Chapitre 1.

1er Janvier 2016

Stefan : Je t'attends au bout de la rue, là où il y a le rond point.

Moi : J'arrive.

Stefan : Dépêche, je sais plus quoi faire.

Je ne réponds pas et démarre la voiture. Je conduis comme un dératé jusqu'au lieu indiqué par mon frère, grillant un stop, puis deux feux rouge. Je me fiche totalement de perdre mon permis, mes points ou de payer une amende. Après le message vocal que je viens d'écouter, je n'ai que faire de toutes ces choses sans importance. Je n'ai qu'une préoccupation en ce moment et j'ai vraiment peur qu'il y aie un problème.

Arrivé au croisement, je freine d'un coup sec, faisant crisser les pneus, et pile devant deux personnes assises à même le sol. Je saute de ma voiture et cours jusqu'à eux. Je m'accroupis face à elle pour m'assurer qu'elle va bien. Au moins physiquement.

- Elle dort, m'apprend mon frère. Elle me racontait un truc que je n'ai pas compris et elle s'est endormie d'un seul coup.

Je hoche la tête doucement sans prendre la peine de le regarder et écarte ses cheveux bouclés - habituellement relevés en queue de cheval - de son visage. Ses yeux sont un peu cerclés de noir, mais je devine que son maquillage a été en partie enlevé. Elle a encore pleuré et encore à cause de moi.

- Ana... murmuré-je douloureusement.

Elle ne réagit pas, évidemment. J'ai mal de la voir comme ça et tout est de ma faute.

- Qu'est-ce qu'il s'est passé ? demandé-je à mon frère en tournant la tête dans sa direction.

- Tout ce qu'elle t'a dit au téléphone.

- Et après ? Après que je t'ai appelé ?

Mon cœur bat à toute allure. J'ai peur de ce qu'il va m'annoncer.

- Je l'ai laissée reboire un verre mais après, elle a voulu aller voir ces gars qui fumaient. Je l'en ai empêchée et je l'ai traînée jusqu'ici. Je te passe les détails de notre discussion.

- On verra ça plus tard, soupiré-je rassuré. Merci Stef.

- Emmène-la avant que quelqu'un vous voit.

J'acquiesce et me penche pour soulever Ana. Elle baragouine quelque chose que je ne comprends pas et cale son visage contre mon torse. Elle parait plus légère qu'avant et ça aussi c'est de ma faute. Déjà qu'elle n'était pas bien lourde, elle a, en plus, perdu du poids.

Stefan m'ouvre la portière passager et j'installe Anabelle sur le siège. Je passe la ceinture devant son corps qui parait si frêle et si fragile. Je dépose un petit baiser sur son front et referme la porte puis me retourne vers mon petit frère. Il a les bras croisés sur son torse et me regarde durement.

- Ne fais pas tout foirer pour une fois.

- Ouais, marmonné-je en détournant les yeux.

Je fais le tour de la voiture mais Stefan m'interpelle.

- Il faudra qu'on en parle.

- Je sais.

- Et arrête de la faire pleurer, Adam. Tu sais aussi bien que moi que ça ne sert à rien.

Je ne réponds pas et entre dans le véhicule. Je regarde mon frère me jeter un dernier coup d'œil avant de faire demi-tour pour continuer sa soirée.

Je soupire et laisse tomber ma tête en arrière, avant de la tourner vers la jeune femme installée à mes côtés. Elle semble apaisée même si je me doute que dans sa tête, ça ne doit pas être la même chose. Elle m'en veut, c'est indéniable. Elle a toutes les raisons de m'en vouloir. Et je m'en veux aussi. Mais je n'ai pas le choix.

- Tu me rends dingue, tu le sais ça ? murmuré-je tout bas en replaçant une mèche de ses cheveux derrière son oreille.

Elle tressaille légèrement et marmonne quelque chose que je ne comprends pas. Je n'en tiens pas compte et me mets en route, roulant nettement plus doucement que tout à l'heure pour ne pas la réveiller et pour ne pas avoir d'accident. Heureusement que je me suis abstenu de boire ce soir, je n'aurais pas pu venir la chercher.

Tout le long du chemin, je ne fais que de lui jeter des coups d'œil furtifs pour m'assurer que tout va bien et elle reste immobile durant les quinze minutes de trajet.

