CHAPITRE 7-1
4ème partie publiée
Après la confrontation avec Vic, Orphyll m'avait installé dans son bureau et servi un grand verre de ce liquide qui ressemblait à du lait. Un peu nauséeuse, je l'avais vidé d'un trait, sans m'arrêter pour reprendre mon souffle. Il avait attendu patiemment que je me remette de mes émotions, m'observant silencieusement, les doigts entrelacés. Une fois mes tremblements arrêtés, il s'était lancé dans des explications juridique, sur ce qui allait suivre les événements de ce soir-là. « L'empereur Galford dirigera la Cours de la Justice, épaulé par les chefs de chaque famille. Toi, tu te dois d'être présente puisque tu es la victime ». Un peu perplexe, je m'étais étonnée que l'affaire ne se règle pas de la manière que pour Rubi qui un an auparavant, m'avait projeté contre une fenêtre. « Elle n'avait pas eu l'intention de te tuer » m'expliqua-t-il simplement.
- Donc, je me contente d'être là, personne ne me demandera quoique soit, c'est ça ?
Orphyll souffla sur sa tasse et grimaça.
- Pas exactement.
- Tu vas quand même devoir témoigner, en quelques sortes, m'informa Ike qui posa sur le comptoir une bouteille de jus d'oranges et un grand verre. Il avait enfin fait un choix.
Je réprimai un soupir et tournai la tête vers la fenêtre où la pluie tombait toujours drue. De gros nuages gris se déplaçaient dans le ciel.
- C'est fou ça, le ciel représente parfaitement mon humeur en ce moment, marmonnai-je.
Ike rit.
- Ne t'inquiète pas, myôe haïwama, ça va très bien se passer, dit-il avec un sourire en replaçant une de mes boucles derrière mon oreille. Etant donnée ton rang social, il est normal que le juge de cette affaire soit Galford.
- L'empereur Galford ! grinça Orphyll derrière nous. Et bas les pattes, mon garçon ! s'exclama-t-il en tapant la main d'Ike avec son journal.
- Où est Phyllis ?
Orphyll rouvrit son journal et me répondit :
- Chez elle.
Je haussai les sourcils, stupéfaite. Jamais il ne m'était venu à l'idée que Phyllis puisse avoir un toit à elle, puisqu'elle passait le plus clair de son temps au manoir, à le récurer et le choyer comme si c'était sa propre demeure.
- Mais, je croyais qu'elle avait une chambre ici.
- C'est le cas.
- Elle ne vit pas ici ?
- Si.
Je n'y comprenais plus rien et Orphyll était peu généreux en informations. Les yeux plissés derrière ses lunettes qu'il avait fait glisser sur le bout de son nez cassé, il lisait encore son journal en prenant de temps en temps une gorgée de son café fumant.
- Elle est donc en congé ? insistai-je.
Avec un soupir agacé, Orphyll daigna enfin me regarder par-dessus son papier.
- Phyllis est effectivement en vacances chez sa famille pour quelques jours, dans le nord d'Atlazas.
- C'est tout ce que je voulais savoir, merci Orphyll.
Il me lança un regard noir puis reprit sa lecture. Un petit bip tinta suivit de plusieurs autres. Je pris mon téléphone, sur l'écran, plusieurs messages de Chell s'affichaient.
Vic Prynix a essayé de te tuer et tu ne me passes pas un coup de fil ??!
Comment vas-tu ?
Je vais le massacrer, je jure que je vais le massacrer !
Pourquoi Mikk est dans l'affaire ? Tu l'as revu ?
Mais réponds enfin !
Et ça ne s'arrêtait pas là. Chell enchaînait et déversa sa colère, en insultant Vic Prynix et en promettant lui faire subir le pire des châtiments. J'esquissai un sourire en lisant son dernier message où elle s'imaginait maintenir sa tête dans un bassin rempli de poissons les plus venimeux peuplant les mers d'Atlazas, dont l'Elec.
Je vais bien. On se voit à la Cours de Justice.
Un bruyant soupir me fit lever les yeux. Orphyll, ses gros sourcils froncés, regardait d'un air réprobateur mon téléphone plus plat qu'une règle dans mes mains.
- Es-tu sûre d'en avoir besoin ?
- Ne me lancez pas sur le sujet, Orphyll, répliquai-je en verrouillant mon écran.
