Chapitre 28 : Cauchemar éveillé
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Pendant un instant, j'ai l'impression que le monde tourne au ralenti. Comme dans ces cauchemars que je faisais étant gosse, à l'orphelinat, dans cette chambre froide et impersonnelle.
Comme toutes ses nuits où je me réveillais en sursaut, la peur et l'angoisse se faufilant à travers mon estomac pour s'y loger tels des squatteurs, créant une boule au ventre qui ne voulait jamais se barrer.
J'sais pas. J'sais pas pourquoi je pense encore à tout ça, c'est juste des vieux fantômes du passé que je me traîne, mais il me semble que tout bon fantôme finit par rejoindre la lumière et laisser le monde en paix. Alors, pourquoi ça ne peut pas être le cas pour moi ?
Pourquoi est-ce qu'il faut toujours que tout soit compliqué avec moi ?
Pourquoi on n'peut juste pas me foutre la paix, me laisser ceux que j'aime ?
Pourquoi est-ce qu'il faut que toute ma putain d'existence soit faite de... J'ai même pas les mots pour exprimer ça.
— Alec, le médecin arrive...
Me chuchote Ross, avec une voix étrangement calme et posée. Il prend une profonde inspiration, se préparant comme moi à entendre l'une des pires nouvelles de sa vie.
Le médecin marche en notre direction, son visage affiche une expression déconfite, ses pieds traînent au sol, comme un gamin qui s'apprête à annoncer la pire connerie de sa vie à ses parents.
Ses doigts se dissimulent dans ses poches, mais je peux quand même apercevoir un morceau de gant qui en dépasse involontairement, taché par la fraîcheur écarlate du sang.
Un sang d'un rouge vif, aussi vif que le regard d'Owen quand il élaborait ses plans de braquage. Un souvenir condamné à en rester un, car à partir d'aujourd'hui, plus jamais je n'aurais l'occasion de revoir ce regard là.
Cette pensée me donne des frissons, les événements qui m'entourent ne font que me conforter dans l'idée que la France n'était peut-être pas la meilleure destination pour prendre un nouveau départ.
Je ne le crierai pas haut et fort, mais si Sabie n'était pas là, ça ferait belle lurette que j'aurais pris le premier avion. Pour aller où ? N'importe où, du moment qu'Abelle et sa vieille gueule recouverte de fond de teint n'y sont pas.
Je fixe un point invisible vers la chambre d'hôpital. J'oublie presque la présence du médecin.
Ce dernier prend place à ma gauche, mais je ne détourne même pas le regard.
— Messieurs, je suis vraiment d-
— Taisez-vous.
Je le coupe en expirant bruyamment.
— Je comprend votre chagrin, mais...
Je baisse mes lunettes et lui adresse un regard étincelant de fureur. Ce n'est pas une parole, mais ce simple regard suffit à le couper net.
— Non, vous ne comprenez pas. Ouvrez-la encore et je vous jure que je saurais m'occuper de vous faire fermer votre clapet.
Un silence glacial s'installe, un silence que personne n'ose rompre. L'air dans la pièce se fait rare et lourd, ce qui me donne l'impression que chaque respiration est peut-être la dernière.
Ross se met face à moi, les yeux larmoyants et les lèvres plissées, comme s'il retenait un sanglot qui pourrait s'échapper à tout moment s'il ne se faisait pas violence pour l'étouffer.
Son visage est devenu comme un ciel gris et nuageux, reflétant toute la tristesse qui l'habite.
— Je n'arrive pas à y croire, Alec... Je n'arrive pas à croire qu'il soit vraiment parti.
La voix de Ross se met subitement à trembler. Son visage est ravagé par la tristesse, les traits tirés, les épaules affaissées.
— Ouais, tout fout le camp, Ross. Ce putain de monde devient de plus en plus merdique chaque jour.
Je murmure entre mes dents, sentant mes veines palpiter à cause de la colère et de la peine mélangées ensemble.
— Je pleure comme une putain de fillette...
Souffle doucement Ross.
— Laisse sortir. Viens là, mon pote.
Ross, incapable de retenir ses larmes, se laisse aller dans mes bras. Rapidement, Reece, Tayden et Memphis se joignent à nous, formant un câlin de groupe assez réconfortant.
Pour la première fois depuis que je le connais, Ross sanglote contre mon épaule, inondant son visage et, par la même occasion, mon T-shirt de larmes.
— On va se relever, comme on l'a toujours fait.
Du moins, je l'espère.
Toute sa vie, on passe son temps à dire adieu à ceux qui partent, jusqu'au jour où on dit adieu à ceux qui restent.
Ça, c'était la grande phrase d'Owen. J'ai passé ma vie à me dire que ce n'était que des conneries, que la perte de quelqu'un était quelque chose de trop dramatiser, que c'était pas si terrible et insurmontable que ça.
... J'avais tort.
La vie est souvent chienne, elle nous force à vivre des adieux qu'on pensait pas vivre si tôt. Même si ce n'est jamais le bon moment pour voir son meilleur pote crever devant ses yeux, selon moi.
J'ai toujours été quelqu'un de solide, de fort. Je croyais pouvoir affronter toutes les épreuves avec un sourire ironique et une attitude détachée. Mais maintenant, c'est comme si mon cœur avait été arraché de ma poitrine.
Les souvenirs s'emparent de mon esprit, me rappellent encore, et encore, ce que j'ai perdu.
L'absence d'Owen pèsera sur chacun de mes gestes, chacun de mes souffles. Pour une putain d'éternité. Laissant simplement un vide abyssal.
— On rentre, c'est moi qui conduit.
