CHAPITRE 5-6
Chell ne put cacher sa déception, sa bonne humeur s'envola. Aucune de nous deux n'avait envie de rester plus longtemps. Chell, était persuadée qu'Alyssa lui en voulait et qu'elle ne le voulait pas le lui dire. Et moi, j'avais deux mots à dire à mon tuteur. Du coup, quand les garçons nous rejoignirent, ils furent surpris de trouver une ambiance aussi morose et tendue.
- Il s'est passé quelque chose ? nous interrogea Ange en s'asseyant à côté de sa copine.
Chell haussa mollement les épaules.
- Alyssa.
- Vous l'avez vu, vous aussi ? dit Ike, assis pas loin de moi mais sans me toucher.
La plupart des clients bavardait joyeusement, mais beaucoup d'entre eux ne cessait de nous jeter des regards curieux ou brillants de fascination. Je crus même voir un flash venait du fond de la salle.
- Elle est venue nous rejoindre puis elle est repartie, répondis-je.
- Un courant d'air, commenta Chell en haussant les sourcils.
- Elle n'est pas partie très loin alors, elle est juste au coin de la rue, dit Ange en montrant du pouce la rue visible derrière lui.
- Quoi ? S'indigna Chell, en faisant les yeux ronds.
Et zut, peut-être qu'il aurait mieux valu qu'Ange se taise.
- Elle était avec un mec, poursuivit-il.
- Ce n'était pas Klayz, précisa Ike en voyant Chell ouvrir la bouche. Un homme-poisson, sûrement de Vimari à en juger son style.
- Vimari ?
Ike se tourna vers moi.
- La capitale du monde marin, me répondit-il.
Chell se leva brusquement de sa chaise, attirant quelques regards curieux des tables voisines.
- Si elle a un problème avec nous, je veux qu'elle le dise honnêtement.
- Non, Chell ! lançai-je en essayant de la rattraper mais un clignement d'yeux plus tard et la porte du café se refermait lentement. Je me rassis avec un soupir, enfonçant mes doigts dans mes cheveux. Ce n'était pas réagissant ainsi qu'elle améliorait les choses.
Ange secoua lentement la tête, les yeux rivés sur la carte, choisissant quelque chose à commander.
- C'est Chell, tu n'y peux rien. Et entre nous, dit-il en abaissant la carte pour me regarder de ses pupilles rouge sang. Moi aussi, j'aurais cherché à comprendre ce qui se passe avec Alyssa.
- C'est tendu entre son père et elle, ça influence sûrement son humeur, dis-je. De toute façon, je la verrai bien à ma fête d'anniversaire, ajoutai-je en grinçant des dents.
Ange et Ike me lancèrent un regard surpris.
- L'empereur organise une grande réception à l'occasion de mon anniversaire, ce que j'ignorais totalement jusqu'à ce qu'Alyssa m'en parle à l'instant.
- N'est-ce pas toi qui m'a organisé une fête l'an dernier ? me taquina Ike avec un sourire goguenard en coin.
Je lui lançai un regard noir.
- Ce n'est pas la même chose ! Je voulais le fêter en petit comité, avec vous et Orphyll mais...
- L'empereur ne le voit les choses sous cet angle, acheva Ange qui engloutissait les petits biscuits servis avec le chocolat de Chell.
- Je vais en parler à Orphyll.
Ange ricana en donnant des coups de coudes à Ike pour l'inviter à rire aussi.
- Si tu crois que tu vas pouvoir faire changer d'avis l'empereur, tu te fourres le doigt dans l'œil ! s'esclaffa-t-il.
La petite cloche accrochée au-dessus de la porte d'entrée du café sonna à nouveau et Chell réapparût, grelottante et l'air furieuse. Elle s'assit à côté nous et enleva son manteau d'un geste rageur.
- Qu'est-ce qui s'est passé ? lui demanda Ange après un long silence.
Chell baissa les yeux, honteuse.
- Je me suis ridiculisée, marmonna-t-elle en tripotant sa tasse de chocolat qui devait être froid maintenant.
Il s'avéra qu'en réalité, Alyssa ne nous avait pas fait faux bond pour aller s'amuser avec un quelqu'un d'autre mais qu'elle était tout simplement tombée sur une connaissance, ou plutôt un ami d'enfance qu'elle n'avait pas revu depuis des lustres.
- Je l'ai accusé de nous mentir et de tromper de Klayz, dit Chell d'une voix presque inaudible, le nez dans sa tasse. Puis de rage, elle tapa la table du poing. Mais elle est tellement étrange ces derniers temps !
- Elle est juste occupée Chell, laisse-lui du temps, lui conseilla Ange.
