CHAPITRE 3-3


J'en avais marre. Orphyll n'arrêtait pas de me surprotéger, de m'isoler de tout, ça en était exaspérant. Bon, je devais bien admettre que j'étais quand même assez impulsive mais tout de même ! J'attaquai ma gaufre. Chell baissa les yeux sur le massacre que subissait la pauvre gaufre qui n'avait rien demandé.

 - Elle ne t'a rien fait cette gaufre.

Je la fusillai du regard.

 - D'accord, dit-elle en levant les mains en l'air.

 - Qu'est-ce que tu sais d'autre ? lui demandai-je en pointant ma fourchette d'un air menaçant vers elle.

 - C'est tout ce que je sais, répondit-elle. Je te le jure. Ne me tue pas s'il te plaît.

Je levai les yeux au plafond. Elle rit.

 - Allez, ne lui en veux pas.

 - Il m'énerve, grognai-je avant de fourrer un morceau de ma gaufre dans ma bouche.

 Peut-être qu'il n'en a pas encore eu le temps ? suggéra Chell en n'y croyant pas elle-même.

 - Cha fait combien de temps qu'ils echistent ches...pillards ? demandai-je en mâchant à toute allure.

Chell fit la grimace.

 - Pilahs, rectifia-t-elle.

 - Peu importe.

 - Ils ont commencé il y a à peu près....

Chell plissa du front en pleine réflexion.

 - Six mois, je crois.

J'avalai de grande gorgée de thé glacée pour faire passer plus vite mon morceau de gaufre et reposai brutalement le verre sur la table, attirant ainsi des regards réprobateurs des voisins.

 - Six mois ! m'exclamai-je. Comment ça se fait que je ne les ai jamais vus ?

Chell se tortilla sur sa chaise, mal à l'aise.

 - Eh bien, ils se réunissent souvent en ville pour des manifestations et toi...ben tu ne sors pas souvent donc...

Effectivement, Orphyll me m'autorisait que très rarement à sortir, ce que je trouvais particulièrement stupide. Il était d'ailleurs devenu beaucoup réticent à me laisser sortir le soir depuis ma petite aventure dans le repaire de Darken. Ce n'était pas en restant cloitrée dans le manoir que je découvrirais Atlazas, en apprendrais plus sur son histoire, le peuple et les différentes régions. Bien sûr, j'avais déjà essayé de lui sortir ces arguments mais il avait toujours réponse à tout : « on ne sait pas si des hommes de Darken n'ont pas infiltrés le centre d'Atlazas, Kaya. Le Mur s'est affaibli » ou encore « Tu ne peux pas sortir tout le temps et surtout pas seule. Tu es précieuse Kaya. ». Peu importait ce que je disais, je n'arrivais pas à le convaincre de me laisser vivre. Le Mur, une sorte de barrière d'énergie protégeant le centre du Mundus Oblivionis s'était apparemment affaibli ou n'était plus assez puissant pour repousser les hommes de Darken étant donné que Kei avait pu la franchir sans le moindre effort. Y étais-je pour quelque chose ? Absolument pas. Alors pourquoi me retrouvais-je punie malgré moi ? Cette situation commençait sérieusement à me taper sur les nerfs. Rester enfermée dans le manoir ne m'avait pas toujours été la meilleure solution et n'avait pas pour autant empêcher Viktor Borahkan, une ordure de la pire espèce, de s'introduire dans ma chambre pour m'agresser à sa guise alors qu'une véritable armée se tenait devant les murs du manoir. J'adorais mon tuteur mais sa manie à me surprotéger était lourde à supporter. A force de m'isoler des événements, voilà que les gens me surnommaient la princesse fantôme ! Je plantai de rage ma gaufre qui ne me donnait plus du tout envie.

 - ...me demande pourquoi elle ne répond pas à mes messages ? Ce n'est pourtant pas dans ses habitudes. Ces derniers temps, je l'ai trouvé un peu...

Chell fronça les sourcils en s'interrompant, puis elle fit claquer ses doigts devant mes yeux :

 - Hé ! Tu m'écoutes ou je peux m'adresser au mur ?

 - Le Mur ! fulminai-je en serrant les poings. Tout ça, c'est à cause de cette barrière soi-disant infranchissable. Mais voilà le problème : elle a justement été franchie !

Chell poussa un long soupir en levant les yeux au ciel.

 - Donc, tu ne m'écoutais pas, marmonna-t-elle.

 - Désolée, j'étais perdue dans mes pensées. Tu me disais ?

