Athéna

La jeune femme au carré roux se trouvait au beau milieu d'un couloir dans un château souterrain vêtu d'une longue robe rouge, elle avançait lentement. Sa respiration était presque robotique, d'une lenteur mécanique. Sa démarche bionique rappelait à tous les avancées technologiques de ces trente dernières années. Elle avait perdu l'usage de ses jambes lors de la grande guerre de trois ans qui avait ravagé la planète après une crise économique majeure à l'ère 2020.

Désormais, elle comme tout un tas de rescapés, vivaient dans les souterrains de la ville perdue de Berlin. Le tatouage sur son épaule rappelait à tous, son nom dans une ancienne vie : Athéna. Elle entendit un bruit derrière elle, prête à dégainer, elle tournait la tête, attentive. Ses yeux bioniques prirent la couleur du violet. Sa main droite se posa sur son avant-bras gauche comme si elle allait dégainer une arme. Elle fut rapidement rejointe par quatre autres femmes. Ils ne perdaient pas leur temps ici-bas ou du moins c'est ce qu'ils prétendaient pour se donner bonne conscience. Personne ne pouvait entrer dans le château de Kevlioni sans en avoir eu l'autorisation. Le chaos régnait toujours dehors et seule l'élite pouvait avoir le droit de rentrer dans les enceintes de la forteresse.

Elle soufflait, rassurée. Rien à signaler, après une inspection minutieuse, seul un rat était entré. Ces vermines avaient eu le temps de proliférer partout dans la ville du dessus. Elle reprit sa route vers l'immense hall souterrain. Elle n'avait plus une minute à perdre, elle allait être en retard au bal. Elle tapait sur son bras et en une seconde, sa longue robe se transformait en une tenue de gala. Les mondanités continuaient d'être la norme dans ce monde, ironie quand on savait que le reste de l'humanité s'entretuaient juste au-dessus. Elle portait désormais une couronne de diamant sur la tête et une robe bouffante bleue. Elle s'était inspirée de la tenue issue d'une vieille casquette du passé. Elle l'avait trouvé et regardé, animée d'un intérêt de découvrir le temps d'avant. Elle avait perdu le nom de celle-ci, tout ce dont elle se souvenait était le passage de la vie de souillon à la vie de princesse, qui l'avait enchantée.

Elle avançait dans la pièce où une dizaine des plus riches familles de l'ancien monde se tenaient face à elle. Ils la répugnaient, ils se terraient dans ces lieux comme la bestiole qu'elle avait vu un peu plus tôt dans le couloir. Elle se plaça près d'un fauteuil en velours auburn sans même leur adresser la parole, puis s'avachit dans celui-ci sans bruit. Elle s'ennuyait déjà. Elle patientait restant silencieuse, l'assemblée déjà présente, attendait que tous les rejoignent. En deux temps, trois mouvements, la pièce fut remplie. Un jeune homme portant un pantalon de cuir, une chemise blanche entrouverte, surgit. Elle ne l'avait jamais vue auparavant. Tous se levèrent et le dévisagèrent. Ses yeux en amande fixaient l'assistance froidement.

Un homme prit la parole et le présenta à voix haute :

« - Tae de la cité perdue de Tokyo.

Il se montrait méprisant avec tous, son regard ne trompait personne ; elle ressentait un étrange pressentiment. Ils ne semblaient pas perturber par son attitude hautaine, il est vrai qu'une certaine prestance se dégageait de lui, sa démarche était hypnotisante. Il se mouvait avec grâce, elle se tournait, jaugeant la réaction de l'assemblée, ils avaient des regards admiratifs. Ils semblaient savoir qui se trouvait face à eux, pour sa part, elle ignorait tout de lui. Elle posa instinctivement sa main droite sur son avant-bras gauche. Son cœur battait plus vite, elle en avait le souffle court. Elle avait l'impression de ressentir pour la première fois, un sentiment encore inconnu pour elle : de la peur. Non cela ne pouvait être cela. Elle se raisonna et se mit à reprendre ses esprits, elle le fixait de ses yeux violets. Il avait le regard fixe, il semblait regarder quelque chose derrière elle, elle se tournait et ne trouvait personne. Il se mouvait tel un jaguar dans sa direction, elle parut surprise. Son costume de velours noir, digne d'un bal lui rappelait un félin au-delà même de sa gestuelle. Cet animal avait disparu depuis bien longtemps. Ils avaient ici-bas l'interdiction même de savoir qu'il existait auparavant des espèces en tout genre. Les gouvernements d'ici museler les connaissances de l'ancien temps. Elle avait contrevenu aux règles du fait de sa position de gardienne de la cité et de son droit de se mouvoir dehors sans questionnement de quiconque.

