Chapitre 7

LILY

Riley l'a vraiment fait. Il est parti et m'a laissée seule. Il a emporté le couteau alors qu'il sait se battre à mains nues, je lui en veux pour ça. J'aurais pu tenter de le suivre mais de toute évidence, il n'en a pas envie et je vais bien devoir me débrouiller toute seule. J'ai déjà avalé deux des barres qu'il m'a données, je dois dire que ça a plutôt bon goût. D'habitude, nous sommes nourris à base de féculents en tous genres et en galettes de légumes fades sans aucun goût. Rien à voir avec de vrais légumes parait-il, et je suis bien obligée d'y croire puisque je n'en ai jamais goûté.

J'ai mangé en surveillant l'homme que Riley a précautionneusement assommé avant de s'en aller, me laissant seule et désarmée avec lui. Il a l'air parti pour dormir un bon moment. J'ai enfilé le pull et à vrai dire, je n'en avais pas plus besoin que ça, je l'ai voulu pour énerver Riley, par rancœur parce qu'il a pris le couteau.

Je me suis mise à marcher, déambulant entre les arbres, sans aucun repère. De toute façon, je ne peux pas me perdre à partir du moment où je ne sais pas où je suis. Je suis harassée de centaines de questions, mais les seuls souvenirs que j'ai me sont inutiles à l'heure actuelle. J'ai en tête des moments passés avec des amis, des visages sur lesquels je ne parviens pas à mettre de nom, de moments heureux avec ma famille, j'ai aussi compris que j'ai une petite sœur. Cependant, c'est comme si tous les noms avaient été effacés de ma mémoire. J'essaye de me rappeler ce qu'il s'est passé après qu'on m'ait tatouée, mais c'est le vide, rien ne me vient.

Au bout d'un long moment de marche, le soleil commence à se coucher, je suis fatiguée. En vingt-quatre heures, je me suis nourrie uniquement d'un peu d'eau et de deux barres dont je ne connais même pas la contenance. Je me demande si Riley s'en est sorti, s'il s'est souvenu de quelque chose, s'il s'inquiète pour moi, mais cette pensée est vite chassée de mon esprit. Riley s'en fiche, il ne pense qu'à lui.

Au fur et à mesure de mes souvenirs, j'arrive à recomposer la ville dans laquelle je vis, même si ces images restent floues, ça me donne l'impression que je ne me trouve pas au même endroit. Celui-ci contraste avec mes souvenirs qui eux, me montraient une ville composée de bâtiments modernes, des rues propres et parfaitement définies, un jardin botanique et des salles immaculées. Ici ne ressemble en rien à ce que je vois dans mes souvenirs. Je m'assieds au pied d'un arbre, fatiguée par toute cette marche quasiment à jeun. Néanmoins, je pense être maintenant assez loin du garçon assommé et je doute qu'il me retrouve. Du moins, je l'espère. Je ferme les yeux pour me reposer mentalement ; mon mal de crâne s'est estompé, mais il revient en force lorsque je réfléchis trop.

— L'Asile vous protège, l'Asile vous chérit et vous aime..., je murmure.

Qu'est-ce que je raconte, moi ? Je me suis mise à parler toute seule. J'ai sorti cette phrase de mon esprit, comme si c'était une chose innée en moi, comme si je récitais une prière. Le plus étonnant dans tout ça, c'est qu'un autre bout me vient naturellement. L'Asile dans lequel nous vivons est bon, ne vous en faites pas, il ne vous arrivera jamais rien. Qu'est-ce qu'il m'arrive ? Je débloque totalement, je n'ai aucune idée de ce que je raconte, ni d'où me viennent ces phrases. Et puis, qu'est-ce que l'Asile ? Je dois être sacrément fatiguée, je m'emmitoufle dans le pull et tente de dormir un peu.

Beaucoup de temps est passé, je crois, et je ne dors toujours pas, trop de questions fusent dans ma tête. Qui était cet homme tout à l'heure ? Est-ce qu'il y a d'autres personnes que nous trois ici ? Est-ce qu'il y a des traces de civilisation non loin ? Je n'ai pas les réponses à mes questions et je sens la fatigue prendre le dessus sur ma curiosité, mes paupières se ferment, je ne lutte pas.

