Chapitre 8.

22 Octobre 2015

La prof nous parle de l'œuvre qui est affichée sur le tableau blanc mais j'ai, une fois encore, la tête ailleurs. Et encore une fois, Adam est ma source de préoccupation.

Je l'ai croisé en charmante compagnie dans le couloir ce matin. Il était avec une prof d'anglais et souriait joyeusement, tout en gardant son éternel et impénétrable regard sombre. Il sait que je l'ai vu ; il a croisé mon regard. Et il sait aussi, par conséquent, que ça m'a fait mal. Lui a toujours su déchiffrer mes émotions alors que j'en étais incapable vis-à-vis de lui. Je me suis toujours sentie légèrement frustrée de cette différence et je le reste aujourd'hui encore.

Je sais que les apparences sont souvent trompeuses, mais il avait l'air heureux. Une part de moi, dont j'ignorais l'existence même jusqu'à aujourd'hui en est soulagée. Il n'est pas autant abattu que je le suis. Je devrais être en colère pour ça, mais je suis tellement pathétique et amoureuse que je n'y parviens pas. Ce qui est complètement absurde...

- Qu'est-ce que tu as à soupirer comme ça ? me demande Stefan, amusé.

Je ne m'étais même pas rendue compte que j'avais laisser s'échapper mon désespoir.

- Ce cours n'est pas très intéressant.

Je mens parce que je n'ai évidemment pas le choix. J'ai tellement honte de mentir à mon meilleur ami de la sorte, mais s'il savait, je crains qu'il ne m'adresse plus la parole et me méprise pendant longtemps. Voire, à vie ! Ce que je ne peux décemment pas concevoir.

- Je te l'accorde, souffle-t-il à son tour.

Je décide de lui parler tout de même d'Adam, tout en restant vague. J'aimerais en savoir davantage.

- J'ai vu ton frère tout à l'heure. Il a l'air de bien s'entendre avec la prof d'anglais, ajouté-je en essayant d'y mettre une pointe d'humour.

Il me jette un coup d'œil avant de prendre son stylo pour écrire quelques mots prononcés par la prof.

- Il me dit que ce n'est qu'une collègue mais j'ai l'impression que je ne vais pas tarder à la voir à la maison.

Non !

- Comment tu le sais ?

- Parce que c'est Adam, rétorque-t-il comme si c'était évident.

Je fronce les sourcils sous l'incompréhension. Stefan s'approche de moi pour me chuchoter à l'oreille :

- Ton prof de maths aime beaucoup les femmes, figure-toi !

Je déglutis laborieusement. J'ai envie de pleurer. Voilà encore une idée stupide de vouloir me renseigner ! Et ça fait rire mon meilleur ami. S'il avait la moindre idée de ce que ses mots viennent de provoquer en moi.

Je savais que je n'étais pas la première petite-amie d'Adam, mais entendre mot pour mot qu'il collectionne les femmes, c'est vrai difficile à accepter.

Stefan doit penser que je suis stupéfaite et surprise de son aveux alors que je suis tout simplement sous le choc et dévastée.

- Ça fait bizarre d'apprendre qu'un de tes profs vit dans la débauche, pas vrai ? s'esclaffe-t-il doucement pour que personne n'entende.

L'euphémisme du siècle...

- Oui un peu, ris-je nerveusement en tentant de reprendre difficilement mes esprits.

Il continue d'écrire pendant quelques minutes et je tente vainement de l'imiter, jusqu'à ce qu'il continue.

- C'est même étonnant que je n'ai vu aucune femme à la maison depuis que je suis là, annonce-t-il.

Aucune ? Cette phrase atténue légèrement ma douleur sans pour autant l'éliminer. Même s'il n'a jamais ramener de femme chez lui, ça ne veut pas dire qu'il n'a eu aucune aventure.

- Il ne veut peut-être pas t'imposer quelqu'un, chuchoté-je.

- Je peux t'assurer qu'il ne se prive pas seulement parce que je suis là ! Il ne s'est jamais arrêté à ça. Même quand il était à la maison avec ma mère et moi, ça ne l'empêchait pas d'inviter une fille à passer la nuit dans sa chambre.

Oh mon Dieu. Je déteste cette conversation.

- Mais depuis que j'habite avec lui, il est bizarre.

Je fronce les sourcils.

- Comment ça ?

Stefan hausse les épaules.

- Je sais pas. J'ai l'impression qu'il fait tout le temps la gueule, il est chiant, il pète un plomb pour rien... Et j'en passe !

Je ne peux m'empêcher de me dire que c'est peut-être à cause de moi.

- Il n'a pas toujours été comme ça ? voulus-je savoir.

- Comment ça « comme ça »? demande mon ami.

Merde... Il ne faut pas que j'insiste autant où il va se poser des questions.

