CHAPITRE 2-1
Dernier chapitre faisant partie des extraits publiés dans le tome 1
Plus tard, quand l'heure arriva enfin de quitter les chambres, je sortis de la mienne avec ma valise. Ike et Alyssa étaient déjà à l'accueil en train de rendre leurs clefs. En me voyant approcher, Alyssa me lança un regard noir. Je l'ignorai et rendis ma propre clef de chambre au réceptionniste qui nous souhaita une bonne continuation. Chell et Ange étaient déjà installés dans la voiture ou du moins à ce qui semblait être une voiture. En réalité, les voitures à Atlazas ressemblaient à des calèches futuristes sans chevaux. Les voitures lévitaient à quelques centimètres du sol au point mort, et pouvaient voler à une vitesse ahurissante. Devant la voiture noire, un jeune homme chauve portant des lunettes de soleil nous attendait, les bras croisés. C'était Lhinck, mon chauffeur qui parfois s'improvisait garde du corps. Il m'adressa un bref sourire en m'apercevant et m'ouvrit la portière.
– Bonjour Certessa, vous avez passé un bon séjour ?
– Super, merci Lhinck.
Je montai dans la voiture. Au bout d'une trentaine de minutes de voyage à traverser le continent, nous arrivâmes enfin au centre d'Atlazas. Lhinck déposa chacun chez soi. Il ne restait plus qu'Ike et moi dans la voiture quand Chell referma la portière et nous fit des signes de la main. Lhinck se tourna vers nous.
– Est-ce que je vous dépose chez vous Certess ? Demanda-t-il en s'adressant à Ike.
Il échangea un regard avec moi.
– Oui, lui répondit-il.
Puis se tournant vers moi, il ajouta :
– Je te rejoins plus tard au manoir avec des vêtements propres.
Je souris, soulagée.
Quand je poussai la grande porte en double vitrage du manoir, Phyllis la vieille domestique me réserva un accueil un peu revêche comme d'habitude. Elle gardait une petite rancune envers moi car mes premiers jours au manoir, j'avais refusé qu'elle me donne le bain ou me coiffe tous les jours. Un refus qui l'avait visiblement terriblement vexé. Ronde, les sourcils broussailleux et les cheveux toujours coiffés en une très longue tresse, Phyllis s'écarta pour me laisser entrer, un plumeau dans les mains.
Le manoir respirait la propreté. Le sol en marbre était brillant, et les plantes venaient d'être arrosées. Je traversai le hall d'entrée et me rendis dans le salon. Les grands rideaux avaient été tirés pour laisser les derniers rayons du soleil couchant dans la salle. La grande cheminée était éteinte, les fauteuils et le canapé blancs semblaient être tout neuf. Phyllis était peut-être insupportable mais on ne pouvait pas lui reprocher de mal faire son travail.
– Donnez-moi votre valise je vais nettoyer les vêtements et la ranger, me dit Phyllis en attrapant ma valise.
– Orphyll n'est pas là ? Dis-je.
Je m'étonnai qu'il ne soit pas descendu avant même que je n'arrive. Il se montrait parfois tellement papa poule.
– Euh...oui.
Phyllis évitait mon regard. Je fronçai les sourcils.
– Que se passe-t-il Phyllis ?
– Il a de la visite.
– Vraiment ? Qui ? m'étonnai-je en croisant les bras.
Les joues de Phyllis rosirent légèrement. Pourquoi se m'était-elle dans un tel état ? Je n'eus pas le temps d'élucider le mystère. Des bruits de pas descendant les escaliers résonnèrent dans le manoir, ainsi que des éclats de rire. Un petit gloussement de femme plus exactement. Je fis les yeux ronds à Phyllis qui eut un léger hochement de tête.
– Orphyll fréquente quelqu'un ? Chuchotai-je abasourdie.
