7.2 - CHAPITRE

Le stade Rayon est titanesque. Comme le précédent, un large dôme de verre englobe le stade. Les gradins, plus larges, s'élèvent sur plusieurs mètres de hauteur. Au dernier étage d'un coin, les loges privées surplombent les sièges et le terrain dans des cubes entièrement fabriqués en cette matière très semblable à du crystal. Le baptême du nouveau stade a attiré un nombre impressionnant de spectateurs.

Les gradins se remplissent à vue-d 'œil. Un serveur m'apporte une coupe de champagne en s'inclinant respectueusement avant de s'éclipser. La loge privée est si haute que je peux voir à l'entrée les quelques millions d'atlazasiens qui font la queue pour entrer dans le dôme. Quelque chose que je n'avais pas été capable de voir deux ans auparavant. Je prends une gorgée de la boisson pétillante en regardant une petite fille voler à côté de ses parents, une glace bleue et rose dans les mains. Son vol est un peu bancal, maladroit. Je devine sans mal qu'elle vient tout juste d'avoir ses ailes. La petite famille va s'installer en haut des gradins. Ils sont suivis d'un groupe de jeunes qui poussent des hurlements de loups et tapent du pied avec force, encourageant les spectateurs déjà assis à en faire autant.

Plusieurs d'entre eux les rejoignent en scandant le chant des Warss, une équipe d'athlètes très célèbre à Atlazas qui a perdu un membre lors des jeux précédents, Marick Sholson. D'ailleurs, à l'entrée du stade Rayon, deux grands portraits rendent hommage aux joueurs Gigo Doss de l'équipe des Falox, et Marick Sholson, notamment idole d'Ike. Je noie le pincement que je ressens au cœur en prenant une nouvelle grosse gorgée de mon champagne qui pétille sur ma langue, ignorant la petite voix qui me rappelle les mots cinglants de la Iustitia sur mon prétendu alcoolisme. Mon regard tombe sur Orphyll dont l'horrible tunique attire des regards choqués. Il discute joyeusement avec un couple qui fait un effort pour ne pas regarder les longs poils horribles du tissu. Heureusement je peux compter sur ce bon vieux Orphyll pour retrouver le sourire.

— Je suis honoré de votre présence parmi nous Certessa Kaya Golkindor. Je suis Malgaloff Skrec.

Je pivote sur le président de la FAJD (Fédération Atlazasienne des Jeux de Dumsard). Je reconnais le visage enflé affiché en première page du journal Atlanz News 🗞 qui contrairement à la Iustitia a préféré se pencher sur l'inauguration de stade. Malgaloff Skrec est encore plus massif en vrai. Il a une moustache en guidon tourné vers le ciel et des petits yeux bruns qui brillent d'une lueur que je n'aime pas. J'ai la désagréable sensation d'être un objet rare dont il juge la valeur.

Il ôte son chapeau et esquisse une jolie révérence, dévoilant un crâne dégarni où quelques malheureux cheveux crépus sont plaqués. En se penchant, la chaîne en or qu'il porte au cou bascule. Le pendentif ressemble de manière frappante à la petite pierre ovale et blanche que Kei m'a un jour offert.

— Golkindor-Kamylah, rectifié-je avec un sourire poli.

— Bien-sûr, pardonnez mon manque de tact Certessa Golkindor-Kamylah.

Malgaloff se redresse en lissant le devant de sa tunique rouge.

— Où avez-vous trouvé cette pierre ? ne peux-je m'empêcher de demander avant d'ajouter avec un sourire, pour ne pas paraître étrange : je la trouve très jolie.

Il prend le pendentif entre deux doigts boudinés et le fait soigneusement glisser à l'intérieur de son haut.

— Chez un antiquaire à un prix indécent, me répond-t-il en ponctuant sa phrase d'un clin d'œil mystérieux.

Malgaloff se tourne ensuite vers les deux hommes et la femme qui se tiennent debout derrière lui.

— Laissez-moi vous présentez les présidents de chaque club : Monsieur Ren Bilphar, Président du club Amabo qui va jouer aujourd'hui et essayer de se qualifier pour les quarts de finale.

