3.3 - CHAPITRE
Partie 3
L'alcool pétille sur ma langue, et coule dans ma gorge comme une douce chaleur. Le nez dans mon verre, je me suis délibérément tournée vers l'immense portrait qui prend tout le mur d'Atlanz Kamylah pour éviter quelqu'un n'engage la conversation avec moi. Un orchestre joue sur une note de jazz calme au bout de la vaste salle. L'empereur qui s'est enfin remis de son coma – c'est ce qui a été raconté officiellement pour ne pas incriminer Alyssa – a décidé de donner une fête pour célébrer son rétablissement. Je n'ai pas pu refuser. Les médias se posent déjà beaucoup trop de questions à mon sujet. Hormis le surnom qu'ils me donnent, la Princesse Fantôme, des rumeurs comme quoi que je serais à l'origine du raz-de-marée qui a ravagé le cœur d'Atlazas circulent. Heureusement, ils n'ont aucune preuve tangible et donc aucun moyen de prouver leur dire. Car la vérité, c'est qu'ils ont raison. Mes souvenirs sont très flous mais je me rappelle quand même qu'en émergeant de l'eau, des pêcheurs m'ont vu me déplacer sur la surface scintillante de l'océan. Parmi ces pêcheurs, il y avait mon ami Aki qui refuse aujourd'hui de me parler. Je tape de mon ongle le verre de ma coupe de champagne Côte d'Or en contemplant la posture de vainqueur d'Atlanz qui a le regard rivé vers l'avenir. Un très léger sourire sur les lèvres, il est vêtu d'une tunique épaisse et cousue d'or, porte une cape dont l'étoffe blanc lui donne un air d'ange. Il respire la puissance, le pouvoir et la richesse, debout devant cette fenêtre qui offre une vue sur un paysage à couper le souffle. Tout ce qu'un homme rêve de posséder. En m'approchant de la peinture, les effluves frais et sucré d'agrumes caresse mes narines. Je peux entendre le chant d'oiseaux qui cillent le ciel bleu peint sur la toile.
— Magnifique, n'est-ce pas ?
Nathan Kamylah me rejoint devant le portrait. Des fils dorés brillent dans ses longues nattes, des motifs fins et ronds sont cousus sur le tissu de sa tunique ivoire et met en valeur sa peau cuivrée et satinée. Contrairement aux deux années précédentes, je remarque que son approche n'est pas dragueuse. Il me sourit simplement, amicalement. Je suis soulagée. Peut-être que pour la première fois depuis que je suis dans ce monde, je n'aurais pas à inventer un prétexte pour le fuir ou besoin d'une intervention sauvetage d'une de mes amies.
— Ton arrière-grand-père savait régner, du moins c'est ce que mon arrière-grand père a eu le temps de raconter à mon père.
— J'espère que j'ai hérité de son talent alors.
— Oh, je ne m'en fais pas pour ça, dit-il en admirant le tableau. Il fronce soudain les sourcils. Je me disais bien que j'avais déjà vu le bracelet que tu portes tout le temps. Regarde !
Il pointe du doigt le poignet d'Atlanz Kamylah, un peu dissimulé par l'étoffe de sa tunique. On ne le voit pas en entier mais je reconnais immédiatement le bijou. C'est le même ! Seuls quelques symboles sont visibles. Le phénix des Golkindor, la rose des Nahuay et un autre que je ne reconnais pas. Un « W » barré d'un trait noir. Il me dit quelque chose mais je n'arrive pas à me souvenir où je l'ai vu.
— Tu portes le bracelet d'Atlanz, Kaya ! s'exclama Nathan en me considérant avec des yeux brillants.
— C'est quoi ce « W » ?
— Un « W » ?
Il regarde le tableau et quand il repère le symbole, secoue la tête.
— C'est un « M » inversé, représentant les Mykhola.
Ça me revient subitement. J'ai eu l'occasion de voir ce « M » brodé sur la tunique de Kei. Nathan me regarde bizarrement. Est-ce que mon visage a changé en l'entendant prononcer le nom Mykhola ? Je m'attends à ce qu'il me pose la question qui lui brûle les lèvres mais il plonge le nez dans son verre et ne dit rien. Ce dont je le suis grée. Je balaie des yeux la salle, les invités qui discutent et dégustent en même des amuse-gueules et gâteaux apéritifs. Orphyll discute avec Miléandre Yoss avec qui, il semble renoué. Je réprime une grimace. Je n'aime pas cette femme et son esprit étroit.
— Tu veux que j'aille t'en prendre un autre ? me propose Nathan en me voyant finir d'un trait, la tête en arrière, ma coupe.
— Non, t'inquiète pas. Je vais m'en prendre un autre, refusé-je gentiment en me dirigeant vers le long bar sur la gauche. Je sens que je vais en avoir besoin ce soir.
Je m'accoude au comptoir en marbre du bar et commande au barman un cocktail qu'il me sert rapidement avec une petite ombrelle et des bonbons sur le bord du verre. Le goût fruité et sucré de la boisson est un véritable délice. Chell me rejoint avec un sourire un peu crispé. Elle est splendide dans sa jolie robe rouge, qu'elle porte en honneur de la famille de son copain.
