Chapitre VII. Réunion de famille.
Alaster pénétra dans la salle du bassin aux damnés. En ce moment l'eau trouble des marais l'inquiétait au plus haut point. Lui qui était le fils du marécage en connaissait tous les secrets et les signes qui apparaissaient depuis maintenant un an ne présageaient rien de bon. Voilà presque mille ans que les monstres du marais vivaient dans une certaine harmonie. Du moins si l'on pouvait appeler ainsi cette cohabitation de créatures avides de pouvoir soumises à un monstre millénaire et repoussant.
Pourtant, alors que le seigneur d'Atralean s'approcha de l'eau à la quête d'une âme noyée revenant à la surface, il se figea de surprise en voyant laquelle daignait enfin leur rendre visite. Pour une coïncidence, c'en était une.
***
En dehors d'Atralean, dans les villages qui le bordaient, il faisait toujours mauvais et gris, comme si le monde s'était figé dans une atmosphère morose, impactée par ma magie noir que dégageait le Marécage sans pourtant avoir réellement connaissance de son existence. La vie autour du marais n'était pas très dynamique et seul des petits villages de quelques centaines d'habitants peut être quelques milliers grands maximum se trouvaient dans les parages.
C'est dans le bar du village le plus proche des eaux maudites qu'Ignea trouva place, assise sur une chaise dans un coin, dissimulée par l'obscurité. Son regard perçant se baladait dans les pièces, exprimant un certain dégoûts pour chaque humain qui avait le malheur de croiser son regard, homme ou femme. Voilà longtemps qu'elle n'avait pas mis les pieds dans ce monde qui fut pourtant jadis le sien.
La Dame avait troqué son imposante et sombre tenue pour des vêtements humains modernes. Elle avouait sans retenue que les pantalons, les pulls et même les manteaux de cette époque lui convenaient beaucoup mieux que tout ce qu'elle avait pu porter jusque là. Réellement, question confort, elle ne connaissait pas mieux.
Le plus compliqué dans toute cette histoire d'infiltration avait été ses cheveux. Ignea avait du suer sang et eau pour pouvoir canaliser cette masse sombre flottante en un chignon et même alors elle le sentait prêt à céder à n'importe quel moment.
La raison de sa venue à la surface, dans le monde des humains, n'était ni plus ni moins qu'une rencontre avec son descendant par alliance. N'ayant pas eu d'enfants avec son bougre de mari, elle s'était tout de même occupé avec amour du fils qu'avait eu son cher époux de son premier mariage. Elle avait été très attachée à lui qui avait été jusqu'à la considérer comme sa propre mère - paix à son âmen-. Et ce, même après qu'elle fut condamnée pour sorcellerie. Ils étaient inséparables. C'est ce dernier qui à la mort de la jeune femme et du seigneur de Castelnera avait hérité de tout. Dont les objets précieux d'Ignea durant sa vie d'humaine. Il y a quelque temps la Dame avait retrouvé la trace de ces objets : c'était un lointain descendant direct qui les avaient en sa possession. Jusqu'à peu ils avaient eu une certaine valeur mais ceux qui croyaient en la légende les disaient maudit par la sorcière du marais. Encore un tissu de mensonge que la jeune femme était pourtant prête à tourner à son avantage.
Un homme vint s'asseoir face à Ignea et celle ci fit apparaître un splendide sourire sur son visage recouvert de maquillage pour dissimuler ses traits froids et mortels.
« Vous êtes mademoiselle Arenletsac ?
- Oui et vous, vous êtes Monsieur De Castelnera ? C'est un réel plaisir de vous rencontrer.
La voix de la Dame se faisait chantante et elle serra la main que lui tendait le jeune homme. La mise en scène avait été jusqu'à ajouter un peu de chaleur à sa peau d'ordinaire si glaciale.
- Appelez moi Sebastien. Vous êtes historienne c'est cela ?
