CHAPITRE 6-5

3ème partie aujourd'hui

          

Assis sur un bras du fauteuil placé le plus proche du feu, Ike échangeait des mots avec Orphyll, le regard fuyant, les muscles de la mâchoire contractés. Ses longs cheveux noirs soyeux lui retombaient sur les épaules et donnaient plus d'intensité dans son regard. Les rayons faibles du soleil matinale du mois hivernale Diamant, traversaient les grandes fenêtres du salon, dessinant l'ombre des bordures sur le tapis blanc immaculé près de la cheminée. Il semblait mécontent et fixait un coin du salon. Mon sourire se figea brutalement quand je remarquai la silhouette de Mikk Prynix, les bras croisés sur sa poitrine, le dos voûté et ses cheveux noir corbeau. J'en lâchai ma bouteille d'eau qui roula sur par terre jusqu'aux chaussures noires d'un autre homme aux traits plus sombres. Un Prynix sans aucun doute. Il posa un pied sur la bouteille en plastique pour l'arrêter. 

Remarquant ma présence, Ike se leva et se rapprocha de moi en un éclair pour me soutenir.

-          Je vous avais dit que ça lui ferait un choc, gronda-t-il en foudroyant des yeux le Prynix.

-          Mon fils a demandé à la voir, il dit que c'est la seule solution qu'il a pour retrouver le sommeil, répliqua d'une voix de ténor, l'homme. C'est de sa faute si ce monstre l'a séquestré des mois durant.

Mikk m'observa du coin de l'œil avant de détourner brusquement les yeux. Le voir dans mon salon était vraiment déstabilisant. Ce n'était pas du tout la même personne. Le jeune homme debout devant mes yeux, n'avait rien de l'assurance sombre qu'avait le Mikk que j'avais cru connaître. Ou peut-être était-ce sa séquestration qui l'avait rendu ainsi ?

-          Qu'en a pensé l'empereur ? demanda Orphyll en fronçant les sourcils, les mains derrière le dos, il s'avança lentement vers le père de Mikk.

L'homme bomba le torse, l'air indigné.

-          Je n'ai pas besoin de son autorisation pour venir voir Kaya, il ne manquerait plus que ça. Apprenez à rester à votre place, Alexius.

-          Vous n'êtes pas sans savoir qu'une menace plane au-dessus de sa tête, Vic et amenez sans une autorisation certifiée par l'empereur, votre fils qui a été retenu prisonnier par Darken est irresponsable. Nous ne savons pas ce qui a pu se passer là-bas, vous savez mieux que moi-même ce dont est capable ce clan, dit Orphyll sans hausser le ton. Il s'arrêta à un guéridon rond où était posé une théière, se servit une tasse de thé et reposa son regard perçant sur Vic. J'ai toujours trouvé étonnant que vous, son propre père, n'ayez pas remarqué que ce n'était plus votre fils qui vivait sous votre toit.

Vic resta de marbre.

-          Vous l'avez dit vous-même, les dons des Mykhola sont surprenants, répliqua-t-il en se tournant vers Ike. Un rictus déforma ses lèvres minces quand il posa les yeux sur ma main dans celle d'Ike. Etonnante relation qui n'est pas sans rappeler...

-          Ike a bien prouvé maintes fois qu'il est un homme bon, le coupa sèchement Orphyll en remuant avec lenteur son thé de sa cuillère.

-          Tout comme Kei l'a fait avant lui.

Je sentis Ike se crisper à côté de moi.

-          Je vais lui parler, dis-je en interrompant Orphyll qui lui lançait une nouvelle réplique. Mon tuteur me lança un regard inquiet. C'est bon Orphyll, je vais lui parler.

-          Tu en es sûre, Kaya ? me demanda Ike en plongeant son regard sombre dans le mien comme pour me sonder. Il est peut-être dangereux.

Un frisson d'effroi me parcourut l'échine. Le véritable Mikk Prynix leva à nouveau les yeux vers moi, une lueur brillant d'un mélange de crainte mais aussi d'une étonnante détermination. Celle de me tuer ? Ike fronça les sourcils, l'air méfiant.

