Chapitre 13.

3 Décembre 2015

Je n'ai pas dormi de la nuit, bien entendu. Mes yeux sont tellement gonflés ce matin que je sursaute presque en me voyant dans le miroir. Le vert de mes iris est entouré de rouge et des cernes monstrueuses décorent le dessous de mes yeux. Je fais peur à voir.

Mais je refuse qu'Adam me voit dans cet état alors je m'empresse de m'habiller et de quitter la maison à seulement huit heure du matin. Je laisse un mot dans la chambre pour que mon meilleur ami ne s'inquiète pas trop et je rentre chez moi. C'est seulement en arrivant devant la porte d'entrée que je me rappelle ne pas avoir les clés. Toutefois, je remarque la voiture de mon frère dans l'allée. Il n'était pas censé passer la nuit chez Élise ? Je ne me pose pas plus de questions et tente d'ouvrir la porte mais celle-ci est fermée. Je sonne alors, laissant mon doigt appuyé sur le bouton pendant de longues secondes. Thomas risque d'être en colère, mais tant pis. Je veux être dans mon lit pour continuer à me morfondre.

Je retire mon doigt quand j'entends les clé s'insérer dans la serrure et la porte s'ouvre sur mon frère, visiblement très énervé. Ses yeux sont à moitié fermés, il ne porte qu'un short de sport et ses cheveux sont ébouriffés. Il semblerait que je l'ai réveillé. Je suis tellement épuisée que je n'éprouve aucun remords.

- T'es stupide ou quoi ? s'écrit-il encore tout endormi.

- Tu ne sais pas à quel point, marmonné-je en passant à côté de lui.

Je le remercie tout de même et m'excuse de la gène occasionnée en grimpant rapidement les escaliers. Je m'enferme ensuite dans ma chambre, jette mes chaussures de l'autre côté de la pièce et me glisse sous la couverture. Thomas fait irruption dans ma chambre lorsque je rabats la couette sur ma tête.

- Qu'est-ce qu'il y a ?

J'entends dans sa voix qu'il est inquiet. Il s'assoit sur le bord de mon lit et attends que je parle.

- Tu ne devais pas dormir chez ta copine ? demandé-je à la place.

- Quelle copine ? soupire-t-il.

Je retire immédiatement la couverture de mon visage.

- Quoi ? Vous n'êtes plus ensemble.

Il souffle et se passe la main sur le visage.

- Je ne sais pas. On s'est engueulé hier soir.

Je me redresse pour m'asseoir et lui prends la main.

- Ça va s'arranger. Vous vous prenez constamment la tête mais vous vous réconciliez toujours.

- Cette fois je doute un peu.

Voir mon frère triste me fait beaucoup de peine et je le prends dans mes bras pour le réconforter. Je ne suis pas la seule à être désemparée aujourd'hui.

- Mais non, ne dis pas ça. Ca va aller.

- J'espère, murmure-t-il.

Il s'écarte quelques secondes plus tard et me fixe attentivement.

- Et toi ?

Je me renfrogne et fais l'innocente.

- Quoi ?

- Tu t'es encore pris la tête avec Stef ?

Je secoue négativement la tête et baisse les yeux.

- Alors quoi ?

J'aimerais tellement lui parler mais je sais que jamais il n'approuverait quoique ce soit concernant Adam, alors je m'abstiens et tente autre chose. De toute façon, il ne me lâchera pas tant que je n'aurai pas parler. Je vais donc lui avouer une partie du problème.

- Peine de cœur aussi, dis-je en haussant les épaules.

- Quoi ? Mais je croyais que tu étais chez Stef ? s'emporte-t-il avec colère. Tu étais où alors ? Et chez qui ? Ana, je te jure que si tu as passé la nuit avec un mec je...

- J'étais chez Stef ! hurlé-je plus fort que lui pour l'arrêter.

Il fronce les sourcils, perdu.

- J'étais chez Stef mais j'ai appris hier soir que le mec qui m'intéressait s'en foutait de moi.

  Çafait longtemps que je le sais mais ce n'est qu'un détail...

- Toi, tu t'intéresses à quelqu'un ? s'étonne mon frère.

- Oui.

- Et comment s'appelle celui qui brise le cœur de ma petite sœur ?

Je ris doucement malgré son air sérieux.

- Il n'a pas de nom, c'est personne.

- Ana, dit-il d'un ton menaçant.

- Tu ne sauras rien de plus Thomas.

Absolument rien du tout ! S'il y a bien une chose que je souhaite éviter, c'est un scandale au lycée et dans ma maison. Si mon frère l'apprend, je ne donne pas cher de ma peau et de celui qui fut mon amant.

