Chapitre XXX. Ô cruelle destinée.
« Ignea... »
Le sifflement résonna dans tous le palais, remontant jusqu'au toit. La Dame se figea et serra instinctivement des poings. Elle connaissait cette intonation par cœur. Une intonation venue du passé. Le moindre battement de son cœur se mit à résonner dans tout son être.
Elle se leva du toit et, faisant demi-tour, elle pénétra à nouveau à l'intérieur. Son nom se répercutait contre l'escalier. Ignea avait l'impression que la scène avançait au ralentit quand elle s'engouffra dans l'escalier puis dans les longs couloirs. Ses pas la menait tout droit au bassin aux damnés...
« Ignea... »
Son prénom résonnait encore et encore, en échos dans son esprit. Ignea semblait absente, submergée par les souvenirs. Elle avait l'impression de ne plus contrôler ses gestes. Le sifflement, tel un serpent, l'envoûtait presque, la poussant à se rendre dans un lieu dangereux pour elle étant donné l'imminence de l'éveil du marécage.
Lorsqu'elle poussa l'imposante porte, le charme se rompit. Et une vague de rage et de douleur la ravagea soudain.
Flottant au dessus du bassin, l'âme de son ancien époux la fixait de ses yeux morts.
Les souvenirs affluaient avec violence. Ignea ne s'était jamais attendue à ce que revoir son ancien mari, cet être venu du passé, ce fantôme de cette misérable vie lui cause autant de souffrance, soit si douloureux...
Elle porta une main à son ventre comme si elle avait reçu un coup et s'approcha. Plus elle avançait plus ses pensés s'éclaircissaient.
Et lorsqu'elle se trouva face à lui, elle leva le menton et d'un ton plus hautain que jamais lâcha :
« Bonsoir George.
L'âme tendit la main vers son ancienne épouse mais s'arrêta à quelque centimètres du visage à la beauté envolée.
La main de la terrible femme l'en avait empêché. Les yeux d'Ignea se posèrent sur ses doigts ornés de ses griffes factices en argent qui enserraient le poignet de l'être fantomatique.
Étonnement cette position de force exaltait sa puissance. Ignea se mordit la lèvre inférieur. Une satisfaction vicieuse s'emparait d'elle. Son intarissable soif de vengeance, grondait. Aujourd'hui tout lui était possible. Elle n'avait plus rien à perdre. Plus à se retenir.
Alors elle accentua la pression que ses doigts exerçaient sur l'âme. Ses veines devenaient noir et l'air dans la pièce se refroidit considérablement. Les flammes des torches s'éteignirent. La pénombre régnait.
Et lorsqu'elle relâcha soudain le poignet de son ancien époux, une puissance démesurée s'échappa de son corps, en une énergie noire qui emprisonna soudain l'âme dans de terribles filets, la faisant léviter au dessus du bassin et lui causant de violentes douleurs. Cette puissance terrible dégageait des volutes de fumées noires qui prenaient naissance sur la peau pâle de la Dame.
Alors l'âme, l'ancien époux torturé, murmura dans un étranglement de souffrance :
- Pourquoi ?
- Dois-je te rappeler toute l'histoire ? ricana Ignea.
Son poing se serra et l'étrange emprise qu'elle exerçait sur le noyé se raffermit. Il ne pouvait plus replonger dans les eaux, Ignea le maintenait à la surface. Elle éclata de rire, songeant soudain que les rôles étaient inversés. Son époux était à sa portée, elle pouvait en faire ce qu'elle voulait. Alors elle frappa joyeusement des mains, même si elle ne ressentait que du mépris, et se mit à raconter :
- J'avais quatre sœurs. J'en étais l'aînée. Et la plus belle. Bien sûr, elles n'étaient pas laides mais elles n'avaient pas mon éclat. C'est pour ça que tu m'as épousé, moi. Après tout, notre noblesse était trop récente et n'était point haute. Jamais un seigneur ne se serait intéressé à nous, à moi, sans cette beauté. Elle était un atout. Un atout que tu n'as d'ailleurs jamais abîmé. Contrairement à ce foutu marais. Ça doit être la seule chose pour laquelle je t'en suis reconnaissante. Ça et Thomas. Mais le reste...
Elle se tut soudain. Elle ne voulait pas évoquer à voix haute tout ce qui hantait son passé. Il y aurait trop de choses horribles et leurs souvenirs la rendaient folle.
- Tu sais, j'ai finit par me rendre compte d'une chose : c'est sans doute ta violence qui a causé la mort de ta première femme, une femme que tu disais aimer.
L'âme sembla s'agiter, prise dans les filet de son ancienne épouse. Pourtant Ignea ne s'en soucia pas.
