Chapitre 5

LILY

— Riley, qu'est-ce que tu fais ?

— Je vais demander à Colton de nous répondre une bonne fois pour toutes.

L'idée de Riley n'est pas si mauvaise, j'en ai marre qu'on nous balade depuis notre arrivée, qu'y a-t-il de si grave à annoncer pour que ça doive attendre autant ? Cependant, les règles ont été claires, on ne doit pas faire de vagues et je l'ai vu se battre. Je me demande s'il va se faire punir pour cela.

— Ne fais pas ça.

— Et pourquoi je ne ferais pas ça, Lily ? demande-t-il d'un air excédé.

— Tu t'es déjà battu, tu ne vas pas en plus agresser Colton !

— J'en ai marre qu'on ne me dise rien, on doit savoir. Dis-moi que tu n'es pas d'accord avec moi et j'oublie cette idée.

Le fait est que je suis en total accord avec lui. Je pense juste qu'il ne sert à rien de brusquer les choses et qu'ils ont l'air déterminés à ce que les révélations arrivent quand ils l'auront décidé.

— C'est bien ce que je pensais, dit-il.

— Riley, il ne va pas être content !

— On parie ?

Il a demandé ça avec un sourire sournois aux lèvres, tout en appuyant sur la poignée. Je déteste Riley dans ces moments-là, toujours en train de m'entrainer dans des galères. Il ouvre la porte et nous trouvons Colton, assis devant une pile de paperasse à son bureau, il fronce les sourcils.

— Quelque chose ne va pas ? demande-t-il.

Je regarde mon acolyte, est-ce qu'il compte vraiment agresser Colton, là, maintenant ?

— Dites-nous la vérité.

— Riley, je vous ai déjà expliqué. Je ne peux pas faire ça maintenant.

— Et pourquoi pas ?

— J'ai des choses très importantes à vous dire. Mais là, vous n'êtes pas dans de bonnes conditions pour les entendre.

— Et qu'est-ce qui aura changé, une autre fois ?

— Fermez la porte.

Riley et moi entrons dans la pièce, il ferme la porte derrière nous. Colton nous fait signe de nous asseoir, alors nous nous exécutons. Il rebouche son stylo et joint ses mains sur le bureau.

— Écoutez les enfants, vous ne pouvez pas entendre ce que j'ai à vous dire parce que vous allez faire un rejet.

Encore cette histoire de rejet ? Je me rappelle que Kyle avait dit la même chose quand Riley l'avait menacé pour qu'il parle.

— Vous n'êtes pas en condition, à cause de votre perte de mémoire. Quand vous essayez de vous rappeler quelque chose en lien avec l'Asile, vous avez des maux de tête très douloureux. Ce que j'ai à vous dire pourrait vous tuer.

— C'est si grave que ça ? je demande.

— Ce n'est pas grave, c'est juste quelque chose que votre cerveau ne veut pas entendre et il vous le fera savoir.

— Pourquoi tous ces rejets ?

— Je peux vous en dire un peu mais vous vous contenterez de ça, au-delà ce serait dangereux. C'est compris ?

— Oui, répondons-nous en chœur.

Il se racle la gorge et semble réfléchir à ce qu'il va nous dire, ou plutôt à ce qu'il ne va pas nous dire.

— Vous avez tous les deux été emprisonnés pour un délit. Le système vous a... mis dehors. Il vous a choisi par pur hasard et vous a liés l'un à l'autre pour que vous vous sentiez obligés d'évoluer ensemble. Évidemment, vous ne vous souvenez pas du moment où on vous a mis dehors, je me trompe ?

— On s'est réveillés dehors, précise Riley. Sans aucun souvenir.

— Oui. Puis vos souvenirs sont revenus petit à petit. Mais sachez que le système a décidé de ce dont vous alliez vous rappeler. Tout est calculé, rien ne lui a échappé par hasard. Si vous réfléchissez bien, vous vous souvenez de votre délit et d'un moment de votre incarcération. Vous vous souvenez de certains proches et de quelques moments banals de votre vie. Rien de plus, rien de moins. C'est un moyen de vous faire culpabiliser. Par exemple Riley, tu es persuadé d'avoir tué ta sœur mais ce n'est pas de ta faute.

Nous restons silencieux face à ces déclarations.

— Passons à autre chose. Vous ne vous souvenez pas de vos noms, mais seulement de numéros pour que vous vous sentiez plus comme des sujets que comme des personnes. Ils veulent vous déshumaniser.

— Pourquoi nous avoir fait oublier notre vie ? je demande.

— Ils ont voulu que vous ne vous souveniez que de votre crime pour que vous pensiez mériter le châtiment. Ça a fonctionné ?

Je me rends compte qu'il a raison, ça a fonctionné. Je m'en suis voulue d'avoir abandonné ma famille pour une simple pomme, je me suis détestée et j'ai pensé que si j'étais dehors, je l'avais mérité. Je le pensais de tout mon cœur et pourtant, Colton a raison, rien de tout cela n'était vrai. L'Asile n'est pas si bon qu'il le prétend. Ça fait mal. Ça agresse mon cerveau, ça brûle. J'ai horriblement mal, des larmes coulent le long de mes joues. Je crois que je crie, parce qu'un bruit aigu me perce les tympans, je n'ai plus le contrôle de mon corps.

— Je vous avais prévenus, dit Colton. Lily, concentre-toi sur moi.

Je tente de me concentrer sur lui mais je n'y arrive pas, mon mal de tête diminue mes capacités de concentration.

— Répète après moi, Lily. L'Asile est bon...

— L'Asile est bon.

