Chapitre 6

RILEY

Je ne sais pas pourquoi elle m'a réveillé mais une chose est sûre, elle aurait pu être plus douce, merde ! Je la regarde, attendant qu'elle parle ou qu'elle me dévoile la raison de ce réveil brutal.

— J'ai compris quelque chose, me dit-elle.

— Un peu plus de détails ne serait pas du luxe...

— Regarde sur ma nuque.

Elle veut que je regarde sa nuque ? C'est quoi son problème à cette fille, elle me réveille pour que je regarde sa nuque ? Elle ne me donne pas plus d'explications et me fixe avec insistance, elle veut vraiment que je fasse ce qu'elle me demande. Je lève les yeux au ciel mais obtempère tout de même. Elle se tourne légèrement, pour se trouver dos à moi. Je pourrais l'attaquer, me débarrasser d'elle, elle ne me verrait pas venir. Wow Riley, va te faire soigner !

Je soulève sa masse de cheveux châtains, remarquant au passage qu'ils sont doux et délicats, ils me rappellent ceux de ma sœur. Tiens, encore un souvenir qui apparait au compte-goutte.

— Alors ? me presse-t-elle, surexcitée.

Je sors de ma rêverie à propos de ses cheveux et les décale sur son épaule gauche pour dégager son cou. Ce que je vois me laisse perplexe. Je ne comprends pas, alors je reste bloqué à regarder sa nuque fine et délicate. Je lève ma main libre et l'approche doucement de son cou, comme si j'avais peur de le fragiliser ou qu'il se passe quelque chose d'affreux au moment où la pulpe de mon doigt atteindra sa peau. Lorsque ce moment arrive, elle frissonne, elle ne s'y attendait pas. Je caresse du bout de mon index les inscriptions encrées sur sa chair. Mon doigt passe délicatement sur un huit inscrit à l'encre noire, puis sur un trois et enfin, un quatre. Huit cent trente-quatre. Merde. Pourquoi est-ce qu'elle a ces chiffres tatoués sur sa nuque ?

— C'est quoi ce délire ? je lui demande, sous le choc.

— Qu'est-ce que tu vois ?

— Ton nombre. Un huit, un trois et un quatre. Pourquoi ? Et comment tu as su ?

— Je crois comprendre ce qu'il nous arrive, enfin du moins, une partie. Tu ne te rappelles rien ? Tu n'as pas fait de rêve ?

— Non.

Je n'ai pas fait de rêve, j'étais paisiblement en train de dormir, jusqu'à ce qu'elle me secoue pour me montrer sa nuque tatouée. Elle se retourne et approche sa main de ma tête, l'appuie vers le bas pour me la faire baisser et voir ma nuque. Je la laisse faire et je relève la tête une fois qu'elle a fini de m'inspecter.

— Toi aussi, tu l'as, confirme-t-elle dans un murmure.

Moi aussi, je l'ai ? Elle est en train de me dire que j'ai moi aussi ce fichu tatouage ? Pourquoi je ne m'en rappelle pas ?

— Tu as cinq mille huit cent vingt-trois, précise-t-elle.

— Et à quoi correspondent ces nombres ? Pourquoi on les a tatoués sur nos nuques ? je lui demande en tentant de garder mon calme.

Elle ne me répond pas, elle a les yeux qui fixent l'horizon ; d'ailleurs, le soleil est tout juste en train de se lever. Je lui ai posé la question plusieurs fois, ça m'agace au plus haut point qu'elle ne me réponde pas. Elle sait des choses et ne me les dit pas.

— Tu... tu ne te rappelles pas t'être fait arrêter ? me demande-t-elle.

— Si je me suis fait arrêter ? Non.

— On ne s'en sortira pas si tu ne m'aides pas. Écoute, le soleil se lève donc on va probablement commencer à marcher mais on manque de forces, je me sens déjà faible et j'ai l'impression d'être la seule à réfléchir.