— Je voulais juste te prévenir, Alyssa est sortie aujourd'hui de la clinique Krank.
J'arrête mon verre près de mes lèvres. Alyssa est mon autre meilleure amie, cousine éloignée du côté Golkindor. Il y a quelques mois, elle a brusquement disparu en laissant derrière elle son père pour mort. Convaincue de son innocence, nous nous sommes rendus dans le monde des humains pour la sauver mais nous sommes tombés dans un piège monté de toute pièce par Milo. Un piège que j'ai appris par la suite, n'était pas prévu uniquement pour nous mais aussi pour l'EPA. Le but était d'éloigner la plupart des éléments forts d'Atlazas pour pouvoir semer le chao. Milo avait disséminé quelques fausses preuves qu'avaient trouvé les agents de l'EPA et en avaient conclu qu'Alyssa possédaient trois appartements dans le monde humain. Sauf que deux d'entre étaient des fausses adresses. Chell baisse les yeux sur mon verre qui se fissure sur la pression que j'exerce sans m'en rendre compte.
— Kaya, respire.
La vérité c'est que je ne sais pas ce que je ressens vis-à-vis d'Alyssa. Une partie de moi la hait et lui en veut. Son égoïsme l'a poussé à nous trahir et à s'allier avec Milo. Elle savait qu'il avait orchestré sa mort, elle connaissait les détails de son plan et pourtant, ça ne l'a pas fait renoncer.
— Il faudra bien un jour que je lui parle.
— Si tu veux, elle nous attend en haut dans sa chambre.
Je plisse les yeux, prise d'un soupçon.
— La dernière fois que tu as parlé d'Alyssa, tu l'as traité de vieille sorcière. Pourquoi j'ai l'impression que quelque chose a changé ?
— Je lui ai parlé.
Je fronce les sourcils pour l'encourager à poursuivre.
— Milo l'a manipulé pratiquement depuis le début. C'est pour cette raison qu'Erik Tark ne l'a pas enfermé. Tu connais ses dons.
Oh oui je les connais et bien heureusement pour moi, cet atlazasien sensoriel ne peut pas sentir le mensonge suinter de mes pores quand je lui parle. Erik Tark est un véritable requin qui ne lâche rien, perspicace et intelligent. Il gère d'une main de fer les bureaux de l'OPA (Organisation de la Protection d'Atlazas, une sorte de police atlazasienne).
— Tark se ramollit si tu veux mon avis, répliqué-je en prenant une gorgée glacée de mon cocktail.
— Kaya, soupire Chell. Ecoute-la au moins.
Je joue avec l'ombrelle rose de mon verre en soutenant ma tête d'une main. A bout de nerf, Chell s'empare du petit parapluie de papier et le froisse.
— Hé !
— Ça suffit, Kaya ! Elle te manque, c'est évident. Tu ne peux pas perdre tout le monde.
Ses yeux lancent des éclairs quand elle repose ce qui fut une jolie ombrelle sur le comptoir du bar.
— Tu te renfermes et refuses de voir tout le monde. Je suis surprise d'ailleurs que tu sois présente ce soir.
— C'est Orphyll qui a insisté, bougonné-je.
Il m'a menacé de me suivre comme mon ombre sans cesser de rire et de dormir dans le même lit que moi. Tout ça dans le but de me changer les idées. « Tu choisis la méthode douce (sous-entendu la fête ou la méthode forte (le harcèlement donc) ».
— Et il a eu raison ! Waïmi, ce que tu traverses est difficile et nous, Ange, Alyssa et moi, sommes là pour toi.
Alyssa ? Je hausse les sourcils.
— C'est à cause d'elle si Ike est mort.
— Ne dis pas n'importe quoi, jamais elle n'aurait voulu sa mort.
— Et pourtant, elle connaissait le plan de Milo, Chell enfin !
Elle me regarde d'un air sévère.
— Suis-moi à l'étage et laisse-la parler.
Chell se penche vers et ajoute à voix basse :
— Avec le pouvoir de la Clef, tu pourras vite t'apercevoir qu'elle dit la vérité.
Nous nous défions du regard longtemps, quand dans un soupir, je finis par céder et accepter de monter. Car elle n'a pas tout à fait tort mais je ne compte pas utiliser la Clef comme elle pense que je vais le faire. Je bois plusieurs grosses gorgées de mon cocktail que je finis et repose un peu brutalement.
— De toute façon, elle est pourrie la fête du vieux Gal, alors ici ou ailleurs !
Le barman me dévisage, choqué, en récupérant mon verre vide. Ce n'est pas le seul que je semble avoir indigné, car plusieurs autres invités près du bar, me lancent des regards courroucés. Tout ça parce que je n'ai pas dit l'Empereur Galford.
— Oh, pour l'amour du ciel, pétez un coup les gens !
