CHAPITRE 6-2
5ème partie aujourd'hui
Le lendemain, je me réveillai en ayant l'impression de ne pas avoir dormi. Ce qui était plus ou moins vrai. Après le départ de Kei, je n'avais réussi à fermer l'œil que trois heures plus tard, quand les oiseaux se décidèrent à sortir de leurs nids et chanter à tue-tête dans le ciel encore sombre. Pourquoi Kei était venu tout gâché ?
Cette soirée s'était parfaitement déroulée, je m'étais couchée le cœur heureux mais il avait fallu qu'il me réveille pour me pourrir mon anniversaire. Le visage bouffi, je jetai un œil maussade à l'heure sur l'écran de mon téléphone et poussai un grognement en laissant tomber ma tête lourdement sur mon oreiller. Un bras sur mon front, je fixai le haut de mon lit, d'un air songeur. Cela faisait des semaines que mes nuits n'avaient pas été perturbé par des cauchemars terrifiants. Les réveils en sueur au milieu de la nuit, ça ne m'était pas arrivé depuis bien longtemps. Celui-ci m'avait paru bien réel. Un frisson d'effroi me parcourut l'échine.
Ne préférant pas y penser plus longtemps, je tirai rageusement mes draps et allai dans la salle de bain. Au moment où je retirais mon débardeur, le petit sac noir tomba sur mes pieds. Je fronçai les sourcils. J'avais oublié le cadeau de Kei. Je le fixai longuement en pinçant des lèvres, hésitant à le ramasser. Peut-être était-ce piégé ? Je songeai à appeler Orphyll, faisant un pas vers la porte puis je m'immobilisai en reposant les yeux sur le petit sac noir. Orphyll avait bien ses secrets, lui, alors pourquoi pas moi ? Je le ramassai et le tâtai pour essayer de deviner ce qu'il contenait avant de l'ouvrir. Après tout, c'était un des sbires de Darken. Cependant, s'il avait voulu me tuer, ne l'aurait-il pas fait hier soir ?
Finalement, la curiosité étant trop forte, je défis la petite cordelette qui maintenait fermé le sac et fis coulisser sur ma paume ce qu'il gardait. C'était une petite pierre précieuse de la forme d'un losange blanc transparent. Je fronçai les sourcils, stupéfaite. La pierre était chaude sur ma paume, vraiment chaude. J'observai un long moment la petite pierre en la levant vers les rayons du soleil. Il n'y avait rien à l'intérieur. C'était tout simplement une pierre. Mais bizarrement, j'avais l'étrange sensation de l'avoir déjà vu quelque part. Je me creusai les méninges mais je n'arrivais pas à me souvenir où j'avais bien pu la voir. Des coups secs contre la porte de la salle de bain me firent sursauter. Je lâchai la pierre des mains qui retomba sur le sol mais pas comme toute pierre tombe, non, la pierre blanche tomba avec la légèreté d'une plume avant de se poser doucement sur le parquet.
– Kaya, tu es en retard pour notre cours particulier ! Beugla Orphyll derrière la porte.
Je ne répondis pas, le regard rivé sur la pierre. Je me demandais ce qu'elle était réellement. Je la ramassai une nouvelle fois. Pourtant elle était bien lourde comme une pierre et au touché, dur comme un caillou. Rien à voir avec une plume. Orphyll tambourina une nouvelle fois contre la porte.
– Kaya !
– LAISSEZ-MOI SOUFFLER UN PEU ORPHYLL ! Hurlai-je.
Je n'étais pas du tout d'humeur à aller m'asseoir sur le sol dur et froid du cachot pour refaire continuellement la même chose qu'on faisait inlassablement depuis plusieurs mois. Mais je m'habillai quand même, rangeai soigneusement la pierre blanche dans le petit sac noir et le dissimulai dans mon tiroir. Une idée me disait qu'il valait mieux que je n'en parle à personne. Après avoir engloutis deux croissants et un chocolat chaud, je descendis rejoindre Orphyll au cachot.