- Eh bien comme tu as dis : chiant et nerveux.

- Non. Et puis cet été, Maman est venue lui rendre visite et selon elle, il était bien. Elle m'a même dit qu'il avait l'air heureux. Ça m'a étonné puisque ça fait longtemps qu'Adam n'a pas été réellement heureux.

Ma curiosité est piquée au vif. Adam malheureux ? Pourquoi ? Et cet été il était heureux ? Quand est-ce que sa mère lui avait rendu visite ? Ah oui, le soir de notre premier face à face. C'est ce jour-là qu'il était heureux ?

J'ai beaucoup trop de question à lui poser et la seule qui parvient à franchir la barrière de mes lèvres est :

- Pourquoi ?

Contrairement à son frère, je parviens à comprendre les émotions qui passent dans le regard de Stefan. Ma question le déstabilise et il semble hésitant. Peut-être ne veut-il pas me parler de tout ça étant donné que ça ne me concerne pas.

- C'est compliqué.

Je pense qu'il va s'arrêter là, mais il reprend :

- Avant ses dix-huit ans, il était heureux, puis plus rien. Il a commencé à sortir tous les soirs et à enchainer les conquêtes. Il n'était pratiquement plus à la maison, mais ça ne l'empêchait pas de réussir ses examens.

- Qu'est-ce qu'il lui est arrivé à ses dix-huit ans ?

La prof s'interrompt dans son discours pour nous dire que si un mot de plus est prononcé, Stefan et moi allons dans le bureau du proviseur. Ça m'arrangerait bien sur le coup, je pourrais le questionner plus longuement et plus librement, mais mon ami ne parait pas de mon avis. Toutefois, après quelques minutes de silence, il prononce un mot qui me fait tergiverser pendant le reste de la journée et une bonne partie de la nuit :

- Cassandre.

***

Pourquoi avoir lâché une bombe nucléaire comme celle-ci pour ne rien dire de plus ?

Qui est Cassandre ? Et pourquoi elle est responsable du malheur de celui que j'aime ? Que lui a-t-elle fait pour lui retirer son bonheur ? J'aimerais tellement avoir des réponses à toutes ces questions mais je me vois mal les poser à Stefan sans avoir l'air suspecte. Il n'a d'ailleurs pas cherché à m'en dire plus.

- Ana, tu peux m'aider s'il te plait ? m'appelle Stefan depuis la cuisine.

Des dizaines de paquets de chips et autres petits gâteaux apéritifs surplombent la table au centre de la pièce.

- Ça va être notre repas de ce soir ? demandé-je en plaisantant.

Je suis venue aider Stefan à préparer la soirée qui se déroulera dans quelques heures. Heureusement pour moi, ma mère a finalement accepté que j'assiste à l'anniversaire de mon meilleur ami.

- Je commanderai des pizzas tout à l'heure.

- Des pizzas pour vingt-cinq personnes ? ris-je. Ça va te couter cher !

Il hausse les épaules en souriant puis me demande de lui passer les saladiers rangés dans le placard.

- C'est mon frère qui paye.

A cette annonce, j'interromps mon geste pour prendre d'autres récipients.

- Il sera là ? le questionné-je étonné.

- Je lui ai demandé s'il pouvait passer la nuit ailleurs mais il m'a dit qu'il avait du travail, alors il m'a certifié qu'il resterait dans sa chambre, m'assure-t-il.

Je soupire intérieurement. Je n'aurais jamais pu me détendre avec Adam dans les parages, surtout que Stefan m'a annoncé tout à l'heure qu'Adrien serait de la soirée.

De plus, j'imagine très mal mon prof de maths entouré de tous ses élèves !

- De toute façon, vu le bazar qu'il y aura en bas, il n'osera pas descendre ! déclaré-je amusée en l'aidant à ouvrir les paquets de chips.

- J'aurai intérêt à tout ranger avant qu'il ne descende ou il fera un arrêt cardiaque, s'esclaffe mon ami.

Adam et sa tendance à être maniaque m'a toujours fait rire. Selon lui, chaque objet doit être rangé à une place très précise, la vaisselle ne doit pas stagner dans l'évier plus de trois minutes et doit être laver à la main avant de prendre place dans le lave vaisselle et je ne parle pas de la poussière ! S'il le pouvait, Adam passerait l'aspirateur trois fois par jour. Sa maison est un véritable musée. Aussi, je lui déconseille fortement de mettre un pied au rez-de-chaussée ce soir. Je l'imagine parfaitement courir après chacun des amis de Stefan pour leur faire retirer leurs chaussures. Cette perspective me faire rire et quand j'explique à mon ami pourquoi je ris, il fait de même.

Adam descend deux heures plus tard pour demander à son frère s'il n'a besoin de rien avant qu'il ne s'enferme dans sa chambre jusqu'à demain.

