Chapitre 14 : Adam.
Mauvaise idée. Mauvaise idée ! Quelle putain de mauvaise idée !
- On rentre chez toi ? me demande Ana en se rongeant les ongles.
Je pose ma main sur sa cuisse et secoue la tête même si l'idée de faire marche arrière est plutôt tentante.
- C'est une mauvaise idée, Adam, me supplie-t-elle en reprenant les mots qui tournent en boucle dans ma tête depuis notre départ.
- Je sais. Mais c'est la seule option.
- C'est faux. On peut aussi s'enfermer chez toi jusqu'à la fin des temps, ou partir à l'autre bout du pays. Peu importe.
Je lui souris sincèrement et caresse sa joue.
- Tu sais très bien que non. Je ne veux pas que tu choisisses entre ta famille ou moi. Il faut arrêter les mensonges maintenant. Une partie d'entre eux au moins, rectifié-je.
Je perçois du mouvement du coin de l'œil et lorsque je tourne la tête, je croise le regard du père d'Ana, debout dans l'encadrement de la porte. Ma petite-amie le remarque aussi. Je retire aussitôt ma main et sors de la voiture. Même si je n'habite pas très loin d'ici, j'ai préféré ne pas venir à pied. Je ne souhaitais pas croiser quelqu'un. La rencontre avec ses parents est amplement suffisante pour aujourd'hui !
Je fais le tour du véhicule pour ouvrir la portière passager ; Ana n'est pas décidée à sortir. Je lui tends la main mais elle la refuse d'un signe de la tête. Je m'accroupis alors près d'elle.
- Ce n'est pas en restant ici que ça va s'arranger.
- Ce n'est pas non plus en entrant chez moi que ça va aller mieux. Ça va empirer.
- Mais on doit en passer par là si on veut pouvoir être ensemble. C'est la dernière étape, mon Cœur.
Ce petit surnom la fait sourire.
- Je t'aime, continué-je. Et je ferai tout pour rester avec toi.
- Et moi je ferai tout pour te défendre.
- J'espère bien.
Je lui souris mais je n'en reste pas moins anxieux. Ma petite-amie m'a dit que ce serait difficile aujourd'hui et vu sa réticence à simplement sortir d'une voiture, je la crois.
Anabelle me surprend en m'embrassant chastement. Ça me gêne face à son père mais je ne la repousse pas. Si elle en a besoin, je lui accorde. Elle me fait ensuite signe de me redresser pour qu'elle puisse sortir. Elle se lève, referme la portière et s'empare de ma main avant d'avancer vers son père, qui n'a pas bougé. En approchant de lui, je devine aisément de qui Anabelle tient ses beaux yeux verts. Sauf que ceux de son père me regardent non pas avec amour et admiration, mais plutôt avec suspicion.
Arrivé face à lui, il me tend la main. Je fais alors de même pour le saluer, pendant qu'Ana est en train de broyer ma main gauche.
- Bonjour Monsieur.
- Bonjour...
- Adam, complété-je. Je m'appelle Adam.
Le père de famille hoche la tête et entre dans la maison. Ana est obligée de lâcher ma main pour le suivre et je ferme la marche.
- Thomas est là ? demande ma petite-amie.
- Oui, et ta mère aussi.
- Génial... marmonne-t-elle.
J'ai l'impression que la présence de ces deux personnes ne ravi pas ma copine. Son père est plutôt froid de prime abord, mais selon Ana, c'est le seul qui pourrait - éventuellement - être de notre côté.
- Ils sont dans le salon, annonce-t-il.
Je passe une main affectueuse dans le dos d'Anabelle et nous marchons jusqu'au salon, je présume.
Une femme s'avance vers moi. Ana lui ressemble beaucoup mais ses yeux sont indubitablement les mêmes que son père.
- Bonjour Madame, dis-je poliment en lui serrant la main.
Elle ne répond pas immédiatement et l'ambiance est cruellement tendue. Si j'ai trouvé que le père était froid, la mère est glaciale ! Ceci confirme immédiatement ce que m'avait dit Anabelle.
- Quel âge as-tu ? lance-t-elle d'emblée.
- Maman ! s'exclame Ana près de moi.
- Vingt-six ans, réponds-je en même temps.
Elle regarde alors sa fille et je devine qu'elle est déjà bien en colère.
