Chapitre 3

Je place les dernières boîtes de nourriture au frais avant de me diriger vers le salon pour rejoindre ma grand-mère. J'ai évité Smith toute la semaine, sauf lorsque j'ai dû lui rendre le contrat signé. Court et concis, il ne m'a fallu que deux lectures avant de le signer. Les termes sont simples : je m'engage à jouer sa petite amie durant un délai prédéfini en échange d'une somme dite, et je ne peux en aucun cas révéler notre arrangement au risque de rompre notre accord. Aussitôt le contrat signé, Smith m'a autorisée à encaisser le chèque, et j'ai déjà bloqué une bonne partie de l'argent pour gérer notre budget comme il le faut. Nous avons au minimum une année de tranquillité devant nous, et cette constatation me rend sereine.

Je m'approche de ma grand-mère, un verre d'eau à la main et clopinant en m'appuyant légèrement sur mon pied comme je ne le devrais pas, et je le lui tends pour lui permettre de prendre ses médicaments. Celle-ci les avale d'une traite avant de me tendre le verre en retour, et je le dépose sur la petite table près d'elle, celle qui lui sert à ranger ses innombrables livres de romance qui lui permettent de passer le temps.

- L'aide à domicile devrait arriver d'une minute à l'autre, précisé-je.

- Tu es sûre que nous avons les moyens ? Je peux me débrouiller seule pendant que tu aides les autres...

Ma grand-mère ne sait pas la vraie raison de mon départ. C'est écrit dans mon contrat, mais je n'ai surtout pas envie qu'elle sache ce que je suis prête à faire pour elle... Parce que je sais qu'elle tenterait de m'en empêcher. Alors je lui ai dit que mon patron profitait de mon arrêt maladie pour que je forme Sacha, la nouvelle danseuse, et que j'allais devoir passer quelques jours chez elle pour éviter les déplacements avec ma cheville.

- Ne t'inquiète pas, j'ai fait ce qu'il faut pour avoir de côté. Ça va aller ?

- Arrête de t'occuper de moi, Beth, et vas t'en. On t'attend autre part.

J'acquiesce, le cœur serré à l'idée de la laisser quelques jours, et je l'embrasse sur le front avant de la quitter, mon sac sur le dos et mes béquilles à la main. Je sors de la maison pour rejoindre le taxi que Smith m'a envoyé – et je n'ai pas décliné cette fois-ci – et celui-ci me conduit jusqu'à chez lui dans un silence religieux.

Demain, nous serons ensemble aux yeux de sa famille. Et même si je ne doute pas que jouer la comédie ne sera pas la chose la plus difficile, partager ces quelques jours avec un coup d'un soir a quelque chose de déroutant. Je vais devoir partager sa chambre pour parfaire l'illusion, et même si je ne compte pas partager son lit... Je ne peux pas nier que tout ceci est déstabilisant. J'ai déjà craqué une fois...

Lorsque le taxi s'arrête face à une grande maison moderne, je sais déjà que je suis arrivée. J'en ai vu l'extérieur plus d'une fois, en grande partie parce que tous les fêtards de la fac y sont un jour allé, sauf moi qui ai soigneusement fuit tous les gens avec qui j'ai pu un jour avoir une histoire... courte ou non. J'ai décidé que je préférais être seule qu'avec des gens qui ne m'apprécient pas, même si cela veut dire faire une croix sur ma vie étudiante. Du coup, je n'en ai jamais découvert l'intérieur, mais rien qu'à voir les grandes baies vitrées... Je ne doute pas que tout doit être impressionnant.

Le taxi m'abandonne aussitôt, et je progresse dans les graviers avec mes béquilles, faisant attention à chacun de mes pas pour ne pas tomber. J'appuie sur la sonnette une fois à la hauteur de la porte, et après de longues secondes d'attente sans la moindre réponse, je pousse la porte en soupirant. Il me donne rendez-vous sans prendre la peine de venir ouvrir ? Vraiment ?