Il lâcha un nouveau soupir, plus bruyant et exagéré quand un nouveau bip retentit. Je le fusillai des yeux.
- C'est Alyssa, elle me demande si je vais bien, dis-je un peu étonnée et surtout, contente. Elle qui n'avait cessé de m'envoyer des messages quand j'avais enfin appris l'existence des téléphones et donc de la supercherie d'Orphyll, ne m'envoyait presque plus. Je me mordis la lèvre inférieure en regardant Ike, d'un air hésitant.
- Rien d'anormale. Juste de la colère envers son père, répondit-il à ma question muette, en s'asseyant sur le tabouret à côté du mien. Son épaule frôla la mienne.
- Je la trouve si...préoccupée ces derniers temps, murmurai-je en ignorant la chaleur qui montait en moi.
Ike esquissa un sourire en coin, le regard brillant d'une lueur espiègle.
- C'est vrai mais c'est sûrement une mauvaise passe. Cela dit, il est vrai que je ne passe pas mon temps à lire les pensées des gens, contrairement à ce que tu crois.
Je m'humectai les lèvres en posant les yeux sur sa bouche.
- Tu veux me faire croire que tu ne te balades pas dans ma tête, en ce moment ? lui demandai-je lentement.
Son sourire s'élargit.
- Certess Ancestum ! Ecartez-vous, tous les deux ! s'exclama Orphyll en nous balançant son journal qui atterrit sur mon visage, évidemment, puisqu'Ike l'avait évité.
Je le frappai du poing sur son épaule.
- Tu aurais pu l'attraper !
Orphyll marmonna, rouspétant contre nous en récupérant son journal qu'il plia et coinça avec le bras en sortant de la cuisine.
- Rendez-vous dans une demi-heure dans le sous-sol ! me cria-t-il depuis le couloir où ses pas s'éloignaient.
- Quoi ? Mais, nous devons nous rendre au palais de Galford dans quelques heures, m'indignai-je d'une voix forte pour qu'il puisse m'entendre depuis le salon.
Aucune réponse, juste le claquement sec d'une porte qui se ferme à l'étage.
- Il m'agace, mon dieu, qu'il m'agace !
Une demi-heure tapante plus tard, je descendais lentement les petites marches de l'escalier en colimaçon étroit menant au sous-sol, ou au Cachot de la Torture comme j'aimais l'appeler. Alors que j'atteignais un coin tournant de l'escalier, je me demandai avec curiosité comment Thorn et son énorme carrure carrée pouvait passer par ici. J'entendis Ike pouffer de rire dans mon dos.
En poussant la porte en bois grinçante du Cachot de la Torture, je trouvai Orphyll, debout au milieu de la pièce, qui m'attendait déjà de pied ferme.
- Vous voilà enfin, dit-il les mains derrière le dos.
- Je ne peux pas rester, je dois voir Thorn dans moins d'une heure, l'avertit Ike en refermant derrière lui.
- Ce sera largement suffisant.
Orphyll fouilla un moment dans sa poche et en extirpa un petit objet noir, luisant. Le regard d'Ike s'assombrit soudain.
- L'Insonar.
Le petit objet triangulaire qui avait installé un froid brusque, dans le hall et convaincu ainsi toute l'assemblée des véritables intentions de Vic Prynix.
- Je croyais que Berry l'avait déposé aux bureaux de l'EPA.
- Pas encore, non.
- Pourquoi as-tu ça, Orphyll ? demanda Ike, en fronçant les sourcils.
Orphyll baissa les yeux sur le gadget posé dans le creux de sa paume et le souleva près de la lumière.
- C'est à cause de cet Insonar que tu n'as pas pu détecter les véritables pensées de Vic Prynix, n'est-ce pas, mon garçon ?
Ike hocha la tête.
- Oui, mais vous le savez déjà.
- Exact, mais connais-tu ses autres particularités ? lui demanda Orphyll, l'œil étincelant.
- Non, pas vraiment.
Orphyll me tendit l'objet. Je le pris d'un geste hésitant, il était chaud et frétillait dans ma paume.
- A l'époque, les Mykhola ont en créaient beaucoup pour leurs hommes. Pour les protéger de toute manipulation d'Arzastis, qui par sa puissance, parvenait à obliger ses hommes à faire des choses effroyables dont ils ne se souvenaient pas en recouvrant leur esprit. Alors un jour, une jeune Mykhola, Rocca, en eût assez et se rendit sur la montagne Oculus, dans le nord.