C'est seulement en arrivant devant chez moi qu'elle bouge un peu. Quand je monte sur le trottoir, plus précisément. Le soubresaut l'a un peu réveillée. Elle grogne quelque chose lorsque je tire le frein à main et elle se tourne sur le côté en grimaçant, une main sur son ventre.

- Ah non Ana, lâché-je en sortant précipitamment de ma voiture.

Je fais le tour en courant et ouvre la portière passager. Je détache sa ceinture et la vois se pencher en avant.

Je me dépêche de la tourner sur le côté. Quand elle pose les pieds au sol, elle se lève d'un bon et se plie en deux pour rendre tout ce qu'elle a bu dans la soirée. Je me retrouve donc à lui tenir les cheveux, accroupi à côté d'elle, le temps qu'elle se vide l'estomac.

Quelques minutes plus tard, elle se laisse tomber au sol en arrière et s'essuie la bouche avec la manche de sa veste. Qui n'est pas la sienne d'ailleurs. Elle ressemble à celle de Stef.

- Je me sens pas bien, marmonne Ana, les yeux toujours clos.

Je ne réponds pas et la reprends dans mes bras. Il fait bien trop froid pour la laisser dehors dans cette tenue.

- Tu sens bon, dit-elle en logeant son nez contre mon cou.

Je souris malgré la situation qui n'y prête pas.

- Tu sens comme Adam.

C'est bien ce que je pensais : elle ne m'a pas encore vu. Je ne sais pas comment elle réagirait si elle me voyait.

J'ouvre laborieusement la porte d'entrée et grimpe les escaliers jusqu'à ma chambre. Je la fais s'asseoir sur mon lit et lui retire sa veste, puis ses chaussures. Elle porte une robe noire légère et un collant, ce qui lui va très bien, je ne peux le nier, mais je ne vais pas la laisser dormir comme ça. Elle ne va pas être bien.

Je me redresse et sors un tee-shirt de mon placard mais quand je reviens vers elle, elle est déjà allongée sur le lit. Je soupire et m'assois près d'elle, puis j'entreprends de lui retirer ce qui lui couvre à peine les jambes. À peine ai-je retroussé le bas de sa robe que sa main se pose sur la mienne, faisant parcourir un doux frisson dans tout mon corps. Le contact de sa peau contre la mienne a toujours eu cet effet incroyable et ce soir ne fait pas exception. Je prends toutefois une douche froide avec sa réaction.

- Non.

Je fronce les sourcils quand elle repousse ma main.

- Je veux pas. Je... S'il te plait. Non.

Elle bouge la tête de droite à gauche et tente de se lever mais je la maintiens par les épaules.

- Ana...

- Non je veux pas... gémit-elle.

- Ana regarde-moi. Je ne vais rien faire.

Pour la première fois depuis que je l'ai vue, elle ouvre les yeux. Ils sont vitreux et humides. Elle ne me voit pas, il fait trop sombre.

- C'est moi, Ana. C'est Adam.

- Adam ? répète-t-elle en fronçant les sourcils.

- Oui.

- Non c'est pas vrai.

- Si je...

- Non, c'est pas possible. Adam s'en fout de moi, t'es pas Adam. Personne n'est Adam.

Ses mots m'atteignent jusque dans le cœur, mais je le mérite entièrement. Alors j'encaisse, et puis c'est tout.

- Enfile ça toute seule alors, lui proposé-je en lui donnant le tee-shirt, éludant volontairement sa remarque.

- Pas envie.

- Tu veux que je t'aide ?

- Oui mais ferme les yeux.

Je ne peux m'empêcher de lever les yeux au ciel.

Elle me laisse donc lui retirer son collant puis je l'aide à s'asseoir pour ôter sa robe et la remplaçant par mon tee-shirt. Je ne m'attarde pas à regarder son corps, ça me prendrait beaucoup trop de temps. Et puis je n'en ai plus aucun droit après tout.

Elle s'allonge ensuite et je la recouvre de la couette épaisse qu'elle aime beaucoup. Aimait beaucoup.

Je l'embrasse sur le sommet de la tête et la regarde dormir, caressant délicatement ses cheveux.

J'ai peur du moment où elle se réveillera. Je ne saurai pas comment réagir à ce moment-là, mais pour l'instant, je préfère la laisser dormir tranquillement. Elle en a besoin.