- Ou bien c'est l'inverse : la mort de ta pauvre et tendre première femme a causé toute ta violence. Peu importe en vérité. Sans elle tout aurait pu bien se passer. Mais tu étais absent, et ton propre fils était plus attaché à moi qu'à toi. Moi, une mère de substitution... Une sorcière d'après certains... D'ailleurs, tu ne peux nier que tu avais connaissance de mes pouvoirs. Mon étrange magie semblait te rendre plus fort, plus jeune... Comme si j'étais une simple source d'énergie. Tu le sais. Tu m'as utilisée comme batterie ! Sans parler du fait que je te portais chance. Mais encore, lorsque l'on m'a arrêtée, tu n'as rien dis. Tu as laissé courir sur moi les pires calomnies. Je ne t'ai jamais jeté un sort. J'étais ta prisonnière. Pendant tout le temps de notre ménage, je t'appartenais puisqu'une femme ne pouvait qu'appartenir à son mari, peu importe ce qu'il était...
Le regard de la dame s'enflamma subitement de violence, une violence que même Alaster ne causait pas chez elle, et elle cracha avec toute la véhémence dont elle était capable :
- Tu étais un fou ! Un fou qui n'a pas accepté de perdre sa nouvelle compagne. Tu t'es rendu dans les marais. Tu m'as cherchée et tu en es mort. J'aurai noyé ton âme moi même si j'avais eu conscience de ta présence. Je t'aurai attiré dans les eaux et j'aurai contemplé la vie te quitter. Mais j'étais occupée ailleurs.
C'était Alaster qui lui avait appris la noyade de son époux. Il avait qualifier cela de cadeaux de bienvenu. La Dame à l'époque n'était pas encore remise de son changement d'univers. Et le seigneur d'Atralean l'effrayait autant qu'il la fascinait. Ses pouvoirs venaient de s'éveiller et elle s'était retrouvée bridée à nouveau sans trop comprendre pourquoi. Quand aux regards des habitants du marais et des courtisans... Elle ne les oublierait jamais. Comme elle n'oublierai jamais la torture, l'enfermement, le bûcher, la fuite à travers le marais ainsi que les aboiements des chiens... Rien de tout cela ne se serait produit si l'homme dont l'âme se trouvait à présent à sa merci n'avait point existé. Plissant des yeux, elle cracha, sans le moindre respect :
- Pourri à jamais dans ce marais. »
Elle relâcha son emprise et l'âme tomba dans les eaux pour y disparaître. Ignea poussa un long soupire, le temps de se calmer. Avoir enfin pu déversé tout ce qu'elle avait sur le cœur était presque libérateur. Elle avait l'impression, un court moment, qu'enfin, une page de sa vie venait d'être arrachée et brûlée. Satisfaite, elle fit volte face.
Seulement, sa haine se ralluma comme un brasier à la vue d'Orion qui se tenait à l'entrée, lui bloquant le passage.
Jouant avec de petites flammèches qui brûlaient au bout de ses doigts, il soupira :
« À vrai dire je ne m'attendais pas à tout cela...
- Depuis quand es-tu ici ?
- Je viens tout juste d'arrivé. Mais j'ai eut le temps de te voir martyriser cette pauvre âme, de découvrir qu'il s'agit de ton ancien époux...
Sans l'écouter la dame se dirigea vers la sortie, mais alors qu'elle passa à côté de lui, il lui saisit le bras de ses doigts incandescent et souffla à son oreille :
- Et de me rendre compte que le marais sera plus que satisfait de te noyer dans ses profondeurs et que donc, il ne se réveillera pas.
Le cœur d'Ignea rata un battement et elle leva son regard noir sur son ennemi. Avant qu'elle ne puisse réagir, il la lança à l'autre bout de la pièce de toute ses forces. Elle échoua près du bassin d'eau. Ignea se releva raidement et ils se firent face.
- Comment le sais-tu ?
- Je t'ai entendu en parler avec Alaster. C'est très intéressant ce que l'on peut apprendre en vous espionnant.
La terrible femme secoua la tête avant de ricaner.
- Nos combats ont été reportés à plusieurs reprises, ne vois-tu donc pas ça comme un signe ? Je suis plus puissante que toi, tu ne me battras jamais.
Orion haussa des épaules et persifla :
- Moi, non. Mais Atralean se fera une joie de t'emporter. J'avoue que te tuer moi même aurait été plus satisfaisant...Si je te livre aux eaux maudites, maintenant, je serais le héro. J'aurai sauvé Atralean et le monde. J'aurai empêché une apocalypse. Personne ne m'en tiendra rigueur. Et si Alaster venait à désirer m'en punir, j'aurai tout le peuple du marais derrière moi. Vos règnes sont finis Ignea.
- Tu ne feras rien Orion. Le marais est une puissance que tu ne connais pas. Et Alaster vous détruira tous si vos osez ne faire qu'un pas en dehors du chemin qu'il a tracé pour vous. Alors ne fais pas une chose que tu regretteras.
