Chapitre 7
9 Janvier 2016
Je soupire d'exaspération, d'agacement mais aussi de peur. Seul mon frère aurait pu aborder ce sujet avec elle et ça a le don de m'énerver au plus haut point. Je vais le tuer. Quelle idée de me poser cette question à la con !
Je repousse Anabelle pour qu'elle se couche à côté de moi et regarde le plafond. Je sais qu'elle me fixe en attendant la réponse mais je me contente de rétorquer durement :
- Je retire ce que j'ai dit : tu as réussi à plomber l'ambiance.
- Désolée.
J'ai insisté pour savoir et je n'aurais pas dû puisque maintenant, elle va vouloir connaître le fin mot de l'histoire.
- Réponds moi s'il te plaît, dit-elle d'une voix douce.
- Non.
Ana se redresse et s'appuie sur ses coudes pour me regarder mais je continue de fixer le plafond.
- Elle t'a fait du mal ? comprend-elle aisément.
- Arrête, j'ai pas envie d'en parler, réponds-je en lui lançant un regard sombre.
Elle baisse immédiatement les yeux en s'excusant à nouveau, ce qui me fait culpabiliser. C'est de ma faute après tout, je l'ai forcée à me parler. Je tends alors le bras pour le passer sur ses épaules et lui fais signe de venir près de moi. Elle m'obéit et pose sa tête sur mon torse, à l'endroit même où mon cœur bat à tout rompre.
Je me détends instantanément lorsque les doigts fins d'Anabelle tracent des lignes imaginaires sur mon ventre. Je fais alors de même sur ses épaules et son dos nu. Sa peau est tellement douce, j'ai envie de l'embrasser. Mais elle revient à la charge, encore une fois, alors que je pensais naïvement qu'elle allait abandonner.
- J'ai seulement envie de tout connaître de toi.
- Tu me connais mieux que personne, Anabelle. Tu n'as pas besoin de savoir ça.
Et c'est la vérité, mais ça ne lui suffit pas. Elle me répète qu'elle veut connaître ma vie dans les moindres détails, sauf qu'elle ignore que ce passage est tout bonnement inutile. C'est du passé et ça le restera.
- On avait dit qu'il n'y aurait plus de secret, me rappelle-t-elle en bougonnant.
- Ce n'est pas un secret. C'est seulement une personne insignifiante et sans grand intérêt.
Anabelle soupire mais n'insiste pas. Je sais qu'elle n'est pas satisfaite de ma réponse mais je n'y arrive pas. Elle souhaite me connaître par cœur et ça me fait plaisir, mais dois-je vraiment lui parler de ça ? Je ne veux pas qu'elle me prenne en pitié lorsqu'elle saura, et je sais que ce sera le cas.
- Une personne insignifiante qui t'a fait du mal, murmure-t-elle. Je veux seulement être là pour toi, Adam, et j'aimerais te comprendre.
- Mais pourquoi ça t'importe autant ? soupiré-je lassé.
- Parce que je t'aime.
Une réponse simple et spontanée. C'est tout à fait normal pour elle. Elle s'inquiète pour moi et souhaite seulement en savoir plus sur moi.
Résigné, je finis par lâcher quelques mots qui, je le sais par avance, en entraîneront des centaines d'autres :
- Cassandre était ma petite amie. Après elle, je n'ai plus voulu de relation sérieuse. Je ne voulais plus qu'on me brise le cœur, ajouté-je dans un souffle.
Ana tente de se redresser, probablement pour voir mon visage, mais je la tiens fermement contre moi pour l'immobiliser. Je ne pourrai pas parler si j'ai son regard planté dans le mien. Elle comprend rapidement mes intentions et se tait tout en patientant pour la suite, qui vient une bonne minute plus tard.
- J'avais dix-huit ans et je venais d'arriver à la fac. Elle était en dernière année au lycée et était encore mineure. On a appris à se connaître quand j'étais au lycée mais on s'est mis ensemble seulement l'année d'après.
Je m'interrompt quelques secondes et me plonge dans mes pensées :
- J'avais déjà eu quelques copines avant elle, mais elle était différente. Elle était importante pour moi et je l'étais pour elle. Enfin, c'est ce que je pensais, ajouté-je en riant nerveusement. Elle s'est bien foutue de ma gueule.
Je me tais en me rappelant l'humiliation que j'avais dû subir à cause d'elle. J'aurais été capable de tout pour elle, et je pensais que c'était un minimum réciproque mais il s'est avéré qu'elle était une vraie garce. Je m'en suis rendu compte trop tard, malheureusement.