Elle me foudroya de ses grands yeux noisette un moment, hésitant visiblement entre m'en parler et m'envoyer me faire voir. Je lui adressai un sourire désolé pour l'amadouer. Elle soupira.

 - Je te parlais d'Alyssa, dit-elle entre les dents.

 - Ah ? dis-je en l'encourageant d'un geste à poursuivre.

Elle plissa les yeux. Ce qu'elle pouvait être susceptible ! Je gardai le sourire.

 - Oui ah ! Figure-toi que ça fait deux jours que j'essaie de la joindre et qu'elle n'a toujours pas répondu aux messages que je lui ai envoyé.

La connaissant, Chell avait dû lui envoyer une vingtaine de texto entre hier et aujourd'hui seulement. L'abandon ne faisait pas parti de son vocabulaire. Elle fouilla un instant dans son sac à main et en sortit son cellulaire rose bonbon. Elle fit glisser son doigt sur l'écran deux ou trois fois avant de me mettre sous le nez sa conversation avec Alyssa. Des dizaines de petits émoticônes rouge de colère constituaient le dernier texto que Chell avait envoyé à Alyssa ainsi que des gros caractères et des points d'exclamations. Je haussai les sourcils en me promettant de me souvenir de toujours lui répondre dans l'heure sous peine de messages intempestifs.

 - Elle est peut-être occupée, suggérai-je en haussant les épaules.

Chell me foudroya du regard et rangea son téléphone.

- Tellement occupée qu'elle ne peut pas prendre trois secondes pour me répondre ?

A vrai dire, j'y avais pensé aussi mais ça ne faisait que deux jours. Alyssa avait peut-être besoin de temps pour elle ou pour Klayz, ce que je pouvais parfaitement comprendre. Sa situation amoureuse n'était pas très loin de la mienne : son père, l'empereur Galford s'y opposait catégoriquement. Et puis, il arrivait tout simplement par moment aux gens d'être occupés, non ? Alyssa nous donnerait des nouvelles quand elle en aurait envie.

 - Je pense que tu t'inquiètes pour rien, dis-je avec un sourire en essayant de la rassurer.

Chell pinça des lèvres, loin d'être convaincue.

 - Peut-être...

 -Ecoute, propose-lui de venir ce soir.

 - Bonne idée, dit Chell en sortant son propre téléphone portable plus plat qu'une règle et rose comme un bonbon.

Après avoir bien mangé et réglé nos commandes, je fis un signe de la main à Cristalline qui m'observait du coin de l'œil tout en prenant les commandes de nouveaux clients. Ses yeux se mirent à briller comme deux billes. Les petites ruelles de la ville étaient toujours pleines de monde et d'animations à chaque coin. Des musiciens jouaient des chansons enjouées, des vendeurs ambulants nous mirent des friandises dans les mains pour nous convaincre d'en acheter. Chell finit par crier sur l'un d'entre eux qui ne voulait pas la laisser partir. Chell et moi, fîmes encore quelques magasins et quelques emplettes. Je culpabilisai un peu de dépenser autant, pas habituée à dépenser sans compter ou à acheter des articles aussi chers. A la caisse du magasin de luxe Chans, je posai un regard hésitant sur les trois paires de chaussures, les deux robes et les cinq tuniques longues sur lesquelles j'avais craqué. Chell, juste à côté de moi m'encourageait à prendre les articles, bien évidemment. La mode à Atlazas ressemblait beaucoup à la mode du monde humain à quelques tuniques près, pourtant alors qu'en France je ne m'intéressais pas beaucoup aux vêtements, à Atlazas, j'en perdais la tête. Je me mordis la lèvre en regardant mes Loubs  rouges à talons haut. Chell posa sa main sur l'article et le poussa vers la vendeuse pour qu'elle l'encaisse.

 - Kaya, laisse-moi t'informer d'une chose très importante, me dit-elle d'un ton très sérieux, le regard fixé sur moi. Tu es riche, tu es très riche. Plus riche que moi, et tu seras la personne la plus riche d'Atlazas une fois sacrée impératrice, alors fais-toi plaisir waïmi !

Un nœud se forma dans mon estomac et mes mains devinrent moites, je fus même soudain prise de vertiges. Mon amie fronça les sourcils.

 - Pourquoi est-ce que tu paniques ? Ça devrait te rendre heureuse ! Tout le monde veut devenir riche enfin je crois, non ? dit-elle en tournant un regard interrogateur vers la vendeuse qui hocha avec énergie la tête, d'ailleurs elle approuvait absolument tout ce que disait Chell. Je la soupçonnais de ne vouloir qu'une chose : que Chell dépense sans compter. A vrai dire, je n'en sais rien puisque je n'ai jamais été dans le besoin.