-          Je n'ai aucune intention de lui faire du mal, s'exprima enfin Mikk d'une voix rauque.

Avec dernier regard inquiet dans ma direction, Ike sortit du salon. Orphyll me recommanda de faire attention avant de quitter à son tour la pièce, Vic derrière lui.

Le silence s'installa dans la salle. Toujours debout dans l'encadrement de l'arc encastré dans le mur, je fis un pas en avant et pénétrai dans la chaleur du salon.

-          Tu veux t'asseoir ? proposai-je en désignant le sofa blanc.

Il ne me répondit pas, se contentant de me fixer longuement. Bon, au moins ça, ça ne changeait pas. Kei avait parfaitement su jouer le rôle du véritable Mikk Prynix, un homme introverti et au regard fixe, dérangeant. C'était si déroutant. Pendant des mois, j'avais cru m'être fait un ami. Un ami étonnant, et unique en son genre mais un ami. L'homme qui se tenait devant moi avait beau avoir les mêmes traits, la même façon de se tenir, ce n'était pas le même. Ce n'était pas Kei. Comment ses amis, sa famille, ses proches avaient pu ne pas remarquer la différence entre les deux hommes ?

-          Mon frère, Malo, dit que tu avais l'air de beaucoup m'apprécier, je suppose que ce doit être étrange de se tenir face à moi, dit soudain Mikk en devinant le cours de mes pensées.

-          Oui, c'est...déroutant, admis-je avec un demi-sourire.

-          Je peux être ton ami, si tu le souhaites. Mais en général, les gens ne m'aiment pas beaucoup. Un peu comme ton petit-ami, Mykhola.

Je me crispai mais essayai de garder un visage impassible.

-          C'est un ami.

Une lueur étincela le regard noir de Mikk.

-          Ce n'est pas que ce prétendait Kei, dit-il. Ses longs doigts fins se mirent à tapoter nerveusement le bord du canapé.

Un sourire apparut sur son visage.

-          Les mois que j'ai passé dans ce trou m'ont permis de recueillir quelques précieuses informations, poursuivit-il en s'avançant lentement dans ma direction. Les hommes de Darken ne sont pas très discrets, surtout ce crokatla dont le nom m'échappe, il piaillait souvent à qui voulait l'entendre qu'il savait quelque chose sur la princesse que tout le monde ignorait.

Satané Grozrik de malheur ! Tu parles d'un espion !

-          Vois-tu, je n'avais rien à faire. Toutes les journées étaient les mêmes, je ne voyais le soleil que par le petit trou en haut du mur, inaccessible puisque Kei avait pris soin de m'enchaîner. Mais, au moins j'avais un lit, pas très confortable mais j'en avais un, dit Mikk en haussant les sourcils.

Un sentiment étrange me gagnait au fur et à mesure que Mikk parlait. Je ne pus m'empêcher de remarquer qu'il semblait avoir repris de l'assurance depuis le départ d'Orphyll et Ike. Droit comme un piquet et le regard rivé sur moi, il me racontait presque dans un murmure, sa séquestration.

-          J'ignore pourquoi cet imbécile m'a gardé en vie mais je l'en remercie.

Je fronçai les sourcils.

-          Qu'est-ce que tu veux dire ?

Mikk me regarda comme si j'étais demeurée.

-          Oh, c'est vrai que tu ne sais pas grand-chose de notre monde. Kei n'avait nul besoin de me maintenir en vie pour prendre mon apparence. Il aurait pu tout simplement me tuer..., dit-il en écarquillant les yeux. Les sept derniers mois que j'ai passé à la clinique ont été un véritable calvaire, Kaya. Quand ton ami m'a retrouvé dans cette pièce noire et sale, il m'a tout de suite confié aux soigneurs de la clinique Kranke. Mon cerveau était atteint selon les soigneurs, ils m'ont donc interné en psychiatrie.

Les dents serrées, je résistai à l'envie de prendre la fuite. Le comportement de Mikk n'était certes pas dangereux, mais assez alarmant. Ses doigts n'arrêtaient pas de gigoter. Fermant les yeux un instant, il fit craquer son cou avant de les rouvrir et les poser sur moi. 

