DERRIÈRE L'IMAGE, LES SENTIMENTS

'Derrière l'image, les sentiments' par xiaoxianzi


Minho ne savait pas vraiment pourquoi il était venu. Il avait plusieurs heures de retard sur l'horaire du rendez-vous et il avait eu un mauvais pressentiment dès la réception de l'invitation.
Mais maintenant qu'il avait fait le déplacement, partir aussitôt paraîtrait absurde. Il y avait longtemps qu'il n'avait pas ressenti si fortement l'incertitude. Il trouvait cela assez étrange car, toute sa vie il avait été absolument nécessaire qu'il cultive une assurance inébranlable – d'abord parce qu'il était un homme, mais aussi parce que c'était essentiel pour la carrière qu'il avait choisie.
Mais alors pourquoi se retrouver sur ce trottoir le rendait-il si nerveux ? Peut-être qu'il craignait les représailles de son agence. Ou peut-être appréhendait-il simplement la réaction de ses anciens camarades à sa présence ?
Plus de marche arrière possible, souffla-t-il entre ses dents. C'était une phrase qu'il avait dû beaucoup répéter aujourd'hui. Malgré ces années d'expérience devant la caméra et pour une scène aussi clichée, il n'était pas arrivé à la délivrer sans sonner faux. Cette invitation à renouer avec son propre passé n'avait pas pu quitter son esprit.
Il n'aimait pas du tout se savoir soumis à ces fantômes, alors peut-être que son esprit compétitif l'avait conduit jusque là pour vaincre enfin cette faiblesse. Il pensait qu'il fallait définitivement qu'il en finisse avec cette partie de sa vie et cela nécessitait qu'il l'affronte. Il claqua d'un geste décidé la portière de sa voiture et traversa la route sombre qui le séparait du restaurant. Il pouvait voir l'ambiance joyeuse qui y régnait à travers les vitres et cela le fit se sentir bizarre. L'entrée était juste devant lui mais il n'y avait toujours aucun recul possible. Il se força à se changer les idées, essayant de se persuader que tout ne pouvait aller que dans son sens.

Son entrée se fit dans un tintement de clochette presque englouti par l'excitation ambiante. Il ne se fit pas remarquer immédiatement, mais à son grand soulagement l'un des premiers à l'avoir vu n'était autre que celle qui l'avait invité.

— Choi Minho ! je n'aurais jamais pensé que tu viennes !

Lui non plus, vraiment, pourtant il se trouvait là. Debout dans l'entrée d'un restaurant côtier quelconque d'Incheon, face à une poignée de ses camarades de lycée, alors qu'il était à l'apogée de sa carrière d'acteur.
Sans surprise, Minho sentit l'ambiance de la fête changer. Tous ces grands yeux admiratifs se posaient sur lui comme lorsqu'ils étaient encore tous au lycée. Pourtant, Minho arrivait à déceler un changement évident derrière l'oeil de ses camarades : ils le regardaient avec plus d'attentes et, sans aucun doute, plus de jugement. Il regrettait d'avoir à se présenter devant eux sous cette lumière. Il se prit à penser que tout aurait été plus simple s'il avait été comme tout le monde, s'il n'avait été personne. Ces regards ne pouvaient que finir par se durcir s'ils venaient à apprendre la raison de sa présence parmi eux.

La femme qui l'avait accueilli l'avait aussitôt pris dans ses bras, sous les regards aussi surpris qu'envieux du comité. Minho avait rendu son étreinte avec politesse et avait tenté de lui dire le plus sincèrement possible :

— Je n'aurais pas manqué une occasion de te voir, Soongyu.