Orphyll pénétra dans le salon avec à son bras, une vieille femme. Il s'arrêta net en me voyant, son sourire se figea. Je me mordis les lèvres pour ne pas éclater de rire devant son visage ahuri. Mon tuteur semblait avoir rajeuni de quelques centaines d'années. Il avait coiffé sa longue chevelure grise et sa barbe nattée semblait briller un peu plus que d'habitude. Je plissai les yeux. Il avait même changé de pair de lunettes. Désormais argentée et très classe, elles mettaient en valeur ses yeux vert émeraude parsemés d'étoile d'argent. La peau légèrement scintillante de son visage semblait avoir perdu quelques rides aussi. Qu'avait-il fait ? Un Lifting peut-être ?
– Bonsoir, dis-je avec un large sourire.
La vieille dame m'adressa un immense sourire, le regard pétillant. Elle s'approcha de moi à grands pas, et me prit la main.
– Certessa Kaya, Miléandre Yoss c'est grand honneur de faire votre connaissance, me dit-elle d'une petite voix cristalline.
Les cheveux coiffés en un afro bouclé, elle me fixa de ses petits yeux bridés aux lueurs turquoise et vertes. J'en fus un moment stupéfait. Ses pupilles étaient extraordinaires. Mais elles n'étaient pas aussi surprenantes que sa peau bleuâtre qui ressemblait à du caoutchouc. Elle me rappelait un peu mon ami Milo, qui était un atlazasien mêlé être de l'eau. Mais sur la peau de la vieille femme, on pouvait y voir quelques signes comme si on l'avait gravé. Sa poigne était forte. Quand mes yeux tombèrent sur ses doigts bleus palmés, j'étouffai un hoquet et plaquai un plus grand sourire sur mes lèvres. Mais Miléandre Yoss ne fut pas dupe, elle éclata de rire.
– C'est la première fois que vous rencontrez un être de l'eau ?
– Oui...je suis désolée, balbutiai-je avec un nouveau sourire gêné.
– Ce n'est rien mon enfant, quand on connaît votre parcours on ne peut que comprendre votre réaction.
– Oui, ça a fait beaucoup à assimiler en arrivant à Atlazas. Mais je commence à m'y faire.
– Si un jour vous allez à Naoterra ou à Vimari, vous serez éblouie. Notre apparence est d'ailleurs légèrement différente sous l'eau.
Orphyll se rapprocha à son tour, il arborait comme à son habitude cet air joyeux que je lui connaissais bien mais je remarquai qu'il était un peu mal à l'aise.
– Tu ne m'avais pas dit qu'elle serait là ce soir ! Lui dit Miléandre sur un ton de reproche.
– Je dois admettre que cela m'était sorti de la tête, répondit Orphyll.
– Toi, tu avais oublié que je rentrais ce soir ? M'étonnai-je en écarquillant les yeux.
– Ce sont des choses qui arrivent, se défendit-il le regard étincelant.
– Pas à toi Orphyll, rétorquai-je.
– Et si nous prenions un apéritif ? Lança-t-il d'un ton enjoué pour couper court à la conversation. Il leva la tête vers Phyllis qui faisait semblant de dépoussiérer le meuble du salon. Pourriez-vous nous servir l'apéritif, je vous prie ?
Orphyll s'écarta élégamment afin d'inviter son amie à s'installer sur un des fauteuils confortables du salon et avant de faire de même. Miléandre Yoss m'adressa un grand sourire quand je pris moi-même place sur le canapé, entre eux.
– Je suis désolée, je dois vous mettre mal à l'aise, s'excusa Miléandre.
– Ne vous en faites pas, je me suis habituée aux regards curieux.
Phyllis ne tarda pas à déposer sur la table basse une bouteille de vin accompagné de plusieurs petits gâteaux apéro. Nous nous servîmes un peu de vin et dans un silence religieux, le dégustâmes. Mal à l'aise, je me raclai la gorge en regardant partout sauf en direction de Miléandre qui n'arrêtait pas de me fixer.
– Alors, comment as-tu trouvé la région de Côte d'Or ? Me demanda enfin Orphyll en rompant le silence.