À peine eussé-je poser un pied sur les marches en pierre, que l'odeur de moisissure me piqua les narines. Je traversai le long couloir rocheux et sombre avant d'arriver à la lourde porte en bois de notre salle. Deux torches éclairaient la porte et deux autres, l'intérieur de la pièce. Il y faisait comme toujours, un froid de canard. Ne pouvait-il pas investir dans un chauffage ?
Orphyll m'attendait, les mains derrière le dos comme d'habitude, et me lança un regard sévère derrière les verres de ses lunettes en tapant du pied. Je fis comme si je n'avais pas remarqué son mécontentement et m'installai sur le coussin en position de méditation. Je fermai les yeux.
– Ne t'excuse pas surtout, siffla Orphyll. Tu as deux heures de retard.
– Orphyll, je ne vais pas me réveiller à cinq heures du matin tous les jours pendant les vacances, juste pour vos beaux yeux, répliquai-je les yeux toujours fermés.
– Tu comprends que c'est important ce qu'on fait ?
– Oui, répondis-je en soufflant.
Même les yeux fermés, je pouvais le voir secouer la tête d'un air las mais il ne dit rien, et patienta tandis que je m'efforçais de vider mon esprit. Je visualisai petit à petit une traînée de poussière sur un écran noir, supposée être une représentation de mon énergie : le Khor. Une bouffée d'air frais m'emplit les poumons, un flot bouillonnant circula dans mes veines, décuplant mes sens. J'entendis distinctement le cœur d'Orphyll battre à une vitesse surprenante mais propre aux atlazasiens dans sa poitrine, ses narines inspirer l'air puis l'expirer. Les flammes des torches accrochées au mur, semblèrent crépiter juste à côté de mes oreilles, leurs chaleurs me caressèrent les joues. Au rez-de-chaussée, les pas vifs de Phyllis résonnaient depuis le salon où elle s'activait probablement, en dépoussiérant les meubles puis un frottement frénétique me chatouilla les tympans. Quelqu'un, dans la cuisine, marchait lentement. Quelqu'un de lourd et qui faisait des bruits métalliques en se déplaçant, probablement un des soldats de la garde impérial, chargé de ma protection. Mon Khor était différent des fois précédentes. Plus fort, plus affirmé et plus vivant. Je redoublai d'effort pour ne pas la laisser prendre le dessus, fronçant les sourcils. Quelque chose n'allait pas.
– Que se passe-t-il ? S'enquit Orphyll.
– Je...j'ai l'impression que...
Je fus brusquement plongée dans le noir complet. Mon corps se tordit dans un craquement douloureux, je basculai la tête en arrière, les yeux toujours fermés.
Des cris déchirants résonnaient dans toute la salle, ricochant les murs en écho. Une chaleur étouffante, et de la fumée me firent suffoquer, m'asphyxiant. Les cris ne s'arrêtaient pas, toujours aussi strident, déchirant. Les gens criaient à l'aide. Quelqu'un leur faisait du mal. Je ressentais leurs douleurs, leurs peines. Soudain, un rire glacial s'éleva dans mon dos. Les poils de ma nuque s'hérissèrent et je me mis à trembler, pas de peur mais de froid. Pendant un bref instant, à peine une seconde, cinq silhouettes blanches m'apparurent, les mains derrière le dos, elles semblaient m'observer. Puis brusquement, le son d'un tambour annonçant la mort résonna avec force à mes oreilles et le rire de l'homme s'intensifia.
Allongée sur le sol froid et poussiéreux du cachot, la tête d'Orphyll entra dans mon champ de vision. Il était agenouillé à côté de moi et me dévisageait d'un air inquiet.
- Etait-ce encore un de ces rêves ?
Un rêve ? Un cauchemar, oui.
- Raconte-moi.
Encore bouleversée par ce brusque voyage dans je ne savais quel monde, je m'assis en m'adossant au mur froid dur, peu confortable pour mon dos. Je ne me rendis compte qu'en posant les yeux sur mes pieds, que je tremblais comme une feuille. J'étais en sueur, et je me sentais faible, très faible. Comme si j'avais couru plusieurs longs mètres sans m'arrêter. Il me fallut quelques minutes pour reprendre mon souffle et m'éclaircir l'esprit. Les images et les sons se bousculaient dans ma tête. Les cris désespérés ne cessaient de tourner en boucle, comme un disque rayé. Je n'entendis même pas Phyllis descendre au cachot avec un grand verre de lait.
