1 - CHAPITRE
Partie 1
J'ai un nouveau jouet. Il est super, c'est un cadeau de mes parents pour mon anniversaire, même Kei, en est jaloux. Pour se venger, il m'a piqué avec une épine d'abrinus. Ça m'a fait très mal, tant que j'ai pleuré. Je plaque mes deux mains à plat sur la pelouse du jardin, la terre sèche en ce temps chaud du moins de l'Améthyste, forme une mini montagne de plus en plus haute qui finit par me dépasser.
J'époussette mes petites mains pleines de terre et les essuie sur ma tunique. Maman ne va pas être contente mais ce n'est pas grave. Je me raidis soudain en la voyant traverser le salon, par les vitres des fenêtres de la villa. Fausse alerte ! Elle ne m'a pas vu. Je lève les yeux vers le soleil qui brille dans le ciel bleu et clair. Je m'accroupis près de ma montagne de terre qui commence à défaire et boude, je ne suis pas encore assez doué. C'est ce que papa n'arrête pas de me répéter quand je m'entraîne à voler autour du manoir. Il m'a même inscrit dans un club de vol et même si je dépasse tout le monde à chaque course, il n'est jamais content. Je pose ma figurine du guerrier Micrhan au sommet de ma montagne, prêt à le faire dévaler.
Je voulais que Kei joue avec moi pour le faire voler avec sa maîtrise de l'élément du vent mais il n'a pas envie aujourd'hui. Alors, je vais me débrouiller. Mon bonhomme glisse le long de la montagne que je surnomme, la « montagne de la mort », fait un léger vol plané avant d'aller se planter, tête la première dans le trou de terre que j'ai creusé pour créer ma montagne.
BOOM !
Un gros bruit étrange et effrayant me fait sursauter. Je regarde inquiet mon Micrhan mais ce n'est pas possible que ce soit lui qui ait produit un tel bruit. Soudain, maman pousse un hurlement qui me fige. Je me mets rapidement debout et cours à toute vitesse, comme me l'a appris M. Fizt et pousse la porte coulissante sur la véranda. Mes pas résonnent sourdement sur le parquet de la maison. Je manque soudain de glisser et me rattrape de justesse à l'encadrement de la porte grande ouverte du salon.
Mon pied est couvert de jus d'hibuis rouge, le préféré de maman. La flaque s'étend sur tout le milieu de la pièce. Mais je me rends vite compte que quelque chose ne va pas. Le jus est trop épais et dégage un parfum étrange de rouille. Peut-être qu'il est périmé ? Je m'approche doucement, la peur au ventre. J'aperçois, Kei, la bouche ouverte et les yeux exorbités qui fixent d'une manière bizarre le sol. Ses mains sont pleines de jus, elles aussi. Il ne m'entend pas arriver. Je suis sur le point de lui demander ce qui ne va pas quand je vois les longs cheveux noirs de maman tremper dans le liquide rouge presque noir qui s'infiltre entre les lattes du parquet. Elle aussi a un regard étrange. Ses yeux sont grands ouverts et ne semblent pas me voir. Il y a un trou dans sa poitrine là où se trouve le cœur. C'est vide. Je comprends avec la violence d'un coup de poing, comme ceux que Kei me donne parfois quand on joue à la bagarre, que ce n'est pas du jus d'hibuis rouge qui s'écoule de sa poitrine.
J'ouvre les yeux sur la lumière blanche de ma lampe de nuit et de jour aussi d'ailleurs. Les dernières bribes de mon rêve se dissipent, très vite, je ne m'en souviens que très peu. Mes souvenirs d'enfances sont flous mais me reviennent presque chaque nuit, aussi claire et précis qu'un film. Comme chaque matin, je fixe la lumière qui m'éblouie avec l'inexplicable sensation d'avoir perdu ou oublié quelque chose d'important. Mais dès que j'essaie de me rappeler mais avant que je ne puisse saisir quoique soit, la sensation s'évanouie. Je me lève et décide de commencer la journée avec une séance de sport intense. D'habitude, j'attends un peu, histoire de sortir de cet état de léthargie dans lequel te plonge le sommeil mais je suis de si mauvaise humeur aujourd'hui, qu'il me faut dépenser. Je tire le deuxième tiroir de ma commode, prend une serviette propre et noire comme pratiquement tout ce qui se trouve ici avant de sortir de ma chambre.