- Il me faut juste ta carte de crédit pour les pizzas.

Adam esquisse une grimace de désespoir qui me fait sourire puis sort la carte de la poche arrière de son jean pour la tendre à son frère.

- Et je ne veux personne à l'étage, le prévient-il.

- Oui je sais, soupire Stefan. Et toi, ne descend pas.

- Ça ne me viendrait même pas à l'idée.

Il commence à sortir de la cuisine mais reviens sur ses pas.

- Si tes amis restent pour la nuit, j'aimerais qu'ils soient partis dans l'après-midi.

- Pas de problème.

- Et par pitié, Stef ; ne met pas trop de désordre. Je me fiche du bruit que vous ferez, mais fait attention à ne pas trop salir où à casser je-ne-sais-quoi.

Mon meilleur ami me regarde et nous éclatons de rire à l'unisson, ce qui ne rassure pas le maitre des lieux.

- Je ferai de mon mieux.

Cette réponse lui vaut un regard assassin avant qu'Adam ne s'adresse à moi.

- Surveille mon frère s'il te plait, Anabelle.

Je hoche timidement la tête, surprise qu'il me demande ça.

Sur ses mots, il grimpe les escaliers quatre à quatre pour laisser les invités de Stefan arriver.

Une heure et demie plus tard, la fête bat son plein et la musique est à fond. Des lycéens dansent, d'autres discutent entre eux, et pratiquement tous ont un verre à la main. La mise en garde d'Adam est totalement oubliée puisqu'une canette de bière vient d'exploser au sol et des chips ont été semé dans chaque recoin du rez-de-chaussée. Je ne m'en préoccupe pas et continue de danser avec Lisa.

Ce soir, pour la première depuis quelques semaines, je suis bien. Je ne pense pas à Adam, à cette fameuse Cassandre ou même à la prof d'anglais qui semble avoir un intérêt particulier pour mon ex petit-ami. Je veux juste rire et m'amuser. Même quand mon amie laisse sa place à Adrien. Je danse avec lui et le laisse poser sa main sur ma hanche sans culpabiliser. Pour une fois. Ce soir, j'oublie tout et je m'amuse.

Quand je prends une pause pour aller me servir à boire dans la cuisine, j'y trouve Stefan en train de rire avec deux gars de sa classe. Il s'interrompt pour venir vers moi et passe un bras sur mes épaules, tenant sa bière dans l'autre main.

- Tu as l'air de bien t'amuser avec Adrien, rit-il.

- Tu ne vas pas t'y mettre toi aussi ! m'exclamé-je.

- Je ne fais qu'énoncer les faits.

- Pour ta gouverne, je ne fais que danser, et oui, je m'amuse.

Soudain, son regard se fait plus sérieux.

- Ça fait du bien de te voir heureuse. Tu ne l'es pas très souvent.

Je perds mon sourire et le laisse m'embrasser sur la joue puis me prendre dans ses bras. Il est vrai que ça fait bien longtemps que je ne me suis pas sentie aussi bien et le fait que mon meilleur ami s'en soit rendu compte me fait chaud au cœur. J'aimerais lui parler de mes problèmes et de ce qui me perturbe le plus, mais je ne peux pas. Malheureusement. Je suis incapable de lui dire la vérité, et même si je le faisais, Adam risquerait de me tuer.

- Tu veux danser ? demande-t-il soudainement en s'écartant de moi.

Je retrouve le sourire et hoche la tête avec enthousiasme.

- Je bois un coup avant, le préviens-je en m'emparant de la bouteille de jus d'orange.

Je dois une des seules personnes ce soir à ne pas boire d'alcool, mais je déteste ça.

Je suis ensuite Stef au milieu du salon et nous dansons tous les deux, nous nous amusons et nous ne faisons que rire.

Mon meilleur ami avait raison ; cette soirée est géniale et j'ai vraiment bien fait de venir. Je n'aurais raté ça pour rien au monde.

- Fais attention ! m'exclamé-je lorsque quelqu'un me bouscule et renverse la moitié de son verre d'alcool dessus.

Le mec explose de rire sans prendre la peine de s'excuser et s'en va remplir à nouveau son verre alors que je fixe mon tee-shirt trempé qui pue le whisky et le coca et qui était censé être blanc.

Quelques personnes se sont retournées vers moi et se mettent à rire. Ça n'a rien de drôle !

Stefan me prend par le bras et m'entraîne au bas des escaliers.

- Prends un tee-shirt dans ma chambre pour te changer.

- C'est pas grave, t'inquiète. Ça va sécher.

- Oui mais là il est devenu transparent alors va te changer.

Je baisse les yeux sur mon vêtement et rougis en remarquant qu'il a raison. Je grimpe alors les escaliers pour atteindre sa chambre. Je prends le premier tee-shirt qui me passe sous la main et m'enferme dans la salle de bain.