- Exactement. Je me passionne pour l'histoire de ces marais. C'est fantastique ce que nous avons pu y retrouver : des vestiges de toutes époques, des romains jusqu'aux grands rois... Un vrai trésor !
- Et vous voulez donc m'acheter les bijoux de la sorcière du marécage ?
Cela n'avait rien de cruel, puisqu'il s'agissait du nom que lui donnaient certaines légendes. Cependant Ignea dû retenir la violente vague de rage qui la parcourut et seule la porte claqua en répercution à sa colère, ce qui passa inaperçu. Elle se para d'un faux sourire et mentit avec encore plus d'aplomb :
- C'est cela. Voilà longtemps que je suis à leur recherche. Votre prix sera le miens.
- Il ne sera pas très élevé. Je tient à me débarrasser de ce sinistre héritage. Je n'ai rien à faire de cette histoire qui date d'il y a plusieurs centaines d'années.
Ignea se retint de le réprimander pour ce caractère si insouciant et irrespectueux. Comment pouvait-il ainsi salir la mémoire de ses ancêtres et avoir si peu de considération pour le passé ? Si elle regrettait les mœurs et coutumes rétrogrades et violentes de son monde, elle ne pouvait s'empêcher que celui des humains regorgeait tout de même d'aberration. Oublier le passé, c'était condamner le futur et détruire le présent. La Dame ne répliqua pourtant pas, laissant l'homme finir son monologue qui ne l'intéressait nullement tant elle avait hâte de rentrer chez elle :
- Je dois partir pour Paris la semaine qui suit alors le plus tôt votre achat sera fait, le mieux se sera.
- Et bien Sebastien... J'aimerai beaucoup obtenir ces objets aujourd'hui. >>
Il ouvrit de grands yeux, se félicitant d'avoir accepté de rencontrer l'historienne et d'avoir apporté avec lui la valisette dans laquelle se trouvaient les bijoux. Sebastien lui donna son prix et la jeune femme tira sans plus attendre un chéquier. Une fois le tout réglé, ils se serrèrent la main et Ignea s'en alla. Alors qu'elle rejoignait son marécage, un sourire vicieux étira ses lèvres et elle ouvrit un instant la petite valise. Ses yeux se plisserent presque de satisfaction quand son regard se posa sur les bijoux qu'elle renfermait.
Elle avait ce qu'elle était venue chercher. Elle pouvait dorénavant rentrer chez elle. Avec un soupire de soulagement, elle referma la mallette et reprit sa route, d'un pas déterminé, vers le marais jusqu'à arriver devant l'immense mur de brouillard qui entourait l'ondée verdâtre.
Elle se tourna une dernière fois, jetant un ultime regard à ce monde. Ça n'était plus le sien. Sans plus un mot, elle s'enfonça dans la brume qui recouvrait les eaux maudites, rejoignant son palais et son amant.
Toujours assis au comptoir du bar, Sebastien était très surpris de ce qui venait de se produire. En moins d'une dizaine de minutes, il s'était enfin débarrassé de cet héritage qui l'encombrait et avait reçu des centaines d'euro en échange.
Soudain un frisson le parcourut. Il baissa son regard vers le chèque et son expression se figea d'horreur. Le bout de papier s'effritait entre ces mains.
Il s'agissait d'un leurre. La Dame l'avait leurré !
***
Ignea entra dans la chambre qu'elle partageait avec Alaster en libérant ses cheveux du chignon qui les comprimait. Toujours dans ses vêtements humains, elle s'assit sur son lit sans plus de cérémonie et lança avec décontraction au seigneur d'Atralean qui semblait concentré à étudier quelques documents, assis face à son bureau - qui se résumait principalement à une grosse planche en bois :
<<Aujourd'hui j'ai rencontré mon... Petit fils au centuple degré minimum par alliance.
- Réellement? Tu aurais du le ramener, vous auriez fait une réunion de famille...