Je pénètre dans une grande pièce à vivre, déposant mon sac à dos au sol, et j'observe un énorme canapé d'angle face à moi avant de lever les yeux au ciel lorsque mon regard se pose sur un énorme écran plan. Il ne sait rien faire à moitié...

- Smith ? crié-je.

Mais personne ne me répond. Alors je continue ma progression jusqu'à me retrouver face à une porte vitrée donnant sur un gazon parfaitement tondu et une terrasse en carrelage gris. Je fronce les sourcils en découvrant Smith accroupi, dos à moi, et lorsqu'il s'écarte, j'écarquille les yeux en découvrant ce qu'il cache devant lui. Un petit chiot est sagement assis, sa queue bougeant dans tous les sens, et lorsque l'animal m'aperçoit, il fonce droit sur la vitre et je lâche un hoquet de surprise lorsqu'il fonce droit dedans.

Je me presse d'approcher à cloche pied et d'ouvrir la porte fenêtre avant de lâcher mes béquilles pour m'accroupir devant le chiot.

- Eh ça va pépère ? dis-je en caressant sa tête toute douce, l'animal un peu sonné.

- C'est une femelle, évite de la blesser dans son égo. Tu ne connais pas l'existence des sonnettes ? raille Smith à présent à ma hauteur.

Je relève la tête en levant les yeux au ciel, Smith souriant de façon provocante, comme à son habitude.

- Figure toi que j'ai sonné, mais que tu es trop sourd pour m'entendre.

Il lâche un rire rauque et je détourne les yeux pour me reconcentrer sur la petite Cane Corso qui se frotte à mon atèle.

- C'est ta chienne ? demandé-je à Smith.

- Oui, Nala. J'ai un ami qui tient un refuge, et vu que personne ne voulait l'adopter étant donné qu'elle est sourde... Je me suis sacrifié, plaisante-t-il.

- Se sacrifier ? Je veux bien me sacrifier pour une bouille pareille.

Je souris en tentant de me relever, et Smith ramasse mes béquilles pour me les tendre.

- Il faut croire que tu as un cœur finalement... Qui aurait cru que tu aimais les animaux, rétorque-t-il.

- Haha. Hilarant. Tu en as d'autres comme ça ?

Je lève les yeux au ciel et je laisse Smith passer devant moi, sa chienne sur les talons, de peur que celle-ci ne vienne jouer dans mes béquilles. Alors seulement je les suis et je n'attends pas que Smith me propose de m'asseoir pour me laisser tomber dans son canapé.

- On commence ? le questionné-je alors qu'il remplit la gamelle de croquette.

Il ne me répond pas de suite, se contentant d'attraper une pile de pochettes et de me les tendre. Je fronce les sourcils en découvrant des noms qui ne me sont pas inconnus. Anna, son cousin, leur fille... Je relève la tête vers Smith, les yeux écarquillés.

- Tu plaisantes ? Tu as des dossiers sur toute ta famille ?! T'es quoi... Un psychopathe ?

Il rit comme si ma remarque avait quelque chose d'humoristique. Pourtant ça n'a rien de drôle, je déteste savoir que ce genre de personne a le pouvoir d'en savoir autant sur des gens... Ça me donne l'impression que la sphère privée est bafouée.

- Non. J'ai juste demandé au détective de ma famille de te les préparer pour mieux t'aider.

- Un détective ? Et tu vas me dire qu'il a fait des recherches sur moi ?

Au fur et à mesure qu'un sourire amusé barre son visage, le mien devient livide. Est-ce que c'est une mauvaise blague ?!

- Putain mais tu rigoles ! Ça veut dire que tu savais tout ! Pour ma grand-mère, mon boulot... tu t'es bien foutu de ma gueule !

- Et alors ? se défend-il. Ça a marché. C'est ce qui compte, non ? Tu as ce que tu voulais, moi aussi, peu importe comment c'est arrivé.

- Mais bordel tu n'es vraiment qu'un abruti !

