CHAPITRE 3-1


Après avoir pris une douche brûlante, démêlé mes boucles rebelles et avoir des vêtements convenables sur mon dos, je fronçai directement chez Ike.

Une heure plus tard, je me retrouvai à actionner vivement la petite cloche accrochée au portail de la maison de sa maison. Pressée de lui parler mais aussi redoutant que son voisin ne mette le nez dehors et entame une longue conversation en s'apercevant de ma présence. Borbaz était adorable mais un peu trop bavard.
J'aimais bien venir ici. Ike habitait dans une petite résidence calme et très agréable. Il possédait un petit jardin riche en arbres fruitiers et une maison assez grande qui avait deux chambres – ce qui était nécessaire à mes yeux à préciser puisque tous mes amis vivaient dans des palais incroyablement grand – une salle de bain, une superbe cuisine ouverte sur son salon. Ça faisait du bien de me trouver ici plutôt que dans un endroit inutilement immense. Humble, Ike avait préféré vivre confortablement et simplement, pourtant il avait parfaitement les moyens de se payer un palais aussi grand que ceux des Kamylah. « Quelle utilité à vivre dans un palais quand on est seul ? Ça ne rime à rien », m'avait-il un jour dit quand je lui avais posé la question.

Ike écarta les rideaux de ses portes vitrées et me sourit en me reconnaissant. Il ouvrit le portail et me prit dans ses bras en plaquant un grand baiser sur mes lèvres. Une chaleur intense m'enveloppa soudain, les battements de mon cœur s'affolèrent. Ciel que c'était bon. J'en oubliai un instant la raison de ma venue. Il interrompit notre baiser, les yeux étincelant de malice, avant que les choses ne dérapent puis m'entraîna à l'intérieur de la maison.

– Quelle bonne surprise.

– Euh...oui.

Je posai mon sac sur le sol à côté du sofa. La grande télé affichait une course de vol d'athlètes atlazasiens très connues. Je reconnus deux d'entre eux : Lug Rox, qui faisait partie de l'équipe des Falox et Philosha Mac, qui elle était membre des Warss. J'avais eu l'occasion de voir leurs performances incroyables lors des Jeux de Dumsard de l'an dernier. Un événement sportif qui se déroulait tous les ans à Atlazas et conviait tous les grands fans de ces épreuves à encourager leurs équipes favorites. Malheureusement, la première et seule fois que j'y avais été, un drame avait entraîné la mort de deux des meilleurs joueurs des équipes Falox et Warss : Marick Sholson et Gigo Doss. Un drame bien évidemment orchestré par Darken lui-même.

Il y avait un bol de chips et deux bières entamées sur la table basse du salon. Je fronçai les sourcils. Il n'était pas un peu tôt pour boire ?

– Tu n'es pas seul ? Lui demandai-je en désignant les deux bouteilles de bières.

Les cheveux lâchés retombant sur ses épaules, Ike secoua la tête. Je m'attardai un moment sur son torse nu. Il ne portait qu'un short de sport.

– Non, je regardais les Jeux de vol avec...

– Kaya ! S'exclama une voix dans mon dos.

Un jeune homme très grand aux cheveux bleu-vert comme ses yeux et à la peau tirant vers le bleu elle-même, m'attrapa et me souleva en me faisant tournoyer. Milo, un ami à Ike qui était aussi devenu le mien depuis mon arrivée, me relâcha enfin avec un sourire d'enfant sur ses lèvres.

– Je me disais bien que j'avais entendu ta voix aux chiottes.

Charmant.

– Tu vas bien Milo ?

– Mis à part les problèmes quotidiens, ça va !

Milo se jeta sur le sofa et attrapa sa bière. Fréquenter Milo était devenu un peu compliqué. La première et unique fois où j'avais osé aller chez lui, sa mère m'avait froidement congédié en me faisant clairement comprendre qu'elle était un fervent membre des Pilahs, ce groupe aux idées extrémistes ligué contre moi. Elle m'avait appelé mutzallag d'un air mauvais et même si à l'époque je ne savais pas trop ce que ça voulait dire, je m'étais sentie insultée. Je n'avais revu Milo que quelques jours plus tard, il était mortifié et s'était répandu en excuses sur le seuil de la porte du manoir.

- Ma mère n'est pas méchante mais elle est un peu étroite d'esprit, m'avait-il dit avec un sourire gêné. Je suis désolé, elle n'aurait jamais dû s'adresser à toi de la manière qu'elle l'a faite. C'était totalement irrespectueux.

C'était le cas de le dire.

- Ce n'est pas de ta faute Milo, lui avais-je dit en me demandant tout de même pourquoi il m'avait laissé monter chez lui s'il savait déjà que sa mère n'apprécierait pas.

Mal à l'aise, il avait ajouté, le regard un peu dans le vague :

- Je lui ai déjà dit que ce n'était pas bien de s'allier à des gens comme les Pilahs. Ils ne veulent que des atlazasiens purs souches, méprisant tous ceux qui sont issus d'unions mixtes. Je crois l'union qu'ils détestent le plus, c'est une union entre un homme-poisson ou une femme-poisson et un atlazasien ou atlazasienne. Ils les détestent encore plus que les nobles.