Elle savait qu'elle avait la chance de pouvoir se promener dans le monde extérieur à son bon vouloir. Le prétexte de la protection de ces privilégiés des souterrains en a été la réponse et lui convenait parfaitement. Suivant sa seule philosophie : le savoir c'est le pouvoir, elle avait donc absorbé toutes les connaissances qu'elle avait pu découvrir là-haut. La philosophie d'en bas : l'oppression des consciences, la révoltait mais elle ne faisait rien, ne disait rien comme trop lâche pour se rebeller. Meut par l'envie de rechercher et de découvrir la vérité. Elle avait du mieux que possible retrouver ses souvenirs perdus, enlevés par les scientifiques, extraite de son cerveau pour en faire une machine à tuer. Une femme de nature mi humaine, mi robot. Elle en avait perdu une part considérable de son humanité, peut-être celle-ci tout entière. Elle tentait désormais de recoller les méandres de ce qui faisait d'elle une humaine : la connaissance sur l'histoire du monde, sur son histoire.

Elle n'avait presque plus de souvenir de son ancienne vie, outre son prénom. Un prénom qui avait raisonné en elle comme la promesse d'un grand destin quand elle avait découvert d'où ik venait, le nom d'une déesse antique. Elle fermait les yeux quelques secondes, se remémorant un lointain souvenir. Un beau jour, elle s'était retrouvée comme une nouveau-né sans souvenir ou presque du monde d'hier. Le scientifique, son créateur, lui avait alors rappelé quelques souvenirs comme celui de l'ancienne guerre. Elle s'était déclenchée à la suite d'une épidémie mondiale.

Elle avait pu par ses nombreux passages dehors se reconstruire un semblant de mémoire et se rendre compte que tout est mensonge, ici-bas. Quand l'enfer se fait passer pour le paradis, il ne faut rien espérer de plus. Terrés dans leur souterrain alors qu'en haut ce n'était que famine, guerre et désolation. Ils la dégoûtaient de plus en plus. Plus elle en savait, plus elle sombrait dans une forme de dépression. La connaissance peut parfois amener des peines plus grandes que l'ignorance.

Perdue dans ses pensées, elle ne fit pas attention que le jeune inconnu s'était placé devant elle et lui tendait la main. Elle ne comprit pas ce que signifiait ce signe. Elle analysait cela comme un signe de Bonjour. Elle prit alors sa main et voulant la serrer, elle fut saisie fermement par KL. Il la conduit vers la piste de danse, elle écarquilla alors les yeux mais ne sut pas comment s'échapper de ce piège. La musique se mit à jouer, son cœur tremblait. Elle ne savait pas ce qui la rendait si nerveuse aujourd'hui, elle ne se reconnaissait pas, elle la guerrière. À quel moment la situation avait-elle aussi rapidement dégénérée ? Elle qui aimait avoir les choses sous contrôle. Il posait une main sur sa taille et la conduisait dans des mouvements de danse dont elle ne se pensait pas capable. Elle n'aimait pas danser, ce n'était pas sa place. Pas ici, ce n'était pas de son rang, pas son monde. Elle n'était qu'une combattante.

Pourtant, elle se détendit un tant soit peu et se mit à le suivre dans le rythme entraînant, elle se laissait faire. Oui, elle se prit à fermer les yeux une micro seconde, elle se laissait emporter par le moment. Elle avait envie de se détendre mais elle sentait tous les regards braqués sur elle. Elle craquait de plus en plus, ces derniers temps et faisait des choses qu'elle n'avait jamais faites auparavant. Est-ce que la partie robotique en elle commençait à bugger? Plus elle en apprenait sur l'humanité, plus elle sentait sa part humaine se réveiller.

Elle ouvrit brusquement les yeux, elle tressaillit ; elle devait la contrôler. Elle voulut alors reculer brusquement mais il retient son bras, il semblait savoir qu'elle allait être sa réaction car il avait réagi plus vite qu'elle-même. Elle se mit à le fixer avec méfiance, tandis qu'il continuait de l'emporter dans une danse endiablée. Il profitait de sa faiblesse ; elle en était presque certaine. Elle ne savait même pas qu'elle savait danser. Elle le découvrait en même temps que tous dans cette pièce.

Il lui murmura de le laisser faire et elle se retrouva le dos courbé à un mètre du sol. Elle se savait vraiment plus dans qu'elle barque avait-elle embarqué ? Allait-elle chavirer ? La musique semblait s'arrêter, elle pensait enfin être libérée mais elle n'eut pas le temps de refuser qu'il l'emmenait encore dans d'autres mouvements sur une musique d'un autre genre.

D'autres personnes, les rejoignirent, une bonne partie continuer de l'observer mais elle commençait à ne plus éprouver une gêne. En effet, elle appréciait le moment. Elle se reconnaissait dans les histoires de princesse de l'ancien monde, elle se sentait emportée dans un moment de féerie. Dès lors qu'elle se mit à penser cela, le jeune homme se mit à sourire. Elle haussa un sourcil, entendait-il ses pensées ?

