CHAPITRE 5-3
Deuxième partie publiée aujourd'hui
Un sourire étincelant – et agaçant – sur ses lèvres fines et ternes, Grozrik nous dévisageait avec un air satisfait. Il était assis sur le fauteuil en cuir dans le bureau d'Orphyll, les jambes écartées et les mains posées sur chaque bras du fauteuil. Un rayon du soleil filtrant à travers les rideaux tirés, éclairait une partie de son visage au teint terne. Après avoir convaincu Orphyll de faire venir le crokatla le plus vite possible et surtout avant que je ne change d'avis, nous nous enfermâmes dans le bureau. Ike nous intima de garder le silence un instant, un doigt sur la bouche et l'oreille collé à la porte. Berry avait regardé d'un air intrigué le crokatla traverser les couloirs du manoir et avait même insisté pour participer à notre entretien avec ce dernier. Orphyll l'avait aimablement remercié et invité à retourner à son poste. Les joues rosies de honte, Olympe Berry s'était vue fermer la porte au nez. Il fallait absolument que je négocie avec l'empereur cette sécurité qui commençait à ressembler à du harcèlement.
- Eh bien, eh bien, si je m'étais attendu à ce que la princesse en personne demande à me voir, dit Grozrik en posant ses petits yeux dont les vaisseaux sanguins avaient éclaté. Je tressaillis.
- Je te remercie d'avoir accepté mon invitation.
Je décidai de la jouer cool. Si jamais je me montrais un peu sèche, je redoutais qu'il ne se vexe et décide de s'en aller. Depuis la porte, Ike hocha la tête d'un air entendu. Olympe Berry était finalement descendue. Le crokatla de fendit d'un large sourire.
- Que ne ferais-je pas pour toi, princesse ?
Orphyll se pencha en avant sur son bureau, les mains jointes en cathédrale et lui expliqua la raison de sa venue au manoir. Etonnamment, le visage de Grozrik se ferma et ses doigts se crispèrent sur le cuir des bras de son fauteuil.
- Contrôler un cadavre ? souffla-t-il avec effroi en posant ses yeux injectés de sang sur moi. Vous en êtes sûrs ?
- Non, et c'est bien ça le problème, dit Ike, qui était dos contre la porte et avait les bras croisés sur sa poitrine.
Une grimace déforma les lèvres presque inexistantes du crokatla et il se leva d'un bond, les pieds du fauteuil grincèrent sur le parquet du bureau.
- Vous ne m'avez jamais parlé de zombie lorsque vous m'avez envoyé là-bas, Orphyll ! s'énerva Grozrik en pointant un doigt à l'ongle sale vers lui.
J'échangeai un regard perplexe avec Ike qui sembla tout aussi interloqué que moi.
- Comment ça, envoyé là-bas ? demandai-je.
- J'ai payé une très forte somme Grozrik pour qu'il rejoigne le camp de Darken, nous informa Orphyll en fixant ce dernier d'un œil perçant. Tu connaissais les risques, mon garçon.
Grozrik frappa des deux mains le bureau en désordre.
- Il n'a jamais été question de mort-vivant ! gronda-t-il.
Je me figeai, le cœur battant à tout rompre.
- Alors, c'est vrai ? demandai-je dans un murmure en posant doucement une main sur Grozrik.
Il me regarda d'un air stupéfait, très certainement peu habitué à ce que les gens se comporte et s'adresse à lui normalement. Il déglutit, visiblement troublé.
- Il y a eu à une époque, une histoire semblable. Des gens sentant la viande putréfiée entraient dans les maisons dévorer ceux qui y habitaient. Ce phénomène dura plusieurs semaines, et pendant ce lapse de temps, les gens effrayés à l'idée de se réveiller en découvrant les membres de leurs familles en bouillie, faisaient protéger leurs maison par des soldats de l'EPA.
- L'élite, ces morts étaient aussi forts ? dit Ike en me jetant un regard inquiet.
Grozrik eut un rire jaune en serrant un poing noueux.
- Eh oui, Mykhola. La princesse a eu de la chance de tomber sur une vieille peau, les plus jeunes sont redoutables. Ton père est un monstre capable de choses abominables, et après c'est nous, les crokatlas qu'on appelle démon.