- Elle t'a brisé le cœur ? demande timidement Anabelle, l'oreille collé contre mon organe vital qui est sur le point d'imploser.
- Si c'était que ça ! m'exclamé-je.
En plus de me briser le cœur, elle a voulu détruire mon avenir et ma vie, tout simplement. Tout ça pour ne pas décevoir son père.
Ana parvient à se dégager de mes bras et approche son visage du mien. Je ne veux pas la regarder mais sa paume sur ma joue m'y contraint. De la tristesse et de la culpabilité se mélangent dans ses beaux yeux verts.
- Moi aussi je t'ai brisé le cœur, murmure-t-elle d'une voix emplie de remords.
- Ne te compare pas à elle, contré-je immédiatement, horrifié à l'idée qu'elle puisse ne serait-ce qu'imaginer avoir un point commun avec elle. Tu n'as absolument rien d'elle. Tu aurais pu réduire ma carrière à néant si tu l'avais voulu et m'envoyer tout droit en prison, mais tu ne l'as pas fait. Cassandre ne s'en est pas privée.
Ses yeux s'agrandissent de stupeur et sa bouche s'entrouvre sous le choc. Je ne lui laisse pas le temps de réfléchir et je continue mon récit :
- Ses parents étaient très croyants et pratiquants. Leur fille devait donc rester vierge jusqu'au mariage, mais elle n'a pas respecté leur volonté. Elle me disait qu'elle m'aimait et que le choix de ses parents n'interfèrerait pas dans notre relation. Et puis, de toute façon, elle n'était déjà plus vierge lorsqu'on a couché ensemble.
Les yeux d'Anabelle ne cessent de me scruter ce qui me rend mal à l'aise. C'est la première fois que je raconte ça à quelqu'un - exception faite pour mon frère - et je ne me sens pas du tout à mon avantage. Mais si Ana a besoin de ça pour me comprendre et me faire confiance, alors soit. Je lui ai promis de tout faire pour me faire pardonner, et si elle souhaite mes aveux, je lui offre.
- Ses parents ont fini par savoir qu'elle n'était plus vierge. Je ne sais pas comment ils l'ont appris d'ailleurs. Sûrement un examen médical, ou quelque chose du genre. Toujours est-il qu'ils l'ont su. Un matin où ma mère n'était pas à la maison, des flics ont frappé chez moi et je me suis retrouvé au commissariat.
- Pourquoi ? Qu'est-ce qu'elle a fait ? m'interroge Ana.
Je soupire et me passe la main sur le visage. Ce jour-là avait été le plus angoissant et terrifiant de toute ma vie. Je déteste y repenser. Je pense qu'elle a compris ce que je sous-entends mais je le lui dit quand même.
- Elle a dit à ses parents que je l'avais forcée à coucher avec moi. Qu'elle avait refusé mais que je n'en avais pas tenu compte.
- Adam... souffle Ana.
Je n'ai pas besoin de la regarder pour deviner qu'elle a les larmes aux yeux. Les tremblements dans sa voix sont à peine perceptibles mais je les entends.
- Laisse moi terminer, la coupé-je brutalement.
Du coin de l'œil, je la vois hocher la tête alors je poursuis.
- J'ai dit aux flics que c'était un malentendu et j'ai demandé à la voir, mais bien sûr, ils me l'ont interdit. J'étais déjà coupable selon eux. En même temps, elle y a mis les formes d'après ce que j'ai compris. Elle aurait pleuré et donné tellement de détails sur mon agression que ça paressait vrai aux yeux de tous. Je n'en revenais pas qu'elle m'ait fait ça.
Ana s'essuie la joue et se couche sur le matelas, tournée vers moi pendant que je garde les yeux rivés en l'air, une main dans les cheveux, l'autre enlacée dans celle de ma petite amie.
- Je ne voulais pas que ma mère soit au courant pour le moment alors j'ai appelé mon père. Je ne lui avais pas parlé depuis plus de dix ans mais je savais qu'il était avocat alors je lui ai demandé de m'aider. À ma grande surprise, il a accepté. Même s'il n'a pas servit à grand chose à part me sortir du commissariat.
Depuis ce jour, je n'ai plus jamais eu de nouvelles de lui, mais ça ne change rien à d'habitude. Il n'a jamais été présent dans ma vie. Même le père de Stef à été plus souvent là que mon géniteur ! Bien que lui aussi ait fini par déserter.
