Chapitre 8

RILEY


Lily est en pleurs, elle a vraiment l'air au plus mal. Je ne sais pas si elle pleure parce que la douleur est si terrible ou si ses souvenirs lui provoquent cela.

Colton s'approche de moi avec son aiguille menaçante : c'est mon tour. Il l'enfonce dans ma nuque et je prends sur moi pour ne pas crier. Ça fait extrêmement mal et une fois qu'elle est entièrement entrée dans ma chair, le produit rose que contient cette seringue m'envahit. À partir de ce moment, mon corps devient incontrôlable, je comprends pourquoi Lily pleure. Des spasmes parcourent mon corps, ma tête est soumise à une douleur inédite. Des bribes de ma vie reviennent par centaines, je reconnais des gens, je vois ma vie défiler et je ressens une multitude d'émotions me traverser : de la joie, de la tristesse, de la colère et de la peur. Je revois ma sœur, je me souviens du jour où mon père est mort et je ressens une haine inconditionnelle envers l'Asile. Ils m'ont tout volé, ils ont volé la vie de mon père ainsi que celle de ma sœur. Et maintenant je comprends, je comprends que je n'ai pas tué ma sœur, ils l'ont tuée. Tout ça à cause de leur stupide rationnement. L'Asile vous protège, c'est cela oui. Il ne protège personne, il se sert des gens et les rend asservis. Je suis plus énervé que jamais, j'ai envie de retourner là-bas et de tous les tuer de mes mains, un par un. J'ai envie d'aller voir le dirigeant, Gavin Thompson, et de le détruire, je veux voir du sang jaillir de sa bouche, je veux voir son corps sans vie, je veux venger ma sœur.

— Riley est-ce que tu vas bien ? demande Colton.

— Je vais les tuer. Je vais tous les tuer.

Je me lève de ma chaise pour m'en aller d'ici. Colton avait bien prévu que l'un de nous aurait envie de faire ça puisqu'il a fermé la porte à clef.

— Ouvrez la porte !

— Non, assieds-toi, on doit parler.

— Je vous ai dit d'ouvrir cette porte !

Je vais ouvrir cette fichue porte par la force, s'il refuse de le faire. Je pourrais littéralement tout casser et tout détruire sur mon passage. Des objets, des gens, même les murs.

— Riley...

C'est Lily. Elle a posé sa main sur mon bras, mais je me défais de son contact, trop en proie à la colère pour être rationnel.

— Tu devrais te calmer. Il faut qu'on écoute ce qu'il a à nous dire.

Elle agrippe ma main et la caresse de son pouce. Ce geste doux de sa part me calme un peu, mais j'ai toujours envie de retourner à l'Asile et de tous les exterminer. J'ai envie qu'on me laisse être en colère, Lily n'arrivera pas à me calmer si c'est ce qu'elle espère. Dans le doute, j'évite de la regarder. Ça ne l'arrête pas pour autant, sa main vient m'attraper par la mâchoire et me force à tourner la tête vers elle. Étrangement, je me laisse faire.

— Écoute-moi, Riley. Je sais que tu es énervé et que tu as envie de te venger, je ressens la même chose. Mais on doit rester calmes et écouter la suite. Tu n'es pas curieux ?

— Je suis surtout très énervé, tu vois.

— S'il te plait, rassieds-toi et écoute. Ensuite, on ira tout casser si tu veux.

Ses yeux sont doux, je suis heureux de savoir que Lily n'a pas changé en retrouvant ses souvenirs. Je ne sais pas si elle possède des dons, mais je l'écoute, et puis elle a raison, autant écouter ce que le Sergent a à nous dire. Je me rassieds et elle m'adresse un sourire.

— Merci Riley, dit Colton. Comment vous sentez-vous ?

— Bizarre, répond Lily.

— Des douleurs ?

— Au début j'avais mal à la tête, mais plus maintenant. C'est comme si un poids avait libéré ma poitrine.

— Tu n'es plus asservie à l'Asile. Pareil pour toi, Riley ?

— Ouais, je grommelle.

— Très bien.

Il se lève, fait le tour de la pièce, il réfléchit.