La dame fronça des sourcils sans comprendre. La bête ricana et souffla :
- Ton tendre époux est venu aujourd'hui. Pour la première fois depuis des siècles, il a montré le bout de son nez disgracieux.
Ignea ouvrit de grands yeux sous le coup de la surprise avant de se reprendre et de cracher :
- Tu l'as torturé j'espère...
- Tu penses bien. Je n'ai pas raté cette occasion. Quoi de plus plaisant que de torturer l'ancien époux de ma chère amante.
Elle soupira, retenant une remarque, certainement mal venue. Alaster en profita donc pour interroger :
- Et en quoi consistait ta visite dans ce misérable monde ?
- Je devais récupérer certains objets que possédait mon descendant. Il n'a même pas mon sang mais celui de l'enfant issu du premier mariage de George. Et si la mère était sûrement une personne formidable, le père, c'est une autre affaire...
- Pourtant tu l'aimais bien ce gamin. Comment s'appelait-il déjà ? Thomas !
- J'avais seize ans quand il n'en avait qu'un. Je l'ai élevé comme mon propre fils durant sept années ! Il était malheureux et je l'étais aussi. Et puis son père n'était qu'un fou. Comment veux tu que nous ne lions pas alors que nous étions deux pauvres êtres seuls et isolés. Oui, je l'aimais.
- Mais tu aimais encore plus le marais.
Elle ne répondit pas mais lui adressa un franc sourire qui illumina son visage cadavérique. Alaster reprit :
- Et ces bijoux alors ?
Elle tendit ses longs doigts vers lui. De multiples chaines y pendaient. Le seigneur du marécage observa chacun avant de les laisser tomber :
- Tu es retournée chez les vivants pour ces babioles ? Je pourrais t'en offrir de plus rares, de plus beaux, tu le sais pourtant.
Il avait employé un ton ironique. Jamais sa dame de demanderait un quelconque bijoux. Cela l'encombrerait trop. Elle avait brisé le premier présent qu'il lui avait offert d'un simple geste et le deuxième avait fini dans un état peu enviable au premier. Aussi ne comprenait-il pas pourquoi vouloir récupérer les bijoux.
Pour toute explication, elle tendit sa seconde main vers lui. Une seule chaine y pendait. Le monstre observa le pendentif cabossé, saisissant à présent parfaitement le choix de son amante.
- Je comprends mieux... siffla t-il.
Les initiales I.C. luisaient dans la chambre tandis que le bijoux dégageait une certaine aura.
- I.C. ? Pour Ignea de Castelnera.
- Aujourd'hui des doutes planent sur mon nom. On propose Iphigénia, Idressa, Isabella...
- Que de noms magnifiques... grogna Alaster.
La jeune femme grimaça et referma ses doigts autour du médaillon. Ce qui lui donnait de la valeur ? Le puissant sortilège enfermé à l'intérieur. Le seigneur d'Atralean l'avait également sentit.
- Une amulette contre les mauvais esprits ? À quoi cela peut-il bien te servir à présent ?
- Tu as vu où nous vivons ? Le marécage d'Atralean. Et il n'y a pas plus haïe que moi, ici. Rien que cette semaine j'ai dû contrer deux mauvais sorts. Je fatigue Alaster.
- Je pourrais tout arranger si tu le voulais.
Il la couvait du regard et elle frissonna. Bien sûr qu'elle le voulait. Mais jamais elle ne le demanderait. Non, plutôt mourir.
- Laisse moi faire Alaster. Je sais me débrouiller.
- Je ne doute pas un seul instant.
Pourtant tout, du ton de sa voix au regard qu'il lui jetait démontrait qu'il en doutait au moins un minimum sinon plus. Fronçant des sourcils, Ignea répliqua avec une ardeur non dissimulée :
- Tu désires peut être que je te montre à quel point je sais me débrouiller ?
Alors, laissant un étrange sourire éclairer son faciès, Alaster souffla à sa Dame qui retint son rire en l'entendant :
- Alors ça, avec plaisir ma belle !>>
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