Je me lève en balançant ces dossiers sur sa table basse et je récupère mes béquilles pour sortir de cette maison. J'ai besoin d'air, et surtout, besoin de m'éloigner de lui. Comment j'ai pu coucher avec ça ?!

- Mais je n'ai jamais caché comment j'étais, Beth, dit-il en se plaçant face à moi, le visage fermé.

Je fulmine intérieurement, mon sang ne fait qu'un tour et je tente de contrôler ma respiration trop rapide. Si cet argent n'était pas si vital pour nous, j'aurais tout envoyé valser. S'il y a bien une chose que je ne tolère pas, c'est que l'on me mente ou que l'on se permette de me manipuler. Alors je le contourne pour atteindre l'entrée et reprendre mes esprits, Smith sur mes talons tandis que son chiot jappe autour de nous.

- Je peux savoir où tu vas ?

Il est sur mes pas et s'approche de plus en plus de moi, alors je tente d'accélérer malgré le cloche pied. Mais avant que je n'ai pu atteindre la porte, Smith se place face à moi et m'arrête, plaquant ses mains sur mes épaules.

- Lâche-moi, ordonné-je.

- Il me semble que je t'ai posé une question.

- Et alors ? Ça va te tuer de ne pas avoir ce que tu veux pour une fois ?

Je lui jette un regard noir qu'il me rends bien. Un sourire narquois finit par apparaître sur son visage et il me fixe intensément, ses mains resserrant un peu plus sa prise.

- On part maintenant, annonce-t-il.

- Pardon ? On ne devait partir qu'après dix-sept heures !

Il sourit un peu plus et me lâche pour prendre mon sac à dos toujours dans l'entrée et va la charger dans la voiture alors que j'observe la porte d'entrée à présent grande ouverte.

- Je peux savoir pourquoi on devrait partir dès maintenant ?

- Simple assurance pour que tu ne changes pas d'avis, explique-t-il.

Je lâche un rire mauvais en le dévisageant. Il s'est assuré que je ne changerais pas d'avis avec ce contrat, comme je me suis assurée que cet argent était bien à nous. Il me retient de cette façon, et il devrait savoir qu'aussi désagréable soit-il, je ne pourrais pas me défiler pour le bien de ma famille.

Smith passe dans le salon pour récupérer les dossiers sur sa famille et les charger dans le coffre, puis il prend son sac et un sachet de croquettes avant de sortir une laisse. Son chiot se précipite à la voiture et Smith l'aide à grimper sur les sièges arrière avant de revenir vers moi, un sourcil levé.

- C'est pour aujourd'hui ou pour demain que tu vas bouger ? Même Nala est déjà en voiture.

- Tu me compares à une chienne ? lâché-je froidement.

Il s'écarte de mon chemin en souriant, et je le dépasse en soufflant d'agacement.

- Je te préviens Smith, si tu veux qu'on y croit, tu as tout intérêt à arrêter ce genre de remarque, sauf si tu ne tiens pas à tes bijoux de famille, dis-je en m'installant à l'avant.

- Tu peux faire tout ce que tu veux à mes bijoux de famille, sauf leur faire du mal. Maintenant attache toi et profite du voyage pour lire les dossiers.

Je sers les dents et je le repousse avant de lui claquer la portière au nez. Je ne comprends pas comment j'ai pu me laisser aller avec lui à l'époque. Il n'était certes pas aussi railleur, mais son caractère n'a pas bien changé... Je me suis laissé avoir par une attirance purement physique, aujourd'hui bien cachée sous l'agacement qu'il m'inspire. Je ne dis pas que je suis facile à vivre, loin de là, mais nous deux, ensemble, sous le même toit ? Ça risque de faire des étincelles.

***

Je me réveille en papillonnant doucement des yeux, courbaturée à cause d'une mauvaise position dans la voiture. Après avoir lu chacun des dossiers attentivement, j'ai préféré dormir plutôt que d'avoir à supporter ce silence pesant. Il n'a pas encore compris que je suis réveillée, alors j'en profite pour l'observer tant qu'un rictus moqueur ne déforme pas son visage. Parfois, j'ai l'impression qu'il se cache derrière ses vacheries, exactement comme je le fais... Mais je n'arrive pas à comprendre ce qu'il pourrait cacher... Comme il ne s'imagine sûrement pas ce que je cache.

