Chapitre VI. Le départ des corbeaux spectraux.

<< Maître !

Alaster se retourna pour faire face à l'étrange créature qui l'avait interpellé. Il s'agissait d'un jeune homme à la peau aussi noire que la nuit et aux yeux d'un jaune étonnant. Seul deux dents blanches pointues témoignaient d'une quelconque particularité. Rapide et discret, un parfait informateur.

- Que me veux-tu, Reagan ?

- Je reviens de mon tour des marais. Les temps sont mauvais mon seigneur. Le marais est troublé.

- Es-tu sûr de ce que tu avances ?

- La lande près du village a disparue, grignotée par les eaux. Et les corbeaux spectraux ont quitté leur nid sur l'arbre stérile il y a une lune.

Alaster se raidit instantanément, sa fourrure se hérissant sous le coup de la surprise et du mécontentement.

- Une lune ! Tu es certain Raegan ?

L'informateur hocha de la tête en soutenant le regard de la bête. Oui il en était sûr. Si les corbeaux spectraux quittaient leur nid, c'était un mauvais présage. Un très mauvais présage. Ces oiseaux aux plumes noires étaient sensibles aux aspects du marais. Ils vivaient selon ses variations et percevaient quelle tempête allait encore frapper Atralean avant même qu'elle n'ait lieu. Qu'Alaster n'ait pas été informé de leur départ, relevait d'un grave incident qui pouvait avoir de terribles conséquences.

- Tu va aller me chercher Ravenna. Tout de suite. Que cette maudite sorcière aux corbeaux réponde de ses actes.

Tandis que Raegan filait rapidement chercher la responsable de toute cette désinformation, le seigneur d'Atralean rejoignit son trône pour s'y laisser tomber.
Les corbeaux spectraux s'en étaient allés et les mauvais temps venaient. La bête espérait se tromper.

Quand Ravenna fut jetée à ses pieds par Raegan, il remercia son informateur qui s'eclipsa. La femme d'un âge incertain releva la tête révélant sa peau blanche comme la neige, ses lèvres pourpre et ses yeux entourés de plumes noires. Sa chevelure en était également constituée. Un sourire narquois aux lèvres, sachant déjà ce qui l'attendait, elle ricana dans un respect simulé :

- Mon seigneur...

- Trêve de bavardage pauvre folle. Ton rôle était simple : veiller sur les corbeaux et m'informer de tous changements dans leur attitude. Au lieu de cela tu pavanes dans cette cour.

- Je ne me pavane pas, j'obéis simplement au marais. Tu es au crépuscule de ton règne Alaster, les corbeaux me l'ont dis... Les choses devaient se dérouler ainsi que tu ne le veuilles ou non.

D'un geste de la main il la fit taire, ignorant ses paroles. Peut-être fût-ce par crainte ou simplement par agacement. Ravenna ne pu s'empêcher de penser qu'il était bien idiot d'ignorer ainsi ses mises en garde.

- Quelle punition ton manquement à ton devoir mérite t-il ?

Soudain avant même qu'il ne rende son verdict, un parfum de brume et de mousse lui parvint et il huma cette odeur connue.

- Ignea.

Il inclina la tête face à la jeune femme qui pénétra dans la pièce. Tout en regardant d'un mauvais œil la sorcière aux corbeaux, affalée aux pieds du seigneur d'Atralean, Ignea répondit :

- Bonjour Alaster. Es-tu occupé ?

Laissant échapper un rictus, le monstre tua d'un coup de griffes celle qui l'avait déçu, sans plus aucune considération pour ses paroles à caractère prophétique. Un peu de sang vint tâcher le bas de la robe noire de la Dame du Marécage. Elle ne s'en soucia pas, enjambant le corps pour s'approcher de son amant.

- Plus maintenant, comme tu peux le voir. Quel mauvais vent t'amène ? Je te croyais perdue quelque part dans le palais à fomenter un moyen de débarrasser de ta rivale ?

- Loena ?

- Qui d'autre veux tu ?

Elle secoua la tête. Elle avait prêté serment, juré de ne pas attaquer la Dame de feu. Et elle ne le fera pas.

- Tant qu'elle n'apparaît pas face à moi, je ferai comme si elle n'existe pas.

- Elle t'apparaîtra un jour ou l'autre ma belle. Et à ce moment ...

- À ce moment espérons pour moi que je saurai garder mon calme.

La Dame sourit, ce qui accentuait les ombres sur ses joues creuses. Alaster lâcha un petit grognement et souffla d'un ton sans appel :

- Tu le feras.

Les deux amants se fixaient. C'était une bien étrange scène. Le couple maudit du marais composé d'un monstre et d'une femme à l'aspect cadavérique, un cadavre à leur pieds dans l'imposante salle du trône du palais d'Atralean. Rien que ce décor suffisait à éveiller en chacun un frisson glacé de peur. Ils en étaient tout deux conscients.
Changeant soudainement de sujet, le seigneur d'Atralean demanda :

-  Alors, que viens tu faire ici ?