- C'est encore Théo ?

Je lui ai parlé auparavant de mon ex petit-ami et j'ai dû l'empêcher tant bien que mal de ne pas aller lui refaire le portrait. Ça m'aurait bien soulagée, mais je suis totalement contre la violence et je ne souhaitais pas que mon frère s'immisce dans ma vie amoureuse. Il l'a difficilement compris mais a tout de même respecté mon choix.

- Non.

Visiblement, ce n'est pas la réponse qu'il attendait.

- Quoi ? Tu es déjà passée à autre chose ?

- Ça suffit Thomas ! m'esclaffé-je. Je ne veux pas parler de tout ça.

- Et moi si.

- Ça m'étonnerait, marmonné-je.

- Pourquoi ?

Probablement parce que tu n'aimerais pas savoir que ta petite sœur n'est plus une petite fille...

Il tente de croiser mon regard mais je baisse les yeux et je me rends compte trop tard que c'était la chose à ne pas faire puisque ça ne me rend que davantage coupable. Mais coupable de quoi au juste ? De ne plus être vierge ? Ce n'est pas un crime tout de même. Peut-être que si finalement au vu de l'emportement excessif de mon frère.

- Ne me dis pas que tu as déjà... fait ça ? s'écrit-il hors de lui.

- Thomas s'il te plait...

- Oh mon Dieu, Anabelle !

Cette conversation est de loin la dernière que j'aurais souhaité avoir avec mon frère ! Pourquoi faut-il qu'il soit si protecteur sur ce point là ? Il devrait pourtant savoir que tout le monde a sa première fois un jour et que même sa petite sœur ne peut y échapper.

- Sors de là !

- Avec qui ? s'enquiert-il en m'ignorant totalement.

Je me lève du lit et le tire par le bras sauf qu'il est bien trop fort pour moi et ne bouge pas d'un millimètre.

- Qui, Ana ?

- Arrête, je t'en pris ! J'ai dix-sept ans Thomas !

- Je m'en fiche !

- Ne me fais pas croire que tu joues aux échecs avec Élise, l'accusé-je.

- Ce n'est pas la même chose ! hurle-t-il en se mettant debout.

Je croise les bras sur ma poitrine, maintenant énervée.

- Ah oui ? Et pourquoi ? Parce que tu es un homme ?

- Parce que tu es ma sœur, bon sang !

- Eh bien ta petite sœur a grandi, Thomas. Et elle aimerait bien dormir, tu vois.

Il me laisse le pousser hors de ma chambre et claquer la porte derrière lui. Je l'entends tout même me mettre en garde une dernière fois :

- Je finirai bien par savoir qui il est et je te jure que ça va mal aller pour lui !

- Dans tes rêves !

Lorsqu'il quitte le couloir pour rejoindre sa chambre, je m'adosse à la porte et me laisse glisser contre le bois de la porte en soupirant. Je n'en peux plus.

***

Durant la semaine qui a suivi, mon frère - qui s'est finalement réconcilié avec Élise - n'a pas cessé de me sermonner pendant que Stefan me harcelait au lycée pour savoir pourquoi je semblais à bout. J'ai tenu bon jusqu'à aujourd'hui mais ce midi, il m'a sorti une phrase qui m'a fait flancher :

- Tu m'as promis de ne plus rien me cacher, Ana.

Alors je lui ai tout dit. Le presque baiser dans la cuisine, notre dispute dans la chambre après qu'il ait cru que j'étais avec son frère, le baiser brutalement délicieux qui a suivi, puis celui beaucoup plus doux et ce qui a failli se produire dans le lit. Je me suis excusée des dizaines de fois et j'ai encore fondu en larmes en imaginant qu'il ne voudrait plus être mon ami. Mais il s'est contenté de me prendre dans ses bras et de me pardonner. Encore. Tout en traitant Adam de connard. Je ne l'ai pas contredit sur ce point-là puisqu'il avait totalement raison, mais je me sens vraiment mal que Stef en veuille à son frère à cause de moi.

Lorsque nous nous sommes séparés pour aller en cours, mon meilleur ami m'a répété une fois de plus qu'il ne m'en voulait pas.

J'ai longtemps hésité à aller à mon cours de maths cet après-midi, à tel point que je suis arrivée cinq minutes après la sonnerie. Je me suis excusée de mon retard et Adam - ou plutôt : Monsieur Chorlay - m'a laissée entrer sans même me jeter un regard. Je me suis alors installée en silence et j'ai écouté distraitement son cours tout en recopiant ce qu'il écrivait au tableau.