- C'est une plaisanterie Anabelle ?
- Non, rétorque-t-elle la tête haute. Je te présente Adam. Mon petit-ami.
Un sourire ironique se dessine sur son visage. Le père d'Ana intervient et nous invite à nous installer. J'ai l'impression qu'il sera le seul à être un minimum compréhensif.
Je marche derrière Anabelle et m'installe à côté d'elle sur le canapé. Ses parents prennent place sur l'autre canapé et son frère entre par une autre porte et s'assied à côté de sa mère. Quelle situation de merde ! J'ai la sensation d'être à un interrogatoire. Et c'est ce que ça va être finalement : un putain d'interrogatoire ! Mais qu'elle idée j'ai eu...
- Tu veux boire quelque chose ? demande son père.
- Non merci.
- Bien. Parle-nous un peu de toi alors.
Il n'y va pas par quatre chemins, visiblement.
- Qu'est-ce que vous voulez savoir ?
Un rire sarcastique me parvient distinctement et je regarde alors Thomas, qui me fixe, le sourire aux lèvres. Mais ce sourire n'augure rien de bon.
- Tu es le frère de Stef, annonce-t-il.
J'ignore comment il le sait, mais il a l'air sûr de lui. Bien entendu, je ne comptais pas cacher ce détail aux parents d'Anabelle mais je voulais l'annoncer moi-même et en douceur... Thomas n'est pas de cet avis.
- Ne dis pas n'importe quoi, rétorque sa mère agacée.
- Je ne dis pas n'importe quoi. Il est le frère de Stef, je l'ai aperçu une fois quand il l'a déposé devant chez nous. Cet enfoiré est le prof d'Ana ! s'exclame-t-il en se levant d'un seul coup.
Sa sœur fait de même et se place devant moi, comme pour faire bouclier. Je ne supporte pas ça, alors je me redresse aussi. Au final, tout le monde est debout, et sous tension.
- Est-ce que c'est vrai ? nous questionne son père.
- Bien sûr que c'est vrai ! hurle Thomas avant de s'adresser à moi : Ose dire le contraire !
Tous les regards sont braqués sur moi et j'ouvre la bouche pour confirmer mais Anabelle le fait à ma place.
- Il n'est plus mon prof.
Avant que je ne comprenne quoique ce soit, ma petite-amie n'est plus devant moi et j'atterris lourdement au sol, la pommette en feu.
- Mais t'es complètement con ! hurle Ana.
Je me redresse et m'adosse contre le mur. Honnêtement, je m'attendais à m'en prendre une, mais pas avec une telle force.
Anabelle est accroupie devant moi et caresse ma joue du bout des doigts.
- Ça va ? m'interroge-t-elle les larmes aux yeux. Je désolée Adam. Pardon. Je t'avais dit que c'était une mauvaise idée.
J'entends le père et le fils s'engueuler, une porte claquer et c'est le silence complet.
- C'est rien, dis-je en enlevant sa main de ma joue pour embrasser ses doigts.
- Non ce n'est pas rien. Je suis désolée.
Je secoue la tête pour lui faire comprendre que ce n'est pas grave et me relève. Thomas n'est plus là. Ana me regarde attentivement, les larmes aux yeux. De mon pouce, j'essuie sa pommette.
- Tout va bien, lui souris-je. Ce n'est pas la première fois que je m'en prends une et ça ne sera pas la dernière.
- Il n'avait pas à faire ça, pleure-t-elle.
- Il veut te protéger, rien de plus.
- Mais je n'ai pas à être protégée de toi ! s'écrit-elle indignée.
- Ton frère ne me connait pas, alors c'est normal.
- Pardon, répète-t-elle en venant se blottir contre moi.
Je la serre dans mes bras et l'embrasse sur le front en fermant les yeux quelques secondes. Lorsque je les rouvre, je croise ceux du père d'Anabelle qui me tend une poche de glace. Je me sépare alors d'elle et prend ce qu'on me donne.
- Merci.
Ma petite-amie regarde son père avec attention et s'installe à nouveau sur le canapé, me tirant par le bras pour m'inciter à faire de même. Il prend place à côté de sa femme et l'ambiance est, une fois de plus, horriblement tendue. Mais Thomas n'est plus là, c'est déjà ça.
- Je veux tout savoir, ordonne calmement le père.
