5.1 - CHAPITRE
Partie 2
En longeant le vestibule interminable et silencieux, je n'arrive pas à chasser de ma tête le regard implorant d'Alyssa. Elle me manque, c'est indéniable. Mais ce qu'elle a fait est juste horrible. La vérité, c'est qu'elle mériterait de croupir dans la prison insalubre d'Erde. Bien que la marque l'a obligé à agresser son père et nous attirer dans un piège, il n'en demeure pas moins qu'elle reste coupable et complice des actes monstrueux de Milo.
Le reste de la soirée, je fais un effort incommensurable pour garder un air décontracte en me rappelant d'être souriante. Je ris aux plaisanteries douteuses sur les mêlés-humains d'un vieil atlazasien riche qui possède l'usine Luxor et le fuis dès que possible. Galford essaie à plusieurs reprises de me coincer pour me parler mais à chaque fois, j'arrive à l'esquiver de justesse. Je fais un nouvel effort devant l'objectif du photographe de la Iustitia et un autre pour le magazine de mode de mon ami, Marc Xyls, Xyls' Mod. Car comme me l'a répété cent fois mon tuteur, je dois soigner mon image plus que ternie par les récents événements. « Les gens doivent te voir, Kaya ! » m'a-t-il dit en réajustant ma fine écharpe sur mes épaules avant qu'on ne monte dans la voiture. Miléandre Yoss me jette regard glacial avant de me dépasser en s'éclaircissant bruyamment la gorge. Je résiste à l'envie de lui faire un croche-pied et plonge mon nez dans le soda que j'ai été commandé au bar, renonçant raisonnablement aux coupes de champagnes qui me font des clins d'œil depuis le plateau d'un serveur. J'arrive même à supporter les chuchotements sur mon passage. « Les rumeurs disent que c'est elle qui a tué ce pauvre garçon, le Mykhola ! Bon, je ne l'aimais pas mais enfin... », disait la plupart des vieux fossiles réunis à cette fête pourrie. Malgré mon soda, j'ai la tête qui tourne. J'ai envie de prendre l'air mais ça, c'est impossible. Si je mets un pied dehors, la lune va révéler à toutes ces commères mon petit secret. Déambulant entre les invités sans but réel, j'aperçois une femme au chignon parfait sur le sommet de sa tête qui me fait signe avant de me rejoindre d'un pas vif. Je réprime un soupir et souris à la journaliste de la Iustitia que j'ai eu l'occasion de voir au cours du procès de Vic Prynix.
— Certessa Kaya, nous nous sommes déjà aperçues mais je ne crois pas que nous soyons présentées. Je m'appelle Lusa Parkma, dit-elle en reluquant avec intérêt, comme si elle avait en face d'elle un coffre rempli d'or.
J'ai presque de me couvrir alors que je suis vêtue tant elle analyse chaque petit centimètre de mon corps, jugeant probablement ma robe, ma coiffure, ma tenue et les quelques verres avalés jusque-là. Rien ne trahit les pensées qui lui traversent l'esprit, son sourire impeccable ne s'affaissent pas d'un millimètre. Je déglutis en essayant de garder en tête les recommandations de mon tuteur, le but de cette soirée : inverser l'image de princesse au cœur froid qu'on me donne les journaux et tabloïds atlazasiens.
— Enchantée de faire votre connaissance, récité-je.
Un photographe arrive près de nous, s'excuse auprès de Lusa et me salue respectueusement en ajustant la lanière de son appareil autour de son cou. De grosses lunettes rondes glisse sur son nez en sueur.
— Mon photographe, Wao, fait Lusa sans lui accorder un regard. Vous êtes magnifique dans cette robe, une création de Marc Xyls, n'est-ce pas ?
J'acquiesce et prends une gorgée du soda pétillant alors que les yeux de la femme se baissent au niveau de ma taille où la robe est légèrement trop grande.
— C'est votre première sortie en société depuis la tragédie qui a frappé Atlazas, et pourtant vous êtes sortie du coma il y a pratiquement deux mois.
— J'avais besoin de temps...
— Pour affronter un monde sans Ike Mykhola ? achève-t-elle en inclinant légèrement la tête sur le côté qu'on pourrait prendre pour de la compassion si un sourire éclatant de blancheur n'illuminait pas son visage.
Mes doigts se resserrent sur mon verre.
— C'était un de mes meilleurs amis.
— Un ami qui partageait la chair et le sang du plus grand criminel d'Atlazas.
Elle me provoque. Il ne faut pas que je tombe dans son piège.
— Je vous souhaite une bonne soirée, Lusa, dis-je d'un ton neutre en tournant les talons.
A la vitesse de l'éclair, elle me barre le chemin et se penche sur mon oreille.
— Votre loyauté infaillible en cet homme est admirable mais êtes-vous sûre que vous le connaissiez ?
