CHAPITRE 5-8
Deuxième partie publiée ce soir
- Et puis, vous m'avez dit vous-même, ne pas avoir ce genre de technologie humaine à Atlazas.
- L'empereur est plein de surprise Kaya, peut-être qu'à l'instant même où nous parlons, une équipe d'experts en ingéniosité humaine travaille sur les mouchards, rétorqua-t-il en insistant bien sur la prononciation du dernier mot.
- Oh, Orphyll vous êtes bien trop stressé, asseyez-vous et prenez une tasse de thé au lieu d'embêter ces jeunes gens. Ne vous rappelez-vous pas votre premier amour ? intervint Phyllis sans se retourner, qui après avoir rendu étincelant le sol, s'activait sur le plan de travail, préparant déjà une marinade pour le déjeuner, sa longue tresse grise bougeait au rythme de ses mouvements.
J'échangeai un regard surpris avec Ike. Si je m'étais attendue à celle-là ! Phyllis prenant notre défense. Orphyll grommela quelques mots inaudibles dans sa barbe et obéit en s'asseyant au bar de la cuisine, sans cesser de nous lancer un regard farouche derrière ses sourcils broussailleux et gris.
– Merci.
Je piochai dans le panier à viennoiseries un pain au chocolat et m'assis à côté de mon tuteur en lui donnant un coup d'épaule amical.
- Ouais, ouais, faîtes ce que vous voulez, grommela-t-il en prenant la tasse de café brûlante que posa Phyllis devant lui.
- J'ai faim, marmonna Ike en jetant un œil vitreux au panier de viennoiseries. Ça ne suffira pas à calmer mon estomac.
A ces mots, Phyllis posa sur la table du bar une grosse assiette d'œufs brouillés accompagnés de lards.
- Vous avez bien de la chance mon garçon, qu'il me restait quelques œufs sinon vous auriez attendu jusqu'à l'heure du déjeuner, dit-elle d'un ton sec avant de retourner aux fourneaux.
- Ah, Phyllis, vous êtes la meilleure, dit Ike en s'installant aussitôt.
- Comment avez-vous fait pour aller aussi vite ? m'étonnai-je en regardant l'assiette d'œufs dont un appétissant fumet s'échappait.
Phyllis haussa les épaules en essuyant ses mains sur un nouveau torchon à fleurs bleues.
- En plus de la gazinière, il y a aussi des plaques de cuisson. Bien heureusement, vous avez fait explosé la vieille gazinière et non pas les nouvelles plaques flambants neuves qu'Orphyll vient d'acheter, m'expliqua-t-elle en me montrant du doigt quatre grandes plaques de cuissons grises. Une poêle d'œufs brouillés y était posée.
- Vous saviez que je serai là ? dit Ike surpris.
- En ne vous voyant pas redescendre, j'ai compris que vous passiez la nuit au manoir. Connaissant votre appétit d'ogre mon garçon – elle haussa les sourcils d'un air évocateur – je vous ai préparé ce plat.
Un jeune homme aux cheveux orange fluo entra dans la cuisine, un sourire immense aux lèvres. Mon ventre se contracta quand je vis Wahvy se diriger vers moi avec son paquet.
– Joyeux anniversaire Kaya !
Alors qu'une joyeuse ambiance s'était installée doucement dans la cuisine, un grand silence de plombs tomba. Ike dévisagea Wahvy d'un œil méprisant, une fourchette d'œufs immobilisée en l'air. Orphyll se redressa sur sa chaise et lança :
- Bonjour, Wahvy. Que nous vaut l'honneur de ta venue aujourd'hui ? Tu sais bien que maintenant, tu ne travailles plus le weekend.
L'année précédente, nous avions découvert que Wahvy, notre cuisinier au manoir, m'espionnait pour le compte de l'empereur. Il avait même été jusqu'à glisser son œil dans la serrure de ma chambre en y prenant une aura étrangère et puissante, selon lui.
- Je suis venu apporter un cadeau à la Certessa Kaya, répondit-il son sourire retombant légèrement en remarquant l'accueil peu chaleureuse qu'on lui réserva.
- Avec un mouchard dedans ? lança Ike d'un ton agressif, avant de mâcher à grands coups de mâchoire ses œufs.
- Euh... un mouchoir ? demanda Wahvy perplexe en regardant l'air inquiet, Ike qui ne le quittait pas des yeux.
Je me levai de ma chaise et le rejoignis sur le seuil.
- Ça n'a aucune importance.
- C'est pour toi, me dit-il en me tendant le gros paquet puis avec un sourire désolé, il ajouta : « Je vous demande encore pardon pour ce que j'ai fait ».
Je plaquai un sourire forcé sur mes lèvres et pris le cadeau qu'il me tendait en me demandant pourquoi par tous les dieux, il avait tenu à m'offrir quelque chose. Touchée par ses nombreuses attentions à mon égard et le soupçonnant d'avoir le béguin pour moi, je n'avais pas voulu l'éconduire brutalement et le vexer. Mais ça, c'était avant d'apprendre qu'il m'espionnait pour ce maudit Galford.