Un homme assez fin, doté d'une coupe au bol affreuse hoche légèrement la tête avant de me dévisager avec grand intérêt de ses petits yeux en amande. Il ne prononce pas le moindre mot. Malgaloff se tourne alors vers le second homme, dont la carrure impressionnante ferait probablement pâlir Thorn de jalousie. Il se courbe galamment et se présente en coupant Malgaloff :

— Kayenn Enayug, président du club Tig.

— Ravie de vous rencontrer.

Et enfin, c'est au tour de la femme, au teint olive noire, qui n'a pas l'air enchantée de se retrouver ici. Perchée sur des talons aiguilles dans une robe somptueuse noire, elle esquisse quand même un sourire quand Malgaloff la présente comme étant sa femme. Je cache ma surprise derrière le sourire que je lui rends. Grande et élancée, sa silhouette contraste avec celle de son époux qui est petit et rond comme un ballon.

— Pilar Skerc, je suis aussi la présidente du club des Warss, précise-t-elle puisque de toute évidence Malgaloff n'a aucune intention de m'en informer.

— C'est le club préféré de mes amis, dis-je.

— Pas le vôtre ?

Je préfère ne pas répondre et esquive la question avec un rire poli que m'a enseigné Orphyll. Bon, le sien était un poil trop exagéré alors j'ai dû finalement improviser. Ils se lancent ensuite tous les quatre, dans des chiffres de sondages concernant l'inertie de cette ouverture des jeux. Ren énumère ses meilleurs joueurs en prétendant que personne ne pourra les détrôner. Pilar réplique que les Warss n'ont encore jamais perdu une seule épreuve. Ce à quoi Kayenn lance sournoisement : « Vous voulez dire jusqu'à ce que votre atout majeur ne rencontre malencontreusement la mort il y a deux ans ? ». Arborant un sourire cynique, Ren trinque avec Kayenn avant de finir d'un trait les bulles dorées de son champagne Côte d'Or. Je n'en reviens pas. Une vraie bande requins. Heureusement, je vois à ce moment mes amis entrer dans la loge privée sur l'escorte de Thorn. Je pose mon verre sur une table, m'excuse auprès des requins et vais les rejoindre.

— Kaya ! Tu es magnifique ! s'exclament en chœurs Chell et sa sœur aînée Kendra.

Elles le sont aussi, comme toujours. Je m'apprête à leur retourner le compliment quand je me fige en voyant Alyssa apparaître juste derrière Thorn. Je foudroie des yeux Chell qui se mord les lèvres, soudain inquiète.

— Attends, waïmi..., me lance-t-elle en me voyant tourner les talons.

Elle me rattrape.

— Arrête un peu, tu sais bien qu'elle n'a jamais voulu qu'Ike ne meure. Il ne voudrait pas que tu lui en veuilles.

— Non, il m'encouragerait à lui arracher la tête.

— Waïmi..., dit-elle d'un ton implorant. Alyssa a bon cœur et elle t'aime beaucoup. Laisse-lui une chance. Puis elle ajoute plus bas : « tu auras besoin de tes amis ».

Je comprends qu'elle fait allusion au Secret des Abysses mais ce que je ne lui dis pas c'est que je ne compte pas sur l'aide que veut m'apporter Alyssa. Cependant, les journalistes sont présents ce soir et un scandale ne va pas redorer mon image alors je n'ai plus qu'à tolérer sa présence. Alyssa me regarde depuis l'entrée, à côté de Kendra et Ange qui viennent d'arriver. Elle a l'air coupable, c'est déjà ça.

— Ne compte pas sur moi pour lui faire la conversation.

Chell pousse un petit cri de triomphe, les yeux larmoyants de bonheur.

— Je n'ai pas dit que je lui pardonnais, calme-toi.

— Mais au moins, nous sommes tous réunis.

Presque tous réunis.