J'ai tellement hâte de terminer le lycée ! Je n'en peux plus de le voir tous les jours, c'est insoutenable. Mais pour ne plus le voir, faudrait-il encore que j'ai mon bac et au vu de mes notes, je suis prête à recommencer une deuxième année de Terminale. Il faut vraiment que je me bouge si je ne veux plus avoir à faire face à Adam. Je ne supporterais pas une année supplémentaire. Impossible.

A la fin du cours, je suis surprise de voir Stefan devant la salle et fais signe à Lisa d'avancer sans moi.

- Qu'est-ce que tu fais là ? Tu n'as pas terminé les cours plus tôt ?

- Si mais je t'attendais. Je peux dormir chez toi ce soir ? demande-t-il précipitamment.

- Oui, bien sûr, réponds-je en fronçant les sourcils. Ça ne va pas ?

- Ça va, dit-il en jetant un œil dans la salle de classe. Tu peux m'attendre en bas ? Je te rejoins dans cinq minutes.

Je plisse les yeux, un peu décontenancée. Il n'attend pas ma réponse et entre immédiatement dans la salle où j'étais il y a quelques secondes. Je décide alors de patienter près de la porte. Une fois le dernier élève sortit, j'entends un bruit sourd à l'intérieur de la pièce puis Adam s'exclamer :

- T'es complètement con ou quoi ?

Je colle alors mon dos contre le mur et attends la réponse de mon ami. Je sais que je n'ai pas le droit d'épier cette conversation entre frères mais c'est plus fort que moi. Mon corps refuse de bouger.

- Et toi ?

Je perçois la menace dans la voix de Stefan et ça me surprend.

- T'en as pas marre de jouer au con comme ça ?

- De quoi tu parles ? rétorque Adam qui a l'air à la fois tendu et énervé.

- Tu le sais très bien.

Mon prof de maths soupire fortement et je pourrais parier qu'il vient de se passer la main sur le visage.

- Putain, mais de quoi tu me parles ?

Une longue minute de silence s'installe et je meurs d'envie d'entrer dans la salle de classe pour leur demander ce qu'il se passe, mais j'ai comme l'impression qu'une intrusion interromprait leur conversation.

- Elle m'a tout dit, avoue simplement Stef.

- Qui ? Et quoi ? Tu pourrais être plus clair ?

A nouveau le silence. Puis je comprends que mon ami a dû lui répondre puisque je perçois un juron de la part d'Adam.

- Qu'est-ce qu'elle t'a dit au juste ?

- Tout.

De qui ils parlent ? Dans l'immédiat, j'ai l'impression que c'est de moi puisque mon ex petit-ami ignore que son frère est au courant de ce qu'il s'est passé entre nous. Mais je préfère rejeter cette idée.

- Ça ne te regarde pas.

Stef émet un rire ironique avant de répondre d'un ton provoquant :

- Ça ne me regarde pas ? T'es sûr de ça ? Est-ce que tu sais qu'elle ne fait que pleurer à cause de toi ? Elle passe son temps à penser que tout est de sa faute, tout ça à cause de toi ! Alors arrête tes conneries et comporte toi en adulte, merde !

Oh mon Dieu... C'est de moi qu'ils parlent. Et maintenant, Adam va me reprocher d'avoir été tout balancer à son frère et je vais encore m'en prendre plein la gueule. Génial...

- Et que veux-tu que je fasse, hein ? s'écrit-il en tapant brutalement sur ce qui me semble être son bureau.

- Commence déjà par ne plus la faire souffrir comme tu le fais depuis des mois. Ça lui ferait du bien, crois-moi.

Ma gorge se serre mais je retiens mes larmes. Ce n'est pas le moment de pleurer. Pas du tout.

- Va te faire foutre, Stef.

- Ça vaut pour toi aussi.

J'entends ensuite des pas s'approcher de la porte alors je me dépêche de rejoindre les escaliers pour ne pas me faire surprendre mais je saisis tout de même la dernière phrase que mon ami prononce :

- Ana n'est pas Cassandre. Rentre-toi bien ça dans le crâne, Adam.

***

Les semaines suivantes ont passé rapidement et j'ai décidé de ne rien avouer à Stefan à propos de cette discussion que je n'aurais pas dû entendre. J'ai compris, le lundi suivant cette dispute, que le bruit que j'avais entendu avant qu'ils ne commencent à se hurler dessus était en fait le petit frère qui avait frappé le grand. Adam arborait un hématome sur sa pommette gauche et j'avais remarqué dans le week-end que les phalanges de la main droite de mon ami étaient rougies. Je me suis alors retenue de poser des questions pour ne pas embarrasser mon meilleur ami et me suis murée dans le silence. Je n'ai même pas insisté pour savoir qui était cette Cassandre, même si j'avais la ferme impression d'être constamment comparée à elle. J'ignore ce qu'elle a fait de mal, et ne veux plus savoir. Moins j'en saurai, mieux ce sera.