— Je t'ai dit que je ne me souvenais d'aucune arrestation, tu piges ? je lui hurle presque.

Cette fille m'énerve, j'ai qu'une hâte, c'est de me libérer d'elle et de faire ma vie, peu importe si je suis amnésique, peu importe où j'irai, au moins je serai seul. Surtout que je ne me rappelle pas m'être fait arrêter, je le lui ai dit une fois, elle devrait apprendre à ne pas insister quand on lui dit non. Lorsque je lui ai crié dessus, elle s'est renfrognée, depuis elle baisse la tête et ne cherche plus à me parler. Je suis trop dur, je me mets à culpabiliser, je ressens au fond de moi que ce n'est pas mon genre. J'ai envie de m'excuser, mais une petite voix à l'intérieur me dit de ne pas le faire.

Elle prend une longue inspiration, ce qui me donne l'impression qu'elle va se mettre à déblatérer et me sortir une tirade qui va m'agacer. Je prie pour qu'elle arrête de poser des questions ; le seul souvenir qui m'est revenu était douloureux, si tous mes souvenirs sont ainsi, je préfère qu'ils ne reviennent jamais, quitte à être amnésique. Parfois, l'ignorance a du bon.

— J'ai été arrêtée, moi, me dit-elle. Je travaillais après les heures d'apprentissage à l'arboretum, avec ma mère. Il y avait des fruits qui avaient tous l'air plus appétissants les uns que les autres. Mon rôle était de les cueillir, je n'avais pas le droit d'y goûter, c'était formellement interdit. Sauf que depuis petite, je rêvais de goûter aux pommes. Un jour, j'en ai mangé une, je n'ai pas pu résister et je me suis fait arrêter. Pour une pomme !

À cet instant, je me rends compte qu'elle et moi n'avons pas les mêmes problèmes. Je devais m'occuper de ma sœur malade mais elle, pendant ce temps-là, elle était en train de se retenir de dévorer tous les fruits de l'arboretum. C'est ridicule, ses problèmes sont ridicules.

— On t'a arrêtée pour une pomme ? je répète, étonné.

— Oui tu sais, ça coûte très cher. C'est presque dix crédits pour le fruit le moins onéreux et mes parents gagnaient à eux deux, trois cent crédits par mois.

J'hallucine, elle a carrément plus de souvenirs que moi, elle se rappelle même le salaire de ses parents alors que moi, je ne me souviens même pas de si j'ai des parents ou non. Tout ce que je sais, c'est que j'ai une petite sœur malade.

— Bref, continue-t-elle, on m'a emmenée aux prisons et on m'a tatoué la nuque. C'est tout ce dont je me rappelle. C'est pour ça que je t'ai demandé de vérifier. Je suppose que huit cent trente-quatre est mon numéro de détenue, quelque chose du genre. Et tu as toi aussi un numéro, alors j'en ai décrété que tu avais toi aussi été arrêté, alors...

— Je t'ai dit non et je ne te le répèterai pas une fois de plus, je la coupe.

Elle m'adresse un sourire contrit et respecte ma demande, elle arrête de parler. Je devrais probablement tenter de me creuser les méninges, c'est sûrement ce qu'elle a passé son temps à faire pour avoir découvert autant de choses, mais j'ai peur de ce que je vais trouver, mon premier souvenir n'ayant pas été très plaisant. Je regarde l'aurore et décrète qu'il est temps de partir. Je me mets debout, ce qui fait également se lever Lily. C'est seulement maintenant que je me rends compte que j'ai des besoins primaires que j'avais occultés jusque-là.

— Tourne-toi, je lui dis.

— Quoi ? Pourquoi ?

— Tourne-toi, j'ai envie de pisser.

— Oh, d'accord.