– C'était très beau.
– Vous avez visité Côte d'Or ! C'est un véritable petit paradis. J'y ai vécu quelques années merveilleuses.
– Vraiment ?
– Oh oui !
Miléandre se pencha vers la table pour attraper une olive qu'elle engloutie. Je remarquai alors le pendentif de son collier pendant. C'était le corps d'une femme nue en or, dans une position très gracieuse. Elle suivit mon regard.
– Ah, mon pendentif vous intrigue ? C'est Lutsumoon, la déesse mère d'Atlazas.
– Lutsumoon ? Répétai-je.
Miléandre hocha vigoureusement de la tête en se servant à nouveau cette fois-ci une petite poignée de roulés de saucisse.
– Mmmh, oui ou déesse lune si vous préférez.
J'en avais déjà entendu parler.
– Je sais que ça ne fait pas très longtemps que vous vivez à Atlazas mais – elle se pencha vers moi – connaissez-vous la légende de la Clef ? M'interrogea-t-elle en baissant un peu la voix, comme si elle avait peur que quelqu'un nous entende.
Mon cœur rata un battement et je manquai de m'étouffer avec ma gorgée de vin. Me frappant doucement la poitrine, j'échangeai un regard avec Orphyll qui semblait s'être figé.
– La Clef ? Répétai-je d'une voix rauque.
– Vu votre réaction, j'imagine que vous la connaissez.
– Euh...j'en ai entendu parler une fois en cours avec M. Pilerz.
Miléandre balaya l'air d'une main.
– Ce vieux Polius est un pessimiste. Je me demande pourquoi il enseigne encore à l'institut, il n'arrête pas de répéter qu'il déteste les élèves !
J'esquissai un sourire. Il était vrai que je n'étais pas une très grande fan de M. Pilerz.
– Laissez-moi vous donner la bonne version : selon la légende, Lutsumoon aurait fait don de ce pouvoir à un atlazasien à qui la vie aurait été une vraie épreuve au début de sa vie. Quelqu'un au cœur pur, et au courage sans limite. Le premier ayant été reconnu en possession de ce don fut Atlanz, le premier empereur d'Atlazas. Votre ancêtre.
Je plaquai un sourire sur mes lèvres et jetai quelques coups d'œil discret en direction d'Orphyll pour qu'il me vienne en aide mais il resta de marbre.
– Oui, à ce qu'il paraît.
Le regard de Miléandre changea légèrement.
– À ce qu'il paraît ? Dit-elle en reprenant mes mots, un peu vexée.
– Je...
– Vous n'y croyez pas ? Vous aussi vous allez vous moquer de mes convictions ? Je reconnais que la légende a pu être édulcoré au cours des millénaires mais enfin...
Je haussai les sourcils, affligée.
– Ah non, pas du tout. Je ne voulais pas vous vexer, poursuivez votre histoire. Je la trouve très intéressante.
Elle m'évalua un moment du regard puis se tourna vers Orphyll qui haussa les épaules.
– Eh bien, puisque vous insistez, dit-elle en retrouvant le sourire. Le problème voyez-vous, c'est que personne n'y croit à ce pouvoir. Et je suis persuadée que si nous y croyions, il réapparaîtra. C'est un pouvoir qui se réveille quand on a besoin de lui. Et au vu de la situation, nous avons besoin de cette aide pour nous débarrasser de tous nos démons.
Elle s'interrompit un moment et m'observa si longuement qu'elle me mit mal à l'aise, je commençai à me tortiller sur mon fauteuil. Miléandre se rapprocha, prit ma main libre dans les siennes, les yeux larmoyants. J'écarquillai les miens, plus que gênée.
– Mon enfant, je suis convaincue que vous portez le gène sacré en vous, m'avoua-t-elle dans un souffle.
Prise de court, je me raidis.
– Ça suffit Miléandre ! S'exclama soudain Orphyll en nous faisant sursauter.