Bien évidemment, ce n'est pas parce que j'ai particulièrement envie de conduire la voiture où mon meilleur ami s'est vidé de son sang. Loin de là, je suis à deux doigts de brûler cette caisse. Mais je suis visiblement de nous quatre le moins mal en point, alors autant éviter un autre accident...
Je pourrais m'effondrer, mais je m'y refuse. C'est sur moi que repose maintenant la responsabilité du gang et de ses membres, ce n'est pas le moment de se laisser noyer dans les larmes.
PDV Sabie :
Les averses ont repris de plus belle, la pluie bat contre les fenêtres, comme un écho à l'angoisse qui tourmente mon cœur.
J'attends le retour d'Alec, le cœur serré par une inquiétude lancinante.
Je sais mieux que quiconque combien cette visite est périlleuse, il pourrait se faire arrêter par les autorités à peine la moindre imprudence commise. Les tensions dans la ville sont à leur paroxysme depuis qu'Alec et Zack se sont enfuis du centre pénitencier. Pour ne rien arranger, cette fille qui nous ne veut rien, mais du mal...
Les minutes s'étirent comme des heures, et mon esprit est habité par des scénarios terrifiants. Ma respiration se bloque tandis que mon regard est rivé sur la fenêtre, attendant un signe d'Alec, guettant la silhouette de la Mercedes Vito.
Mais tout ce que j'aperçois, c'est le décor imprégné d'une atmosphère sombre, lavé par les larmes du ciel.
Les arbres, qui se dressent fièrement la plupart du temps, se courbent sous le poids de la pluie, leurs feuilles luisent d'un éclat argenté.
Les fleurs, elles, semblent se protéger sous leurs pétales délicats, formant de petites oasis de couleurs dans ce paysage grisâtre.
Aiden et Vahé semblent tout aussi impatients et tendu que moi, leurs teints sont blanchâtres, presque aussi clairs que de la neige.
— Cela fait presque deux heures...
Mes jambes tremblent incessamment alors que j'observe les gouttes de pluie dévaler les carreaux. Mes pensées tourbillonnent dans ma tête et mon esprit est en proie à l'angoisse.
— Détends-toi, Sabie. Il ne devrait plus tarder.
Me dit Aiden, les poings serrés et les muscles crispés.
Il a beau vouloir me rassurer, mais je ressent bien qu'il éprouve autant d'inquiétude que moi.
Je me mords nerveusement la lèvre, mon anxiété est amplifiée par le cliquetis des gouttes de pluie contre le verre. Mes mains se serrent sur le rebord de la fenêtre, je le serre si fort que mes mains rougissent.
Mon cœur bat si fort que ses battements résonnent dans tout mon être. Cela me rappelle étroitement la sensation désagréable que j'éprouvais lorsque mon père s'apprêtait à me faire un sermon, voire pire, à me frapper.
Mais soudainement, la Mercedes Vito noire transperce le rideau de pluie. Sa carrosserie sombre s'avance dans la cour jusqu'à présent vide et plongée dans un silence profond.
Mon cœur fait un bond dans ma poitrine à la simple vue de ce véhicule. Mais rapidement, mon sourire de soulagement s'efface. Alec est là, il sort de la voiture avec une démarche lourde.
Sans réfléchir, j'abandonne Aiden et Vahé pour me précipiter dehors, ignorant la forte pluie qui s'abat sur moi. Mes pieds glissent sur le sol mouillé, mais je ne m'arrête pas.
Mes pas sont lents, prudents, comme si le simple fait de m'approcher trop vite pouvait faire fuir Alec.
Je me trouve finalement devant lui, nos deux corps se font face dans cette danse silencieuse sous la pluie. Son regard autrefois brûlant de vivacité est à présent dénué d'émotions, une vision qui meurtrit mon cœur.
— Alec... Est-ce qu'il...
Je ne peux même pas finir ma phrase, voir celui que j'aime être dans une telle détresse m'ôte les mots de la bouche.
— Ils ont rien pu faire. Rien.
Murmure-t-il, en regardant le sol.
— ... Je suis désolée, pardon...
Je tends doucement ma main vers lui, mes doigts tremblants cherchent les siens.
Il hésite à céder, car il sait que Reece, Memphis et Tayden le regardent. Mon Alec, combien de fois devrais-je lui dire de ne pas censurer ses émotions...
— Sabie, rentre...
— Tu as toujours été là quand j'avais besoin de toi, besoin que tu me sauves... Laisse-moi te sauver, une seule fois...
En entendant mes mots, il s'effondre contre moi, son corps secoué de sanglots étouffés. Je presse son corps contre le mien, essayant de le protéger de la tempête qui fait rage à l'intérieur de lui. Les mots ne sortent plus, mais ils n'ont pas besoin de sortir. Il sait. Il sait qu'il peut compter sur moi, de la même façon que je sais que je peux compter sur lui.
La pluie continue de tomber, impitoyable, mais nous sommes maintenant un refuge l'un pour l'autre.
Tous les membres de Black cobras se réunissent autour de la Mercedes Vito, Zack inclus.
Les paroles d'encouragements résonnent dans l'air froid. Certains pleurent, d'autres semblent un peu perdus, tandis que d'autres s'attellent à redonner du courage à leurs frères.
C'est un moment à la fois poétique et mélancolique, où la pluie est à la fois une bénédiction et une épreuve. La pluie transforme le monde, elle efface le passé pour arroser le futur, afin qu'il évolue merveilleusement. Cela dit, ça prendra du temps.
– Arrête de toujours vouloir faire comme si tu allais bien...
– La ferme...
Un léger rictus incurve nos lèvres respectives. Un sourire est un soutien silencieux, mais parfois les actes ont plus d'impact que les mots, le corps ne ment jamais.
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