais ça ne s'est pas passé comme ça.

Là, c'est ma photo préférée. Ça, tu le sais. C'est toi qui a pris cette photo de moi ; évidemment que tu le sais aussi. Tu n'es pas sur cette photo et pourtant en la regardant je ne sens que ta présence. Je suis allongée par terre et je pense à toi. Je crois que je n'ai jamais été aussi heureuse qu'à ce moment. J'étais amoureuse. Je croyais que tu étais en train de pêcher, j'étais allongée dans l'herbe à rêver et tu m'as prise en photo sans que je n'en sache rien. Tu m'as fait un bisou sur le front et tu m'as dit que j'étais belle. Ça ne semblait rien ; mais c'était tout. A ce moment là, je savais que tu étais ce que j'avais toujours cherché. J'ai pleuré. Ça, tu ne le sais pas. Tu m'as fait un bisou sur le front mais tu n'as pas remarqué la larme sur ma joue. Sur cette photo, je pleure. Ça ne se voit pas, et tu ne l'as jamais su, mais c'est vrai. C'est quand même ma photo préférée. Et je ne sais toujours pas si c'était une larme de bonheur ou de peine. Je crois que je n'ai jamais été aussi heureuse qu'à ce moment là. C'est pour ça que j'ai pleuré. J'étais allongée par terre, au milieu de l'herbe, le vent caressant mon visage, et soudain cette terrible pensée m'a frappée. Et si plus jamais on n'était aussi heureux qu'à cet instant ? J'avais envie de te demander "Tu crois qu'on sera un jour aussi heureux qu'en ce moment ?". Mais je n'ai pas osé. Je crois que j'avais raison ; je n'ai plus jamais été aussi heureuse qu'à cet instant.

Et ça, c'est encore une photo de moi que tu as prise à mon insu. Celle-ci, c'est l'inverse de l'autre ; c'est le moment le plus malheureux de mon existence. Pourtant je ne pleurais pas. Je partais loin de toi. C'était la pire erreur que j'ai jamais faite. Je crois que je ne me le pardonnerais jamais. Et je ne te remercierais jamais assez de m'avoir pardonnée. J'ai pris le train et je suis partie, sans même me retourner pour te regarder une dernière fois. Je me suis levée un matin et j'ai dit que je te quittais. J'avais fait mes valises et tu m'as emmené à la gare sans rien me demander, sans essayer de me retenir. Ça m'a désespérée. Tu ne demandais pas pourquoi, tu n'essayais pas de comprendre. Tu me laissais faire. Tu faisais confiance à mon jugement alors que j'étais en train de faire la pire bêtise de ma vie. Je savais que tu n'avais aucune idée de ce qu'il se passait dans ma tête. Ça faisait des mois que je pleurais tout le temps, pour tout et pour rien, et que tu voyais bien que j'étais malheureuse. Mais tu n'arrivais pas à comprendre pourquoi. Et au fond moi non plus. Ça faisait déjà trois ans qu'on était ensemble et  j'étais prête à tout gâcher. Toi, tu étais prêt à me laisser faire ; juste parce que je l'avais décidé. Mais je n'avais aucune idée de ce que je faisais. Je ne me sentais pas heureuse et, bêtement, j'en avais conclu que c'était de ta faute. Parce que j'avais grandi avec cette absurde idée que l'amour doit nous rendre heureux. Se sentir malheureuse à 16 ans quand on est seule, c'est facile. Parce qu'on peut toujours espérer, rêver à l'amour ; on a quelque chose à attendre, la promesse de jours meilleurs. Mais se sentir malheureuse à 27 ans, quand on a tout pour être heureuse, quand on est amoureuse, c'est infiniment pire comme sensation. J'en avais conclu que quelque chose n'allait pas dans cet amour que nous avions. Mais c'était la pire conclusion du monde. Pourquoi tu n'as pas essayé de me raisonner ?