– Merci Wahvy.
Il commença à se pencher vers moi pour que je lui fasse la bise mais je me figeai. Il dépassait un peu les bords. Ike se leva de sa chaise mais Phyllis fut plus rapide, le voyant faire, elle lui donna un coup de torchon sur le bras.
– N'oublie pas tes limites mon garçon, gronda-t-elle.
J'étouffai un soupir de soulagement et remerciai Phyllis du regard. Wahvy Nohtz était un atlazasien sensoriel, en me touchant il pouvait ressentir mes émotions mais surtout l'énergie de mon pouvoir. Il m'avait une fois frôlé et m'avait aussitôt lancé un regard interloqué. J'étais prête à parier qu'il avait dû ressentir quelque chose d'étrange mais il n'en dit jamais rien. Je supposai qu'il avait dû croire à une erreur ou tout au moins, je l'espérai. Dans le cas contraire, il y avait de grandes chances que l'empereur Galford soit au courant pour mon don.
– Désolé, dit-il avec un regard peiné.
Je détournai les yeux de son regard plein d'espoir, et ouvris le paquet. En découvrant le cadeau, je luttai contre l'envie de grimacer. Mes doigts crispés sur le cadre d'une photo de lui et moi, dans la cuisine que nous avions pris quelques semaines plus tôt lorsqu'il m'avait annoncé avoir remporté le concours de meilleur chef junior d'Atlazas, je regardai la moitié de mon visage coupé sur la photo et mon sourire figé. Le même que j'avais à ce moment-là en fait.
– Euh...merci Wahvy, c'est super, dis-je en me promettant de m'en débarrasser une fois qu'il aurait le dos tourné.
Quand il fût parti, je me tournai vivement vers mon tuteur.
- Rappelez-moi pourquoi est-ce qu'on ne l'a pas licencié ?
- Il en sait beaucoup trop. Oh ! s'écria-t-il soudain en sortant de sa poche une lettre froissée qu'il essaya de lisser en y passant vigoureusement le plat de sa main, l'enveloppe posée sur la table de bar.
Je le regardai avec impatience sortir la lettre de l'enveloppe. Une lettre pour moi !
- C'est une lettre de Marc Xyls.
Mon enthousiasme s'envola aussitôt.
- Ah, marmonnai-je mollement.
- Kaya, je t'en prie, me gronda-t-il gentiment en réajustant ses lunettes sur son nez. Il se racla la gorge puis lut à haute voix : « Mardi 27 du mois Diamant, au manoir Kamylah-Golkindor aux alentours de 7h, signé Marc Xyls » conclut Orphyll en haussant les sourcils.
- Il y a un post-scriptum en bas, dit Ike en se penchant sur la lettre. « Ps : je n'aime pas écrire » ! On avait remarqué.
- Ça ne fait pas très sérieux, commenta Orphyll en parcourant à nouveau la lettre des yeux, comme s'il s'attendait à ce qu'une véritable lettre soigneusement écrite apparaisse entre les lignes.
- Attendez une minute, il veut faire le shooting photo au manoir ? Ici ! C'est hors de question.
Orphyll trouva l'idée bonne.
- Ce sera une manière d'impliquer le peuple atlazasien dans ton intimité, approuva-t-il en rangeant péniblement la lettre froissée dans l'enveloppe.
Bon, je m'étais attendue à pire. Debout sur le balcon surplombant la place des fêtes Dorgol, je profitai d'un moment de répit. A peine avais-je posé le pied dans l'enceinte du palais impérial que Mala, la conseillère de l'empereur, qu'elle ne quittait jamais, m'entraîna d'un pas vif dans la salle de réception. Soulevant d'une main la traine de ma robe de soirée, j'avais accéléré le pas pour la suivre dans le long couloir aux murs tapissés où plusieurs tableaux, portraits de familles et autres étaient accrochés. Ce n'était pas la première fois que je venais au palais, mais je ne cessai d'admirer les moulures en or massif et leurs fines décorations. Moulée dans une robe aussi violette que ses cheveux dans une nouvelle coupe à la garçonne, le claquement de ses talons sur les grands carreaux marbrés, résonnait en écho entre les hauts murs du palais. Sans cesser de me parler à toute vitesse du déroulement de la soirée, elle s'avançait en me jetant par moment des regards accompagnés de sourire radieux.
- Puis la gagnante du concours musical Atlazas Utae va venir chanter, c'est une Golkindor, un honneur. Après le petit concert privé, le plat principal sera servi. Pendant la dégustation du repas, les Veisubwald un groupe d'acrobates très célèbres ont repoussé exclusivement pour vous, Certessa, leur spectacle de ce soir à Rainame pour vous faire une prestation. Bien-sûr, plusieurs artistes ont tenu à assister à votre anniversaire et nombre d'entre eux veulent vous témoigner de leur affection !