Aujourd'hui, nous avons la Journée Exceptionnelle à l'école. Papa et maman me disent que je vais apprendre plein de choses, moi je pense plutôt que je vais m'ennuyer. Alors que nous sommes tous dans la Salle Exceptionnelle, cette grande salle qui ne sert qu'une fois par an pour cette journée, je suis assise sur une chaise blanche, à côté de Sierra, mon amie.

Pour cette journée, nous avons dû nous mettre sur notre trente-et-un, maman m'a donc affublée de cette affreuse robe bleue que je déteste tant. Je n'aime pas porter celle couleur, je trouve qu'elle ne me sied pas. Pourtant, je n'avais pas le choix, nous devons tous porter du bleu pour cette journée ; je ne saisis pas pourquoi et lorsque je demande à papa et maman, ils restent évasifs, ils me répondent que c'est la couleur officielle du gouvernement. Sierra elle, a relevé ses cheveux blonds en une queue de cheval et malgré ça, ils tombent tout de même en cascade dans son dos tellement ils sont longs. J'allais la complimenter sur sa coiffure lorsqu'une femme brune qui a l'air très gentille monte sur l'estrade et allume les deux micros qui se trouvent devant elle.

C'est l'heure, dit-elle. L'Asile est un lieu de sureté et de protection.

Il nous protège des dangers de l'extérieur, continuons-nous tous en cœur.

Nous sommes tous là, concentrés et répétant le mantra que nous voyons partout sur des panneaux publicitaires, à la télévision ou même dans des livres de culture générale. Depuis que nous sommes petits, nous savons que nous sommes en sécurité, il ne peut rien nous arriver car l'Asile est bienfaisant. Nous savons tous qu'il n'y a rien du tout à l'Extérieur, rien du tout à part la mort et le malheur. Heureusement pour nous, l'Asile prend soin de nous, personne n'est censé connaitre ces deux maux.

Lorsque je me réveille, ces mots résonnent encore dans ma tête. Je vis dans une société bienfaisante et maintenant que mon rêve me l'a rappelé, je suis emplie d'une sensation de bien-être et de réconfort. Une idée me vient : et si j'étais à l'Extérieur ? Non, idée stupide, l'Extérieur ne rime qu'avec malheur, je le sais bien pourtant. J'ai été gardée en vie, saine et sauve grâce à notre gouvernement sans faille et je lui en suis reconnaissante.

— C'est qui, elle ? fait une voix masculine qui interrompt le fil de mes pensées.

Je lève la tête, un homme se tient au-dessus de moi, il a un couteau dans la main. Je ne reconnais pas le visage de l'assaillant de tout à l'heure. Pourquoi ils s'amusent tous à brandir des couteaux, d'abord ? J'aurais aimé que Riley me le laisse, juste au cas où.

— Choppe-la, dit un autre homme que je n'avais pas vu, qui se trouve sur ma droite.

— Et après ? lui demande un autre.

Je regarde partout autour de moi et je me rends compte que trois hommes se tiennent près de moi. Je suis encerclée. De toute façon il ne sert à rien de courir, si je coopère, tout se passera bien pour moi, c'est comme ça que ça marche, la coopération allège les sentences.

— Attrape-la, je te dis ! hurle celui qui est à ma droite.

Alors, un des hommes me fait me lever de force en m'attrapant violement par le bras et il me plaque contre l'arbre. Il me maintient fort contre le tronc, j'aimerais lui dire que ce n'est pas la peine d'être aussi brusque et que je vais coopérer, mais une petite voix me dit que ce serait inutile de parler avec ce genre d'individu. Comme avec Riley, il ne servait à rien de lui forcer la main, ce garçon a tout simplement un sale caractère, autant le laisser piquer sa crise.

— Qu'est-ce que tu fous là ? me demande-t-il.