De son côté, Adam m'a totalement ignorée pendant tout le mois de décembre, et c'est tant mieux. Je suis allée chez lui le moins possible et Stefan m'a soutenu. C'était lui qui venait chez moi, et non plus l'inverse et ça m'allait parfaitement.

- Et ça ? me questionne Lisa en me montrant une sixième robe tout droit sortie de son dressing.

- Trop courte.

- Elle va t'arriver aux genoux ! s'exclame-t-elle irritée. La bleue est trop courte, je suis d'accord mais pas celle-là.

- J'aime pas la couleur, ajouté-je alors et regardant d'un œil mauvais le vert menthe qui colore le tissu.

Mon amie soupire et retourne fouiller dans ses vêtements pour me trouver quelque chose pour ce soir. Ce qu'elle ne comprend pas, c'est que je compte bien rester habillée comme je le suis en ce moment. C'est un dire un jean foncé et mon pull en laine rose pâle. Je lui ai dit et redit, mais elle s'obstine alors je la laisse faire. Elle me montre encore quatre robes mais finit enfin par abandonner à la cinquième.

- Je peux te maquiller alors ? S'il te plait !

  Çafait longtemps qu'on ne s'est pas retrouvée que toutes les deux Lisa et moi, et je dois dire que ça me fait un bien fou. Même si elle n'a pas eu l'air de remarquer que je n'allais pas bien ces derniers mois, ça me va totalement. Je n'aurais pas su quoi lui dire si elle m'avait harcelée de questions.

- Si tu veux, capitulé-je en me levant pour m'asseoir devant son miroir.

Un large sourire illumine son visage et elle s'empresse de prendre la chaise de bureau pour s'installer face à moi. Mes yeux se retrouvent rapidement cerclés de noir grâce à du crayon, du mascara et de l'eye-liner. Puis elle sort un tube de rouge à lèvre que je refuse automatiquement. Elle fait la moue mais le repose avant de s'emparer d'un fard à joue plutôt discret.

Quand je me vois dans le miroir, je ne parviens pas à me décider si mon reflet me plait ou non. Je n'aime pas me maquiller, mais ça change. Et pour changer encore plus, je retire l'élastique qui retenait mes cheveux dans une habituelle queue de cheval haute et secoue ma crinière brune que je n'aime pas.

- Tu peux faire quelque chose pour mes cheveux ?

Il ne suffit que d'une dizaine de secondes à Lisa pour brancher son fer à boucler et une demie heure plus tard, je ne me reconnais plus. Mais cette fois, j'aime mon image dans le miroir. Je me surprends même à sourire faiblement mais un souvenir me fait perdre ce sourire dans la seconde ; Adam aime mes cheveux détachés. Je les laissais lâchés pour lui cet été, mais cette fois-ci, ce n'est pas pour lui. C'est pour moi. Parce que ce soir, je compte bien l'oublier une bonne fois pour toute.

Sur un coup de tête, j'entre dans le dressing de Lisa et m'empare de la troisième robe qu'elle m'avait montré. J'ignore cette dernière et me déshabille pour l'enfiler. Elle a un léger décolleté mais rien d'indécent et est très cintrée à la taille. Lorsque je m'inspecte dans le miroir après avoir enfilé des collants couleur chaire et une paire de bottines appartenant à mon amie, je me sens bien.

- On y va ? lui demandé-je.

Elle acquiesce vivement, heureuse de ma capitulation, et nous enfilons chacune une veste et notre manteau avant de descendre au rez-de-chaussée ou sa mère nous attend.

- Vous êtes sublimes les filles.

Pour une fois, j'accepte le compliment sans rechigner. Je me sens belle ce soir. Probablement parce que je suis vêtue et maquillée avec tout ce que Lisa porte habituellement mais peu importe. Pour ce soir, elle a opté pour une robe rouge sang qui lui va parfaitement bien mais qui, je le sais d'avance, ne m'irait pas du tout. Principalement à cause de ma poitrine quasi-inexistante.

Nous sortons de la maison et montons dans la voiture qui nous conduit à cette soirée du nouvel an. Qui dit nouvelle année, dit nouvelles résolutions. Dont la principale : oublier Adam. Et je ferai absolument tout pour l'oublier, lui et son regard sombre. Lui et ses mots blessants. Lui et l'amour que je ressens toujours et qui me détruit. Lui et tout de lui.

Ce soir, je tire un trait définitif sur notre relation.

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