Je me lève et me dirige vers la porte.

- Adam ? appelle-t-elle d'une toute petite voix.

Je fais demi-tour et m'accroupis pour avoir mon visage au niveau du sien.

- Oui ?

- Je voulais pas.

- Qu'est-ce que tu ne voulais pas ? murmuré-je

- Baptiste.

Le fait qu'elle mentionne ce nom fait tendre tous les muscles de mon corps. Elle l'a embrassé, elle a dansé avec lui, elle l'a laissé poser ses mains sur elle. Sur son corps ! Son corps, merde !

Je me fais violence pour ne pas exploser et tente de me détendre un moment, juste le temps qu'elle s'endorme.

- Dors, Anabelle.

C'est probablement inconscient, mais elle semble exécuter ma demande. Je décide de rester encore un peu, au cas où elle soit de nouveau malade et m'assois par terre, m'adossant contre le lit. Je tourne la tête et la regarde.

Elle parait si paisible que je ne peux m'empêcher de sourire. Je sais que ça ne sera pas le cas quand elle se réveillera et j'ignore alors dans quel état d'esprit elle sera lorsqu'elle ouvrira les yeux et qu'elle verra où elle sera. J'ignore aussi comment moi, je réagirai face à elle. Elle me désarme complètement.

***

Vers neuf heure du matin, je me rends compte que je me suis endormi à même le sol. Je décide donc de me lever et je descends les escaliers pour aller dans la cuisine après avoir pris une douche rapide. Je me sers un café et m'installe à la table en soupirant. Je passe mes mains sur mon visage, complètement vidé.

Je suis totalement perdu. Avec ce qu'il s'est passé cette nuit, je ne sais plus quoi faire. Ana dort dans mon lit. Mon élève est actuellement endormie dans ma chambre à l'étage. Mais qu'est-ce que je fous ? Il suffit qu'elle m'appelle pour que je débarque dans l'heure. Mais qu'est-ce que je pouvais faire d'autre ? Elle était déjà saoule, elle voulait, en plus, aller fumer ou sniffer je ne sais quoi et elle aurait certainement fini dans le lit d'un inconnu. Comme ce Baptiste. Je n'ai pas le droit de la laisser se détruire de la sorte. Pas à cause de moi.

Elle a dit qu'elle est amoureuse de moi. Entendre ses mots de sa bouche m'a fait un effet de dingue. Puis elle a ajouté qu'elle n'aurait jamais voulu m'avoir rencontré et là, ça fait mal.

Mais elle a raison. C'est de ma faute si elle a souffert ces derniers mois et si elle souffre encore aujourd'hui. Je le vois dans ses yeux chaque jour. Je sais quand elle fait semblant d'aller bien, quand elle se force à sourire alors qu'elle vient de pleurer. Tout cela à cause de moi et de mes mensonges.

Elle a tout de même sa part de responsabilité dans cette histoire mais la culpabilité pèse tellement sur moi que j'oublie souvent qu'elle aussi, a mentit. Mes torts sont bien plus importants.

Je suis l'adulte. Je suis son professeur. Je suis celui qui doit garder la tête haute et ne pas céder. Mais au lieu de cela, je suis le seul de nous deux qui a craqué à deux reprises pour aller me glisser dans le lit de mon élève de dix-sept ans. Je suis celui qui l'a détruit petit à petit alors que j'aimerais prendre soin d'elle. Mais je ne peux pas. Je n'ai pas le droit. Et ça, ça me tue.

Je n'ai pas le droit de la regarder comme je le fais. Ni de la laisser s'immiscer dans mes pensées jour et nuit. Encore moins de la prendre dans mes bras, l'embrasser, caresser sa peau douce et bronzée, mordre ses lèvres, goûter sa langue, sentir ses mains sur ma peau, ses ongles sur mon dos. Plus rien.

Mais je n'y arrive pas. Je ne laisse jamais rien paraitre sur mon visage, mais mon sang est constamment en ébullition, qu'elle soit dans les parages ou non. Je pense à elle tout le temps et tous les jours.

Perdu dans mes pensées, je perçois finalement le bruit de l'eau qui coule dans la douche. Elle est levée. Mon cœur commence à s'affoler. J'ignore ce qu'il va se passer, comment elle va réagir. Comment je vais réagir. Sûrement comme un con, comme d'habitude. J'agis toujours comme ça en sa présence bien que ça me détruise un peu plus à chaque fois.