— Par où commencer... Il y a quatre-vingt ans, des guerres ont décimé la planète. Conflits politiques, faillites économiques, guerres civiles. Les gens ont tout détruit, se sont entretués et ont tout pillé. Tout a été saccagé, l'armée ne contrôlait plus rien. Ils ont perdu le contrôle, ont exécuté des gens et se sont eux-mêmes fait tuer. Les gens parlaient d'une « apocalypse » et des groupes de survivants se sont alors formés. Des états entiers ont été décimés, certains ont été rasés par des bombes et des radiations. Alors, un homme a pris les choses en mains et a commencé à reconstruire un semblant de civilisation.

— On nous apprend à l'école que l'Asile a toujours été tel qu'il est, je dis.

— Et bien c'était faux. Tout ce qu'on vous dit à l'Asile est faux. Au fur et à mesure des années, cette civilisation s'est créée et est devenue prospère. Les gens ont recommencé à vivre, des constructions ont été faites avec des matériaux pillés ou récupérés. Chacun a mis à profit ses compétences. L'Asile a été construit, ainsi que son mur, le séparant du reste du monde.

— Il y a toujours eu des gens dehors ? demande Lily horrifiée.

— Oui, répond Colton.

— Et qu'est-ce qu'il s'est passé ? je demande.

— Ça a dégénéré. L'homme qui a créé l'Asile, un certain Robert Thompson est mort et une succession a eu lieu, son fils. Il a voulu tout changer, accélérer le processus et il avait pour projet de vivre dans un état avancé, technologiquement parlant. C'était une bonne idée, au début. Il s'est entouré des meilleurs ingénieurs et de tous les plus grands scientifiques, ils ont travaillé sur l'amélioration d'objets qui existaient déjà, ce sont ceux que vous connaissez et avez l'habitude d'utiliser. Et puis, ils ont voulu que les gens oublient le passé. Ils ont voulu que les gens se croient nés dans une nouvelle ère technologique, qu'ils oublient les guerres et qu'ils se sentent redevables. Plus les gens sont redevables et plus ils en font pour vous. C'est ainsi que le nouvel Asile a été créé.

La pièce est silencieuse, nous intégrons ces informations choquantes mais qui font tellement sens, après tout.

— Mais pourquoi des gens se retrouvent dehors ? Et pourquoi on ne se souvenait de rien ? demande Lily.

— J'y viens. L'un des scientifiques qui est le bras droit de Gavin Thompson, le chef de l'Asile, a créé des sérums sous les ordres de ce dernier. Il y a à l'intérieur un condensé d'ingrédients chimiques qui pénètre instantanément dans le système nerveux et vous fait oublier certaines choses ou bien vous persuade d'autres choses. Chaque enfant en reçoit une dose lorsqu'il est en âge de se poser des questions, aux alentours de six ans. On vous administre ce produit tous les ans lors de vos visites médicales, ils vous disent que c'est un vaccin.

Maintenant qu'il le dit, je m'en rappelle clairement. Une infirmière sympathique qui me dit qu'elle va m'administrer un vaccin pour que je reste en bonne santé. Et je restais en bonne santé, alors il n'y avait aucune raison d'en douter.

— Il y a quatre niveaux d'intensité pour ce produit. En fonction des niveaux, il est plus ou moins concentré en ce condensé de produits. La plupart de la population a la dose de niveau un dans le sang, celle que l'on donne aux enfants. C'est celle que vous aviez avant de vous faire emprisonner. Elle vous rend asservis à l'Asile, vous écoutez ce qu'on vous dit et vous ne vous posez pas de questions. C'est pour ça que ça vous paraissait logique que l'Asile vous protège ou qu'il n'y ait pas eu d'Histoire avant l'Asile. Cette dose vous rend malléables, on vous fait croire tout ce qu'on veut.

— Quelle bande d'enfoirés, je dis.

— La dose de niveau deux, continue Colton, est destinée aux forces de l'ordre, aux scientifiques et à tous ceux qui travaillent de près avec Gavin. Elle apporte les mêmes résultats que celle de niveau un mais en plus fort. Ils se posent encore moins de questions et obéissent à tout ce que leur dit le dirigeant sans se demander si c'est bien ou mal, ils perdent souvent tout sens logique. Par exemple, un officier qui vous envoie en dehors de la prison devrait se rendre compte que c'est mal, pourtant il le fait sans se poser aucune question.