Ses joues prennent une légère teinte rosée et elle se tourne, comme je le lui ai demandé, tandis que je m'affaire difficilement à ma tâche avec ma main gauche. C'est un peu gênant et j'espère que l'on sera détachés avant que ça ne le devienne encore plus. Une fois que j'ai fini, nous nous mettons à marcher, je ne sais ni où ni dans quel but, mais on ne peut pas rester plantés là. Nous avançons côté à côte, les menottes ne nous laissant pas une plus grande marge de mouvements. Ça me fait bizarre de déambuler entre ces arbres, j'ai l'impression que ce n'est pas quelque chose de naturel pour moi, comme si c'était la première fois.

Nous marchons pendant un long moment, sans dire mot. Il y a bien trop d'arbres ici et si je tentais de rebrousser chemin, je nous perdrais à coup sûr. Lily me suit, sans objection, je me demande si elle a peur de moi ou si elle me prend pour un enfoiré de première et à vrai dire, je m'en fous, elle peut bien penser ce qu'elle veut. J'avance en regardant au sol, à la recherche d'une pierre assez bien pour briser nos liens. Lorsque j'en trouve une qui me parait efficace, je la prends et mon bonheur augmente encore plus lorsque je repère un rocher au loin. Nous avançons vers lui, positionné entre deux arbres. Il m'arrive à hauteur du genou, je m'accroupis devant, forçant Lily à copier mes mouvements. Je suis heureux qu'elle coopère, sinon j'aurais été obligé de l'assommer et de la trainer avec moi.

Je positionne nos menottes sur la roche et tiens fermement la pierre de ma main gauche. Je frappe la chaine pour la briser, encore et encore. On dirait que le métal avec lequel elle a été fabriquée est incassable, il résiste à tout. Puis, une idée me vient, une idée que j'aurais préféré avoir depuis le début et je me maudis que ça n'ait pas été le cas. Je me mets à frapper ma menotte avec la pierre, ce qui me fait mal à la main mais peu importe, je sens que le loquet pourrait lâcher si j'y mets toute ma bonne volonté.

J'ai eu raison d'ignorer ma douleur, un déclic se fait entendre et ma menotte se desserre, me permettant de libérer ma main. Je fais des mouvements circulaires avec mon poignet, j'ai retrouvé toute ma liberté. Lily aussi est libre maintenant, elle peut profiter de la nature à sa guise comme si elle était dans l'arboretum. Du sang encercle légèrement mon poignet, à cause des à-coups que j'ai donnés, qui ont fait se planter le métal de la menotte dans ma peau. Lily me regarde, attendant que je la libère de son bracelet. Je fixe son poignet aussi délicat que sa nuque, lorsqu'une voix m'interrompt dans mon inspection.

— Personne ne bouge.

Mon regard se porte alors sur un garçon qui doit avoir une vingtaine d'années. C'est un grand brun plutôt musclé, il nous menace de son couteau. Lily me regarde, les yeux pleins de panique, elle attend probablement de moi que je fasse quelque chose, comme si j'étais l'homme de la situation, ce que je ne suis pas. Néanmoins et à ma plus grande surprise, je trouve le courage de me lever et d'avancer vers le garçon qui a un mouvement de recul.

— Si tu fais encore un pas, je te plante, me prévient-il.

Sans réfléchir, je fais un pas de plus et je me découvre un nouveau trait de personnalité : je suis courageux. Ou alors complètement débile, je ne sais pas. Il tient un couteau mais pourtant lorsque j'avance, il recule. Je comprends assez vite qu'il bluffe et qu'il ne compte absolument pas nous blesser, alors j'avance encore et je le vois baisser son arme.

— C'est bon, on se calme, dit-il d'une voix tout de suite moins assurée qui contraste avec sa carrure.

C'est tout naturellement que je lui envoie mon poing en pleine figure, le choc lui faisant lâcher son couteau. Je le frappe, jusqu'à ce qu'il tombe à terre, sous mes coups assurés. Je sais qu'il n'est pas mort, je vois son thorax se soulever à intervalles irréguliers. Il a l'air étourdi, j'espère qu'il le restera un petit moment, me laissant le temps de m'échapper. Je retourne vers Lily, je vais casser sa menotte et ensuite, je me barre d'ici.