— À vrai dire, je n'en sais rien, je lui réponds en gardant mon calme.

— Te fous pas de ma gueule.

Il veut que je lui donne une réponse que je recherche moi-même activement, je ne sais pas quoi lui dire d'autre.

— T'es toute seule ? me demande-t-il.

— Oui, je suis seule. Vous me faites mal.

Il m'adresse un sourire carnassier et serre son étreinte encore plus fort, on dirait un sauvage, il n'est pas obligé d'employer la force avec moi.

— Et qu'est-ce que tu fais toute seule dans la forêt ?

— La forêt ?

— Ne me prends pas pour un con ma jolie, parce que je te jure que ça va mal se passer pour toi.

Un rictus horrible s'est formé sur son visage qui est encore plus désagréable à regarder qu'il ne l'était déjà. Je pense que ça va mal se passer pour moi, je n'ai jamais été confrontée à une situation de violence et je ne connais pas ces individus. Même si je tentais quelque chose, je mettrais juste ma vie en danger, ils sont tout de même trois et je suis seule, ce qui veut dire que je dois la jouer fine. Je dois mentir, ruser, lui donner les réponses qu'il veut entendre et ensuite, j'aviserai.

— J'étais en train de me promener, je déclare.

— Tu te promenais sur notre territoire. Personne ne se promène sur notre territoire, est-ce que tu comprends, ça ?

— Je suis désolée, je ne savais pas que j'avais franchi la limite. Lâchez-moi et je m'en vais, vous n'entendrez plus jamais parler de moi.

Il dépose son index sur mes lèvres en émettant un bruit de claquement avec sa langue contre son palais. Il m'offre un large sourire, il a l'air d'un aliéné avec toutes ses mimiques.

— Tu ne vas aller nulle part, déclare-t-il. Je ne sais pas d'où tu viens, ni d'où est-ce que te provient ce cran, mais tu vas rester avec nous.

— J'aimerais beaucoup vous tenir compagnie voyez-vous, mais le fait est que j'ai d'autres projets et...

— Chut, me dit-il en approchant son visage du mien.

Il dépose un baiser sur la commissure de mes lèvres, ce qui a le don de me répugner et me met dans une colère noire. À cet instant précis, je regrette que Riley ne soit pas là, il m'a laissée seule, cet enfoiré. Je profite du fait que mon bourreau soit occupé et j'envoie mon genou à pleine puissance dans son entrejambe. Il hurle et recule pour se courber vers l'avant, comme si ça allait le soulager. Un des deux autres hommes, un jeune blond au visage plus doux, vient se poster devant moi. Il me regarde de ses yeux froids et une brûlure vient enflammer ma joue gauche. Il vient de me frapper, il vient d'envoyer sa main virile contre ma joue qui n'a au grand jamais ressenti une telle violence. Je porte mes doigts à ma joue. Ça pique, ça fait mal et j'ai l'impression d'être devenue sourde de l'oreille gauche.

— Alors toi, me dit-il, tu ne sais pas ce qui t'attend.

Il m'attrape violemment les mains et me les noue avec une corde. J'ai encore les poings liés, comme si c'était mon destin. Il sort un couteau de sa poche et le déplie, je n'avais jamais vu de lame pliable jusqu'aujourd'hui. Il le place sous ma gorge, le baladant sur ma peau qui frissonne au passage de la lame froide et aiguisée. Même si je ne sais pas ce qu'ils me réservent, je suis fière d'avoir fait du mal à au moins un de ces hommes. Celui qui reste se met à tâter mon corps et lorsqu'il pose la main sur la barre que j'ai précieusement rangée dans ma poche, il la brandit en l'air pour que ses deux congénères la voient. Ils se lancent tous trois des regards entendus, peut-être qu'ils connaissent celui contre lequel Riley s'est battu.

— Où t'as trouvé ça ?

— Je...

— Tu sais quoi, me coupe-t-il, ne dis rien. Tu t'expliqueras avec le chef.

Il me pousse dans le dos, me forçant à marcher vers une destination qui m'est inconnue.

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