Chapitre 2 - Hélène
Ma tête se renverse en arrière. Les mots de ma mère, Bénédicte Garnier, sont vrais, mais agaçants. La conversation porte sur moi. Comme toujours et depuis deux mois.
À vingt-neuf ans, je suis célibataire et sans emploi. Pour le premier point, ce n'est pas tant un problème. Je profite de la vie et aime ça. Personne sur mon dos, personne à m'occuper. Je fais ce que je désire, quand je veux. Je suis tout simplement libre.
Pour ce qui est du second point, ça coince. J'ai démissionné il y a deux mois et n'arrive pas à retrouver un job. J'étais barmaid dans un petit bar au beau milieu de la capitale. Ma démission a été précipitée. Être une femme et barmaid, ça donne de l'imagination à certains hommes.
L'un des clients du bar m'a suivie, lorsque je rentrais chez moi à pieds dans la nuit. Il m'a coincée en bas de mon appartement et m'a demandé de lui offrir un verre. En gros, il voulait me sauter. Comme il était insistant, j'ai flippé. J'ai bien cru qu'il allait me poursuivre jusqu'à mon étage. Ce qui n'a pas été le cas. Ça ne m'a pourtant pas empêchée, le lendemain, d'apporter une lettre à mon patron. La réaction de ce dernier n'était pas folle. En fait, ça lui a fait ni chaud ni froid.
Je galère donc à trouver un autre travail, loin de l'ancien. N'étant pas stupide, je sais qu'il y aura toujours des risques. Que ce soit dans ce métier ou dans un autre. Je ne voulais juste pas continuer, sachant qu'un homme m'avait suivie jusqu'à chez moi.
Ma réaction a été impulsive.
C'est même mon premier problème ; l'impulsivité.
Aujourd'hui, je regrette un peu. J'aurais dû prendre du recul. On ne trouve pas un job aussi vite.
— Tu m'écoutes ? Si tu ne te bouges pas, je t'en trouverais un, de boulot !
Je hoche de la tête, en passant la main dans mes cheveux.
— Je me bouge ! réponds-je, en soupirant. J'ai laissé des CV dans plusieurs bars. Ce n'est qu'une question de temps.
Ma mère roule des yeux et s'assied sur la chaise en face de moi. Elle me scrute, de son regard marron. Je me sens mal de lui mentir. Peut-être qu'elle est inquiète pour moi, mais je le suis d'autant plus.
— Tu n'as qu'à changer de voie. Je peux te trouver un poste dès demain.
Oh par pitié, tout mais pas ça !
— Maman ! Non, je ne veux pas garder des enfants. OK ? C'est ton job, pas le mien.
Ne comprend-elle pas qu'elle ne peut pas tout choisir pour moi ? Je suis majeure et femme. Elle n'a plus à me dicter ce que je dois faire. Si je suis partie de la maison tôt, c'est bien pour cette raison.
— Il faut bien que tu t'entraînes, avant d'en avoir.
Et voilà, c'est reparti. Elle va me faire le discours qu'une mère fait à sa fille quand elle est célibataire.
— Tu ne vas pas pouvoir rester seule et sans enfant toute ta vie !
Oh que si. Ce ne serait même pas un problème pour moi.
— Bah pourquoi pas ? Les enfants, c'est bien, mais loin de moi. Et les hommes, je vis mieux sans eux.
Mes convictions n'ont pas changé depuis le collège. Je suis toujours encrée dans mes désirs d'être seule. La morale qu'on me fait à chaque fois m'emmerde. C'est ma vie, mon corps, je fais ce que je veux. Personne n'a à décider pour moi.
Je décide de couper court à la conversation. Mes yeux glissent sur l'horloge accrochée au mur blanc en face de moi.
— Maman, heu, Cassandre va arriver, la coupé-je en me levant. Elle va me maquiller et m'accompagner...
— Bien bien bien, je vois que je dérange !
Le timbre de sa voix se veut attristé. Je soupire. Jouer un petit chien battu marche avec moi.
— Oh Maman, ne me regarde pas ainsi ! l'imploré-je.