 - Je...je sais, je n'arrive juste pas à m'y faire, dis-je en déglutissant avec difficulté.

Le visage de mon amie s'éclaira soudain.

 - Ah si, il y a bien eu une fois où ma mère pour me faire prendre conscience de ma chance m'a fait vivre l'enfer en me privant l'accès à mes comptes pendant une semaine, l'horreur ! s'exclama-t-elle en écarquillant les yeux.

Toute cette histoire d'impératrice devenait de plus en plus concrète. Je ne savais pas comment mais j'avais réussi à mettre de côté de mon sacrement prochain en me persuadant que je trouverai une échappatoire le moment venu. Mais le fait était que, l'argent était bien là, bien réel. Cette petite carte de crédit en cristal d'Atlazas donnait bien accès à une fortune et cette fortune était celle de mes parents qui eux, étaient membres de la noblesse. Mon cœur se mit à battre de plus en plus fort. La petite carte où était gravée mon nom Kaya Golkindor-Kamylah et non plus Gauthier, tremblait dans ma main.

Chell me lança un regard inquiet.

 - En presque un an, tu n'avais pas encore réellement réalisé qui tu es, dit-elle dans un murmure.

 - Si.

 - Mais alors, qu'est-ce qui ne va pas ?

 - Ma vie a tellement changé et c'est le montant de tous ces articles qui me le fait remarquer, dis-je. Je suis pathétique.

Chell éclata de rire et je ne tardai pas à la rejoindre. Comment n'avais-je pas pu remarquer plus tôt toutes les richesses, tous les meubles et biens hors de prix qui m'entouraient tous les jours ? Je sais. Tout simplement, dans ma tête, tout ce luxe ne m'appartenait pas voilà tout. Le manoir était à mon nom pourtant mais ça ne me frappait que maintenant devant cette vendeuse passablement agacée qui essayait de le dissimulé derrière un sourire car mon rang l'empêchait de me presser. Mon regard se posa sur le prix de la boîte à chaussure que venait de poser sur le comptoir Chell. Le nombre de zéro me donna le tournis.

- Chell, c'est plus cher que ce je me faisais en deux mois de travail !

Elle me regarda d'un air choqué, la bouche ouverte.

- Mais c'est horrible ! Je comprends pourquoi maintenant tu grinces des dents à chaque fois qu'on va faire du shopping, dit-elle scandalisée, elle posa une main sur la mienne, l'air compatissante. Tout ça, c'est derrière toi, Kaya.

Je levai les yeux au ciel. Chell était loin, bien loin de la réalité. Je gagnais plutôt bien ma vie avant.

 - Par carte s'il vous plaît, dis-je à la vendeuse qui s'était crispée en me voyant rouspéter sur le prix des chaussures de Chell. Elle avait sûrement redouté un changement d'avis d'elle mais c'était mal la connaître. Absolument rien, ne pourrait empêcher Chell d'acheter. Je jurerais l'avoir entendue soupirer.

Nous sortîmes de chez Chans, les bras encore plus chargés qu'au début de cette virée. Je téléphonai Lhinck et lui demandai de venir nous chercher. Nous nous rendîmes dans un parking du centre et nous assîmes sur un banc en attendant qu'il arrive. Chell regardait ses achats, surexcitée et se voyait déjà avec telle ou telle tenue avec tels ou tels accessoires. Lhinck arriva rapidement et nous emmena directement chez Chell, après s'être assuré qu'Orphyll n'y voyait aucun inconvénient. Vu nos antécédents, il préférait désormais vérifier directement auprès d'Orphyll la véracité de mes propos. Je pouvais difficilement lui en vouloir. La première fois, je l'avais convaincue de m'emmener au port où j'avais pris la fuite à bord d'un petit bateau que j'avais volé. Après avoir échappé de peu à une mort certaine – froid, faim et monstre redoutable – j'avais une seconde fois abusé de sa confiance, en lui demandant de m'emmener chez Ike. Obligé de partir chercher Orphyll, il m'avait fait confiance en me laissant devant le portail sauf qu'en revenant me récupérer, il ne m'avait pas trouvé. Mais j'avais cette fois eu une bonne excuse : Ike allait très mal à cause d'un mystérieux cadeau – empoisonné, il fallait le dire – qui l'avait mis dans une colère noire.


Prochaine publication dimanche ! ;-)


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