Après s'être tous réchauffés, nous rentrâmes chacun de notre côté, affronter sur le chemin le froid. Ike, bien évidemment, resta avec moi et me ramena au manoir. Le soleil menaçait déjà de se coucher alors que nous n'étions qu'en fin d'après-midi. Ike éprouva quelques difficultés à voler dans l'air glacial. Quand nous atterrîmes, quelques plumes de ses ailes étaient entièrement gelées. Il m'assura qu'elles tomberaient et repousseraient en très peu de temps en voyant ma mine horrifiée.
De la buée sortait de ma bouche et mes mains bien que emmitouflées dans une paire de gants en cuir, étaient gelées. Mes bottes s'enfoncèrent dans le sol blanc d'une couche de neige de quinze centimètres d'épaisseur alors que je m'aventurai dans le jardin du manoir en me frottant vigoureusement les mains.
- Attention, vas-y doucement, me prévint Ike en tenant le bras alors que mon pied glissait sur le verglas. De la neige s'immisça dans mes chaussures.
- Zut ! marmonnai-je en claquant des dents. Mes pieds sont trempés dans mes bottes maintenant.
J'exécutai des petits pas prudents sur le pont verglacé surplombant l'étang. Je ne sentais plus le bout de mes orteils. Le temps avait encore brutalement changé, empiré. D'un froid plus ou moins agréable, il avait évolué en un temps hivernal digne de la Sibérie. Les membres de l'OPA chargés de ma protection n'étaient plus là, les coupes énormes couvant un feu, délaissées. Même les atlazasiens ne pouvaient pas supporter de si basses températures éternellement.
- Faîtes attention en entrant ! beugla Phyllis qui se précipita à l'entrée quand nous entrâmes.
Je poussai un soupir d'aise en m'engouffrant dans la chaleur de l'intérieur du manoir et enlevai aussitôt mes bottes et mon manteau.
- Vos pieds ! s'affola Phyllis en portant ses mains sur ses joues rondes.
- Qu'est-ce qu'ils ont mes...
Je me tus et écarquillai les yeux de frayeur. D'affreux mollusques étranges et translucides, semblaient sucer le sang de mes pieds. Ils étaient énormes et difformes. Je pouvais voir mon sang à travers leurs corps écœurants. L'une de ces horreurs releva la tête, la bouche dégoulinante de sang, ses yeux rouges me fixèrent. La chair de poule et pétrifiée, je poussai un hurlement et agitai mes pieds dans tous les sens mais les satanés bêtes ne voulaient pas lâcher leur proie.
- Enlever ces horreurs de mes pieds ! criai-je.
Ike m'immobilisa en m'attrapant par les épaules et planta son regard dans le mien.
- Garde ton calme Kaya. On va te les enlever mais ça va être délicat, ajouta-t-il avec une grimace.
- Comment ça, ça va être délicat ? demandai-je soudain effrayée.
- Ce sont des sangsues, dit-il en enlevant son manteau avant de retrousser les manches de son pull.
Je regardai les gros insectes luisants sur mes pieds d'un air incrédule.
- Des sangsues ? Tu te fiches de moi ? répliquai-je. Soudain une brûlure au niveau de mes chevilles me fit vaciller. Argh ! hurlai-je en tombant à genoux et m'assis en regardant mes pieds. Les insectes avaient doublé de volume. A cette allure, il ne me resterait pas la moindre goutte de sang dans les veines.
Ike s'accroupit aussitôt à côté de moi et d'une main d'expert, il saisit un de mes pieds et passa lentement, les sourcils froncés par la concentration, une main au-dessus des satanés insectes.
- Sois prudent Ike, dit la voix d'Orphyll juste au-dessus de nos têtes.
Je sursautai en levant les yeux vers lui. Je ne l'avais pas entendu arriver, comme d'habitude me direz-vous.
- Si tu les attaques trop brusquement...commença Orphyll.
- Elles relâcheront une toxine mortelle dans ses veines, acheva Ike dans un murmure.
- Quoi ? m'étranglai-je.
- Reste calme Kaya, m'ordonna Orphyll en se baissant prudemment à côté de nous.
Figée et les fesses serrées sur le carrelage chauffé du manoir, je n'osai plus parler, les yeux rivés sur les insectes qu'Ike s'efforçait de congédier calmement. Il émanait de la paume de sa main rougie, une intense chaleur qui fit vite transpirer à grosses gouttes. Avec des gestes lents, Orphyll se saisit de mon autre pied et en fit autant qu'Ike. Soudain, les maudites sangsues explosèrent dans un liquide visqueux et rougeâtre qui se répandit sur le sol d'un blanc immaculé. J'en reçus sur les vêtements et même sur les lèvres. Un haut-le-cœur faillit me faire vomir. L'odeur pestilentielle était affreuse.