Ebranlée, je me laissai tomber lentement sur le fauteuil vide et en posant une paume fraîche sur mon front en ébullition. Je tremblais comme une feuille, la peur me paralysa. Pendant un cours instant, je m'étais convaincue que Darken ou quelqu'un d'autre, m'avait fait halluciner mais avec les révélations de Grozrik, il n'y avait plus aucun doute : j'avais bel et bien été attaquée par une morte.
- Je ne connais à ce jour, aucun atlazasien qui aime bouffer les enfants, entendis-je Ike répliqua d'un ton froid.
Je fermai les yeux et ravalai le goût âcre qui remontait dans mon œsophage. Je le savais que ce n'était pas une simple hallucination. Quelle sorte d'hallucination nous brisait les os ? La respiration haletante, je tentai de me calmer et de garder mon sang-froid.
- Même si l'odeur de ta chair me répugne Mykhola, je me ferai un plaisir de te dévorer, gronda Grozrik en se rapprochant d'Ike d'un air menaçant.
- Ça suffit tous les deux ! intervint Orphyll en contournant son bureau pour les rejoindre.
Mon sang bouillait dans mes veines d'une sensation étrangement glacial. J'humectai ma gorge sèche en serrant les poings. Que comptait faire Darken ? Rassembler une armée de morts pour attaquer Atlazas ? Une pensée me frappa violemment, me coupant le souffle. Et s'il y en avait d'autres qui rodaient dans les rues en ce moment même ? Je me retournai brusquement sur Ike, le cœur tambourinant comme un acharné contre ma poitrine. D'une main, il maintenait Grozrik en plaquant sa tête contre le mur. En croisant mon regard, il le lâcha aussitôt et en clignement d'yeux, il se retrouva face à moi.
- Je vais en toucher deux mots à l'empereur, me souffla-t-il en regardant d'un air grave. Il posa une main chaude sur ma joue. Calme-toi, myôe haïwama, tu illumines.
Grozrik me lança un regard apeuré.
- Son truc ne va quand même pas exploser, hein ?
- La ferme, Grozrik ! gronda Orphyll à bout de patience.
- Vous êtes tous les trois, une bande de dégénérés ! hurla-t-il.
Le regard toujours dans celui d'Ike, je pris une profonde inspiration et expirai lentement. Mais je n'arrivai pas à chasser de mon esprit le visage sans expression de la vieille Sol, ni à effacer la sensation de sa peau dure et froide sous mes doigts quand je l'avais touché. La peur me cisaillait le ventre. Les pauvres gens d'Atlazas pouvaient se faire agresser à tout moment et uniquement par ma faute, simplement parce que Darken me voulait et apparemment, morte ou vivante. Soudain, comme s'il avait lu mes pensées, Grozrik gronda :
- Je t'aime beaucoup princesse, mais si livrer tes fesses à Darken peut nous apporter la paix, je n'ai pas d'autre choix !
Nous tournâmes dans un même mouvement la tête vers le crokatla. Je vis Orphyll écarquiller les yeux de frayeur et s'élancer sur Grozrik qui l'esquiva en glissant par terre. Il poussa Orphyll dans ses étagères. Les bocaux tombèrent et se brisèrent dans un grand fracas par terre. Le visage d'Ike se durcit brusquement, une expression froide sur le visage. Une soudaine chaleur intense emplit la pièce. De grosses gouttes de sueurs m'inondèrent et collèrent mes vêtements contre ma peau. Grozrik s'immobilisa en suffoquant sous le regard noir d'Ike. Il porta ses mains à son cou et tomba à genoux devant nous, son teint cendré virant bleu terne. Son front dégoulinait abondamment de transpiration, ses narines palpitaient en essayant de respirer en vain de l'air. Ses yeux gonflèrent, comme s'ils étaient sur le point de sortir de leurs orbites. Les éclats de verres à ses pieds, fondirent. Je regardai Ike, choquée, en réalisant soudain que cette chaleur étouffante venait de lui.
Orphyll sortit un mouchoir d'une de ses poches et le plaqua contre sa bouche.