Un radieux sourire étire ses lèvres charnues. Elle hausse des épaules, avant de prendre son sac à main accroché à la chaise.
— C'est bon, je file. Ton père va s'inquiéter. Pas de bêtises, hein ?
— Promis !
Croiser les doigts n'est pas correct. Mais promettre une chose aussi bête l'est plus encore. Je me connais très bien. Je suis gaffeuse. D'ici la fin de la journée, j'aurais commis une erreur.
Ma mère me voit toujours comme une enfant, pas comme une adulte. C'est toujours embarrassant. Surtout devant mon amie. Elle a le don de me ridiculiser en permanence. C'est touchant, mais pénible. J'ai besoin qu'on me prenne à ma juste valeur. Pas qu'on m'infantilise.
Le départ de ma mère dénoue mes épaules. Jouer une mascarade est pesante. Non, je ne vais pas bien. J'ai besoin de travailler, sans ça je serais dans la merde. Je vis avec mes dernières ressources. Mon compte en banque est bientôt à sec.
Je n'ai pas le temps de me lamenter. Cassandre déboule en flèche dans ma maison. Elle installe toutes ses affaires sur ma table à manger. Je l'observe faire, intriguée. Pinceaux, miroir, palettes de maquillage, rouges à lèvres et j'en passe.
— J'ai demandé un léger maquillage. Je ne veux pas ressembler à... une Youtubeuse beauté.
Les pupilles bleues de mon amie me lancent des éclairs. Oups, il ne faut pas dire ça à une maquilleuse professionnelle.
Ses cheveux bouclés roux ondulent sous ses pas. La lumière non filtrée par la fenêtre du salon les illumine superbement.
Cassandre est ma fidèle amie depuis deux ans. Le vingt-sept juillet deux mille dix-huit, jour où j'ai failli l'écraser en sortant de mon boulot. Elle était à pied et avait traversé la route sur le passage piéton. J'étais en faute et venais de griller le feu rouge sous l'impulsivité. Après plusieurs insultes et le début d'un barrage, arrêtées par son petit-ami, nous avons sympathisé. Plusieurs semaines après, nous nous sommes vus au bar.
Notre amitié est née au fils des soirées. Elle venait avec son mec boire un coup. Enfin, son ex. Car ce connard a tenté de me draguer à plusieurs reprises. Étant honnête, je l'ai avouée. Nous avons donc tendu un piège à l'infidèle.
J'avais donné rendez-vous à l'homme dans un restaurant. Il m'a fait du pied tout le repas. Cassandre était assise non loin et observait toute la scène. Avant la fin du repas, elle s'est pointée et la largué. Je crois bien que c'est ce jour-là, que notre relation s'est renforcée. Nous nous sommes promis de toujours dire à l'autre si on découvrait les infidélités d'un copain.
— Ferme les yeux.
Assise, j'exécute tous les ordres de mon amie.
— C'est bientôt fini ?
— Oui ! Je mets juste du liner, OK ? Arrête de m'interrompre, sinon je vais louper.
Je fais signe que je me tais. Elle commence un trait sur ma paupière mobile droite. Il est continué assez loin, pour moi ; une non-adepte du maquillage.
Je dois bien admettre que je ne comprends pas tout ça. Nous n'allons pas à un bal, mais me chercher un travail.
— Fini !
Ouf. Ça commençait à être long.
Un petit coup d'œil dans le miroir qu'elle me présente et je quitte ma chaise. Mon teint est unifié, presque parfait. Le fond de teint ne cache malheureusement pas ma cicatrice à ma joue. Celle que j'ai depuis pas mal d'années. Celle que je cache avec un fond de teint très couvrant, recommandée par mon amie. J'aurais dû en mettre avant. Dommage.
Pour ce qui est des yeux, c'est soft. Il n'y a qu'un fard marron foncé qu'elle a mis au creux de paupière, estompé avec un fard plus clair. Le trait de liner n'est pas aussi long que ce que je m'étais imaginé. Il me donne des yeux de chat.
— Merci !