- Vous pensez réellement que quelqu'un a mis ces sangsues dans l'étang ? M'étonnai-je en essuyant mes boucles trempées avec une serviette.
Orphyll m'observa longuement sans me voir, perdu dans ses réflexions puis hocha lentement la tête, caressant sa barbe nattée d'une main.
- J'en suis convaincu, ces sangsues ne sont pas de la région.
- On les trouve généralement dans le Grand-Nord, dit Ike en enfilant un pull propre. Jamais encore, je n'en avais vu ici.
- Et alors ? C'est sûrement à cause du réchauffement climatique, dis-je.
Orphyll et Ike échangèrent un regard, sans comprendre ce que je venais de leur dire.
- Vous ne savez pas ce qu'est le réchauffement climatique ? leur demandai-je stupéfaite. Vous savez bien, le changement incroyable des climats, la fonte des glaces, la montée du niveau des océans ? Ça ne vous dit rien ?
Le visage d'Orphyll s'éclaira soudain.
- Oh, c'est ainsi qu'ils appellent ce phénomène ? dit-il l'air vaguement intéressé. A Atlazas, nous l'appelons Mensch Exitium, ajouta-t-il en haussant les sourcils.
Je levai les yeux au ciel.
- Mensch Exitium ? La destruction humaine, sérieusement ?
- C'est un peu le cas, non ? fit remarquer Ike.
- Si mais...
- Quoiqu'il en soit, notre continent est indépendant du reste de la Terre, nous n'en subissons pas les conséquences, poursuivit-il. Je pense qu'Orphyll a raison. Quelqu'un les a posés ici dans le but de récupérer ton sang.
Je regardai mes pieds boursouflés et pleins de petits points violacés.
- Et quoi ? Darken aura tenté de me tuer en piégeant l'étang du manoir ? dis-je avec sarcasme en m'attirant le regard noir d'Orphyll.
- Crois-tu que la seule menace à Atlazas, soit Darken ? Tu es bien naïve, mon enfant, répliqua-t-il sèchement. Il s'assit sur le fauteuil en poussant un soupir. C'est sûrement un dealer, ajouta-t-il en s'adressant à Ike.
- Tu veux que je demande à Rubi, si elle sait quelque chose ?
- Ce serait une bonne idée, Ike, je te remercie.
Avec un soupir, l'air épuisé Orphyll se leva en marmonnant qu'il avait encore une chose importante à régler dans son bureau. Ce qui me fit penser que moi aussi, j'avais une chose importante à régler mais avec lui. Il s'étonna du regard que je lui lançai subitement.
- Vous savez très bien, Orphyll, lui dis-je en croisant les bras sur ma poitrine, après qu'il m'eût demandé ce qui m'arrivait.
Il questionna Ike du regard puis revint vers moi, ses gros sourcils broussailleux froncés.
- Je vais vous donner un indice : mon anniversaire, articulai-je lentement.
La surprise se lut dans son regard vert puis il prit soudain l'air coupable, avec un pauvre sourire.
- Ah...tu es au courant, murmura-t-il.
- Comment avez-vous pu le laisser organiser une réception pour mon anniversaire et surtout sans me mettre au courant de ses intentions ? m'indignai-je.
- C'est l'empereur Kaya, il n'y a rien que j'aurais pu faire pour l'en dissuader.
- Je n'ai pas envie de me rendre à une soirée où je ne connaîtrai pas la moitié des invités !
Au cours des derniers mois, j'avais dû assister à trois réceptions et cérémonies au palais de l'empereur. Ces soirées, c'était l'horreur. Les familles nobles d'Atlazas redoublaient d'hypocrisie pour se donner une belle image en m'accueillant les bras ouverts, en me complimentant, alors qu'au fond, nombre d'entre eux me détestaient cordialement ou doutaient simplement de mon identité. Sourire, discuter et écouter poliment chacun blablater, calmer les Kamylah et les Golkindor qui se disputaient c'était épuisant.
- Je préférerais une petite soirée sympa au manoir avec mes proches, dis-je en regardant Orphyll avec des yeux implorants.
- Tu dois au moins faire acte de présence.
- Ça ne serait pas bizarre que l'invité d'honneur quitte la soirée avant la fin de la fête ? objecta Ike en arquant les sourcils.
- Ike ! m'indignai-je.
- Très juste, fit Orphyll en hochant la tête. Eh bien, ma petite Kaya, tu iras à cette fête et tu prétendras t'y amuser comme une folle.
Sur ces mots, il quitta la chambre. Je regardai la porte fermée en soupirant, déjà agacée à l'idée de devoir prétendre passer un bon moment en compagnie de faux-culs.
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