Mala enchaîna ainsi pendant tout le trajet et ne se tue qu'une fois que nous arrivâmes devant une large double porte en marbre. Elle se tourna vers avec un nouveau sourire :
- Vous êtes prête, Certessa ? me demanda-t-elle en posant les mains sur les poignées rondes et or.
Le ventre contracté comme à chaque réception et le cœur battant lourdement contre ma poitrine, je déglutis et hochai la tête plusieurs fois en plaquant un sourire sur mes lèvres, maudissant intérieurement Orphyll qui s'était éclipsé en un éclair alors que je lui parlais dans la voiture. Je ne saurais dire à quel moment il avait fui, mais il m'avait fallu plusieurs minutes avant de me rendre compte en tournant la tête vers le siège où il s'était assis, qu'il ne répondait pas à mes questions, ou ne commentait pas mes propos tout simplement parce qu'il n'y était plus.
- Très bien.
Après une multitude de « bonsoirs », « obutag » maladroits, des révérences bancales – j'avais même cogné la tête d'une vieille Prynix en voulant lui rendre la politesse – je me réfugiai rapidement sur le balcon pour échapper juste à temps, à un vieil homme qui n'avait pas arrêter de chercher un prétexte pour me parler. Juste quelques minutes, histoire de reprendre mon souffle. Une main posée sur la balustrade glacée, j'admirai l'éclat de la lune ronde comme un ballon dans la nuit noire et pailletée en resserrant le gilet sur moi. L'air était glacial et m'anesthésiait les joues et le bout du nez. Je restai une bonne quinzaine de minutes dehors, patientant et espérant que Chell soit déjà arrivée. Alyssa non plus n'était pas encore arrivée. Ou peut-être qu'elle ne viendrait tout simplement pas. Elle était si distante ces jours-ci. Il fallut que je me mette à trembler pour que je me décide à retourner dans la salle. Quand un souffle chaud sur ma nuque me figea.
- Que faites-vous seule sur ce balcon Certessa ?
J'esquissai un sourire en reconnaissant le ton suave de la voix d'Ike et me retournai sur lui. Sa peau teintée d'argent sous l'éclat de la lune et un sourire ravageur sur les lèvres, il était magnifique dans sa tunique bleu marine.
- Tu as pu venir ?
A travers la porte en vitre de la salle de réception, je voyais l'empereur depuis sa grande table rectangulaire qui dominait la pièce. Les deux autres sièges à côté de lui étaient vides. Ike suivit mon regard.
- L'un des deux t'es réservé.
Mala me l'avait très rapidement glissé à l'oreille avant de m'abandonner dans la salle de réception. Je la soupçonnai d'avoir attendu le dernier moment pour me le dire, sachant parfaitement que je m'y opposerai.
- Je ne compte pas m'y asseoir, maugréai-je avec une grimace pleine de mépris. Toute cette mascarade, n'est qu'une manière de vouloir me faire comprendre que c'est lui, qui détient toutes les décisions.
Je foudroyai des yeux Galford.
- Crois-tu qu'il ait pris en compte ce que je lui avais dit ? Pas du tout, il n'en avait que faire de mon souhait de vouloir fêter qu'avec mes amis, des gens que je connais. Que dalle.
Ike rit, le regard attendri, puis s'oubliant momentanément, il rangea une de mes mèches de cheveux derrière mon oreille avant de laisser glisser ses doigts sur ma joue. Il se raidit soudain et ôta sa main de mon visage.
- Non, on s'en fiche ! dis-je en rattrapant sa main.
- On ne peut pas, Kaya, dit Ike alors que j'y posai un baiser.
Je jetai un nouveau coup d'œil en direction de l'empereur. Pile à ce moment-là, Galford tourna les yeux vers moi, les sourcils froncés. Je lâchai la main d'Ike, les lèvres serrées.
- Tu as raison. Nous ne devrions même pas nous retrouvés tous les deux ici.
Je m'avançai en direction de la salle.
- Kaya...soupira Ike, une lueur triste dans le regard.
Nous nous dévisageâmes un instant dans un silence que nous n'avions pas besoin de combler. Nous avions déjà eu cette conversation, de nombreuses fois. Je commencerais par lui demander pourquoi Galford s'entête-t-il à se dresser entre nous. Puis le regard brillant d'une lueur indéfinissable, Ike soupirerait que la réputation de son père entachait la sienne. Je m'énerverais en clamant que ça n'a aucun sens et fulminerais contre Galford et sa menace d'expulser Ike dans le Mundus Oblivionis s'il découvrait notre relation, considérant d'un mauvais œil notre amitié.
- Je sais, nous devons être sages, finis-je par murmurer avec un sourire contrit.
La main sur la porte, je me retournai sur Ike.
- Mais un jour, c'est moi qui serai impératrice.
Un sourire en coin étira les lèvres d'Ike.
- Tu es magnifique.
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