Stupéfaite, je l'observai bouche bée. Devant mon air choqué, Milo avait lâché un petit rire jaune.

- Je sais. On vient à s'en demander comment je suis né, hein ?

La colère avait alors bouilli dans mes veines en voyant le visage de mon ami se peindre de tristesse. Comment cette femme osait-elle ? Ne se rendait-elle pas compte qu'elle blessait son propre fils, reniant son existence ? Dans un élan de compassion, je l'avais pris dans mes bras en lui assurant qu'il serait toujours le bienvenu chez moi et que je ne lui en voulais absolument pas. 

– Et toi, tu vas comment ? me demanda Milo en tournant la tête vers moi, assis sur le canapé, les jambes posées sur la table basse d'Ike.

– Je vais bien, répondis-je en jetant un coup d'œil à mon sac où était soigneusement froissée la feuille de Grozrik.

Je ne pouvais pas parler à Ike. Du moins, pas pour l'instant. Ike s'assit à côté de Milo, prit ma main doucement et m'installa sur ses genoux. Au bout d'un moment, je me surpris à m'intéresser aux jeux, après tout Darken n'allait quand même pas débarquer derrière le sofa. Ces athlètes étaient vraiment impressionnants. Ils devaient exécuter des vols très rapides aux virages serrés, et traverser des cerceaux de feu. Ike m'apprit qu'ils s'agissaient en réalité de courses pré-sélectives pour les prochains Jeux de Dumsard. Des jeux qui réunissaient des millions d'atlazasiens voulant encourager leurs équipes favorites dans des épreuves.

- La FAJD parle d'annuler les jeux cette année, dit Milo.

La FAJD était la Fédération Atlazasienne des Jeux de Dumsard qui s'occupait de l'organisation, des règles et des épreuves des jeux.

Ike avala sa bière de travers.

- Quoi ? s'étrangla-t-il. Mais pourquoi ?

Milo haussa les épaules avec un soupir.

- Ben à cause de ce qui s'est passé l'an dernier, vieux, répondit-il d'un air dépité.

Dans le monde des humains, nous avions les Jeux Olympiques, à Atlazas, nous avions les Jeux de Dumsard.

- Ce n'est pas une raison, les accidents ça arrive, s'indigna Ike.

Je haussai les sourcils.

- Parce que tu appelles ça un accident toi ?

- Ce n'est pas ce que je veux dire. Nous n'avons qu'à renforcer la sécurité tout simplement !

- Je suis d'accord avec toi, dit Milo en levant sa bière vers Ike.

Nous reportâmes notre attention sur l'écran. Les athlètes redoublaient de vitesse et frôlaient de peu par moment les obstacles qu'ils étaient censés éviter. L'un d'entre prit même feu en traversant un cerceau de flamme. Le public les acclamait, les encourageaient et leur lançaient même des pièces d'or. Un geste qui me choqua.

– Pourquoi leur jeter de l'argent ? M'étonnai-je.

– C'est pour leur porter chance, me répondit Milo qui se pencha pour piocher dans le bol de chips.

Une véritable pluie de pièce d'or tombait depuis les tribunes.

– Mais c'est de l'or !

Milo rigola en secouant la tête devant mon air choqué et Ike esquissa un sourire en coin, une lueur moqueuse dans ses yeux rivés sur moi.

– Ce sont des gens riches qui leur lancent ces pièces histoire de les encourager.

Tu parles d'un encouragement !

– Mais enfin quand-même, c'est littéralement jeter de l'argent par la fenêtre, dis-je en regardant une athlète adresser un sourire radieux à un couple qui lui avait lancé une dizaine de pièce. Ce n'est même plus par amour du sport.

Ike rit et resserra son bras sur ma taille.

- Tu sais, ceux qui jettent de l'argent ont aussi bien souvent parier sur leur joueur, me dit-il. Il se pencha vers moi, ses lèvres effleurant mes oreilles et me pointa du doigt sur l'écran, un homme grassouillet doté d'une extraordinaire grande moustache qui jetait à présent des pièces à Lug Rox. Lui, tu le vois ? – je hochai la tête – il s'appelle Nast Loubs, oui comme tes chaussures celles que tu vénères avec tant d'amour, ajouta-t-il en souriant.

- Je ne les vénère pas ! rétorquai-je.

- Alors ce cher monsieur est comme tu t'en doutes très riche et a la réputation d'aimer parier, il adore les jeux d'argent, poursuivit-il en m'ignorant. Lui, je suis d'accord, il aime l'argent et rien que l'argent. Le sport, il s'en contrefiche.

Milo hocha vigoureusement la tête en approuvant Ike.

- Ne devait-il pas d'ailleurs plusieurs millions d'atlanz à un crokatla ? demanda Milo en fronçant les sourcils.

- Morkhus Bel, oui, une véritable crapule, dit Ike. Tu ne supportes pas Grozrik, attends de rencontrer celui-là.

