Chapitre XXXI : À l'amour, à la mort.
Ignea nageait dans l'eau, vers les profondeurs, là où son cœur la guidait. Les eaux du marais lui avaient rendue sa beauté mortelle. Mais à quoi bon... À quoi bon si elle n'arrivait pas à temps. Plus elle s'enfonçait, plus le froid prenait possession de ses membres. Elle luttait contre les courants qui semblaient vouloir la pousser vers la surface. Ils n'y parvinrent pas.
Quand la Dame aperçut le corps, humain, de son amant, elle se figea un petit instant avant d'accélérer. Au moment où elle le rejoignit enfin, ses yeux verts se mirent à luire et dans un éclat lumineux, une sphère, une bulle d'air, les entoura alors, les protégeant temporairement, de l'eau du marais. Affalée au sol, la terrible femme leva son regard noir sur Alaster qui se tenait debout devant elle, brûlant d'une rage certaine.
Le maître du marais était furieux. Furieux contre Ignea. Encore une fois, elle avait agit. Agit sans obéir. La respiration de la jeune femme était haletante à cause de sa nage folle dans les eaux maudites. Les remous du marais ne lui avait pas facilité la tâche. Il la releva brusquement et saisit en coupe le visage aux traits fins de son amante. Alaster plongea son regard colérique dans celui de sa Dame et caressa d'un geste possessif ses pommettes.
« Mais qu'est ce que tu as fais... Ma pauvre, ma folle, ma belle Ignea... Qu'est ce que tu as fais...
Alaster était redevenu humain lui aussi. Sa beauté à couper le souffle détonnait dans l'atmosphère sombre des profondeurs. Le seigneur d'Atralean était partagé entre l'exaspération que sa Dame ne l'ai pas écouté , encore une fois, et l'admiration face à ce courage. Puis quelque chose de plus pur, de plus sincère s'empara de lui. Tout était déjà joué d'avance. Il savait ce qu'il avait à faire. Il connaissait son devoir. Alaster n'était pas résigné, il était déterminé. Et toute la différence qu'il y avait entre ces deux mots suffit à changer le cours de l'histoire. Sur l'instant il la haïssait. Mais quelque chose de plus fort encore luttait en lui. Alaster passa une main dans les cheveux d'Ignea, qui, à cet instant, ressemblait à une petite souris prise entre ses griffes. Une souris prête à le déchiqueter. Un rictus mi-amusé mi-ennuyé marqua son visage angélique lorsqu'il grogna :
- On dirait bien que tu ne peux plus te passer de mes sauvetages.
- Ça n'est plus un jeux Alaster. Et je ne suis pas folle.
Si le puissant monstre millénaire était déterminé, Ignea l'était tout autant. Si il plongeait, elle plongeait. Ils étaient liés. Le seigneur lâcha sa compagne et pencha la tête sur le côté, intrigué. Le moment était venu.
Les âmes pénétrèrent dans la sphère, rampant au sol et s'approchant, menaçantes des amants maudits. Ignea eut un mouvement de recule. La suite n'était que trop prévisible. Ils étaient deux sous l'eau. Seul un reviendrait à la surface. Et si ça n'était pas elle... Elle ne pouvait se l'imaginer. Mais le pire scénario qu'ils avaient envisagé était en train de se dérouler. Elle n'avait plus le choix. La Dame secoua la tête et siffla, d'un ton impétueux :
- Remonte à la surface.
Il la regarda de ses yeux d'ambre. Sous son apparence humaine, son emprise sur sa dame était décuplée, il le savait. Il tendit la main vers le visage de la jeune femme pour caresser sa joue avant de souffler :
- Regarde autour de toi Ignea. Le marécage se réveille. Dans quelques instants, il sera pleinement conscient et commencera sa conquête. Il faut l'endormir.
- Alors laisse moi m'en aller ! Laisse moi couler...
Les âmes à ses pieds poussaient d'horribles gémissements en s'accrochant aux chevilles d'Ignea. Elle tenta de se dégager. Ici, dans cette sphère qui les maintenait hors de la noyade, tout semblait vouloir se jouer. Alaster secoua la tête et sourit plein de confiance cette fois ci.
- Atralean réclame son tribut. Toi ou moi. Sa Dame ou son fils.
- Un marécage ne peut aimer, Alaster.
- Oh que si. Voilà pourquoi les deux lui conviennent. Il t'aura quoiqu'il arrive.
Ils se toisèrent et Ignea ne pu s'empêcher de maudire le marais plus qu'il ne l'était déjà. Tout cela était ridicule. Les âmes se mirent à gémir de plus belle et d'agacement, la jeune femme esquissa un geste ample de la main. Les bruits cessèrent soudain.
- Tu n'as aucun droit sur mes choix Alaster.
- Tu m'appartiens Ignea. J'ai tous les droits. Même celui de vie ou de mort. Et je décide que tu vives.
- Je n'ai jamais donner mon accord. Et pour l'amour du ciel, cesse de dire que je t'appartiens !
Mais qu'en avait-il à faire, de son accord. Elle s'autorisa un faible sourire ? Ça n'était pas sensé se passer comme ça. Le jeune homme aux traits si envoûtant s'approcha encore plus de sa dame et souffla.
- Si je disparais, si le marécage me prend, plus jamais il ne demandera de sacrifice. C'est exactement ce que je te disais. Si il t'a vivante, toi et ton étrange puissance, pour reine il ne fera plus de folie. Si il m'a moi pour repas, tout ceci sera terminé. Pour toujours.
- Tu es en train de me dire que...