— Bah de rien ! Mais on n'aura pas le temps de tout faire, si tu ne t'éloignes pas du miroir.
Elle n'a pas tort. Nous aimerions passer dans trois bars avant le début de soirée. C'est généralement plus calme. Enfin, ça dépend des jours !
Nous mettons directement les voiles. Si nous voulons au moins faire trois bars, nous devons partir au plus vite.
Dans la voiture, le trajet est long. Les embouteillages achèvent ma joie. C'est la mine fermée que j'entre dans un bar. La devanture est simple, seuls une plante et le nom du bar y sont. Rien ne donne un petit plus qui me ferait entrer si j'étais une cliente.
À l'intérieur, c'est le même genre. Il y a bar tout au fond de la salle en bois. Seul un barman travaille. La salle est bien petite pour le nombre de tables qu'il y a. Il faut limite pousser les chaises voisines pour se frayer un chemin.
Au comptoir, je m'accoude, papier en mains. Le barman est plutôt mignon. Son attention se tourne vers mon amie est moi. Il nous sourit et nous propose un verre.
— Non merci, refusé-je. Je viens me présenter pour...
— Un poste ? On n'engage personne ici. Désolé.
Un nouveau refus. D'un autre côté, je ne m'en plains pas. Le bar est horrible. Travailler ici reviendrait à travailler dans une morgue.
Cassandre sort la première en rigolant. Je la suis de près, le sourire aux lèvres.
— Je n'ai jamais été aussi heureuse d'un refus, murmuré-je.
— Tu m'étonnes ! Allez, on va à celui que j'aime bien. Ils ne cherchent pas, mais le patron est cool, avec un peu de chance il t'embauchera...
Je crains ce bar. Les goûts de Cassandre me font peur. Elle m'a déjà traînée de force dans un bar échangiste et dans un où des couples sautaient sur les canapés en cuir. Si celui qu'elle veut me présenter est du même genre, je pars en courant. Il n'est pas question que je bosse dans ça. Loin de moi, vouloir garder une étiquette parfaite. Je ne veux juste pas être mêlée au sexe. Dans ce milieu, j'aurais peur de me faire avoir et d'être bloquée à vie.
Ce nouveau bar est plus accueillant. L'entrée est dans un coin de rue. Une porte vitrée bien nettoyée et simple laisse voir l'intérieur. Cassandre ouvre la porte et nous entrons en silence. Des clients sont assis au comptoir, d'autres à des tables en bois. L'ambiance est chaleureuse. Des rires sont audibles. Ils proviennent d'un groupe de jeunes éloignés dans la pièce.
Les murs sont couverts par des grands rideaux rouges. Les magnifiques luminaires sont dans un style ancien et se marient bien avec la décoration épurée.
Je porte mon attention sur le comptoir. Il est en bois massif, sûrement du pin. Le dessus est bien ordonné. Chaque chose et à sa place. Je comprends mieux pourquoi Cassandre aime ce lieu. Il est calme et magnifique. Ça donne envie d'y rester plus longtemps.
— Hey, Nicolas ! attire-t-elle l'attention, en secouant sa main.
Le barman lève les yeux vers mon amie. Il lui fait un signe de la main d'approcher. Je vois qu'elle s'est faite des amis ici.
Je la suis à travers le bar. Sa taille est plus grande que l'ancien dans lequel je travaillais. Je suis assez impressionnée par le lieu.
— Salut, Cass', la salut l'homme. T'es tombée direct du lit pour venir ici ?
Sa question me fait sourire et met mal à l'aise mon amie. Elle fronce son nez en faisant une moue.
— Nan, je voulais savoir si Jess' était là, demande-t-elle.
— Non, il n'est pas là, dit le barman, avant de me porter attention.
Ses prunelles claires plongeant dans les miennes. S'il lit dans mes pensées, je n'en serais pas étonnée ! Il a quelque chose de mystérieux, qui donne envie d'en apprendre plus.
Il doit avoir un peu plus de la trentaine. Mais pas plus ! Il n'a pas de ride, ni les cheveux grisonnants. Sa façon de parler lui donne un air jeune.