Maintenant qu'il en parle, avant que je vole les médicaments et que je me fasse incarcérer, le chef du programme de Protection et Combat m'avait fait signer un document qui stipulait que j'allais passer une visite médicale et recevoir de nouveaux vaccins pour assurer ma bonne santé au sein de mon nouveau poste. En fait, ils voulaient juste m'administrer la dose plus forte pour que je devienne l'un de leurs pantins.

— Et la dose de niveau trois ? demande Lily.

— La troisième, c'est celle que vous avez reçue avant de vous faire expulser. Vous gardez les effets de la première, vous êtes toujours asservis à l'Asile mais en plus, elle vous empêche d'accéder à vos souvenirs. Elle ne vous en laisse que très peu pour semer le trouble en vous, l'Asile fait en sorte que vous vous détestiez et que vous ne puissiez pas réfléchir à votre sort. Ils font en sorte que l'utilisation de certaines de vos capacités mentales vous fasse souffrir. Ils vous font aussi oublier tout ce que vous savez de l'avancée technologique au sein de l'Asile.

— Mais pourquoi ? je demande.

Il sourit étrangement et entrelace ses doigts.

— Je vais vous raconter une petite histoire. À l'époque où le père de Gavin était au pouvoir, avant même l'existence de ce sérum, une rébellion s'est formée. Son bras droit n'était pas d'accord avec sa façon de gouverner. Il disait que l'avancée technologique allait trop loin et que la présence du mur était quelque chose de mal. Ils se sont disputés et le bras droit est parti de l'Asile pour former un groupe de résistants à l'Extérieur. Gavin s'est souvenu de cette histoire quand il est monté au pouvoir, d'où la création de ces sérums. Pour que plus personne ne se rebelle.

— Et vous alors, qui êtes-vous pour diriger cet endroit ? je demande.

— Moi, j'étais un des Agents de Défense Militaire au sein de l'Asile. Gavin a une collaboration étroite avec le Professeur Lewis, celui qui a créé les sérums. Étant donné que c'est lui qui les a créés, il a imposé de ne jamais en recevoir, tout comme Gavin. En voulant créer une dose mortelle, le Professeur a découvert l'antidote. Il ne l'a pas dit à Gavin puisqu'il n'était pas vraiment à l'aise avec tous ces procédés. Il est venu me voir et m'a dit qu'il allait m'injecter l'antidote. Moi, je n'avais pas de famille et de toute façon, j'étais asservi, alors j'ai accepté. Lorsque j'ai reçu l'antidote, j'ai repris le contrôle de tous mes esprits et j'ai compris beaucoup de choses. Ayant peur que je ne cause des problèmes, le Professeur a voulu m'injecter la dose deux de nouveau, mais il s'est rendu compte que ça ne fonctionnait plus. L'antidote était trop fort et empêchait tout autre parasite de m'atteindre. Alors, il a simulé ma mort et m'a fait sortir de l'Asile, il m'a dit de rejoindre un groupe de résistants. Il fait croire depuis ce temps à Gavin que la dose de niveau quatre est la dose mortelle. Il ne l'utilise pas, il ne veut pas réellement tuer des gens.

— Comment vous avez eu ces doses pour nous ?

— Professeur Lewis passe nous voir une ou deux fois par semaine.

— Mais... il ne peut pas sortir, l'Asile est totalement muré !

— Et comment êtes-vous sortis ? demande-t-il avec un sourire en coin.

C'est vrai ça, comment sommes-nous sortis ? Ils ne nous ont pas balancés par-dessus le mur, ça c'est certain. Même en ayant récupéré toute ma mémoire, j'ai un trou noir entre le moment où quelques agents viennent dans ma cellule en me neutralisant et celui où je me suis réveillé aux côtés de Lily.

— Il y a un tunnel dans l'espace des prisons, dit-il. Il mène à l'Extérieur et seul le Professeur est au courant, l'entrée du tunnel est bien cachée et Gavin ne se donne pas la peine de descendre au sous-sol. Quant aux officiers, ils sont conditionnés pour ne se poser aucune question.

— Pourquoi nous ont-ils mis dehors ?