— Tu as choisi un métier de combat, décrète-t-elle.

— De quoi tu parles ?

— Tu sais te battre. J'ai pris la botanique, et toi le combat. Pourquoi ce choix ?

Je ne comprends pas un traitre mot de ce qu'elle me raconte alors je l'ignore, elle commence à en avoir l'habitude maintenant, puisqu'elle ne cherche même pas à réitérer sa question. Je donne des coups sur sa menotte avec la pierre, elle se mord la lèvre inférieure parce que ça lui fait mal. De toute façon, c'est soit ça, soit je la laisse avec son entrave métallique. Une fois que le loquet émet son déclic, elle fait un mouvement circulaire avec son poignet, comme je l'ai fait plus tôt. Elle a elle aussi une entaille ensanglantée.

Elle me remercie mais je suis déjà accroupi par terre à fouiller l'homme que j'ai assommé. Je prends son couteau et le glisse dans ma poche. J'inspecte ensuite son sac, à la recherche de n'importe quoi qui pourrait m'être utile. J'y trouve une bouteille d'eau, que je dévisse et que je commence à vider, j'ai tellement soif. Pendant que je me désaltère, je croise le regard de Lily, qui ne dit rien. J'ai soudainement de la pitié pour elle, je m'arrête de boire et lui lance la bouteille après l'avoir refermée. Elle se jette dessus et la vide entièrement. Dans le sac, je trouve aussi cinq choses que je n'arrive pas à identifier, emballées dans une sorte de papier. J'en ouvre une et la renifle, ça a l'air sucré. J'en croque un bout, et ce que je suis en train de déguster est tout simplement délicieux. Rien à voir avec ce que j'ai l'habitude de manger. Des souvenirs envahissent mon esprit, de nourriture et de saveurs, toutes aussi fades les unes que les autres. Ce que je goûte actuellement n'a rien de fade, au contraire. Je regarde de nouveau dans le sac et j'y trouve une bouteille en verre, je l'ouvre et renifle à l'intérieur pour en identifier le contenu ; l'odeur est âcre, je décide quand même de tester. Quand le liquide entre dans ma bouche, je le recrache instantanément et laisse la bouteille au sol en essayant de calmer les rictus qui se sont formés sur mon visage.

— C'est dégueulasse !

Je continue de fouiller et il n'y a rien de plus qu'un pull noir dans le sac, je l'enfile et le garde lorsque je vois qu'il est à ma taille. J'évalue les cinq barres de nourriture que j'ai trouvées et mes yeux oscillent entre elles et le regard sidéré de Lily. J'ai l'air méchant comme ça, mais je ne la connais pas et mon instinct de survie me pousse à être égoïste.

— OK, je t'en passe deux, je lui dis en lui tendant le nombre de barres annoncé.

— Et pourquoi c'est toi qui prends le couteau ? demande-t-elle en m'arrachant presque les barres des mains. Je le veux.

— Non, je garde le couteau et toi, tu prends une barre de plus.

— Et je veux le pull, j'ai froid.

Elle se fiche de moi ? Et puis peu importe, je n'ai pas le temps de parler avec elle, je retire le pull et le lui donne. Je me lève, le moment fatidique est arrivé.

— Bonne chance, Lily.

Elle me regarde avec des yeux ronds, elle ne prenait peut-être pas mes déclarations au sérieux. Elle n'a pas besoin de moi, contrairement à ce qu'elle croit et puis, elle s'en sortira. Elle a survécu à mon sale caractère, elle survivra au reste. Je commence à marcher, tandis qu'elle est toujours assise sur le sol, devant le rocher. Elle me regarde partir avec un air triste dans les yeux, mais je ne dois pas y prêter attention. Je lui lance un dernier regard et m'en vais, en courant.

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