- J'ai déjà entendu cette histoire Orphyll, ça n'explique pas ce que tu fais en possession de cet insonar, dit Ike en croisant les bras sur sa poitrine.
- J'y viens, mon garçon. Sais-tu comment on se procure un tel objet ?
Je fis non de la tête. Orphyll eut un rire sans joie.
- Très peu de personnes le savent. Tu le sais toi, évidemment, mon garçon ?
Ike acquiesça silencieusement.
- Mais l'empereur par exemple, j'en mettrai ma main à couper, l'ignore. En réalité, les chefs de famille à l'époque ont fait en sorte que personne ne sache comment s'en procurer.
- Comment, toi, tu le sais, Orph ? demanda Ike, d'un air soupçonneux.
Orphyll esquissa un sourire derrière sa longue barbe nattée.
- Moi, je suis curieux, répondit-il en haussant les sourcils. Pour avoir un insonar, il faut consulter les oracles de la montagne Oculus : les Yenacles. Mais ce n'est pas gratuit. Ils demandent toujours trois choses : un service bien souvent horrible, un objet précieux et enfin un morceau de cœur de sang noble et non corrompu. Pure, si tu préfères.
Un frisson d'effroi me parcourut lentement le long de l'échine. Orphyll poursuivit son récit macabre :
Le morceau de cœur divisé en deux sert d'une à créer cet objet et de l'autre, s'interrompit-il en en fronçant les sourcils. Je lâchai aussitôt l'insonar, écœurée. Nul ne sait ce qu'en fait les Yenacles, acheva-t-il finalement en se grattant le menton.
- Mais quelle horreur, pourquoi m'avez-vous laissé tenir cette chose ? m'écriai-je indignée en m'essuyant la paume de la main sur le mur rocheux de la pièce.
Au lieu de tomber lourdement sur le sol, l'insonar tomba avec légèreté et se posa doucement à nos pieds. Ce qui me rappela de manière frappante la petite pierre blanche que m'avait donné Kei avant de s'éclipser, dans ma chambre, le soir de mon anniversaire. Je me figeai subitement en levant un regard prudent vers Ike, espérant qu'il ne se promenait dans les couloirs sombres de mes pensées. Mais son attention était totalement captivée par l'insonar qui vibrait par terre. Il fixait l'objet d'un œil noir, la respiration un peu saccadée. Soudain, l'image d'une pierre griffonnée sur une feuille humide et froissée me revint en tête comme un brusque flash. Grozrik et son dessin concernait Ike. Les battements de mon cœur s'accélérèrent dans ma poitrine.
- Qu'est-ce que c'est que c'est objet, Orphyll ? demandai-je, la bouche sèche.
- C'est un insonar, me répondit-il les yeux rivés sur l'objet qui frétillait toujours.
Prenant une profonde inspiration pour ne pas exploser, je reposai ma question :
- Je voulais dire : à quoi sert-il exactement ?
- Oh, à bien des choses. A effacer totalement sa présence, éteindre son aura si l'on peut dire ; à bloquer l'accès aux pensées, et faire pire que tuer, dit Orphyll en levant les yeux vers moi, d'un air sombre. Avec un insonar, tu peux prendre l'énergie de quelqu'un et te l'approprier. Lui voler son âme et donc laisser son corps, en vie mais vide. Des corps dont tu pouvais par la suite, prendre le contrôle.
Un violent frissonm'hérissa les poils de la nuque. La mâchoire serrée, le regard d'Ike flamba.
- Vois-tu maintenant, où je veux en venir, Ike ?
Ike ferma les yeux en respirant bruyamment.
- Kaya avait raison. Tu avais raison et j'ai refusé de t'écouter, me dit-il en se tournant vers moi, le regard brillant de culpabilité.
Je l'observai d'un air perplexe. De quoi parlaient-ils ?
- Ce soir-là, tu as bien été agressé et par un corps démuni de son âme, de son Khor, dit Orphyll. Pardonne-nous, Kaya, de ne pas t'avoir cru.
Les images de la vieille Sol me revinrent en tête comme un sceau d'eau glacée.
- Ça expliquerait que le collier-montre n'aie pas fonctionné correctement quand tu étais prisonnière au repaire, Dit Orphyll d'un air las.
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