– Tu es si étroit d'esprit, se moqua-t-elle en se redressant. Tu sais parfaitement que je descends d'oracles de renommés dont Milivha La Juste.
– Je ne remets nullement en cause tes sens de voyances.
– Et tu peux dire ce que tu veux Orphyll, mais dès que j'ai croisé le regard de cette petite, j'ai senti une chaleur intense me couper le souffle.
– Peut-être était-ce un courant d'air ?
– Un courant d'air chaud ? Fit Miléandre incrédule.
Je regardais un peu partout ne sachant où me mettre. Je choisis de baisser les yeux sur mes orteils dont les ongles étaient recouverts d'un vernis rose pâle qui donnait un air frais à mes pieds. Je l'avais trouvé dans une petite boutique durant mon séjour à Côte d'Or. La vieille propriétaire du magasin, d'une classe et une beauté époustouflante avait insisté pour me l'offrir en s'apercevant que j'étais Kaya Golkindor-Kamylah, l'enfant prodigue comme elle l'avait répété cent fois. J'avais eu beaucoup de mal à accepter ce cadeau en observant ma situation plus qu'avantageuse. Elle ne possédait qu'une toute petite boutique qui aurait bien mérité un coup de jeune. La peinture des murs s'écaillait, le carrelage était fissuré à quelques endroits et il manquait deux lettres à l'enseigne du magasin qui au lieu d'y lire Boujon qui une fleur bleu turquoise dont les pétales ont la taille de feuilles de bananier, on y pouvait lire Bouo. En sortant de la boutique, j'avais discrètement déposé une dizaine de pièces atlanz.
La sonnerie de la porte qui retentit dans tout le manoir me sortit de mes pensées et interrompit la petite prise de tête d'Orphyll et Miléandre. Je me retins de souffler de soulagement. Phyllis se précipita à l'entrée pour aller ouvrir à notre visiteur. D'ailleurs qui cela pouvait être ? Puis j'entendis la voix grave de mon petit-ami résonner. Je me figeai. Zut ! J'avais momentanément oublié qu'il devait me rejoindre au manoir. Le temps était passé aussi vite ? Orphyll me lança un regard furieux. J'écarquillai les yeux. Il ne pouvait sérieusement pas m'en vouloir. C'est réagissant de cette manière, à vouloir cacher notre relation avec Ike que les gens auraient des doutes. Je le vis se lever. Il n'allait quand même pas le renvoyer chez lui. Je me levai à mon tour et le devançai.
– Ike ! M'exclamai-je avec un grand sourire. Je l'enlaçai et me forçai à penser de toutes mes forces à Miléandre.
Il comprit et se retint même de rire. Je plissai les yeux. Que me valait ce sourire narquois ?
– Ça va Orph' ?
– Oui.
Sans dire un mot de plus,il tourna les talons et rejoint Miléandre d'un pas raide. Ike me jeta un regardintrigué auquel je répondis en levant les yeux au ciel. Juste avant que noussuivions le même chemin qu'Orphyll, Ike en profita que personne ne nous voyaitpour me donner une tape sur les fesses. Je poussai un petit cri de surpriseavant de pouffer. Il prit un air innocent en allant dans le salon, s'installant sur le canapé donc à côté de moi. Orphyll semblait sur le point d'imploser.
– Bonsoir Miléandre.
La vieille femme se raidit, le regard soudain glacial.
– Bonsoir, répondit-elle sèchement.
Je fronçai les sourcils et m'apprêtai à lui faire remarquer que je la trouvais un peu désagréable mais Ike me fit un discret non de la tête.
– Donc vous me parliez de la légende, dis-je pour rompre le silence gêné qui s'était subitement installé à l'arrivée d'Ike.
Ike fronça les sourcils.
– Je ne vois pas de quoi vous parlez mon enfant, répliqua Miléandre en finissant d'un trait le fond de son verre.
Ce qui réinstalla le silence. L'aversion que ressentait Miléandre envers Ike était si grande qu'elle en était même palpable.
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