Je grimaçai.

- Ça ira.

Le public poussa des nouveaux cris de joie en voyant Philosha Mac arriver la première à la course de vol avec obstacles mouvant. Une pluie de pièce s'ensuivit.

- Pourquoi ils n'ont pas aussi jeté des pièces aux Jeux de Dumsard l'an dernier ? interrogeai-je les garçons.

- La FAJD l'interdit pour les Jeux de Dumsard, répondit Ike.

Il eut un silence durant lequel nous regardions les athlètes s'affronter maintenant dans des duels, dernière épreuve avant l'annonce des athlètes sélectionnés pour les Jeux de Dumsard. Philosha Mac avait été présélectionné pour les prochains jeux, il ne manquait plus que Lug Rox qui avait raté de justesse et aurait une chance de se rattraper aux prochaines pré-sélections qui se dérouleraient dans trois semaines. La jeune athlète leva d'un geste triomphale la médaille autour de son cou ainsi qu'une petite bourse pleine à craquer d'atlanz.

– Nous, les petites gens, nous ne pouvons leur offrir que notre support, soupira Milo en finissant d'un trait sa bière.

Milo était le seul ami qui ne faisait pas partie du cercle de la noblesse que j'avais. Je n'avais pas beaucoup l'occasion de fréquenter les atlazasiens de la classe moyenne. Orphyll ne me permettait pas souvent de sortir en ville de peur qu'un sbire de Darken ne me repère, et à l'institut Atlanz, nous étions séparés des autres élèves, sauf durant les petites pauses mais ça n'était pas suffisant pour créer des liens.

– Imaginez que les pièces leurs tombent sur le crâne !

Ike et Milo éclatèrent de rire.

– J'avoue que je n'y avais jamais pensé, dit Ike. Les athlètes les attrapent toujours.

– Tu m'étonnes, c'est de l'or ! Dit Milo. Ah, qu'est-ce que j'aimerais assister aux prochaines courses pré-sélectives.

– Ça se passera où ? Demanda Ike.

– À Preto, c'est à une heure du centre.

Ike hocha la tête, pensif. Ils discutèrent un moment de l'éventualité d'aller voir ces athlètes à l'œuvre. Ce n'est que trois heures plus tard que je pus enfin me retrouver seule avec Ike. Après avoir raccompagné Milo devant la barrière, Ike revint dans le salon, referma la porte en vitre derrière lui. Debout en face de lui, je me tordais les doigts tandis qu'il m'observait les bras croisés.

– Alors, qu'est-ce qui se passe ? Soupira-t-il.

– Comment tu sais que...

– Dès que je t'ai ouvert, j'ai senti ton esprit embrouillé. Je ne pouvais pas me concentrer sur toi, vu que Milo est une vraie pipelette.

– Grozrik est passé à l'improviste et nous a rapporté une preuve des prochains plans de Darken.

Ike ferma les yeux, soudainement crispé. Je devinai qu'il avait eu une image très claire dans mon esprit de la feuille.

– Tu sais ce que signifie cette pierre ?

– Non, me répondit-il.

Je fronçai les sourcils.

– Je ne comprends pas le lien que cette pierre a avec toi. Sur la feuille, il y a clairement écrit ton nom dessus donc je...

– Kaya, mon père est un homme complètement cinglé. Il n'y a rien à comprendre.

Il me prit doucement les mains, je lui souris.

Mon père, répétai-je. C'était la première fois que je l'entendais parler de lui en ces termes.

– Ça reste un monstre.

– Je sais.

Il me contourna et alla dans la cuisine pour se prendre un soda dans le réfrigérateur. Je m'accoudai au bar de la cuisine et observait Ike qui ne semblait pas le moins du monde intéressé ou inquiet par le fait que Darken veuille le récupérer.

– Et ça ne t'inquiète pas plus que ça ?

– Quoi donc ?

– Qu'il s'intéresse à toi enfin ! M'impatientai-je agacée par son manque de réaction.

Ike leva les yeux au ciel.

– Et alors ? Qu'est-ce que ça change ? Tu crois que je vais faire comme mon frère et le rejoindre ?

– Quoi ?

Je fis les yeux ronds. Mais de quoi parlait-il ? Jamais je n'avais insinué qu'il puisse retourner sa veste et me trahir.

Ike leva un regard noir vers moi.

– C'est pour ça que tu es venu me voir Kaya ? Pour t'assurer que je ne te poignarde pas dans le dos dans les jours à venir ?

– Je m'inquiète pour toi, c'est tout.

– Cesse donc, tu veux ? Préoccupe-toi plutôt de ton cas. Ce n'est pas moi qui aie une bombe à retardement dans le corps, me lança-t-il d'un ton cinglant.

J'avalai ma salive, complètement abasourdie par cet excès de colère. Son regard sombre me fixait furieusement. Alors terriblement blessée, j'attrapai mon sac et sortis sans dire un mot de la maison. Je l'entendis m'appeler dans mon dos mais je ne me retournai pas.

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