- La belle au bois dormant est-elle réveillée ? demande-t-il en se rendant compte de mon réveil.

- Oui, mais je n'ai vu aucun prince charmant dans les parages, rétorqué-je.

- En même temps, j'ai cru comprendre que tu préférais les princesses ces derniers temps...

Pendant quelques longues secondes, je le dévisage sans savoir quoi dire, puis j'éclate d'un rire sonore qui résonne dans la voiture et réveille la chienne à l'arrière.

- Je ne pensais pas que tu écoutais ce qui se disait de moi.

- Les filles parlent beaucoup tu sais. Ton histoire avec Améthyste n'est pas passée inaperçue.

Je soupire en repensant à cette période. Je connais Améthyste depuis aussi longtemps que Smith. On est sorti ensemble pendant un temps... Avant que tout ne s'arrête. Cette relation ne me convenait pas, mais j'aurais au moins tenté. Elle a été l'une des dernières personnes avec qui je suis sortie avant de mettre fin à tout.

- Les gens parlent trop alors que ça ne les regarde pas, répond-je simplement.

Il me jette un coup d'œil mi amusé mi intrigué, visiblement curieux que je développe.

- Donc tu as changé de bord ? Après avoir connu mon lit... C'est surprenant.

Je ne peux pas empêcher un rire de m'échapper. Il devrait faire attention avant que sa tête ne passe plus les portes.

- Comment veux-tu savoir que le chocolat est ce que tu préfères si tu n'as pas goûté d'autres bonbons ? J'ai goûté, pour au final me rendre compte que je préférais toujours le chocolat.

- Et moi je suis dans la catégorie chocolat ou bonbon ? me questionne-t-il avec amusement.

Définitivement dans la catégorie chocolat, mais il n'a pas besoin de le savoir.

Smith ne dit plus rien pendant le peu de trajet qu'il nous reste, et il finit par se garer devant une grande bâtisse encore plus impressionnante que la sienne. Je descends sans l'attendre et j'avance à cloche pied jusqu'à devoir lever la tête pour apercevoir le toit, en admiration face à cette maison tandis que le chiot de Smith court dans l'énorme jardin cloturé. Qui aurait cru que des personnes vivent vraiment dans ce genre d'endroit ?

- Elle est belle, non ? lâche Smith dans mon dos.

Je ne me retourne même pas vers lui, continuant d'observer cette architecture victorienne. Ce n'est pas pour rien que je veux devenir archéologue, l'histoire gravée dans les objets, les murs ou les constructions me passionne, et une maison telle que celle-ci regorge sûrement d'histoire passionnante... Je sors mon portable pour faire une photo, voulant au moins profiter de cette semaine pour admirer un lieu pareil, et je vois Smith me dépasser avec mon sac ainsi que le sien et je le suis jusqu'à l'intérieur. Les pièces sont démesurées et décorées de façon... ancienne et bourgeoise. Ce genre de maison est ce que j'aimerais visiter si je voyageais... Mais pas là où j'aimerais vivre, même si je profite tout de même de toutes les œuvres qui m'entourent. Peintures, vases anciens, moulures... C'est un repère d'art.

- Viens je vais te montrer la chambre. On visitera après, m'invite Smith. Besoin d'aide pour les escaliers ? propose-t-il.

Je secoue la tête, sourcils froncés face à son air sincère. Il semble tendu, son regard allant dans tous les sens, jusqu'à ce qu'il reporte son attention sur moi.

- Non merci, c'est gentil. Je vais me débrouiller.

