3.2 - CHAPITRE

Partie 2


— C'est quoi ta technique ?

Elle fait la moue et hésite à me le dire.

— Je t'offre les chaussures Verna Wond que m'a offert Marc la semaine dernière si tu me dis ton petit secret.

— Celle aux talons fabriqués en Krytna ? souffle-t-elle en écarquillant les yeux. Il n'en existe que deux paires dans tout Atlazas. Ce spolm ambulant de Illys Golkindor a réussi à en avoir une.

Je hoche la tête, sachant pertinemment qu'elle ne résistera pas. Mais ses épaules s'affaissent soudain et elle soupire.

— Je ne peux pas te les prendre, waïmi. C'est un cadeau de Marc, il sera vexé. Et puis, cette technique m'est bien utile à vrai dire, elle vaut bien ces bijoux, dit-elle.

Chell a un petit sourire triste et m'avoue :

— C'est Ike qui me l'a révélé.

Mon cœur se serre dans ma poitrine. S'arrêtera-t-il un jour de faire ça ?

— Revenons à nos bellus ! dit soudain Chell. La dernière page du Secret des Abysses, tu peux la lire, n'est-ce pas ?

J'hésite à la mettre dans la confidence. Le mot d'Atlanz Kamylah dit bien de ne faire confiance à personne. Je ne l'ai même pas confié à Orphyll, ce petit secret.

— Ton père est retourné vivre avec ta mère à ce qu'il paraît, dis-je méfiante.

Mon cher et adorable oncle Leighton et moi, ne nous entendons pas très bien. Je me méfie de lui. Chell a soudain l'air bizarre.

— Tu l'as lu dans l'Atlanz News. Oui, son retour a fait les gros titres.

En revanche, mon père reste un fantôme.

— Je ne lui fais pas confiance, ni à mon père.

— Ça fait plusieurs jours que je n'ai pas vu Unji Leigh, m'avoue Chell.

Il a disparu ? Ça allait devenir une habitude. Vous me direz, ça ne change pas grand-chose à ma vie. Il n'était déjà pas là au départ.

— Waïmi, tu ne penses pas que tu devrais lui parler...

— Non.

Mon ton est catégorique et n'offre aucune réplique. Peu importe ce qu'elle dira, Rayleigh Kamylah m'a privé de la chance de sauver Ike. Je ne vois pas en quel honneur je lui laisserai l'occasion de se nouer un lien avec moi. Et je suis presque sûre que son amitié avec Darken a entraîné la mort de ma mère.

— Il n'a pas cessé de veiller sur toi...

— Chell, s'il te plaît.

Unji Ray ne pensait pas à mal...

— Mais il savait ! Il savait que ça finirait comme ça ! Kheel Leighton lui a prédit qu'Ike mourrait ce jour-là et pourtant, il n'a rien fait pour empêcher cela de se produire, m'écrié-je à bout de nerfs.

Chell me fixe longuement.

— D'accord, tu es encore en colère. Quand tu seras plus disposée à l'écouter, tu n'auras qu'à l'appeler.

Elle se penche vers mon téléphone, sort le sien de son petit sac posé sur la table basse, et effectue un transfert de khor. Je comprends trop tard qu'elle a rentré mon père en nouveau contact. Elle repose mon portable sur la table.

— Maintenant, Le Secret des Abysses. Tu as gardé le livre que Unji Ray croit être un faux, je pense pas que ce soit pour l'ajouter à la bibliothèque personnelle que tu n'as pas.

Elle ne lâche rien.

— Oui et non, finis-je par dire.

— Quoi ?

— La dernière est page, je peux la voir mais je ne peux pas encore décrypter le message.

Chell fronce les sourcils en réfléchissant à toute vitesse.

— C'est un message ? Pas une condition ?

Je hausse les épaules car en réalité, je n'en ai moi-même pas la moindre idée. Je dirais que pour l'instant c'est plus un message qu'une condition à respecter pour briser la Stecken Dome. Ma cousine se lève et commence à marcher de long en large dans la chambre, en tapotant sa lèvre inférieure de son index.

— Les premières pages du Secret des Abysses ont été réécrites il y a quelques décennies mais celui qui s'est chargé de la traduction, a souhaité garder la même reliure et la dernière page. Donc...ce message est écrit dans un vieux atlazasien, n'est-ce pas ?

Mon silence confirme sa théorie. Son regard s'arrête sur mon tout nouveau bureau, placé près de la fenêtre.

