Elle était bonheur (et pas lui)
La première fois qu'il l'avait vue, c'était son rire qu'il avait vu. Sans l'entendre, à travers une vitre. Il était tombé amoureux de son rire, puis, plus tard, de ses plaisanteries, de ses maladresses, de sa tendance à utiliser certains mots à la place d'autre, et surtout de son intérêt pour tout, de sa joie face à tout. Elle était le bonheur. A ses yeux, elle était le symbole du bonheur, et la seule possibilité de bonheur. Elle était son antithèse et son antidote.
Avant de la rencontrer, il était présent sans l'être vraiment, seul au milieu de tous, écoutant les conversations sans parvenir à leur trouver de saveur. Quand elle était là, interrogeant les gens, s'émerveillant de leurs aventures et de leur quotidien, de leurs anecdotes et de leurs habitudes, il parvenait enfin à croire qu'il était possible de voir dans tout ça de la valeur. Avant de la rencontrer, il détestait les gens et il détestait la vie. Quand elle était là, il parvenait enfin à croire qu'il était possible de voir dans tout ça de la valeur.
Il était complexité, elle était simplicité. Il était fin, elle était début. Il était désespoir, elle était bonheur. Il était soupirs, elle était sourires. Il était profondeur, elle était légèreté. Il était silence, elle était bavardages. Il était distance, elle était attachements. Il était amertume, elle était amour.
Elle était devant lui, et il pouvait enfin croire qu'il était possible après tout que la vie devienne un petit peu jolie, qu'il ne reste pas que maudit. Une vie jolie comme ses tenues fleuries et comme ses petites manies. Jolie comme son rire, comme son allure, comme son image, comme l'image du monde vu à travers ses yeux. Il voulait l'avoir elle dans sa vie, pour avoir un peu de ce joli dans sa vie à lui.
Mais le joli s'était terni. Comment avait-il pu se leurrer ainsi ? Les années avait passé. Elle riait toujours, mais lui ne riait toujours pas. Le joli n'avait jamais vraiment pris sur lui. Elle riait toujours, et il ne comprenait toujours pas pourquoi. Il avait pensé qu'elle lui apprendrait. Mais elle ne lui avait jamais donné le secret de son rire. Il avait juste fini par conclure qu'il n'était pas quelque chose qu'elle avait en plus, mais quelque chose qu'elle avait en moins. Il avait fini par conclure que c'était elle qui ne comprenait pas. Il avait fini par conclure qu'elle riait parce qu'elle était juste incapable de voir à quel point tout cela était affligeant. Il s'était mis à mépriser ce rire qu'il avait tant aimé.
Il ne voyait plus le joli. Elle avait vieilli. Ses tenues fleuries et ses petites manies, mignonnes sur une jeune fille, étaient ridicules sur une femme adulte. Ses plaisanteries, ses maladresses et sa tendance à mésemployer les mots le couvraient de honte. La légèreté qui l'avait attiré lui devenait pesante. Il ne parvenait pas à l'estimer. Et il ne parvenait pas à partager. Alors, il se moquait, il critiquait, il se plaignait, comme si c'était les seuls moyens qui lui restaient d'essayer de partager, comme si la seule chose qu'il pouvait partager avec elle était cette sincérité blessante.
Elle, survivait, toujours souriante. Son rire ne l'avait pas quittée, son bonheur ne l'avait pas quittée. Elle faisait face à tout ça avec une joyeuse indifférence. Elle avait cette force qui permet de trouver du joli dans la vie même quand tout n'y est pas joli. Elle avait ce pouvoir de s'intéresser aux choses qui donnent le sourire et de se désintéresser complètement de toutes celles qui l'effacent. Elle avait l'obstination de continuer à être heureuse envers et contre tout.
Il avait cherché l'altérité, ne se rendant pas compte de l'impasse dans laquelle il se jetait. Il avait cru qu'il pourrait prendre, sans rien abandonner. Et il s'était trouvé bloqué. Toute sa vie il avait été... lui. Il avait été tout ce qui était incompatible avec ce qu'elle était elle. Il avait pu l'embrasser elle, mais il n'avait jamais pu embrasser en lui tout ce qui la composait elle. Il ne pouvait rien incorporer de ce qu'elle était. Il ne pouvait même pas estimer ce qu'elle était. Parce qu'il n'aurait jamais pu faire ça sans admettre que lui avait tort ; tort d'être lui. Il n'avait jamais été prêt à renoncer à son identité. Il avait préféré sa façon d'être au bonheur, et il ne regrettait pas son choix. Il était convaincu qu'elle était dans l'erreur ; il était convaincu qu'être elle était une erreur. Les choses auraient-elles été différentes s'il avait été capable de raisonner autrement qu'en raison et en erreur, et d'admettre qu'ils aient pu faire des choix différents ?
Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top