- Ta puissance égale la mienne. Peut être la surpasse-t-elle même. Tu étais prédestinée.
Ça, la dame du marécage ne s'y attendait pas. Certes, elle se savait puissante. Mais plus que le monstre millénaire ? Encore un mensonge pour la faire obéir sûrement...
Devinant le fond de sa pensé, Alaster ricana en enlaçant sa dame :
- Voyons Ignea, à quel moment t'ai-je déjà menti ?
- Tu tiens vraiment à ce que je te rappelle toutes les fois où tu l'a fais ? J'en aurai pour une heure au moins. De quoi gagner un peu de temps...
Il haussa des épaules et argua :
- Et qui est ce qui nous tient à présent en vie grâce à une bulle d'air, nous empêchant la noyade ? Qui a les âmes à ses pieds ?
Les mots la frappaient tandis que l'emprise qu'il exerçait sur sa taille s'accentuait au point que ses côtes en souffraient. Elle tentait de se dégager.
- Si je suis si puissante, alors c'est à moi de mourir. Il ne réclamera plus son dû après moi.
- J'ai déjà essayer ma belle. Mais la puissance n'y est que pour peu. Rappelle toi la prophétie. Soit c'est moi pour toujours, soit ce sont mes dames d'amour.
- Tu... tu pourrais continuer comme tu faisais avant moi. Prendre une nouvelle dame...
Elle était à court d'argument. Elle même ne savait plus ce qu'elle voulait. Mais certainement pas la mort de son amant. Pas ça. Tout sauf ça. Quelque chose qu'elle croyait mort en elle hurlait qu'il ne fallait pas que cela arrive. Sa voix se brisait quand enfin, elle laissa le dernier bout de carapace froide s'envoler, son cœur saignant à présent.
- Mais pourquoi Alaster ?
Et alors qu'elle prononçait ces quelques mots, le seigneur d'Atralean se sentit parcouru d'un étrange frisson. Son esprit en ébullition ne lui laissait pas d'autre pensé que celle qui s'imposait à lui. C'était la fin. De tout, de lui. Et le début d'un nouveau règne. Alors passant une main dans les cheveux de son amante, il la pressa encore plus contre son cœur, plongea son regard dans celui de la dame, aussi vert que des émeraudes, et cru y déceler une larme. Mais ça n'en était pas une. Les yeux de la jeune femme scintillaient étrangement, tout comme sa chevelure ténébreuse qui s'agitaient sous le joug d'un vent inexistant. Il se sentit léger, libérer d'un poids. Libérer de la malédiction. Sentant alors son cœur bondir dans sa poitrine, il murmura :
- Mais parce que je t'aime. »
Et avant même qu'elle ne puisse répliquer quoique ce soit, il l'embrassa. Sentir les lèvres douces d'Ignea contre les sienne le rendit fou de désir. Ignea eut l'impression que son cœur explosait dans sa poitrine avec une violence inouïe. Tous ce qu'ils ne s'étaient jamais dis était murmuré au travers de ce baiser. Des milliers de je t'aime étouffés sous la haine et la folie, des milliers de je t'aime qui ressortaient.
Et alors que le baiser s'approfondissait, les âmes au pieds de sa dame, de sa reine, la reine de son cœur, bondirent sur lui. Il recula de quelque pas sous le regard horrifié d'Ignea, lui adressa un étrange sourire et la bulle céda. Il sombra vers les profondeurs tandis que son amante hurla un "non" strident.
Un courant puissant propulsa la dame vers la surface. Elle se débattait dans l'eau, tentant de rejoindre son amant. Soudain un frisson glacé la parcourut et elle perdit le fil du temps.
Lorsqu'elle rejaillit à la surface, elle était sur la berge du bassin au noyé, dans quelque centimètre d'eau. Elle toussait, crachait, vomissait. Un étrange sang se propageait dans l'eau, venant des abysses, ondulant entre ses doigts. Pourtant au travers de l'eau rosée, elle se vit et se figea. Ses yeux verts étaient toujours là, sa beauté d'antan revenue et ses cheveux noirs ondulaient avec une étrange grâce sur ses épaules. La malédiction était levée.
Parce qu'il était mort ?
À cette pensée, un hurlement de douleur s'échappa de sa gorge, déchirant l'air. Elle se prit la tête entre les mains, hurlant à s'en arracher les poumons. Ses griffes d'argent s'acharnaient sur son crâne tandis que son cris s'éternisait. Des larmes, jamais ! Mais ce qu'il se passait était pire que n'importe quels sanglots, que n'importe quels pleurs. Ignea souffrait, son âme était torturée par l'absence de son amant. Son cœur qu'elle venait tout juste de réchauffer par l'amour s'était brisé d'une manière définitive.
Autour d'elle l'eau s'agitait et soudain une masse noire difforme s'éleva dans l'air, comme une présence maléfique. Elle ondulait sinueusement et commençait à s'échapper par la moindre issue. Le marais fut pris de secousse.
Et la Dame comprit. Le marécage était réveillé. Alaster était mort pour empêcher que cela n'arrive.
Il était plus que temps pour Ignea d'agir.
Alors, son souffle haletant résonnant dans la grande salle vide, elle ferma fortement ses paupières. Lorsqu'elle les rouvrit, enfin décidée, elle plongea délicatement sa main dans les eaux tumultueuses du marais, et sentit le courant malveillant glisser contre ses doigts. Un froid glacial prit possession de ses membres, rencontrant le feu de rage et de douleur qui consumait la jeune femme. Et, se penchant au dessus du bassin, elle murmura le mot qui scella à jamais Atralean :
Dors.
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