— C'est simple. Toute personne commettant un crime quelle qu'en soit l'ampleur est considérée comme un rebelle. Alors, ils estiment que vous n'avez plus votre place au sein de l'Asile, ils vous emprisonnent et au bout d'un moment, ils en choisissent quelques-uns pour les éjecter. Vous avez été choisis par pur hasard. Avant de vous mettre dehors, ils vous administrent la dose de niveau trois pour que vous vous pensiez en tort et que vous n'ayez rien à nous raconter si vous nous trouvez. Ils partent du principe que tous ceux qui se font éjecter finiront par trouver un groupe de résistants. Alors ils font en sorte que vous ne sachiez rien de l'Asile, ni rien de leurs avancées technologiques pour vous empêcher de nous en parler. Ils ne savent pas qu'on a l'antidote, ils ne savent même pas qu'il en existe un.

Je n'arrive même pas à assimiler toutes ces informations, c'est trop pour moi. C'est une histoire de fou et le pire, c'est que ça tient debout.

— Les valeurs de l'intérieur sont l'évolution et l'innovation. Quant à nous, nous voulons simplement vivre, nous ne voulons pas devenir des robots, l'avancée c'est bien, mais pas quand elle nous dénue de notre humanité. Peut-être qu'à l'intérieur ils savent un tas de choses sur l'innovation, mais nous avons le plus important. Nous avons le savoir, nous savons ce qu'il s'est passé, nous connaissons l'histoire de ce monde. Au sein de l'Asile, vous étiez juste conditionnés pour le servir, vous étiez des robots innovateurs ou des robots ingénieurs. Il faut que vous sachiez une autre chose. Le chef de ce groupe est décédé il y a quelques temps alors depuis, c'est moi qui dirige.

— D'où viennent les gens d'ici ? demande Lily.

— Certains viennent de l'Asile, comme vous. D'autres sont nés ici et n'ont jamais connu l'Asile. Jared et Chace sont nés ici, par exemple.

Maintenant qu'il nous dit tout ça, un souvenir me traverse.


J'adore aller chez Ben. Son appartement est exactement comme le mien, mais je ressens que je ne suis pas chez moi. Et pour cause, ici il n'y a pas ma mère qui ne fait que dormir et qui hurle si je fais trop de bruit. Les parents de Ben sont sympas, ils préparent souvent des bons plats et j'adore ça, puisque ma mère n'en fait pas. De toute évidence, maman n'a pas assez de crédits pour acheter les ingrédients nécessaires, alors je suis bien content quand je vais chez Ben.

Tandis que nous nous exerçons à nos devoirs de sciences ensemble, un bruit nous dérange, une balle qui rebondit depuis maintenant quelques minutes.

Jordan arrête ça ! crie Ben.

Ta gueule ! lui répond ce dernier.

Et c'est toujours comme ça. Je ne comprends pas ce qui cloche chez Jordan, il est plus âgé que nous et pourtant, il ne sait pas se tenir. Il a quand même seize ans alors que nous n'en avons que douze, il devrait être plus mature. La porte de la chambre de Ben s'ouvre et Jordan apparait. Il nous regarde avec un sourire malsain :

Oh, tu fais le malin parce que t'as amené ton copain. Salut demeuré, dit-il en s'adressant à moi. Comment va ta mère ? Toujours aussi triste que ton père soit mort en lui laissant un enfant raté et un bébé malade ?

Des larmes me montent aux yeux et je ne peux pas les retenir. Jordan aime bien se moquer de moi et à chaque fois, Ben s'en excuse alors que ça n'est pas de sa faute.


— Jordan était au sein de l'Asile ? je demande.

— Oui. Il a été éjecté et il nous a rejoints. Sauf qu'il n'en faisait qu'à sa tête et est parti de son côté.

— Je n'aurais pas dû m'en rappeler, mais j'avais le sentiment de le connaitre.

— Ton mental est fort. Lorsque les jeunes se font enfermer, ils les font oublier à leurs proches. Imaginez que vos proches se disent qu'on a enfermé leur enfant ou leur frère. Ils se rebelleraient. Les gens savent qu'il y a des prisons, mais ils ne savent pas qu'il y a deux types de prison. Celle pour les jeunes, et celle pour les autres citoyens.

— Attendez, commence Lily le regard dans le vide. Mes parents ne se souviennent pas de moi ?

Colton lui offre un regard désolé, il n'a même pas besoin de répondre. Lily a les yeux emplis de colère. Elle retient ses larmes, je le vois bien. Quant à moi, son annonce ne me fait ni chaud ni froid, je n'ai plus de famille.

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