Tout était possible de nos jours avec la robotique, même si elle n'avait jamais entendu parler d'une telle prouesse. Elle se renfermait d'un seul coup sur elle-même. Elle devait rester sur ses gardes, elle ne connaissait pas ce jeune homme. Il se mit à rire. Il lisait clairement dans ses pensées mais elle ne pouvait être sûr. Elle secouait la tête intérieurement cela ne pouvait être possible, cette prouesse n'existait pas encore en 2050. Elle se rendit compte qu'il ne lui avait pas adressé la parole se contentant de l'observant parfois en riant, comme s'il se racontait les meilleures blagues dans le fond de son esprit.

- Tu ne m'as même pas demandé mon prénom, crachait-elle.

- Je sais tout de toi, Athéna.

Savait-il que son bras à elle se transformer en une arme de guerre ? Elle reculait brusquement et se mit en position de combat. Son bras se transformait en un canon.

- Code 2233.

L'ensemble de la garde se mit à ses côtés, dans le même temps, sa robe laissa place à une combinaison de guerre. Tout le monde se figeait dans l'assemblée. Il se mit à rire, d'un rire faux. L'homme qui avait présenté KL un peu plus tôt avançait les mains devant lui et tout doucement vers Athéna, ayant peur de faire un mouvement de trop. Les yeux d'Athéna avaient viré dans une couleur inquiétante.

- Athéna, gardez votre calme, il n'y a aucune peur à avoir contre notre invité d'honneur.

Athéna ne se démontait pas.

- Code 4455

La garde encercla KL. Il prit un nouveau fou rire. L'homme avançait toujours avec précaution.

- Je répète Athéna, KL n'est pas dangereux.

Athéna ne le regardait pas, ses yeux étaient braqués sur KL.

- Quelqu'un a fait entrer le loup dans la bergerie et c'est lui qui mène le bal, annonçait la femme robot.

Elle fixait son canon sur la tête de KL. Elle approchait de lui, il ne bougeait pas, il ne semblait pas avoir peur d'elle.

- Athéna, je vous en conjure, il n'est pas un danger.

Elle n'écoutait pas l'homme, et s'approchait encore plus. Son bras canon se transformait en une lame. Elle trancha d'un coup sec, la chemise de KL. Un seul cri d'abomination émanait de la salle. Elle venait de démontrer la preuve d'un homme robot, tout comme elle. Elle l'avait deviné, il avait la capacité de lire les pensées.

KL parlait enfin :

- Et oui, en quoi cela vous étonne ?

Ils le regardaient avec dégoût, l'homme qui le défendait auparavant le premier. Athéna reculait, elle eut de la peine pour lui, ici-bas il ne faisait pas bon d'être à moitié robot. Ils nous traitaient comme des êtres différents, ils se servaient de nous mais ne nous acceptaient pas. Ils ne retenaient que le terme "à moitié" humain pour nous dénigrer, ne pas nous considérer. Ils nous traitaient comme des instruments, nous étions des esclaves d'une nouvelle ère. Je voyais qu'il reprenait contenance. Je fis un signe à mon équipe de reculer. L'atmosphère semblait se détendre, pourtant mes yeux continuaient de fixer le jeune homme. Il serrait ses poings, il savait ce qu'il arrivait lui arriver. Le silence s'éternisait. Puis enfin cette terrible phrase.

- Athéna, ramenez à la porte de la forteresse cette chose, lançait en tournant les talons pour rejoindre sa femme, l'homme qui défendait un peu plus tôt le jeune homme.

Athéna fit un pied en direction de KL. Il baissa pour la première fois la tête, ses poings se serraient encore plus. Torse nu, il semblait avoir perdu toute dignité. Entrant dans ce bal comme un humain, il devait repartir d'ici couvert d'une humiliation sans nom. Il releva doucement son corps comme s'étirant d'un long sommeil. Il reprit sa prestance et déclara d'une voix étrangement calme.

- "On ne peut gagner sa liberté qu'en montrant à l'ennemi que l'on est prêt à tout pour l'obtenir." »

Cette phrase lui disait quelque chose mais elle ne savait plus de qui elle était. Un bruit d'explosion retentit et ce bal si beau fut envahi par les rats. Le monde du dessus avait pris d'assaut la forteresse et s'engouffrait dans ses dédales dans une marée destructrice, le monde du dessus était venu réclamer ce qu'ils pensaient mériter de droit : leur place en enfer. KL dans une rapidité inhumaine trancha la tête de celui qui l'avait surnommé de choses. La tête du roi était coupée. KL tournait sa tête ensuite vers elle, son regard ne laissait rien transparaître de ses intentions.

FIN

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