Je hoche la tête et pose la poche de glace sur ma joue en grimaçant. Je vais avoir un bel hématome ! Mais si c'est le prix à payer pour que je reste avec Ana, ça me va. Je prends alors la parole.
- On s'est rencontré l'été dernier.
Je vois sur le visage horrifié de la mère qu'elle se fait déjà des centaines de films sur notre relation, tous plus faux les uns que les autres.
- C'était une rencontre virtuelle, sur les réseaux sociaux. On a commencé à se parler et je ne vivais pas encore ici, en ville. On s'est vu pour la première fois au début du mois d'août et on a commencé à sortir ensemble quelques jours plus tard. Je ne lui avais pas dit que j'étais prof.
- Pourquoi ? m'interroge le père.
- Honnêtement, je n'en sais rien, réponds-je en haussant les épaules. Je ne sais vraiment pas pourquoi je ne lui ai rien dit.
Aujourd'hui encore, je l'ignore totalement. C'est vrai, ça n'avait rien d'un secret, après tout.
- Mais tu savais qu'elle était au lycée et ça ne t'a pas dérangé, m'accuse la mère d'un ton haineux.
Ana intervient.
- Je lui ai menti. Je savais d'après sa photo qu'il était plus âgé que moi et je savais qu'il arrêterait de me parler s'il savait que j'étais encore mineure. Donc j'ai ajouté deux années à mon âge et je lui ai dit que j'entrais à la fac.
Elle s'empare de ma main libre et entrecroise nos doigts. Sa mère ne rate rien de ce geste et parait furieuse. Elle va pour parler mais sa fille lui coupe la parole.
- C'est de ma faute. Si je lui avais dit la vérité, s'il avait su que j'étais dans le lycée dans lequel il allait enseigner, jamais on ne serait sorti ensemble.
- Est-ce que tu réalises à quel point tu es inconsciente et stupide ? s'écrit sa mère.
- Oui je le sais !
Je serre sa main pour tenter de la calmer et je reprends la parole avant qu'elle ne s'énerve davantage contre sa mère.
- On s'est rendu compte de nos mensonges le jour de la rentrée. J'étais devant mon bureau et elle à une table en face de moi. Notre relation s'est arrêtée là. On ne s'est même pas parlé, ni même expliqué. Rien. C'était seulement terminé. Jusqu'à ce qu'elle soit amie avec mon frère et que je la croise chez moi pratiquement tous les jours. Elle me plaisait beaucoup mais je savais que je ne pouvais pas être avec elle. Et ça, ça m'a toujours fait mal.
Je sens le regard de ma petite-amie peser sur moi mais je continue.
- Il y a quelques mois, Anabelle m'a avoué ses sentiments pour moi. Sur le coup je... Je n'ai pas su quoi faire. C'était pourtant simple ; j'avais seulement à la repousser mais je l'aimais. Je n'ai jamais été heureux dans une relation amoureuse, mais je l'ai été l'été dernier. Seulement pour un mois et c'était beaucoup trop peu, mais j'étais heureux avec Ana. Constater son mensonge à la rentrée m'a fait beaucoup de mal, mais je l'aimais encore. Et tout ce que j'ai pu faire ce jour-là, c'était de lui promettre que je l'attendrai.
Je me tourne vers Ana et croise ses beaux yeux verts, humides de larmes, déjà ancrés dans les miens.
- Je lui ai promis d'attendre jusqu'au trois juillet. Jusqu'à l'obtention de son bac. Je ne suis plus son professeur depuis hier alors nous pouvons être ensemble désormais.
Aucune réponse suite à ce monologue ne me parvient, alors je regarde tour à tour les deux personnes près de moi. Le femme est énervée et l'homme semble dubitatif. C'est lui qui prend la parole en premier.
- Est-ce qu'il s'est passé quelque chose pendant sa scolarité ?
- Non.
- Anabelle ?
Elle secoue négativement la tête et baisse les yeux.
- Il y a seulement eu un baiser, ajouté-je.
Mon mensonge provoque une réaction apeurée de la part de ma petite-amie et de la crispation chez son père. Je ne peux m'empêcher d'imaginer dans quel état je serais s'il savait la vérité !