— Depuis quand tu as un bureau ?

Je soupire en demeurant encore une fois muette. Elle hausse les sourcils en comprenant soudain.

— C'est pas vrai ! Tu travailles dessus, c'est ça ? Mais ça va te prendre un temps fou, tu viens tout juste d'apprendre notre langue. Tu as besoin de mon aide, Kaya. J'ai étudié la langue ancienne durant ma scolarité à l'académie des...

Elle se tait, soudain affreusement gênée et se racle la gorge.

— Bref, à Primera Schola. Montre-moi le livre !

Je me mordille les lèvres, nerveuse et hésitante. Chell ne m'a jamais donné une raison de douter d'elle et je lui fais entièrement confiance. Il faut bien admettre que ce travail de traduction n'avance pas beaucoup. Pratiquement pas en réalité et parfois, j'ai même l'impression que le dictionnaire ne me donne pas la définition du mot. L'aide d'une atlazasienne, surdouée et qui a grandi sur le continent ne peut être que bienvenu. Chell arque un sourcil d'un air insistant.

— D'accord, tu peux m'aider, maugrée-je. Ferme les yeux que je le sorte de sa cachette.

— Kaya, je t'en prie, il est évident que tu l'as caché dans le dernier tiroir.

Je la contemple, bouche bée et me baisse pour récupérer le Secret des Abysses dans le dernier tiroir de mon bureau. Chell ricane dans mon dos.

— Tellement prévisible !

Elle prend le gros livre que je lui tends et s'arrête soudain.

— Attends, mais je ne peux pas la voir la dernière page.

Je la regarde, estomaquée. Comment a-t-on pu négliger un détail aussi important ?

— Non, seule la Clef le peut.

— Toi, en l'occurrence.

— Atlanz Kamylah n'avait sûrement pas envisagé que sa descendante negrandirait pas à Atlazas, grogné-je en me laissant tomber lourdement sur lachaise près de mon bureau.

—Probablement pas, non. Tu pourrais peut-être recopier...

Elle s'interrompe en voyant le regard que je lui lance.

— Ce message est rempli de signes ultras compliqués à reproduire !

Chell grimace.

— Ça ne m'étonne pas, la calligraphie de nos ancêtres n'est pas des plus simples mais essaie quand même.

Je n'émets qu'un vague grognement peu engageant, la tête renversée en arrière. Ça valait le coup d'essayer. Chell s'accroupit près de Bagha et caresse son pelage épais. Il a l'air de l'aimer, ses poils bleus s'illuminent.

— Il est trop mignon, dit-elle, attendrie, puis elle lève les yeux vers moi et fronce les sourcils. C'est un collier-montre, n'est-ce pas ?

Elle me montre de l'index la boussole des Mykhola. Sans m'en rendre compte, je joue avec en ouvrant et fermant le clapet en or. Une habitude que j'ai prise quand je pense à Ike. Un mois plus tôt, la boussole s'était mise à vibrer. Les aiguilles dans le cadran se sont mises à tourner à une vitesse affolante sous mes yeux avant de s'arrêter brusquement. La bulle d'espoir qui avait gonflé dans ma poitrine en les voyant tourner avait brusquement éclaté. L'espace d'un instant, j'ai cru qu'il était en vie, quelque part. Mais la boussole n'a jamais plus bougé. Pire, les aiguilles se sont figées au point mort alors qu'à la mort d'Ike, elles pointaient vers le nord, en direction de la forêt Kurenebe. Ce constat m'a plongé dans une nouvelle dépression violente et profonde qu'Orphyll n'a pas compris. Nous étions revenus au point de départ. De longues nuits de crises larmes, de sueurs nocturnes suivirent ce regain d'espoir perdu. Mes lèvres tremblent légèrement quand je range la boussole à l'intérieur de ma tunique dont la jupe est déchirée, d'ailleurs.

— C'était un cadeau.

Je prends volontairement un ton sec, en espérant qu'elle comprenne que je ne souhaite pas en parler. Ce qu'elle saisit à mon grand soulagement. Elle s'approche de moi en clin d'œil et prend délicatement une des mèches rebelles qui s'échappent du chignon que je fais depuis plus d'un mois, l'air horrifiée.

— Kaya ! Ce ne sont plus des nœuds que tu as, on dirait des boules de poils ! s'affole-t-elle en tirant sur quelques cheveux.

— Tu me fais mal !

J'essaie de la repousser mais elle esquive avec l'agilité d'un chat et me rattrape par les épaules en forçant à rester assise.