Et là, c'est moi en train de faire de la pâtisserie. Puis moi en train de faire du vélo. Moi en train de sauter d'une falaise. Moi me mettant à cultiver des citrouilles dans le jardin. Moi faisant la fête. Moi faisant du bateau. Une infinité de photos de moi remplissant ma vie. Tu sais pourquoi ? Parce que tu ne me suffisais pas. Je t'aime, mais tu ne me suffis pas. Et c'est normal. Et c'est sain au final. Il m'a juste fallu beaucoup trop de temps pour le comprendre. Je crois que toi, tu ne l'as jamais compris. Je t'aime, mais tu ne me suffis pas. C'est une bonne chose. Parce que, trop longtemps, j'ai attendu que tu me rendes heureuse. Et ça a été un échec. C'était invivable, pour toi comme pour moi. C'est pour ça que j'ai fini par partir. J'ai passé six mois loin de toi ; mais chaque fois que je me suis retrouvée à me promener en forêt j'ai bien été incapable de rêver à qui que ce soit d'autre qu'à toi. Puis j'ai arrêté de rêver à l'amour. Parce que l'amour je l'avais déjà trouvé. Tu as toujours été mon amour, Nathan. Tu m'as laissée te quitter comme si j'avais raison de le faire ; tu pensais que si tu n'étais pas capable de me rendre heureuse tu ne me méritais pas. Mais tu avais tort. C'est moi qui ne te méritais pas. Être avec toi, profiter de la vie, ne pas avoir de soucis, me sentir aimée, estimée, appréciée, choyée même, ce n'est pas assez pour moi. L'amour c'est beau, mais ce n'est pas assez pour moi. L'amour c'est beau, et j'en ai besoin, mais ce n'est pas suffisant pour remplir une vie. J'ai besoin de m'épanouir. Et je ne sais pas encore comment exactement. Je sais que rien ne sera jamais assez, et que j'ai envie de continuer à chercher, envie de tout essayer. Je sais que je suis malheureuse quand tout est statique et figé, quand je suis comblée, sans soucis, et qu'il n'y a plus de rêves et de projets devant moi. Mais je sais aussi qu'aucune joie n'a vraiment de valeur quand je ne peux pas la partager avec toi. Je sais aussi que tous les rêves et les projets semblent désespérément fades quand ils ne laissent aucune place pour toi. 

Je ne comprends pas ta façon de m'aimer. C'est désespérant. Je suis rentrée après six mois d'absence, et tu m'as juste prise dans tes bras. Tu ne m'as pas demandé d'explications. Je t'ai demandé de me pardonner et tu m'as dit que c'était fait depuis longtemps. Je t'ai demandé de ne plus jamais me laisser partir et tu m'as dit oui ; mais je sais très bien que tu me laisserais partir si je le faisais de nouveau, ou même si je te le demandais. Tu es heureux d'être avec moi, et je le vois bien. Mais il y a toutes ces choses que tu ne vois pas ; que tu ne comprends pas. Et ça ne te dérange pas. Je suis là, je suis avec toi, je t'aime, tu m'aimes. Et ça te suffit. Ça te suffit. Tu n'as pas besoin de comprendre pourquoi. Tu n'as pas besoin de le remettre en question comme je le fais moi. Si c'est là, tant mieux. Et si ce n'est plus là, qu'il en soit ainsi. Tout semble si simple pour toi. Et dès que ça se complique tu te défiles. Tu ne te sens pas capable je crois. Pas capable d'affronter la complexité.  Alors que la vie est complexe. Et alors que je sais que tu es tout à fait capable d'affronter ça ; de comprendre. Mais ça va aller. Je sais que ça va aller. J'ai juste besoin de pouvoir te dire ces choses là. J'ai besoin que tu saches vraiment ce qu'il y a derrière toutes ces photos. J'ai besoin que tu saches vraiment ce qu'il y a au fond de moi. Même si toi tu n'en as pas besoin. Elle est belle, je crois, ta façon de m'aimer. Elle est peut-être même plus pure que la mienne. Elle est belle; mais elle me fait peur. Elle me fait peur parce que je ne la comprends pas. Et je te reproche de ne pas me comprendre, mais au final c'est moi qui ne te comprends pas.

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