Dans tout son naturel, elle haussa un sourcil l'air presque triste. Sans surprise, l'effet de charme souhaité par Minho n'avait pas fonctionné sur la journaliste. L'air qu'elle lui avait offert agaça Minho presque aussitôt. Il détestait la sympathie intéressée qu'elle et ses collègues avaient toujours envers les gens de son genre. Il était suffisamment lucide pour entretenir ce jeu étrange mais il avait l'hypocrisie de l'exécrer.
Sans laisser plus de place au malaise s'installant, Soongyu le tira vers les tables autour desquelles étaient installées la plupart d'entre eux. Minho salua courtoisement ses camarades et fit même l'honneur à quelques-uns de ses vieux amis de leur faire l'accolade. Soongyu l'installa près d'elle, bien que déjà entourée par son groupe d'amis de l'époque. Minho aurait pu s'émerveiller longtemps de les voir tous réunis pour la première fois depuis vingt-cinq ans, mais il fut bien vite ramené à ses doutes précédents. Il se sentait de les repousser encore un peu, alors il ignora simplement la figure de leurs origines.
Soongyu lui servit un verre de bière qu'il s'empressa d'attraper pour occuper ses mains.

— Ça se passe bien à la rédaction ?
— Oh, c'est plutôt calme, répondit-elle entre deux gorgées de sa propre pinte. Tu n'aurais pas quelque chose d'intéressant à nous partager, toi ? lui demanda-t-elle sur le ton de la rigolade.

Il s'étonna lui-même d'avoir réussi à tenir son rôle aimable. En puisant encore dans son talent rhétorique, il arriva même à détourner élégamment la conversation. Soongyu avait donc fini par lui dévoiler tout ce qu'elle savait sur les petites vies quelconques de leurs anciens camarades. Et même cette conversation, qui aurait pu – au maximum – simplement distraire Minho, le mettait ce soir dans un état désagréable au possible.
Inévitablement, il avait fallu que Soongyu mentionne des noms (un seul) que Minho aurait aimé pouvoir éviter encore un peu. Et le hasard avait fait qu'elle avait tellement de choses à dire à propos de cette personne, qu'elle aurait presque pu en écrire la biographie.

— Et maintenant ça va faire presque six ans que Changmin est marié.

Il était inutile qu'il diminue l'effet que cette nouvelle avait sur lui. Ce qu'il ressentait était en tout point comparable à des milliers de bâtons de dynamite lui explosant au visage. Il en avait vu des explosions sur set et il était à peu près sûr que celle-ci était bien réelle.

— Je n'ai pas vu de bague à son doigt...
— Tu es sûr ? Tu n'es même pas parti le saluer... alors tu n'as pas dû y faire attention.

Il aurait pensé que Soongyu ne soit plus intéressée par ce genre de ragots mais il fallait croire qu'elle ne travaillait pas assez à ce genre de choses à la rédaction. Minho ne trouvait plus vraiment d'intérêt à cette conversation. Et iI sentait qu'il n'y en avait plus non plus à faire l'autruche. Il brûlait presque d'aller en guerre contre la source de ses tourments. Plus il épluchait la vie de Changmin, plus il sentait qu'il devait y faire face. Il avait conscience qu'à son âge (et avec son statut), cette situation était assez ridicule. Mais il ne voulait plus se dérober devant cette peur. Cela lui traversa enfin l'esprit qu'il avait déjà perdu assez de temps comme ça. Il se leva alors abruptement, coupant Soongyu dans son discours sur le mariage de Changmin.

— Excuse moi, Soongyu. Je dois absolument prendre l'air.

Fuyant la réaction de Soongyu, Minho quitta aussitôt l'intérieur du restaurant par sa terrasse.
Dehors tout semblait serein. La mer s'agitait doucement sous les courants d'air de la nuit. Elle était perlée de milliers de petites lumières colorées venant de la côte. Tout semblait être à sa place. De ces tâches multicolores, aux petites lanterne accrochées au rambardes, des jolis vêtements qu'il portait, aux nuages qui perturbaient les éclats de lune, chaque chose était méticuleusement disposée comme dans un décor de cinéma. Ce paysage trop parfait ne réussit pas à calmer son tourment. Il lui était même étrangement insupportable. Pourtant il avait lui-même longtemps cherché cette perfection, ce confort. Et jusque lors, il se pensait plus que satisfait de la vie qu'il avait menée. Mais malgré tous ses efforts, il n'arrivait pas à comprendre pourquoi son cœur, après tant d'années, s'entêtait à poursuivre ce désir d'adolescent.
Il se sentait de plus en plus hirsute. Sa petite balade sur le ponton paraissait bien calme comparée à la tempête qu'il y avait dans sa tête. Savoir que tout ce qu'il avait essayé de construire en rupture avec ce passé n'avait pas résisté à un simple voyage à Incheon, faisait grandir en lui une impression amère.