Avant d'arriver ici, Ana et moi avions convenu de ce qui allait être dit ou non. Et nous n'avions pas décidé que je dise cela. Ana m'avait fait promettre de répondre par la négative à une question de ce genre, mais un non catégorique n'était pas envisageable. Son père ne l'aurait pas cru.
- Rien de plus ? insiste-t-il.
- Non. Je l'ai embrassée lorsque je lui ai promis de l'attendre.
- Et avant ?
Je fronce les sourcils.
- Avant ? répété-je un peu perdu.
- L'été dernier.
- Je... Je ne comprends pas.
Il soupire et se passe la main sur le visage, avant de se pencher en avant, plantant ses coudes dans ses cuisses et joignant les mains devant lui. C'est lorsqu'il darde son regard dans le mien que je saisis.
- As-tu couché avec ma fille ?
- Papa ! Arrête ! s'exclame Anabelle indignée.
- Oui, réponds-je au même moment.
Pourquoi cet homme tient-il tant que ça à savoir ce que j'ai fait avec sa fille ? Je suis certain que ça le gène encore plus que moi et je ne comprends pas en quoi ce détail est important pour lui. Mais peu importe, il connait la vérité.
Je sens qu'il maitrise sa colère tant bien que mal mais je ne peux pas lui mentir là-dessus. Il voulait savoir, il sait. Maintenant, s'il souhaite faire comme son fils et me faire l'autre joue, qu'il le fasse.
- Sors de chez moi, m'ordonne froidement la mère d'Ana.
Qu'est-ce qu'elle croyait, sérieusement ? Que sa fille allait rester une enfant toute sa vie ? Je retiens mon sarcasme et me lève en posant la poche de glace sur la table basse.
- D'accord. Mais avant de partir, je voulais que vous sachiez que jamais, jamais je n'ai abusé de mon rôle de professeur pour quoique ce soit. Je l'aime mais ce n'est pas pour cela que je lui donnais un quelconque avantage pour ses notes ou des réponses ou je ne sais quoi d'autre. Oui, j'étais amené à parler avec Anabelle de façon moins professionnelle étant donné qu'elle était devenue l'amie de mon frère. Mais je peux vous promettre que jamais je n'aurais profité de mon rôle, que j'aime Ana ou que je la déteste. J'étais son prof au lycée, le frère de son meilleur ami chez moi, et maintenant son petit-ami.
Le père d'Ana se lève.
- Si vous n'avez plus de questions, je vais m'en aller. Je pense que vous avez besoin de discuter.
- En effet, répond-il en tendant sa main devant lui.
Il n'est finalement pas si rancunier ! Je serre sa main et lorsque je veux la retirer, il la maintient fermement.
- Je ne m'excuserai pas pour l'attitude de mon fils.
- Je ne vous demande pas de le faire.
- Merci d'avoir accepté de venir.
J'acquiesce, ne sachant que dire et il relâche enfin ma main. Par politesse, je tends la main devant sa femme mais elle ne bouge pas. Comme je m'y attendais.
- On peut y aller ? demande alors Ana.
- Non.
Je me tourne vers son père qui a parlé en même temps que moi puis fait face à celle qui vient de glisser sa main dans la mienne.
- Moi je m'en vais, mais toi, tu restes ici.
- Non je rentre avec toi, décrète-t-elle.
Je secoue la tête en souriant.
- Tu restes ici. Je pense que tu dois discuter avec tes parents.
- Je n'ai pas envie.
- Je ne te donne pas le choix, Ana, rétorqué-je en posant ma main sur sa joue. On se voit demain, d'accord ?
Nous nous regardons dans les yeux durant de longues secondes avant qu'elle ne laisse tomber et hoche la tête. Je pose mes lèvres sur son front et les laisse plus longtemps que nécessaire puis elle m'entraine vers l'entrée.
- Au revoir, dis-je à l'attention de ses parents.
Devant la porte, Anabelle entoure mon cou de ses bras et je la serre contre moi, encerclant sa taille. Puis je pose mes deux mains sur ses joues et embrasse ses lèvres.
- Je t'aime. On se voit demain ?
- Je peux t'appeler ce soir ?
- Bien sûr, lui souris-je.
Elle caresse ma pommette déjà un peu enflée, s'excuse encore et me laisse finalement partir.
Tout compte fait, ça s'est mieux passé que ce que je pensais ! Même si ça aurait tout de même pu être encore mieux, ça va de soit.
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