- Deux semaines après l'accusation, mon père est venu me voir chez moi pendant que ma mère était encore absente. Elle n'a donc jamais rien su de tout ce bordel contrairement à Stef. Il était là ce jour-là et a écouté à travers la porte de la cuisine.
Même à l'âge de dix ans il se mêlait déjà de ce qui ne le regardait pas ! Ce jour-là, il n'avait pas tout compris à ce qu'il se passait, mais je lui ai expliqué quelques années plus tard. Je ne voulais pas lui en parler, mais j'y avais été contraint. Sa menace de tout raconter à notre mère m'y avait forcé. Il n'a pas changé, ce petit con ! Toujours aussi curieux et manipulateur.
- Mon père était venu me dire que les parents de Cassandre retiraient la plainte et qu'ils s'excusaient. Je n'en croyais pas mes oreilles. Moi qui me voyais déjà en tôle jusqu'à la fin de mes jours, j'étais littéralement sur le cul. En fait, la mère de Cassandre l'avait entendu parler avec une de ses amies. Elle lui racontait ses mensonges à la police et ce qu'elle m'avait fait. Elle ne savait pas que sa mère était là et cette dernière a alors compris que l'accusation était fausse et que j'avais dit la vérité. J'étais donc sorti d'affaire et mon casier judiciaire était toujours vide.
Et heureusement ! Cette garce n'aurait pas ouvert sa bouche pour tout raconter à sa meilleure amie, je serais derrière les barreaux aujourd'hui encore.
- Je suis donc allé chez Cassandre pour parler avec ses parents. Ils se sont à nouveau excusés tout en me demandant pardon. Au fond, je ne leur en voulais pas. Il ont simplement fait confiance à leur fille et ont seulement voulu la protéger. Je ne leur en ai jamais voulu de l'avoir cru, j'étais bien placé pour savoir qu'elle jouait parfaitement la comédie. Elle l'avait fait pendant quatre mois avec moi, avec des « je t'aime » et des promesses à tout va. Lorsque je leur ai demandé si je pouvais parler avec elle, j'ai été surpris qu'ils acceptent. À condition qu'ils restent avec nous.
Ils avaient probablement peur que je m'en prenne physiquement à leur fille mais ce n'était pas le cas. Je voulais juste comprendre pourquoi elle avait fait ça et vérifier par moi-même si elle se sentait un minimum coupable. Si j'avais su, je me serais abstenu de la questionner sur quoique ce soit.
- Sa mère est allée la chercher et elle a été très étonnée de me voir dans son salon. Je lui ai donc demandé des explications et tout ce qu'elle m'a répondu est : « Si mes parents l'avaient appris plus tôt, ils m'auraient envoyé en pension ou dans une école de bonnes sœurs. Merci Adam, grâce à toi j'y vais maintenant. »
Je l'entends encore prononcer ces mots mais heureusement, je ne ressens plus la douleur qui m'avait détruit encore une fois ce jour-là. Un coup de couteau dans le cœur aurait été moins douloureux, je crois. Elle était la première fille dont j'étais tombé amoureux, j'aurais tout donné pour elle, alors qu'elle, tout ce qu'elle souhaitait, c'était sa liberté, quitte à sacrifier la mienne.
- Après ça, je suis parti sans un mot. Ça ne servait à rien de répondre quoique ce soit, je savais ce qui était nécessaire : je n'avais jamais compté pour elle. Ses parents l'ont ensuite mis dans un lycée pour filles à des centaines de kilomètres de chez moi et ont déménagé. Je n'ai plus de nouvelles d'elle depuis et je m'en porte bien mieux.
À la fin de ce monologue interminable, un silence lourd et pesant s'installe entre nous. Je n'ose plus la regarder ni bouger.
- Voilà, tu sais tout. Et je te le redis une fois de plus, tu n'as rien à voir avec elle.
- Si.
Ce petit mot me fait tourner la tête vers elle. Comment peut-elle s'identifier à elle après tout ce que je viens de lui dire ?
Ses yeux sont humides et une larme coule sur son nez pour finalement tomber sur l'oreiller.
- Non Ana, tu...
- Si. Je t'ai fait du mal moi aussi. Et je t'ai menti, dit-elle d'un air coupable.
Mes lèvres s'étirent en un petit sourire et je pose ma main sur sa joue en me tournant face à elle.