-          Je...je ne comprends pas pourquoi est-ce que tu me racontes tout ça Mikk, dis-je en faisant un pas en arrière sans m'en rendre compte.

Le visage de Mikk se tordit en une grimace affreuse.

-          J'ai essayé de leur dire...aux soigneurs. Tu sais...pour ton petit secret, dit Mikk, ses doigts tapaient de plus en plus vite. Mais ils ont refusé de m'écouter, me jugeant trop atteint. J'ai été interrogé par l'OPA, mais eux aussi ont refusé de me croire. Il s'interrompit brusquement puis haussant si haut les sourcils, qu'ils disparurent sous les mèches de ses cheveux qui lui retombaient sur le front et leva un doigt : « Les hommes de Darken ne sont pas discrets, Kaya ».

Il savait. Pour la Clef, il savait.

-          Mikk... commençai-je en reculant lentement.

-          J'ai essayé de les prévenir mais personne ne veut me croire. Tout le monde pense que Darken a joué avec mon cerveau. Il pointa son index sur sa tempe. Et tu veux que je te dise ? Je pense qu'effectivement il m'a fait quelque chose. Il m'a bousillé le cerveau ton beau-papa. Tous les matins, une voix me chuchote quelque chose, une chose que je n'avais pas encore pu comprendre, me siffla-t-il en s'avançant à pas lent vers moi. Puis hier soir, elle m'est apparue claire. Te tuer, Kaya. Te tuer réglera tous les problèmes. Car si tu meures, il n'y a plus de Clef donc plus de convoitise et en prime, je me venge de ce que cet enfoiré m'a fait.

Je réprimai un sursaut et tournant brusquement les talons, je fonçai vers le hall d'entrée en appelant Ike dans un hurlement qui retentit en écho entre les murs du manoir. Mikk passa son bras sur ma taille et me souleva par derrière en plaquant sa main sur ma bouche.

-          Cette envie, je l'ai vite compris, que tant que je ne l'aurai pas assouvi, elle me rongera. Je pourrai enfin dormir en paix, me souffla-t-il à l'oreille en resserrant son emprise sur ma taille jusqu'à m'étouffer. 

Le souffle coupé, je suffoquai de douleur en sentant mes côtes subirent la forte pression qu'exerçait Mikk sur moi. Je m'apprêtai à riposter quand Orphyll, précédé d'Ike arrivèrent. Berry et plusieurs de ses hommes défoncèrent la porte d'entrée dans un grand boucan. Les traits déformés par la colère, Ike poussa un grondement de rage mais il fut interrompu par Orphyll, qui le devança et sans bouger, leva une main vers Mikk qui fut suspendu dans les airs et immobilisé.

-          Pourquoi m'empêches-tu de lui écraser la tête ? gronda Ike avec fureur.

-          Ne bougez pas, monsieur Mykhola, l'intima un des gardes au crâne dégarni sur le sommet. On va s'en occ...

Un sifflement assourdissant retentit, une brise souffla et une seconde plus tard, la tête de Mikk roulait sur le carrelage en marbre, les yeux encore ouverts, dans une expression choquée. Pétrifiée sur place, je ne pouvais détacher mon regard de la tête de Mikk, le sang imbibait ses cheveux sombres et tâchait le sol.

-          Giono, non ! s'écria Orphyll en faisant un pas en vers lui.

Un genou à terre, Giono avait attrapé le buste de Mikk qui gigotait encore tout seul, agité de convulsions, une main menaçante vers son cœur. Il leva les yeux vers Orphyll, l'air furieux puis relâcha le corps de Mikk qui retomba lourdement. Puis aussi rapidement qu'il était arrivé, il s'éclipsa sans dire un mot.

-          Qu'est-ce qui s'est...commença Vic qui venait de descendre l'escalier. Il s'interrompit en voyant l'état de son fils. VOUS AVEZ TUE MON FILS ? tonna-t-il en me dévisageant avec rage.

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