Arrivé tout à la fin de l'embarcadère, il s'assit assez pathétiquement au bord. Il décida sur un coup de tête de mettre ses pieds à nu et de les plonger dans les flots jusqu'au début du mollet. L'eau était froide, mais son contact lui fit le plus grand bien.
La sensation familière le berçait doucement et aurait presque pu lui faire oublier ce qui troublait son esprit. Malheureusement (ou peut-être un peu de manière attendue) il fut interrompu dans sa méditation par des pas qui venaient dans sa direction. Avant même qu'il puisse se demander qui cela pouvait bien être, une carrure familière se retrouva à son côté.

— Changmin...

Il ne trouva rien de plus pertinent à dire, bien trop pris de court pour exprimer quoique ce soit. Il était en complète ébahissement devant son camarade : c'était comme si ces vingt-cinq dernières années n'étaient jamais passées. Sa voix était peut-être plus basse mais son sourire réservé était le même que celui qui l'accueillait en classe très tôt le matin. Minho ne voyait même pas les ridules qui s'étaient formées au coin de ses yeux, ni celles qui se creusaient au-dessous de ses pommettes.

— Désolé de te déranger, je peux m'asseoir avec toi ?

Minho tenta de lui répondre de la manière la plus décontractée possible, mais comme trop souvent ces derniers temps, il finit par sonner comme un instrument mal accordé. Il aurait préféré n'avoir aucune explication à son comportement mais le fait qu'il y en ait une, et savoir ce qu'elle impliquait, aurait pu le rendre fou. Son cœur battait à cent à l'heure, dupé par l'illusion d'un temps qui ne serait jamais passé. Il était soudainement avide de retourner à cette relation qu'ils avaient partagé trop succinctement à son goût. Il voulait retrouver la chaleur si particulière de leur amitié (ou quoique fusse ce qu'ils avaient un moment partagé).

— Ça fait longtemps...

Minho hocha simplement la tête avec un sourire qu'il n'avait pas pu empêcher d'être nostalgique. Changmin le lui avait rendu et après cela, ils ne dirent rien pendant un temps. Minho espérait que Changmin apprécie autant que lui sa présence silencieuse. Il espérait aussi qu'elle lui ait manqué autant qu'à lui.
Les vagues qui se déroulaient paisiblement devant eux, Minho espérait encore aujourd'hui qu'elles puissent emporter avec elles toutes les choses étranges qu'avait fait fleurir Changmin en lui. Il en avait fait le vœu il y a si longtemps qu'il aurait dû se trouver furieux de toujours porter ses sentiments. Vivre loin du tourment de ses passions aurait dû mettre fin à cette lubie pernicieuse. Et logiquement, elles auraient dû se tarir et finir par mourir.

Changmin s'était risqué à commencer une conversation. Rien de très choquant, une discussion absolument ordinaire entre deux vieux amis (bien qu'un peu plus distant : Changmin ne pouvait définitivement pas ignorer le fait de parler à une célébrité).
Malgré tout, ces quelques banalités qu'ils échangeaient faisaient émerger une sensation aussi familière qu'agréable chez Minho. Elle s'éveillait en lui comme après de longues années d'hibernation.