Cette fois, une femme laisse échapper un petit « oh » outrée, une main sur le cœur et secoue la tête en signe de réprobation. Chell glisse son bras dans le mien en s'excusant pour moi.
— Kaya a un humour spécial qui vient du monde des humains, ah, ah, ah ! dit-elle avec un rire forcé avant de m'entraîner à travers la foule d'invités, dans le couloir principal et désert. Je pense que tu as un peu forcé sur la boisson, waïmi.
Elle a sûrement raison car je titube un peu en me déplaçant et ma vision n'est plus aussi claire qu'au début de la soirée. Je cligne plusieurs fois des yeux et je me rends compte que nous sommes déjà arrivées devant la double-porte de la chambre d'Alyssa.
— Je ne pense pas être en état de l'écouter, là tout de suite.
Chell me regarde longuement et hausse les épaules.
— Je m'en fiche. Il faut que tu l'écoutes.
Elle donne trois coups à la porte qui s'ouvre au bout de quelques minutes sur une jeune femme à la beauté douce. Ses cheveux sont d'un blanc pur et raides, tout comme les pupilles de ses yeux. Sa pâle est si pâle, qu'elle en est presque translucide. Mais ne vous fiez pas à la douceur apparente sur son physique, Alyssa Golkindor est une femme au tempérament de feu qui n'a pas hésité à s'en prendre à son père pour obtenir la liberté. Elle a un choc en m'apercevant et ne s'écarte que lorsque Chell lui demande si elle compte nous laisser planter sur le seuil de sa porte. Elle est nerveuse. Outre le fait que je le sente aux battements de son cœur qui s'accélèrent dans sa poitrine et à l'aura qu'elle dégage, des gouttes de sueur constellent son front rond et ses mains sont agitées de léger tremblements qui trahissent son état.
— Je n'étais pas sûre que tu monterais, dit-elle enfin en brisant le silence.
Comme à chaque fois, j'ai l'impression d'être entrée dans le monde d'une poupée porcelaine. Les couleurs sont froides, blanc et taupe. De larges rideaux fins sont tirés sur les fenêtres mais la lumière blanche de la lune parvient à filtrer à travers les quelques espaces. Je reste à distance de son éclat. Je n'ai pas envie que mes amies voient ce que la lune révèle sur moi. Alyssa referme la porte derrière nous. La voir est plus difficile que je ne me l'étais imaginée. Des émotions contradictoires se bousculent en moi et me tord les entrailles. Une partie de moi est heureuse de voir qu'elle va bien. Elle a repris du poids et semble aller bien mieux que la dernière fois que je l'ai vu dans les abysses, tabassée par un des hommes de Milo. Et l'autre, ressent une profonde rancœur à son égard. Soudain, c'est plus fort que moi, je la frappe du poing au visage, assez fort pour lui ouvrir les lèvres, mais pas assez pour l'envoyer à l'autre bout de la chambre. Elle encaisse le coup et essuie sa bouche en sang.
— Kaya ! s'écrie Chell.
— Ton égoïsme a tué Ike.
Alyssa repousse Chell qui lui tend un mouchoir propre, sans me quitter des yeux. Elle lève le menton.
— Tu ne peux pas me haïr plus que je ne me hais déjà.
Silence.
— Si j'avais su que... Kaya, jamais je n'aurais suivi Milo, me jure-t-elle, sa poitrine se soulevant au rythme de sa respiration saccadée. Il faut que tu me croies, je t'en prie.
Je l'évalue longuement du regard. Chell fait le va-et-vient entre nous deux plusieurs fois.
— Je veux le voir.
— Quoi ? fait Alyssa sans comprendre.
— Si ce que tu dis est la vérité.
Incertaine, elle regarde Chell qui hausse les épaules. Sans leur donner d'explications, je prends les mains d'Alyssa dans les miennes. Elles sont froides. Elle me regarde en fronçant les sourcils, un peu effrayée.
— Je te fais peur ?
— Le poing que tu m'as mis était plutôt fort et je suis persuadée que tu t'es retenue.
— Ce n'était pas intentionnelle.
C'est bien évidemment un mensonge. Mais l'effet voulu est là, ses mains se sont crispées sur les miennes. A son contact froid, je sens le flux du khor qui circule à une vitesse un peu élevé dû au stress. Je ferme les yeux et me focalise sur Alyssa, me préparant à recevoir un déferlement d'images qui pourront me faire revivre quelques moments de son passé. Son souffle régulier et rapide. Son aura douce mais puissant. Je m'y prends maladroitement. L'unique fois où j'ai fait appel à mes pouvoirs, c'était pour localiser Alyssa que je croyais en danger. Le résultat avait été peu concluant, la vision floue et les voix étouffées par un bourdonnement agaçant. Ça m'avait rendue malade plusieurs jours. Mais aujourd'hui, j'ai changé. Généralement, c'est par le biais des rêves que je voyage. Enfin, des images d'abord très floues apparaissent comme des flashs dans ma tête, une odeur de café chatouille mes narines quand soudain, je me sens emportée ailleurs.
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