Je me mords la langue pour ravaler la réplique qui me brûle les lèvres. Après Ange, Dan Kamylah, le fiancé de Kendra et Tyzz Prynix, son meilleur ami, font aussi leur entrées, suivis de Mikk Prynix et de son frère Mahlo. Je réprime une grimace. La dernière fois que j'ai vu Mikk, il a essayé de me tuer, obéissant à une voix dans la tête lui ordonnant de le faire. Cependant, il a l'air d'aller mieux. Dan m'a raconté un jour que depuis la disparition brusque de son père (Vic Prynix, qui a pris la fuite lors de son procès après avoir tenté de m'assassiner) la famille chef Prynix a eu du mal à se remettre sur les rails. Némésis Prynix me haïssant, je m'étonne qu'elle ait laissé ses deux gaillards rejoindre ma loge. Pour elle, je suis la seule coupable de la déchéance de son mari. Je fronce les sourcils en me rappelant les mots qu'elle m'a craché au visage lors de l'explosion au tribunal permettant la fugue de son époux. La machine est déjà en route. Elle ne peut quand même pas faire partie du projet insensé de Darken...

— Salut, Kaya.

La voix basse de Mikk me tire brusquement de mes pensées. Il se tient juste devant moi, et arbore comme à son habitude, un visage impénétrable. Son teint blafard est illuminé par les rayons du soleil couchant. Il évite de me regarder puis lève enfin ses yeux noirs.

Simplement noirs.

Ils n'ont plus l'étincelle que je leur voyais au début d'une amitié que je croyais construire avec lui. Mais finalement ce lien n'était qu'un leurre. C'était Kei Mykhola, le frère aîné d'Ike, qui lui avait emprunté son enveloppe pour se glisser dans le cercle de mes proches.

— Tu as l'air d'aller bien.

— Je tenais à te présenter mes excuses. Mon esprit était encore empoisonné par Darken quand je...

Il se tait et me contemple, incapable d'achever sa phrase, dans un silence qui s'éternise jusqu'à ce que je le rompe.

— Quand tu as essayé de me tuer.

Il semble soulagé que je prenne les devant et acquiesce.

— Me pardonneras-tu un jour ?

Mikk fronce les sourcils et attend ma réponse. Je pousse un soupir.

— Tu as de la chance, aujourd'hui j'ai pardonné à quelqu'un qui a fait bien pire que toi. Alors oui, c'est oublié.

Il prend un air intrigué mais ne me pose pas de questions. Un trait de caractère que Kei a particulièrement su reproduire.

— Je te remercie, Kaya et... toutes mes condoléances, j'appréciais Ike. C'était un type bien.

Une lame tranchante effleure mon cœur et la gorgée que je viens de prendre a soudain un goût amer de cendres dans ma bouche. Je l'avale péniblement et hoche la tête. Mikk ne semble pas remarquer mon visage qui s'est brusquement crispé à la mention d'Ike et s'éloigne rejoindre Dan et Mahlo, son petit-frère, qui se sont installés sur les sofas rouges pour déguster des gâteaux apéros. Chell me donne un petit coup d'épaule, l'œil brillant de compassion. Après un silence, elle me lance avec un grand sourire :

— Donc, tu lui pardonnes ?

Je la regarde d'un air interloqué.

— Evidemment, à vrai dire, j'avais même oublié cette histoire. Le pauvre a quand même eu le cerveau en...

— Je te parle d'Alyssa, Kaya, m'interrompe Chell en levant les yeux au ciel.

Je lui lance un regard noir.

— Non Chell, c'est toi la personne qui a fait pire que Mikk en ramenant cette vendue d'Alyssa ici, répliqué-je d'un ton sec.

Son sourire retombe aussitôt. Avant qu'elle n'ait le temps de dire quoique soit, je la contourne et me rends au buffet pour m'empiffrer de quelques amuse-bouche. La cérémonie d'ouverture commence dans une demi-heure, alors autant me remplir la pense. Peut-être aurais-je l'air moins cadavérique sur les photos ? Je ris de ma bêtise en prenant une minuscule assiette pour me servir. Comme si tu pouvais prendre dix kilos en trois minutes, Kaya. Et puis, si la Iustitia 🗞 tient absolument à montrer une image de moi squelettique, ils retoucheront n'importe quelle photo qu'ils auront pris de moi comme ils l'ont fait pour leur article de ce matin. Ange me rejoint au buffet, un large plateau en argent dans les mains.