- Tiens, bois donc ceci.
Je pris d'une main tremblante, le verre que me tendit Orphyll et en bus une grande gorgée, bien que je n'aimasse pas ça, avant finalement de me rendre compte que ce n'était pas du lait. La boisson froide et épaisse était sucrée. Je vidai entièrement le verre en un trait.
- Je...je n'ai rien vu, j'ai entendu des cris. Et à peu près cinq silhouettes blanches m'apparurent comme un flash, dis-je après un silence.
Orphyll me lança un regard indescriptible, un mélange de surprise et de peur, peut-être.
- Est-ce que ça vous dit quelque chose ? l'interrogeai-je tandis qu'il fixait le sol gris. Vous pensez qu'il s'agit encore d'un de ses rêves immersifs dans le passé ?
Il releva la tête vers moi et je vis le fil de ses pensées mystérieuses s'atténuer.
- C'est très probablement le cas. Peut-être as-tu eu une vision de la Grande Guerre.
- Je ne veux pas voir ça, dis-je en ramenant mes genoux contre ma poitrine.
Orphyll s'assit à côté de moi, dos au mur, les jambes repliées un peu comme dans une position de méditation. Une souplesse surprenante pour un vieil homme. L'air pensif, il regarda fixement la flamme danser sur la torche.
- Kaya, peux-tu me dire exactement ce qui s'est passé hier soir ? me demanda-t-il en passant du coq à l'âne.
- Au palais ?
- Au palais oui, lors de ta fête d'anniversaire.
Je repensai aux disputes, aux tensions qui s'échauffaient, aux cris qui résonnaient dans la vaste salle et lui racontai dans les moindres détails.
- ...Et je ne sais pas, j'ai juste voulu qu'ils arrêtent, achevai-je.
- De quoi ?
- De crier.
- Donc, tu n'as pas brisé les vitres intentionnellement ? élucida-t-il.
- Evidemment que non, je n'aime pas Galford mais je n'ai pas envie de détruire sa demeure pour autant, tentai-je de plaisanter.
Les pupilles émeraudes d'Orphyll me dévisagèrent avec inquiétude, il parut préoccupé et ferma les yeux en se massant l'arête du nez. Il craignait qu'un jour, la Clef prenne le dessus. Qu'un jour, je ne puisse plus contenir ce don et qu'il explose emportant tout sur son passage. Une bombe, voilà ce que j'étais. Orphyll avait peut-être décelé les premiers signes d'une perte de contrôle. Je réprimai cette idée terrifiante. La seule pensée que je puisse faire du mal à des innocents, me donnait la chair de poule.
- Je crains que soyons un jour, dépassés, m'avoua-t-il, puis se relevant d'un bond, il ajouta : « c'est pourquoi, je n'ai pas d'autre choix que de corser nos cours. Passer à la théorie et de simples exercices, à de la pratique dure.
J'eus peur de mal comprendre, mes lèvres s'étirèrent lentement un sourire.
- Comment ça ?
- Je vais t'apprendre à canaliser ton énergie.
Je me remis sur pieds, impatiente de commencer une toute nouvelle sorte de cours. Les choses sérieuses allaient enfin commencer. Je m'en frottai les mains et m'immobilisai net.
- Attendez...mais c'est déjà ce que l'on fait ! protestai-je.
- A te défendre...
- Super !
- Mais aussi à attaquer, soupira Orphyll en époussetant son derrière.
Je relevai vivement la tête vers lui, retrouvant mon sourire. Il leva les yeux au ciel en secouant lentement la tête.
- Ne t'enflamme pas, Kaya, gronda-t-il. Ce ne sera pas aussi amusant que tu sembles le penser.
- Je sais bien, Orphyll. Ma première motivation est la sécurité des gens. Je ne veux tuer personne.
Je jurais l'avoir vu légèrement froncer les sourcils.
- C'est une excellente motivation.
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