5. 2 - CHAPITRE

Le bureau de Galford est très grand et surtout impeccablement rangé. Ça change du bordel d'Orphyll. Je lève des yeux vers le vieil homme, de peur de m'être encore exprimée à haute voix mais il allume un petit lampadaire qui éclaire la pièce d'une lumière chaude et tamisée en me désignant un des fauteuils en cuir, installé devant une cheminée éteinte. Sur un petit guéridon en bois, il y a une petite corbeille de bonbons wizwiz. Les préférés d'Ike. Mon cœur se serre et je détourne le regard.

— Oh, tu peux te servir si tu le souhaites. Mala m'en achète toutes les semaines.

Mala Marbleduc est sa conseillère et un peu plus que ça aussi. Je m'asseye sur le coussin qui couine sous mes fesses et regarde une bûche de bois qui a une drôle de forme. Elle ressemble à une tortillis. Avant de me rejoindre, Galford tire les rideaux blancs de son bureau et laisse la lumière blanche de la lune pénétrer dans le bureau.

— Je n'ai pas encore eu l'occasion de te remercier, bachaizi, dit-il en ouvrant un petit frigo derrière son bureau.

Il sort deux verres et une bouteille remplie d'un étrange liquide verdâtre qui ne me dit rien de bon. Il surprend mon regard soupçonneux et rit.

— Dans ton état, ça ne peut te faire que du bien, dit-il en me tendant un verre. C'est très efficace contre les effets de l'alcool.

J'accepte avec une grimace en sentant l'odeur pestilentielle que dégage le liquide mais ne le bois pas.

— Ça provient des marécages du sud, insiste-t-il d'un ton qui se veut rassurant.

Raison de plus pour que je n'y touche pas.

— Je n'ai pas encore eu l'occasion de te remercier alors, Merci, Kaya. Grâce à toi, je suis en vie alors que j'avais accepté la mort. Et tu as aussi ramené ma fille.

Un silence gêné s'installe dans la pièce et je détourne les yeux sur les bûches noircies de la cheminée.

— Frôler la mort m'a fait réaliser que je passais à côté de l'essentiel, me dit-il, les yeux baissés sur son verre, puis il lève la tête vers moi, les pupilles brillantes. Acceptes-tu mes excuses ?

J'en reste bouche bée.

— Je n'aurais jamais dû me dresser entre toi et le jeune Mykhola.

Ma salive se change en cendres dans ma bouche.

— Vous dîtes ça parce qu'il est mort. C'est trop tard maintenant Galford. N'attendez pas de moi que je vous pardonne juste pour soulager votre conscience.

Je me lève et pose le verre à côté du petit saladier plein de wizwiz.

— La prochaine fois, envoyez-moi un message plutôt que de me faire perdre mon temps.

— Je compte prendre ma retraite.

La main sur la poignée de la porte, je m'immobilise et fais volte-face sur lui. Il ne peut pas être sérieux.

— A près de mille ans, j'ai envie de me reposer.

— Vous n'avez été empereur que vingt ans !

— Je ne suis pas fait pour occuper ce poste, dit-il. Et maintenant que tu es toute puissante, je considère que ma mission touche à sa fin.

— Vous ne pouvez pas me faire ça...

Galford se rencogne dans son fauteuil et place ses mains en cathédrale.

— Je te laisse deux années pour te former au métier. Tu auras largement le temps de te faire à l'idée.

De me faire à l'idée ? J'ai envie de le tuer ! A l'entendre, on croirait qu'il parle d'un poste de travail lambda ! Ce n'est pas de la pâte que je vais devoir pétrir ! Pourquoi ne puis-je pas ouvrir ma pâtisserie à Atlazas ? C'est quelque chose que je sais faire au moins ! Je sens que je vais vomir. Les jambes flageolantes, je retourne m'asseoir et vide d'un trait l'espèce de boue malodorante.

— Je ne suis pas prête, dis-je en reposant brutalement le verre.

Galford ne démord pas. Les doigts entrelacés, et les coudes posés sur chaque bras de son fauteuil, il se penche en avant avec soupir.

— Dans quelques jours, les chefs des clans et les capitaines de chaque division de l'EPA se rassemblent pour un conseil suite aux événements tragiques qui ont frappé le continent. Ce sera ton premier pas dans le rôle que tu occuperas pendant des siècles. Nous aurons aussi l'inauguration d'un monument à la mémoire de ceux qui ont perdu la vie près de la plage du Cœur d'Atlazas, tu devras bien évidemment y participer et dire quelques mots pour les familles.

Je le dévisage, la bouche béante. Il ne peut pas être sérieux. C'est beaucoup trop tôt ! Je viens à peine d'apprendre à parler l'atlazasien, je ne connais que très peu de choses de ce monde. Je vais faire une piètre impératrice. Je déglutis. Il faut que je me remettre sérieusement à retourner en cours.

— Je ne peux pas, murmuré-je, la bouche sèche, vous ne vous imaginez pas l'ampleur des lacunes que j'ai sur la culture atlazasienne. Deux ans c'est trop court pour...

— Ce n'est pas négociable, tranche Galford d'un ton catégorique.

Je lève des yeux implorant vers lui mais ses pupilles blanches si distinctive de la famille Golkindor reste plus froid que la glace.

— Il faut que je sorte d'ici.

— J'ai déjà envoyé une lettre à Alx pour lui faire part de la date et de l'heure de la réunion, me lance-t-il quand je quitte le bureau en essuyant du dos de la main ma bouche.

J'ai le cœur qui bat à cent à l'heure et la boue dans mon estomac est lourde. Dans la salle de réception, la fête bat toujours son plein mais je ne suis plus d'humeur à jouer la comédie. Je traverse le vestibule et évite Mala Marbleduc qui cherche quelqu'un des yeux. Probablement l'empereur. Mes talons claquent sur le carrelage du couloir aux murs d'une hauteur vertigineuse. Juste à l'entrée, j'ouvre le placard où sont rangés les sacs des invités. Je récupère mes affaires et sors du palais en prenant soin de cacher ma peau. Il n'y a que très peu de gens dans ce coin du jardin et ils ne me prêtent aucune attention. Je passe devant l'arbre blanc, en ralentissant le pas comme toujours à chaque fois que je le vois avant de me remettre à marcher vite. Les manches longues de ma robe couvrent mes bras mais mon visage est exposé. Il n'y a pas de temps à perdre. Je repère la longue voiture rouge sombre de Lhinck et pousse un soupir en voyant que quelqu'un m'y attend. Assis sur le capot, Leighton allume une cigarette avec le bout de son pouce enflammé et s'amuse à faire des cercles avec la fumée. La lune révèle la teinte argentée de sa peau d'atlazasien, mon oncle et jumeau de mon père tourne ses pupilles couleur miel vers moi en étirant ses lèvres dans un sourire froid. La dernière fois que je l'ai vu, j'ai failli le tuer. Il coince la fine cigarette noire entre ses lèvres et fit quelques pas vers moi.

— On ne dit pas bonjour à son vieil oncle ? me lance-t-il de sa voix rauque.

Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top