Je lui adresse l'ombre d'un sourire en remerciement, et je le laisse passer devant moi avant de le suivre avec difficulté. Des tableaux anciens, des portraits, ornent les murs de l'escalier, et alors que mon regard s'accroche au tableau suivant, je trébuche en avant et manque de tomber droit sur Smith, me rattrapant de justesse grâce à l'une de mes béquilles. Smith se retourne vivement, les yeux écarquillés, avant de lâcher un rire rauque.

- Attention chaton je pourrais croire que tu tentes un rapprochement. Accepte l'aide la prochaine fois, c'est préférable quand on a qu'un pied, se moque-t-il.

- Le seul rapprochement que je vais tenter c'est ma main dans ta tête si tu continues de m'appeler comme ça.

Il se marre un peu plus dans sa barbe et continue son ascension jusqu'à pénétrer dans la première pièce sur le palier, et je l'aperçois jeter nos sacs sur le lit lorsque j'arrive enfin à sa hauteur. La chambre est énorme, meublée d'une grande armoire en bois ainsi que de quelques autres meubles dans le même goût, et je remarque le lit double en grimaçant. Je craignais que ce moment arrive. Smith voit mon air dérangé et se laisse tomber sur le côté du lit encore libre.

- Détends toi, ce lit ne sert qu'à dormir... Sauf si tu penses à autre chose.

Je lève les yeux au ciel, pas le moins du monde tentée par cette proposition. Je m'approche du lit et retire les sacs du matelas afin de les poser au sol et de m'asseoir, reposant mes mains toujours en feu. Vivement que cette entorse guérisse.

- J'ai emmené un sac de couchage, précise-t-il.

Je me tourne vers lui, surprise par son élan de courtoisie. Pourquoi ne peut-il pas être plus souvent comme ça ? Mais je chasse bien vite cette pensée. Je m'apprête à lui répondre lorsque le bruit d'une porte qui s'ouvre résonne dans la maison, et j'écarquille les yeux en interrogeant mon faux petit ami du regard.

- Smith... ?

Ce dernier ne répond rien, il se lève en vitesse pour quitter la chambre et j'en fait de même à ma petite vitesse.

- On a visiblement eu la même idée... grommelle Smith en observant par-dessus la rambarde.

La voix de Smith est monotone, sa mâchoire crispée, et j'arrive à son niveau pour observer qui se trouve en bas. A ma grande surprise, la famille de son cousin est déjà arrivée, et Smith n'attend pas pour descendre les marches en vitesse sans un regard pour moi. Je le suis en soupirant, sachant que c'est le moment où jamais de rentrer dans mon rôle.

- Vous ne deviez arriver que demain. Je peux savoir ce que vous foutez là ? s'impatiente Smith.

- Nous pensions passer une soirée tranquille... C'est raté, répond Liam, son cousin. Je te préviens Smith, j'ai accepté cette invitation parce que ton père y tenait, mais au moindre mot de travers face à notre fille, tu le paieras cher. Compris ? Et ne compte pas sur Anna pour te défendre cette fois-ci.

Smith bouillonne, je le vois à vue d'œil. Je n'ai pas la moindre idée de quoi Liam parle, mais j'ai l'impression que c'est un sujet houleux. Alors je m'approche de Smith jusqu'à pouvoir être près de lui, et je lui jette un regard pour lui intimer de se calmer. Liam nous laisse sans même me calculer afin de rejoindre la voiture où l'attendent sûrement sa femme et sa fille, et j'en profite pour me tourner vers Smith.

- C'est quoi encore cette histoire ? Qu'est-ce que tu as pu faire qui l'énerve autant ?

Smith soupire tout en détournant les yeux.

- Ça fait assez longtemps que je n'ai pas réellement vu sa fille... Ils font tout pour que je ne l'approche pas, parce que je l'ai traité de meurtrière la dernière fois, répond-t-il d'une voix éteinte.