— Alors, pas trop stressée ? me demande-t-il en prenant un bol de saucisse cocktail qu'il pose sur son plateau.

— Ce n'était pas au serveur ça ?

Il esquisse un sourire espiègle, jette un œil autour de nous et m'avoue à voix basse :

— Je le lui ai piqué, il le cherche depuis une dizaine de minutes maintenant.

Je ris et le regarde s'attaquer cette fois, à des roulés de saucisse de mysms, ces volailles que je n'ai jamais eu l'occasion de voir malgré mes nombreuses intrusions dans la forêt Kurenebe, seul endroit où on peut en trouver.

— Je rêve où Rubi ne tape pas l'incruste pour une fois ? lancé-je en goutant une sorte d'olive rouge qu'ils appellent via à Atlazas.

Le goût n'est pas très différent des olives vertes mais je me rappelle parfaitement qu'Ange avait été écœuré en en goûtant une. C'est exactement le même débat sur la viande de blulae qui n'est rien d'autre qu'un bœuf atlazasien avec un seul œil.

— Elle gère la sécurité du stade, elle était en mission à Naoterra et à Vimari, pour neutraliser les groupes extrémistes qui commencent à se liguer contre nous et là, elle vient de rentrer.

Je grimace. On peut dire que Milo a fait du bon travail. Ce vieux cafard a réussi à monter les hommes-poissons contre les atlazasiens, alimentant leur haine à l'aide de coups montés à la perfection, comme le massacre du Festival de Paix où il n'a pas hésité à assassiner son propre père pour parvenir à ses fins.

— On aurait dû le voir, ajoute sombrement Ange.

Je lève un regard interrogateur vers lui.

— Pour Milo, je veux dire. Trente ans d'amitié et pas une seule fois je ne me suis rendu compte qu'il nous haïssait.

— Il cachait bien son jeu, le réconforté-je.

Même Ike n'a rien vu venir. Tout ce temps, Milo devait porter un insonar sur lui.

— Certessa Kaya Golkindor-Kamylah ?

Une femme en une sorte de tunique-tailleur blanc, entre dans la loge et me cherche des yeux, un dossier dans une main et dans l'autre, un micro. Mon estomac se contracte dans mon ventre. Orphyll laisse enfin respirer le couple qui ne cache pas son soulagement et vient me rejoindre.

— La cérémonie commence dans dix minutes, je vais vous demander de me suivre, dit la femme avant de jeter un œil circulaire à la loge. Où est passé Monsieur Skerc ? On doit être en bas dans cinq minutes !

Elle appuie sur son oreillette et tempête qu'il faut retrouver Malgaloff avant de se retourner sur moi avec un sourire parfait.

— Suivez-moi, je vous prie Certessa.

Je sursaute. Son ton doux et aimable m'épate. Deux secondes avant, elle hurlait dans son oreillette avec la fureur d'un dragon et maintenant, elle parle aussi calmement qu'un prof de yoga. Je hoche la tête d'un geste raide et repose la petite assiette remplie de vias que je venais de prendre. Orphyll pose les mains sur mes épaules et plante ses pupilles émeraudes dans les miennes.

— Ce ne sont que des centaines milliers d'yeux rivés sur toi, me dit-il d'un ton solennel. Dis-toi qu'à l'occasion de ton sacre, ils seront dix fois plus nombreux à te juger.

Je fronce les sourcils et le regarde, incrédule, hocher la tête en exerçant une petite pression affectueuse sur les épaules.

— C'est censé m'aider ça ?

Orphyll glousse et me pousse vers la sortie après m'avoir donné une petite tape sur les fesses. Je hoquète de surprise et manque de me prendre les pieds dans la traîne de ma robe. Il s'étrangle de rire et je le fusille des yeux. Il me fait signe des mains de partir et je me promets de le pousser dans les escaliers du manoir dès que l'occasion m'en sera donné. Trop c'est trop ! Ce vieux schnock prend un peu trop ses aises avec moi !

Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top