- Tu aurais pu faire comme elle. Me dénoncer et porter plainte pour te venger. Surtout après qu'on ait couché ensemble la dernière fois. Après tout ce que je t'ai fait et dit, tu aurais pu le faire. Mais tu as préféré te taire et... me protéger, en quelques sortes. Elle, elle n'a pas hésité une seule seconde.
Elle renifle et ouvre la bouche pour parler mais je lui coupe la parole :
- Si tes parents découvraient notre relation, qu'est-ce que tu leur dirais ?
- Je ne ferai jamais ce qu'elle a fait, je te le promet. Même si on ne s'était pas réconciliés, jamais je n'aurais pu te faire ça. Je crois que je serais même capable de leur dire que tout est de ma faute, et ça l'est en réalité puisque je t'ai menti sur mon âge. Si tu avais su que j'étais mineure, tu aurais tout de suite cessé de me parler et...
- Tu n'es pas comme elle, la coupé-je à nouveau. Ne te compare plus jamais à elle s'il te plaît. Tu n'as aucun point en commun avec cette fille.
Elle s'essuie les yeux et vient se blottir dans mes bras en pleurant doucement. Je la serre contre moi et l'embrasse sur le front.
- C'est à cause d'elle que tu es devenu froid et distant alors ?
- Oui. Personne n'a jamais su ce qu'il s'était passé à part mon frère et mon père et je n'ai plus jamais voulu m'attacher à une fille. Jusqu'à toi.
Elle relève timidement la tête pour me regarder.
- Je t'en ai beaucoup voulu et j'ai vraiment cru que le calvaire allait recommencer mais j'ai vite compris que tu ne ferais rien, et que malgré le fait que je t'en voulais énormément, je ne parvenais pas à t'oublier.
- Tu as regretté d'être sorti avec moi ?
- Oui. J'ai regretté de m'être laissé aller avec toi. De m'être attaché à toi.
- Et maintenant ? Tu regrettes toujours ?
Je ris doucement et lui embrasse le bout du nez.
- Oui et non. Sans tout ça, tu n'aurais pas autant souffert et tu aurais sûrement pu être heureuse avec quelqu'un d'autre. Mais je me rends compte qu'il n'y a qu'avec toi que je suis vraiment bien, Anabelle. Je sais que c'est égoïste de ma part de dire ça, mais je ne peux m'empêcher de me dire que je n'aurais pas tenu l'année complète sans toi.
En récompense pour mes aveux, je gagne un grand sourire de sa part.
- Je ne regrette pas de t'avoir rencontré, ni d'en avoir bavé ces derniers mois. Je t'en veux encore un peu mais au fond, je sais que je t'ai déjà pardonné, Adam. Et même si je t'ai vraiment détesté, je n'ai pas cessé de t'aimer. Et je t'aime toujours.
Une fois de plus, ces mots me font fondre. Elle est adorable et tellement sincère que je ne peux m'empêcher de sourire de toutes mes dents.
Je pose ma main sur sa hanche et la fait basculer sur le lit, me plaçant au dessus d'elle.
- Tu veux que je te donne la plus grande différence entre elle et toi ?
Elle hoche la tête, visiblement impatiente de savoir la réponse.
- C'est que toi, tu dis la vérité. Je sais que tu m'aimes vraiment.
Anabelle me caresse la joue du bout des doigts et me sourit amoureusement. Et j'adore. Jamais je ne m'en lasserai.
- Tu l'aimais ? s'enquiert-elle curieuse.
Je n'hésite pas et lui confirme ce qu'elle avait déjà deviné.
- Oui. C'est pour ça que j'ai tenté de bannir ce sentiment de moi. Je savais qu'aimer me ferait souffrir et je ne voulais plus de ça. Mais j'ai compris très récemment que ça ne faisait pas seulement souffrir.
Elle encercle mon cou de ses bras et je m'approche davantage d'elle, frôlant ses lèvres des miennes. Je sais qu'elle attend certains mots de ma part. Je sais qu'elle en a besoin, et moi aussi j'en ai besoin. Je veux qu'elle sache réellement ce que j'éprouve pour elle. Alors je lui dis, sans la moindre hésitation cette fois-ci.
- Je t'aime Anabelle.
J'embrasse délicatement ses lèvres qui s'étirent en un sourire puis je viens enfouir mon nez contre son cou, collant mon corps nu au sien.
- Je t'aime tellement, lui murmuré-je à l'oreille.
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