— Je te présente Hélène, c'est mon amie. Elle cherche un job, elle était barmaid...
L'homme repose ses yeux sur mon amie. Je ne sais pas où me mettre. Cette situation est embarrassante. Je triture mes doigts, en observant faussement les alentours.
— On ne cherche personne. Mais laisse ton CV, je le ferais circuler aux collègues.
La déception doit être lisible sur mon visage. Parce qu'ils me regardent tous deux les lèvres pincées. Et bah oui, j'ai le droit d'être déçue !
Abattue, je tends sans grands espoirs la copie de mon C.V. Il le prend et y jette un coup d'œil.
— Faut pas s'en faire, me lance le barman, amusé. Il y a pas mal de place à prendre pour ce post. Suffit de venir confiante et demander une journée d'essai.
Comme si c'était aussi simple. Ça se voit que ce n'est pas lui qui s'est tapé deux mois de recherches actives ! J'ai tout fait. Recherche sur le net, envoie d'e-mail, présentation directement dans les bars. Il n'en reste plus qu'une poignée à Paris et ses environs.
— Je serais confiante quand je me trouverais derrière un comptoir à servir des gens !
Ma répartie amuse de plus belle le barman. Il remet en place une mèche de ses cheveux longs et noirs derrière son oreille. Son allure est virile. Sa voix naturellement forte.
L'homme appelé Nicolas se tient droit derrière le comptoir. Il porte un haut gris moulant son corps aléthique. De là où je suis, je peux voir qu'il a un jean noir et une ceinture de la même couleur en cuir. L'homme est élancé et assez costaud. Il a aussi une bague de mariage. Bon, bah il vaut mieux que j'arrête mes pensées incongrues.
— J'aime bien ta façon de répondre, avoue-t-il, tout en attrapant un chiffon. Tu pourras aller loin si tu gardes ce mental.
— Merci !
— Bon merci Nicolas, on va continuer à chercher, lance Cassandre en se détournant de lui.
— OK. Bonne journée les petites dames.
Le voilà déjà plongé dans son travail. Il nettoie le comptoir avec attention, puis sert un client.
Cassandre attrape mon bras et me tire hors du bâtiment. Sans m'attendre, elle se dirige vers sa voiture. Je la suis, la tête tournée vers l'entrée du bar. Le Jessotte Bar avait l'air pas mal. Dommage qu'il ne prenne personne. Désormais, je dois me concentrer sur mes recherches et travailler sur moi. Il faut absolument que je renvoie une image sûre de moi.
— Bon tu bouges ton cul ?
— Oui, oui.
J'entre dans le véhicule en pleine réflexion. Abandonner ce métier n'est pas envisageable. De même que monter mon propre bar. Je vais devoir me battre pour trouver un job. Montrer que je vaux autant qu'un homme.
— Ne mouille pas ta culotte, Nicolas est marié.
— Rho, mais non ! Je ne pensais pas à cet homme.
Du coin de l'œil, je vois Cassandre plisser ses paupières. Elle soupçonne quelque chose, c'est sûr. Qu'elle ne se fasse pas des idées, je ne cherche personne.
— Mouais... Il est de toute façon pas du genre à tromper sa femme, crois-moi.
— Je te crois.
Cassandre me mène à un autre bar, cette fois-ci situé à quarante minutes de mon appartement. Il n'est pas mal et prend une barmaid. Le problème est qu'il est trop loin pour moi. Il m'est impossible de faire autant de trajets sans véhicule. Parce que pour payer le loyer du mois dernier, j'ai vendu ma voiture.
— Ne t'inquiète pas, je parlerai au patron. Il est cool et te prendras.
Bien sûr. Son ami va me prendre, juste parce qu'ils sont amis ! Elle vit dans le monde des bisounours.
Coucou !
J'en suis déjà au chapitre 4 😏
Je vous publie quand le 3 ?... Il est assez drôle et émouvant à la fois ! 😂😢
Merci beaucoup pour lire (je sais je le mets à chaque fois, mais c'est important pour moi de vous remercier à prendre du temps pour lire les conneries !)💜💜
LT
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