- Tu as peur de mourir Ignea. Peur que tout cela ne se termine avec ton sacrifice. Mais n'ai crainte. Tu ne souffrira presque pas.
Et il bondit sur elle. Alors, d'un geste ample de la main, elle invoqua à nouveau l'eau. Celle ci forma un rempart que le fils du feu brisa d'un tourbillon de flamme.
- Ta magie ne fonctionnera plus cette fois ci.
- En es-tu certain ?
Elle écarta les bras et brusquement, un vent glacial se mit à souffler dans la pièce. Dans ses mains aux doigts squelettiques, apparaissaient ses sabres. Et profitant de la surprise de son adversaire, elle attaqua à son tour. L'adrénaline courrait dans ses veines à nouveau tandis que le brouillard se levait. Alors ils combattirent. Des gerbes enflammées étaient projetées de partout.
Cette fois ci, tout se terminerait. Il n'y aurait plus d'autre chance.
Ignea lâcha ses armes et ramena ses mains contre sa poitrine. Elle emmagasina une force incroyable. Lorsqu'elle la délivra sur Orion, celui ci se retrouva emporté et projeté contre un mur. La dame laissa un sourire victorieux s'étaler sur son visage. Elle s'avança vers son ennemi, qu'elle maintenait toujours plaqué au mur par la force de sa magie. Alors qu'Ignea se trouva juste face à elle, il lui cracha à la figure. Répugnée, elle ricana :
- Es-tu si certain de ta victoire, fils du feu ? Je te tuerai. Et tout prendra fin.
- Regarde autour de toi ! hurla le fils du feu en se relevant. Regarde ! Le marais va s'éveiller. Il vient te prendre. C'est trop tard pour toi sorcière ! »
Profitant du fait qu'Ignea, qui savait bien qu'il avait raison, faiblit un instant, Orion se libéra. Il attrapa soudain un des sabres tombés au sol et l'enfonça dans le ventre de la Dame. Ignea encaissa le coup. Ce n'était pas cela qui la tuera. Seulement, elle en fut déséquilibrée et Orion en profita pour bondir et la plaquer au sol. Son regard brûlait d'une haine inconsidérée. Il retira la lame et la jeta au loin. Elle ne lui était d'aucune utilité. Et alors il s'enflamma tout entier, le feu ardant s'attaquant aussi à la jeune femme qu'il dominait.
Le feu se rependait le long de ses bras, provoquant une douleur atroce. Ignea ne lâchera pas. Elle planta son regard sombre dans celui enflammé du fils du feu. Il était à deux doigts de la tuer maintenant, oubliant la malédiction et l'éveil du marécage. Tout devint plus clair dans l'esprit de la Dame. Si Orion la tuait maintenant, le marais ne la prendrai pas. Et si Atralean ne l'avait pas, alors il se réveillerai pour de bon. Si elle mourrait maintenant, tous mourraient. Et dans sa satisfaction malsaine, Ignea le désira soudain. Qu'ils meurent tous. Et qu'Atralean règne pour l'éternité. Alors elle laissa à nouveau s'échapper son énergie noire. Celle ci s'attaqua au fils du feu. Sous le choc de la douleur, l'intensité des flammes de ce dernier augmenta, devenant brasier. Ils brûleraient. Ils mourraient. C'était ce que le monde méritait. C'était sa destinée.
Soudain un éclair de rage incontrôlée et de puissance bestiale bondit et frappa de plein fouet Orion. L'élan du seigneur d'Atralean l'entraîna, lui et le fils du feu, dans le bassin en ébullition. Ignea reprit soudain sa respiration, que la chaleur des flammes avait coupé, et se releva précipitamment, ses yeux écarquillés de stupeur. Elle sentit la panique la gagner tandis que les deux adversaires disparaissent sous l'eau. Horrifiée, elle guettait la surface, à la recherche de la moindre chose qui l'aiderait à comprendre ce qu'il se passait sous l'eau.
C'est alors que l'eau se mit à s'obscurcir, le vert devenant de plus en plus sombre. Ignea se figea. Son cœur ralentit dans sa poitrine et chaque battement se répercutait dans ses oreilles. Elle fut prise d'un haut-le-cœur tandis que la couleur sombre de l'eau continuait à s'étendre. Elle ferma les paupières un instant, ne sachant pas quoi faire. Ses yeux lui piquaient et des frissons parcouraient son échine. Alaster se noyait. Alaster prenait sa place.
Mais elle était la Dame du Marécage.
Alors, prenant son élan, poussée par une énergie nouvelle, Ignea bondit vers le bassin. Elle plongea dans l'eau tumultueuse, son corps rencontrant la masse de vase glacée.
Elle plongea dans le marais sur le point de s'éveiller.
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