Je longe le vestibule encore plongé dans le noir et comprends qu'il est tôt. Ça m'arrive souvent, ces temps-ci. Je regarde la boussole Mykhola qui pend à mon cou en me rappelant qu'elle ne donne pas l'heure. Je ne sais plus comment je l'ai obtenue et étonnement, je n'ai pas envie de m'en séparer. Je baille à m'en décrocher la mâchoire et regarde d'un œil maussade les murs noirs, sans fenêtres de la pièce. Le repaire ressemble à une prison. Il y a à peu près un mois, ne supportant plus d'être enfermé, je suis sorti dehors prendre l'air et bien-sûr, je me suis bien gardé de le dire à mon père. La lune brillait comme une sphère d'argent dans le ciel noir, le vent soufflait avec la douce fraîcheur du printemps. Mes pieds m'ont mené vers une forêt immense, aux arbres si denses qu'ils lui donnaient l'impression d'être plongée perpétuellement dans le noir. En m'engouffrant dans ses entrailles, j'ai eu une impression de déjà-vu. J'ai immédiatement su que j'étais déjà venu dans cet endroit. Je suis arrivé à un point où les arbres semblaient avoir été brûlés, carbonisés. C'est là que la boussole s'est furieusement agitée sur ma poitrine.
— Hé, Ike ! On se fait une partie tout à l'heure ?
Je descends la pente pratiquement verticale à grandes jambées et fais un bond de plusieurs mètres. Shemar recule prudemment. Il est mon seul ami dans cet endroit. Je suis plutôt solitaire et souvent de mauvaise humeur, alors les autres m'évitent. Enfin, pour être honnête, ils ont commencé à m'éviter quand j'ai tué un bon à rien qui venait d'enlever plusieurs fillettes. En voyant les images immondes lui traverser son esprit, j'ai vu le sort qu'il leur réservait. Je suis devenu fou. Depuis, j'ai la paix.
— Je ne suis pas trop d'humeur aujourd'hui, dis-je avant de grimper à nouveau la pente glissante.
— Tu n'es jamais d'humeur.
Oui, mais aujourd'hui c'est pire. Je n'arrête de voir des choses dans mes rêves, des choses que je ne me rappelle pas d'avoir vécu. C'est agaçant. Je redescends une nouvelle fois la pente dans un bond.
— Dommage, cette fois-ci, j'allais te proposer de la faire dehors la partie, dit Shemar en croisant ses bras, dont la peau brûlée, brille.
Shemar est un rescapé d'un scientifique fou qui faisait des expériences sur des gamins qu'il enlevait. Sa peau brune était marquée à plusieurs endroits, notamment sur les bras et le dos. Une partie de son crâne aussi avait été brûlé, mais refusant de renoncer à ses locks, il a laissé l'autre partie de sa tête couverte de cheveux. Il sourit quand je lève des yeux interrogateurs vers lui.
— Mon père a changé d'avis ? m'étonné-je.
— Dono Darken sait que tu as toujours été un oiseau qui a besoin de sa liberté alors il a fini par admettre que rester enfermé ici te tuerait à petit feu.
Je réprime une grimace. Je déteste quand ils l'appellent Dono Darken. Mon père n'a rien d'un grand seigneur. Mais ces imbéciles le vénèrent comme s'il était un dieu.
— C'est une bonne nouvelle.
J'attrape la serviette par terre et essuie mon front en sueur. Shemar regarde la pente noire et lisse.
— Tu sais, tu peux atteindre son sommet en volant. Ce sera moins difficile.
— Et sans intérêt. Voler, c'est facile. Grimper cette pente à la seule force des jambes, ça, c'est travailler.
Shemar hausse les épaules.
— Les humains ont peut-être besoin de se forger un corps et développer une force mais nous, en tant que descendants de dieux, nous n'en avons pas besoin.
Connerie.
— C'est pour ça que je te bats toujours à une partie de boxe.
J'esquisse un sourire, fier comme un coq et Shemar pince des lèvres. Il est aussi mauvais perdant que moi.
— Tu es de sang noble et le fils de Darken, l'élu, dit-il, c'est normal que tu me battes.
Abrinus : arbuste au tronc rouge sombre et aux épines noires, redoutables pour les hommes-poissons et très douloureuses pour les autres races d'Atlazas.
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