Peut-être qu'elle ne se souvient de rien. Qu'elle ne sait pas pourquoi elle est là. Mais je vais le savoir très bientôt puisque l'eau vient de se couper. Quelques minutes plus tard, l'escalier craque, me signifiant qu'elle descend. Je lui fais alors couler un café, au risque qu'elle ne se dirige directement vers la porte d'entrée. Je ne pense pas qu'elle oserait, comme cette fois où nous avions dérapés pendant la soirée organisée par mon frère. On avait finit dans mon lit et elle avait disparu à mon réveil. Heureusement, ou malheureusement, je ne saurais dire.

Comme je m'y attends, elle apparait dans l'encadrement de la porte de la cuisine, mais je ne lève pas la tête. Je me contente de pousser sa tasse chaude en direction de la place en face de moi, l'invitant implicitement à s'installer.

Elle hésite pendant une bonne minute mais s'avance finalement et tire la chaise pour s'y asseoir. Elle a utilisé mon shampooing et mon gel douche, je le sens d'ici. Je ne peux m'empêcher d'aimer ce fait.

Elle boit une gorgée de son café noir sans sucre, repose sa tasse, soupire et pose ses coudes sur la table. Je sais qu'elle va parler. Et elle le fait.

- Merci pour le café, murmure-t-elle. Et l'aspirine que tu as laissé sur la table de nuit.

Je hoche la tête et bois une gorgée de ma boisson devenue froide, en prenant soin de fermer les paupières puis je la regarde franchement. Elle a la tête baissée, ses mains se resserrent autour de sa tasse. Je ne peux m'empêcher de la trouver belle. Elle l'a toujours été. Ses longs cheveux bruns sont attachés sur le sommet de sa tête ; elle n'aime pas qu'ils retombent sur son dos lorsqu'ils sont mouillés. Elle porte sa robe de la veille alors que j'avais préparé un pantalon de survêtement et un de mes tee-shirt pour qu'elle puisse être à l'aise. Mais visiblement, elle n'est pas de mon avis.

- Qu'est-ce que... Pourquoi je suis là ? demande-t-elle enfin en croisant mon regard.

Ses yeux sont toujours vitreux et endormis. Vu l'état dans lequel elle était il y a quelques heures, je n'ose même pas imaginer le mal de tête qu'elle doit avoir.

Je ne détourne pas le regard, elle non plus. Ses yeux bleus tentent de sonder les miens, sombres et sans aucune trace de ce que je ressens, alors que les miens réussissent à voir un peu de ce qu'il y a en elle. Elle a peur de ma réponse, parce qu'elle ne sait absolument pas ce qu'elle fait ici, chez moi, et de pourquoi elle s'est réveillée dans mon lit, avec mon tee-shirt. Elle est perdue et désolée à la fois.

Une fois de plus, la culpabilité me ronge. C'est de ma faute.

- Je suis venu te chercher, dis-je calmement.

Elle fronce les sourcils.

- Pourquoi ?

- Tu ne te rappelles de rien ?

Elle secoue la tête de droite à gauche.

- Tu m'as appelé.

À cet instant, elle craint ce qu'elle a pu me dire. Parce que là aussi, elle ignore tout. Et elle a raison de craindre quoique ce soit.

- Ce n'est pas parce que je t'ai demandé de venir me chercher que tu devais le faire.

- Tu ne m'as rien demandé, contré-je rapidement.

Elle semble septique et dubitative.

- Je t'ai appelé pour quoi alors ?

- Tu veux vraiment savoir ? la défié-je.

- Je... Je devrais ?

Est-ce que je le fais ou non ? Je ne sais pas. Peut-être que garder tout cela serait mieux pour moi, mais elle finira par se rappeler de cette soirée un jour ou l'autre, donc autant le faire maintenant. Je verrai alors sa réaction.

J'attrape mon téléphone qui trône sur la table et rompt ce contact visuel qui me manque beaucoup trop. Je met en route le haut-parleur et repose mon portable. Ana fronce les sourcils, ne comprenant pas la situation, mais écarquille les yeux lorsqu'elle entend sa propre voix.

« Adam ? Adam, c'est Ana... »

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