Il voulait dire tant de choses à Changmin. Sa tête bouillonnait et ses lèvres frétillaient. Cette conversation ne lui en donnait pas assez. Lui en voulait plus, toujours plus. Il voulait arracher à Changmin tout ce qu'il avait vécu et le remplacer par tout ce qu'ils n'avaient pas pu vivre ensemble.
Cela avait été si facile de se développer et vivre avec Changmin dans cette idylle inavouée, qu'il avair pensé que grandir hors de ce schéma le serait tout autant. Pas de sentiments trop compliqués alors pas de remords possible. Soudainement, l'époque où il se permettait d'être aussi insouciant lui manqua effroyablement.
Il n'arrivait pas à se résigner, mais pas une solution ne lui venait à l'esprit. Aucune quantité de notoriété ou d'argent n'aurait pu l'aider à récupérer ce qu'ils avaient été un jour. Minho aurait voulu remonter le temps si cela signifiait pouvoir le passer aux côtés de son ami. Il était tiraillé entre l'envie de ruiner tout ce qu'il avait acquis pour être avec Changmin et la fatigue de vivre dans les illusions qu'il se créait.

Changmin lui parlait de son épouse fantastique et de ses filles adorables. Minho lui souriait et répondait avec entrain alors qu'il était persuadé qu'il aurait pu lui offrir bien mieux que tout cela.
Il désespérait de pouvoir l'embrasser et aurait pu mourir pour une once de réciprocité. Ces vingt-cinq dernières années passées à être porté par cette volonté jamais assouvie de pouvoir embrasser ces lèvres rien qu'une fois... avec passion, avec les sentiments les plus réels, les plus palpables que Changmin n'aurait jamais connu... Comment avait-il pu vivre sans assouvir ce besoin ? Comment ne s'était-il jamais rendu compte qu'être avec Changmin le faisait se sentir si désespéré mais pourtant si en vie ?
Il avait trop tardé. Et même à l'époque, s'ils n'avaient jamais osé mettre un mot sur ce qui les liait, c'était pour qu'ils ne s'aventurent pas en quête d'une chimère. Ils n'auraient pu et ne pourraient jamais être ensemble de cette manière.

Si son regard n'était pas aussi désespérément accroché à celui de Changmin, Minho serait certainement entré dans une crise de colère effroyable. Il ne pensait pourtant pas être ce genre de personne – ce genre d'homme – mais Changmin faisait ressortir en lui son essence d'être humain, ses sensibilités et émotions les plus pures.
Mais ce qui le terrorisait au-delà de montrer cette facette trop crue, était de regretter d'être venu ce soir.

Il avait remis ses chaussures depuis un moment déjà. Le froid de la nuit les avait tous les deux rapprochés un peu. Leurs épaules se frottaient et Minho pouvait entendre la respiration régulière de Changmin. Il ferma les yeux un instant et s'imprégna de toutes ces sensations. Il avait enfin trouvé ce qu'il allait faire de tout ce désarroi.
Il rouvrit les yeux et jeta un coup d'œil rapide à sa montre. Poliment il s'excusa auprès de Changmin et lui annonça son départ. Il posa une main sur son épaule avec une minutie qui aurait pu paraître presque exagérée et lui souffla des aurevoirs aussi sincères que possible. Il prit le temps d'assimiler ceux de Changmin et lui offrit un tout dernier sourire.
Il le laissa au bout du pont et marcha le pas plus léger vers la salle toujours festive. La porte sembla un peu plus lourde que lorsqu'il était sorti plus tôt mais il ne se retourna pas pour adoucir sa fermeture. Il s'était interdit de regarder en arrière.
Il aperçut Soongyu et lui fit un signe de la main sans arrêter sa marche vers la sortie. Il marqua une pause seulement au comptoir et confia quelques billets jaune à la jeune femme qui tenait encore l'accueil. Il la salua également et rejoignit sa voiture.
Une fois dans l'habitacle, il inspira un grand coup. Il n'avait pas eu le courage de le confronter directement mais il s'était senti plus prêt que jamais à abandonner ses fantômes.

merci beaucoup à xiaoxianzi  d'avoir participé au recueil, n'hésitez pas à laisser des retours !! en espérant que le texte vous ait plus ~

on se retrouve la semaine prochaine pour le prochain OS !

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