Il ne prend pas la peine d'attendre ma réaction, il tourne les talons, me laissant seule et perdue. Dans un sens, je comprends ses mots... Sa situation est loin d'être simple. Il a vu la femme dont il était amoureux en épouser un autre, puis décéder en mettant au monde Charline... Mais ce n'est pas une raison pour insulter un bébé. Elle est innocente et inconsciente, et une mort est trop pesante pour reposer sur les épaules d'un bébé... Mais je n'ai pas le temps de réfléchir plus au sujet, Charline trottine jusqu'à moi en souriant, et je ne bouge pas de peur de lui faire mal avec mes béquilles.

- Ma copine de cheveux !

La petite montre ses bouclettes alors que ses parents sourient en l'observant, et son père l'appelle tandis que sa mère adoptive me salue d'un signe de tête.

- Et si tu allais manger la fin de ton gâteau au chocolat pour laisser les adultes discuter ? propose-t-il à sa fille.

En un clin d'œil, Charline disparaît en courant et je reste pantoise devant Anna qui rit face à son mari.

- Tu devrais vraiment arrêter de l'acheter avec du gâteau. Tu es au courant que trop de sucre n'est pas bon ?

- Toi je t'achète bien avec...

Mais avant que son mari n'ai pu finir sa phrase, Anna plaque sa main contre la bouche pour le faire taire, et je les observe tristement. Au début, j'enviais Anna parce qu'elle touchait du bout des doigts ce que je souhaitais le plus : avoir de l'argent pour aider ma grand-mère. Puis leur relation est devenue sérieuse, elle a été médiatisée, et alors que je pensais qu'ils finiraient par se lasser et se quitter, ils se sont mariés et Anna a adopté Charline.

Lorsque je les vois là... Je me dis que certains ont plus de chance que d'autres. Ils ont trouvé le bonheur ensemble et semblent sincèrement heureux, alors que mis à part ma grand-mère, je n'ai rien. Le jour où je perdrais Mamita... Je serais complètement seule. Et comment en vouloir aux autres ? Je ne suis pas bonne pour les relations.

- Je suis contente de te voir, finit par dire Anna en se tournant vers moi.

Je lui adresse un simple sourire gêné, sans savoir quoi répondre, puis Anna se rapproche de son mari pour se blottir contre lui alors que je le fixe, impressionnée. Même en jean, Liam reste vraiment imposant, comme n'importe quel homme d'affaires, je suppose. A une époque... l'approcher était ce que je désirais. J'avais même postulé à son offre ridicule de jeune fille au pair... Mais malheureusement, c'est là qu'Anna a débarqué et a décroché le job. Je l'ai longtemps eu en travers de la gorge.

- Ne croyez pas que j'ai oublié vos petits messages pour Anna. J'ai tendance à être rancunier, finit par intervenir Liam.

Je grimace au souvenir de ces messages stupides. La jalousie rend souvent stupide.

- Liam ! Arrête un peu de te comporter comme un idiot, le réprimande Anna.

- Quand je suis entouré de trop d'idiots ça déteint sur moi, rétorque-t-il froidement.

Il hausse les épaules comme si de rien était et part rejoindre sa fille en ignorant les remontrances de sa femme. Anna reste en face de moi dans un silence gênant jusqu'à ce qu'elle détourne les yeux vers l'étage.

- Écoute, je sais que tu ne m'aimes pas, mais j'aimerai beaucoup qu'on puisse s'entendre pendant ces quelques jours. Je ne voudrais pas que ma fille soit entourée de toute cette rancune. Il y en a déjà suffisamment entre nos compagnons respectifs...

Je me retiens de rire lorsqu'elle qualifie Smith comme mon compagnon, mais au fond je sais qu'elle a raison. J'ai beau ne pas apprécier son côté « parfaite », je vais devoir faire des efforts. Pour sa fille, mais aussi pour moi. Je ne veux pas avoir à me prendre la tête avec elle, même si nous n'avons rien en commun... Et qu'elle ne comprend pas mon sarcasme. Après tout, je suis là pour Smith, pour jouer sa copine, et n'importe quelle compagne sensée ferait tout pour s'entendre avec sa belle-famille... Y compris supporter quelqu'un que je n'apprécie pas. Que la mascarade commence..

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