- Mon garçon, je pense que cela suffit.
A contrecœur, Ike lâcha des yeux Grozrik et la chaleur s'estompa. Le crokatla, à quatre patte, toussa plusieurs fois et releva des yeux haineux vers Ike.
- Je...ne...com...comptais pas la tuer ! réussit-il à dire en s'asseyant par terre. Le temps que nous trouvions un moyen de tuer Darken, elle aurait pu rester enfermée au repaire aux bons soins de ton frère.
Le crokatla essuya sa bave au coin de ses lèvres et esquissa un sourire. L'air interdit, Orphyll regarda furtivement Ike puis Grozrik, qui vraisemblablement, cherchait à le provoquer une nouvelle fois.
- Tu te doutes, qu'il en serait ravi, poursuivit-il en reniflant.
- La ferme, Grozrik, gronda Ike.
- Kei, le parfait petit imbécile, a certainement fait ce qu'il voulait de ta princesse. Je l'ai même entendu pousser des gémissements et crier son nom...
Cette fois, c'en était assez. Avant même qu'il ne le réalise, j'enfonçai mon poing dans sa figure. Ne s'y attendant pas, le coup le bascula en arrière et sa tête se cogna violemment contre le coin d'une étagère. Grozrik se releva, agacé et massa son crâne endolori.
- J'en ai marre de venir ici et de me faire agresser sans raison !
- Pourquoi es-tu toujours dans la provocation ? soupira Orphyll en tamponnant son front en sueur, l'air affligé. C'est une simple question que nous t'avons posée, rien d'autre.
- Vous l'avez votre réponse, non ? aboya le crokatla en regardant ses doigts en sang.
Une pointe de culpabilité m'envahie quand il me fusilla des yeux, mais il l'avait bien cherché.
- Oui, c'est déjà arrivé que Darken utilise des morts comme des putains de pantins. Alors oui, la princesse a certainement pu se faire agresser par une morte !
Grozrik fit un pas vers moi, en me regardant d'un air mauvais.
- Mets-toi bien une chose dans la tête, princesse, Darky ne te lâche pas du regard. Il te fait surveiller, il a des espions infiltrés un peu partout et garde toujours un œil sur toi.
Son haleine putride me retourna l'estomac.
- En fait, c'est comme si tu étais enfermée dans son repaire, conclut-il. Je me tire maintenant, ajouta-t-il en jetant un regard prudent à Ike qui le dévisageait toujours avec des envies de meurtres.
Il sortit du bureau en se tenant à distance d'Ike, rasant pratiquement le mur et claqua la porte en marmonnant d'un ton parfaitement clair : « On propose même pas une petite café au sang, lamentable ».
- Nous étions à deux doigts d'un drame, dit Orphyll en regardant la porte. Il faut que vous appreniez à vous contrôler, tous les deux.
- Grozrik est un imbécile, répliquai-je.
- Un imbécile qui nous a quand même confirmé que l'impossible était possible.
Une lueur scintilla dans le regard perçant du vieil homme.
- Je te demande pardon, Kaya. Tu avais raison.
Il eut un long silence dans le bureau saccagé. L'eau que contenaient parfois les bocaux mouilla mes orteils, des bouts de verres avaient fondus entre les joints du parquet, des plantes et toutes espèces de choses étranges et visqueuses jonchaient le sol. Je m'étonnai qu'avec un tel brouhaha, Berry n'est pas intervenue.
- Je suppose que toute négociation pour renvoyer la troupe de soldats de L'OPA auprès de l'empereur sera vaine, soupirai-je en observant d'un air dégoûté, un petit tentacule remuer sur lui-même par terre.
- Tu songeais à te débarrasser de Berry ? s'exclama Orphyll. C'est impensable, Kaya. J'admets qu'ils ne sont pas d'une très grande efficacité mais leur présence est rassurante.
- Peut-être que des hommes de Darken ont infiltré la troupe, suggérai-je.
Orphyll eut l'air horrifié.
- Ne dis pas de bêtises !
- Ça pourrait être vrai, Orph, dit Ike.
- Mais c'est faux, conclut Orphyll. Allez-vous-en maintenant.
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