En retirant mon haut, je me rends compte que mon soutien-gorge aussi est taché de coca, alors je le retire aussi et enfile le vêtement de Stef après m'être rapidement essuyée. Il est tout noir et trop large, mais tant pis. Ça fera l'affaire pour le reste de la soirée.

En sortant de la pièce, je me heurte durement à Stefan.

- C'est bon, j'ai trouvé.

Mais lorsque je relève la tête, c'est son frère qui est face à moi. Il paraît aussi surpris que moi.

- Désolé, je croyais que c'était Stef.

Je croise son regard et m'excuse à mon tour en expliquant la raison de ma présence ici. J'éteins ensuite la lumière de la salle de bain et contourne Adam pour redescendre.

- Anabelle ?

Je me tourne vers lui, surprise. Je ne décèle que le contour de son visage à cause de l'obscurité. J'attends quelques secondes qu'il parle et seule la musique forte du rez-de-chaussée se fait entendre.

- Oui ? fais-je au bout d'un moment.

Il soupire légèrement et je perçois un mouvement de tête. Je crois qu'il secoue la tête.

- Il n'y a pas trop de dégâts en bas ?

Pourquoi ai-je l'impression que ce n'était pas ce qu'il avait l'intention de dire ? Il est étrange.

- Non, ça va, réponds-je tout de même.

Je lui tourne à nouveau le dos, pressée de déguerpir au plus vite, mais lorsque j'atteins la première marche de l'escalier, les doigts d'Adam s'enroulent autour de mon poignet et me tirent doucement vers lui. Ce simple contact peau à peau fait battre mon coeur à tout rompre.

La seconde suivante, je me retrouve acculée contre le mur, juste à côté de la porte de sa chambre, alors qu'il se tient debout devant moi, me surplombant de toute sa hauteur. Comme il est proche de moi - trop proche - je distingue les traits tendus de son visage. J'ignore pourquoi, mais il me fait peur.

De très longues secondes passent durant lesquelles nous ne faisons que nous regarder les yeux dans les yeux. Je crois que mon cœur va exploser tellement il bat vite. Et j'aimerais le pousser et m'enfuir en courant mais la curiosité et le désir que je ressens toujours pour lui me clouent sur place.

La question qu'il me pose n'est pas du tout ce à quoi je m'attendais.

- Est-ce que tu sors avec Stefan ?

Quoi ? Mais qu'est-ce qu'il lui prend ? Il sait qu'il n'y a rien entre son frère et moi, et même si c'était le cas, en quoi ça le concerne ? Il me la dit mot pour moi : il se fiche de moi et je n'étais qu'une distraction.

- Non, soufflé-je sans même m'en rendre compte.

- Est-ce que tu couches avec lui ? enchaine-t-il immédiatement.

J'ai envie de lui demander ce qui lui prends ce soir, mais j'ai aussi envie de voir sa réaction. Je veux savoir s'il demande ça par curiosité, ou parce qu'il tient un minimum à moi. Alors je mens.

- Oui.

Sa mâchoire se crispe violemment de colère et il se détourne de moi pour que je ne vois plus son visage. Il se passe une main dans les cheveux, puis l'autre et souffle bruyamment. Qu'est-ce qui lui arrive ? Est-ce qu'il serait... jaloux ? Non, impossible puisque je ne l'intéresse pas. Alors quoi ? Je ne comprends pas. Je ne comprends pas non plus pourquoi je rectifie ma réponse pour dire la vérité.

- Non.

Adam fait immédiatement volte-face.

- Oui ou non ?

Je ne réponds pas.

Il fait deux pas vers moi et approche son visage du mien. Il n'est qu'à quelques centimètres du mien et son souffle chaud a une odeur de whisky. Il a bu ? C'est peut-être pour ça qu'il agit bizarrement ce soir et que le masque qu'il porte habituellement pour dissimuler ce qu'il ressent n'est pas là. Il est énervé et anxieux de connaitre ma réponse.

- Oui ou non ? répète-il plus durement.

- Non.

Mon souffle s'accélère.

- Et Adrien ?

Je vois sur son visage qu'il est sur le point d'exploser. Moi qui ne décèle jamais rien sur son beau visage, je suis surprise.

- Non.

La seconde qui suit, il se détend immédiatement. Sa mâchoire n'est plus autant crispée et j'entends même un léger soupir de soulagement. L'incompréhension est totale chez moi et je décèle de l'hésitation dans ses yeux sombres. J'ignore à quoi il réfléchit pendant les quelques secondes interminables durant lesquelles il me fixe intensément et je n'ai pas le temps de me poser plus de questions puisque ses lèvres plongent brutalement sur les miennes.

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