— Waïmi, je ne te laisserai pas aller au mariage de Kendra dans cet état.

— Quoi ? Mais il n'est pas avant au moins quatre mois !

— Avec ce que tu as sur la tête, on a presque plus de temps.

Il est inutile de protester. Ça fera au moins un heureux. Je revois encore la tête de Marc Xyls, mon styliste personnel – autoproclamé – et ami, quand il est venu m'apporter la toute dernière création de son amie Verna Wond. Le choc a été tel, que la boîte lui a échappé des mains, s'est ouverte et les chaussures ont glissé sur le parquet de ma chambre. Bon, son geste a été un poil trop théâtral, mais c'est Marc. Il a tenté de me « réparer » mais malheureusement, mon humeur ce jour-là était si exécrable que le ciel grondait et explosait en des éclairs qui illuminaient Atlazas comme des flashs. Le soleil se couche encore une fois à près de vingt-une heure du soir. Un autre jour sans Ike qui s'achève. Rencognée dans mon fauteuil que j'ai placé face à la fenêtre de ma chambre, mon nouvel endroit favori.

Les bouts de mes cheveux chatouillent mes épaules. Chell s'est résignée finalement à me les couper, les dégâts étant apparemment irréversible. Elle a versé une larme quand les ciseaux de Hermès, son coiffeur personnel qu'elle a appelé à l'aide, ont coupés mes cheveux. Il lui a tendu un mouchoir en lui tapotant l'épaule, en me fusillant des yeux à travers le miroir de ma coiffeuse. J'ai beau eu les prévenir qu'ils m'arriveraient aux fesses le lendemain, ça n'a rien changé. Un phénomène que le soigneur Alec m'avait expliqué comme étant le résultat d'un surplus de flux. D'où mes cheveux et mes ongles – que je ronge – qui ne cessent de pousser. Une fois qu'il a rangé ses produits et ses outils dans sa mallette, il a gratifié Chell d'un sourire charmeur et est parti en un éclair.

— Ange aurait-il des raisons de s'inquiéter ? lui ai-je demandé en arquant un sourcil, alors qu'elle récupérait son sac pour rentrer à la villa Kamylah.

Après tout, Hermès est plutôt beau garçon, pas autant qu'Ange si vous voulez mon avis, mais de toute évidence, Chell lui plaît et elle, n'est pas insensible à son charme. Elle m'a décoche un regard glacial.

— Hermès est le copain de Sissi, a-t-elle répondu.

Ce qui était pire. Chell a une aversion profonde pour sa demi-sœur qui, je dois bien l'admettre, est loin d'être la personne la plus agréable d'Atlazas. Elle pourrait même faire concurrence à Rubi.

— Et puis..., a poursuivit Chell en baissant honteusement les yeux.

J'ai eu l'impression qu'elle était sur le point de me dire quelque chose mais finalement, elle s'est reprise, a éclairci sa gorge et a repris :

— Ange et moi ne sommes plus ensemble, tu le sais très bien.

Je me suis abstenue de tout commentaire mais au fond, j'ai trouvé ça dommage. Il est clair qu'elle et Ange sont encore fous l'un de l'autre.

Le nez collé contre le coton du T-shirt noir que j'ai enfilé en guise de pyjama, je hume le parfum doux de musc d'Ike. Ça me ramène un instant dans ses bras et me fait autant de bien que de mal. Mais je ne peux pas m'en empêcher. Cette journée a été épuisante autant moralement que physiquement. Courir à travers Atlazas pour rattraper ce traître de Milo m'a demandé beaucoup d'énergie. Mais je sais que je ne vais pas réussir à fermer l'œil de la nuit, je suis beaucoup trop frustrée. Alors comme pratiquement chaque soir depuis quelques semaines, je me lève, me dirige vers ma table de chevet et ouvrir le petit tiroir. Le flacon de ce liquide soporifique que m'a donné Elda, l'infirmière de l'institut Atlanz l'année dernière, brille au fond du meuble. Sans hésitation, je le prends et bois une petite gorgée. Une seule goutte suffit normalement à assommer n'importe qui mais récemment, j'ai développé une résistance au somnifère. Mon organisme s'y est peut-être habitué. Une sensation glacée coule dans mon œsophage et très vite je sens les effets de la drogue. Je m'écroule sur mon lit comme une masse.

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Unji : oncle en atlazasien, venant de l'allemand « unkel » et du japonais « oji » pour oncle.

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