Lusa se redresse et m'observe toujours avec le même sourire. A son cou, un collier très semblable à celui de Miléandre Yoss avec un pendentif de la déesse Lutsumoon orne son décolleté. Je comprends alors que cette vieille harpie a dû lui dire qu'elle nous a surpris moi et Ike, plutôt intimes. Elle suit mon regard et prend son index et son pouce la relique.
— Je ne suis pas votre ennemi, bien au contraire. Comme beaucoup d'autres atlazasiens, nous sommes convaincus que vous êtes celle que nous attendons tous et cet exploit digne des dieux que vous avez réalisé avec ce tsunami, n'est qu'une preuve de plus que vous êtes la C...
— Je n'ai rien avoir avec cette catastrophe naturelle, tranché-je d'un ton froid.
Lusa tapote de la bague de son doigt contre le verre de son gin tonic.
— Très bien, dit-elle d'un ton raide, le sourire plus crispé. Mais laissez-moi vous dire que les gens que vous pensez être vos mais ne le sont pas, autrement, ils vous auraient tous empêché de vous rapprocher de Mykhola. Maintenant qu'il est mort, le monde croit être sauvé mais ce n'est que le début, Certessa. Le mal s'est implanté dans le cœur d'Atlazas à sa naissance. Pourquoi croyez-vous que sa propre mère ait intenté de le tuer ?
Je fronce les sourcils, intriguée et avale péniblement ma salive.
— Vous délirez..., murmuré-je.
— Wao !
Un flash m'aveugle soudain et je cligne plusieurs fois des yeux pour effacer la tâche blanche qui gêne ma vue.
— Quand vous aurez enfin ouvert les yeux, je serai là, Certessa.
Lusa Parkma tourne sèchement les talons et met rapidement de la distance entre elle et moi, suivie de près par son photographe qui s'éloigne en s'excusant, me laissant planter au milieu d'une foule qui ne me prête pas grande attention. Un marteau martèle mes oreilles dans un son métallique agaçant, je prends plusieurs gorgées de mon soda fruité en ressentant le soudain besoin de sortir de cette pièce étouffante. Les propos de cette femme sont insensés et pourtant, ils ont provoqué en moi un déferlement de doutes. Cette question muette que je me suis toujours posée en présence d'Ike. Cette question dont je connais la réponse.
— Je te trouve enfin.
Je ferme les yeux en prenant une profonde inspiration. Et merde ! Je plaque un sourire parfait sur mes lèvres et pivote sur l'empereur Galford. Ses longs doigts fins serrent la poignée de sa canne. Ses yeux étincelant d'un blanc doux me contemplent d'un air rieur.
— Ça n'a pas été facile, tu es rapide maintenant.
Evidemment, il a remarqué ma manœuvre. Je n'ai donc pas besoin de faire semblant d'être heureuse de le voir.
— Vous savez que je ne vous aime pas alors ne faîte pas celui qui est surpris, lâché-je d'une voix pas très claire. Tout de suite là, ce n'est pas le bon moment.
Galford hausse ses sourcils soyeux et impeccables, pas comme ceux d'Orphyll. On dirait qu'il a deux queues d'écureuils qui ont la rage à la place des sourcils tant ils sont épais et broussailleux. Ils couvrent pratiquement ses yeux.
— Eh bien, j'ignore à quoi ressemble des écureuils mais je vais prendre ça pour un compliment, glousse Galford.
Est-ce que j'ai dit ça à haute voix ? Je porte mon verre de boisson pétillante mais Galford me l'ôte de la bouche et le pose sur le plateau d'un serveur qui passait par-là.
— Hé ! C'est juste du soda.
— Non. Son goût particulièrement sucré est traître, khama bachaizi.
— Je ne suis pas une enfant.
Galford sourit.
— Je suis content de voir que tu maîtrises parfaitement notre langue désormais.
— Et mon pouvoir m'est revenu, n'est-ce pas merveilleux ? complété-je avec sarcasme en balayant la salle bondée des yeux.
Il y a beaucoup de jumeaux présents ce soir. C'est pourtant tellement rare.
— Et si, nous allions dans mon bureau pour discuter un peu ?
Qu'est-ce qu'ils ont tous à vouloir me parler en tête-à-tête ? Quoique si ça peut m'éviter de subir une conversation sur la politique atlazasienne ou sur les problèmes de gênes avec les odeurs nauséabondes que dégagent les bouches d'égout au-dessus d'une habitation crokatlanne, je veux bien. Avec un sourire qui me donne des crampes aux joues, j'accepte volontiers. Galford me regarde avec des yeux ronds. Zut ! J'ai encore parlé à voix haute.
— C'est vrai qu'il faut que je me penche sur ce problème. Où est Alex ? me demande l'empereur en cherchant des yeux le vieux fou. Je ne voudrais pas qu'il s'inquiète en ne te voyant plus.
— Après un coup dans le nez, Orphyll disparaît toujours je ne sais où, réponds-je en soupirant.
Il arque un sourcil et hoche la tête.
— Ça explique tout.
Bachaizi : enfant -> de « bacham » en hindi qui signifie enfant et de « haizi » en chinois qui signifie enfant.
Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top