Ignea le regarda, étonnée, avant de secouer la tête amusée, ses cheveux suivant le mouvement.

- Tu n'as rien à me demander ? Pas une mission, pas un service ?

- T'ennuirais-tu ?

- Pas qu'un peu. Et j'ai des griefs à faire passer.

Il plissa les yeux, ses iris ne devenant plus que deux fentes écarlates qui la fixaient, intriguées.

- Tu as toujours des griefs Ignea. Contre qui les as-tu cette fois ci ?

- Tu me demandes de dresser une liste ?

Sans s'en rendre compte, ils s'étaient rapprochés l'un de l'autre et elle ne se tenait plus qu'à quelques centimètres de l'immense monstre des marais. Elle pouvait presque sentir le souffle mauvais de son amant. Elle leva la tête pour planter son regard noir dans celui de son compagnon. Celui ci grogna :

- Comment veux-tu que je sache qui tuer pour tes beaux yeux sinon ?

- Ça sonne comme une promesse Alaster. Et tu ne tiendras pas cette promesse. Évite alors d'en faire.

Elle voulu reculer mais il attrapa son bras et la ramena encore plus près de lui.

- Dis toujours les noms. Je verrais ce que je peux faire.

- Premièrement, je peux régler mes comptes moi même. Deuxièmement, puisque tu y tiens ! Pour commencer il y a bien évidemment les villageois qui voulaient me brûler il y a huit siècles mais tu ne peux rien contre eux.

- Sauf si certains d'entre eux se sont noyés à Atralean. l'interrompa t-il.

Ignorant les remarques d'Alaster, la Dame poursuivait :

- Il y a aussi une bonne dizaine, ou plutôt une bonne centaine des créatures du marais et des membres de ta cour.

- Qu'ont-ils encore fais ?

Lui posait-il vraiment la question ? Ignea lui lança un regard presque exaspéré. Peut-être devrait-elle énumérer ? Mais elle ne savait par quoi commencer. Par la haine qu'on lui portait ? Ou par les quelques tentatives de meurtres qui avaient lieu et qui échouaient au moins une fois par semaine ? Ou mieux encore, des blessures qui lui avait été infligées à son arrivée à Atralean ? Alors elle préféra taire sa réponse à la question et continuer :

- Tu ne les tuerais pas tous, sinon ton palais serait vide et tu n'aurais plus personne pour te craindre, plus personne pour te servir. Que tu serais triste dans ce cas : un seigneur sans vassaux... Il y a aussi Orion et Loena. Et maintenant que j'y pense tu m'as interdit d'attaquer la sœur mais le frère ne fait pas parti de notre arrangement...

La prise d'Alaster autour du bras de la jeune femme se resserra soudain et elle retint un grognement de douleur. Alors qu'il allait parler, elle finit sa liste :

- Et il y a toi.

- Tu as des griefs contre moi ? Certes, ce n'est pas nouveau, mais à ce point là ?

- Oui. Et comme je doute que tu ailles te tuer toi même pour mes beaux yeux je crois que mes envies ne seront jamais satisfaites.

Il ne pouvait rien répondre à ça. Ou du moins il ne pouvait rien dire. Pas à sa dame. Tout comme il ne lui dirait rien sur les inquiétants événements surgis récemment. Pas tant que rien n'était sûr. Il la relâcha et sourire aux lèvres, elle annonça :

- Ne compte pas sur ma présence demain.

Il lui jeta un regard mi-surpris mi-amusé et demanda :

- Pourquoi ça ?

- J'ai quelques affaires à régler. Seule.

Le seigneur d'Atralean lâcha un étrange grognement et sa queue de lion fouetta l'air autour de lui.

- Tu vas encore passer ta journée avec ce gamin ?

Ignea leva les yeux au ciel et répliqua en prenant un peu de distance :

- Combien de fois devrais-je te le répéter ? Il s'appelle Alouan. Et ne le mêle pas à ça s'il te plait. J'ai d'autre chose à régler. Dans le monde des humains.

- N'est ce pas plutôt une excuse pour fuir la cour ?

- Comme toujours Alaster, comme toujours. Mais j'ai vraiment à faire.

Alaster fit crisser ses griffes sur le sol, pour les affûter avant de tourner son museau vers la Dame de Marécage qui le fixait avec impassibilité.

- Et bien fais ce que tu as à faire. Va où cela te chante. Tant que tu me reviens...>>

Cette dernière phrase aurait pû être une sorte de déclaration ou même être attendrissante. Seulement, le seigneur des marais avait employé un ton menaçant. Il ne laissera jamais sa dame filer entre ses griffes.

Jamais.

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