L'Asile nous protège du mal, je suis dans une bulle et rien ne peut m'atteindre...

— L'Asile nous protège du mal, je suis dans une bulle et rien ne peut m'atteindre.

— C'est bien, répète ça dans ta tête.

Je fais ce qu'il me dit, je me répète ce mantra inlassablement dans ma tête jusqu'à m'en persuader, je sens les battements et la douleur s'en aller petit à petit. Une fois que c'est totalement parti, je lève la tête et essuie mes larmes. Une main me frotte le dos, je me rends compte que c'est Riley, il a l'air inquiet.

— Ça va ? demande Colton.

— Oui.

— Vous comprenez pourquoi je ne peux pas vous expliquer maintenant ? C'est trop dangereux.

— Alors on ne saura jamais, dit Riley.

— Eh bien, on a une solution. Je vais vous donner encore quelques informations, mais écoutez les bêtement, ne cogitez pas à propos.

Il a trouvé une solution ? J'aimerais bien voir ça. Une chaleur se propage dans mon dos, je me rends compte que c'est la main de Riley, toujours en place. Son coude est posé sur le dossier de ma chaise, sa main frotte tendrement mon dos en un geste étonnement réconfortant.

— Vous êtes prêts ?

Riley et moi hochons la tête, nous préparant à ce qu'on va entendre.

— Vos pertes de mémoire et vos douleurs à la tête sont dues à un produit qu'ils vous ont injecté. On a l'antidote, donc on va vous soigner.

Colton nous a dit de ne pas y réfléchir, de ne pas nous poser de questions et donc je ne ne dois pas chercher à comprendre. Mais c'est impossible, je me pose trop de questions suite à ces révélations, je tente de les enfermer une à une dans des tiroirs, mais quand j'en enferme une, une autre apparait. Ne pense pas, ne pense pas, ne pense pas. J'aurai tout le loisir de réfléchir quand nous serons guéris. Une joie m'envahit, mais une profonde tristesse aussi, sans que je ne puisse l'expliquer. Colton se remet à parler en constatant notre mutisme.

— Maintenant, je vais vous demander d'attendre demain matin pour ça. L'homme qui a cet antidote n'est pas arrivé et il n'arrivera que cette nuit. Il ne vient que la nuit et ne peut pas faire autrement.

— Pourquoi ? demande Riley.

— Il vit dans l'Asile.

J'ai encore plus de pensées à enfermer désormais, je me sens débordée, je n'arriverai pas à toutes les caser et je vais finir par voir la réalité en face et mourir de mes douleurs. Quand je regarde Riley, il fronce les sourcils, il n'a pas l'air plus avancé que moi. Je me demande comment il fait pour ne pas ciller, je n'ai pas l'impression qu'il est en plein conflit interne, contrairement à moi.

***

Après l'annonce de Colton, Riley et moi avons quitté son bureau, sonnés et sans dire un mot. Alors que nous marchions dans le couloir pour rejoindre les autres, Jared est arrivé et nous a prévenus que c'était l'heure du repas. Alors nous nous sommes réunis dans une immense salle remplie de longues tables et nous avons mangé. C'est à ce moment que je me suis rendu compte qu'il y avait beaucoup de monde ici, plus d'une centaine. Il y a des jeunes, des vieux et j'ai même vu quelques enfants. Riley et moi avons mangé dans le silence à une table de personnes que nous ne connaissions absolument pas.

Après avoir fait notre toilette pour aller se coucher, je me rends compte que je ne sais absolument pas où je suis censée dormir. Sydney arrive dans les sanitaires où se trouvent Riley, moi et deux autres personnes.

— Lily, tu partages ta chambre avec moi. La B2. Et Riley, tu as la B3 avec Seth.

Sydney s'en va, nous laissant tous les deux. Je crois que nous n'avons pas dit un mot depuis la fameuse annonce, nous sommes trop sous le choc. Nous marchons calmement jusqu'à nos chambres respectives et lorsque je trouve la B2, je m'arrête. La B3 est la porte juste en face, ce qui me fait sourire. J'actionne la poignée et la voix de Riley brise enfin le silence :

— Bonne nuit Lily.

— Bonne nuit Riley.

Il me sourit et disparait dans sa chambre, j'en fais de même. Une fois à l'intérieur, je constate qu'elle est exactement pareille que celle où j'ai trouvé mes vêtements. Deux lits, deux armoires, une lampe, une table de chevet et un bureau. Il y a des effets personnels un peu partout dans la pièce, ils appartiennent probablement à Sydney, ma colocataire. Elle est assise sur son lit et me sourit lorsque nos regards se croisent.

— Ça fait des jours que je n'ai pas dormi dans un lit, je dis.

Je m'affale dans le mien et il me parait tellement confortable que j'ai envie de m'endormir instantanément.

— Tu as quel âge ? me demande Sydney.

— Dix-neuf ans.

— Moi aussi !

Je lui adresse un sourire et une question me passe par la tête :

— Ils sont à qui les vêtements qu'on m'a donnés ?

— À personne et ils sont neufs. On a un stock de fringues neuves et les nouveaux arrivants peuvent se choisir plusieurs tenues. Tu en auras d'autres. Tu veux un pyjama, peut-être ?

Elle m'a posé la question en se levant de son lit, elle farfouille dans son armoire et en sort un long tee-shirt bordeaux.

— Tiens, t'as qu'à mettre ça. C'est un tee-shirt de mec trop large mais je m'en sers comme chemise de nuit. Y'a pas trop le choix en même temps.

Je la remercie et me déshabille pour enfiler le tee-shirt. Je pense que Sydney n'en a rien à faire de me voir en sous-vêtements et je ne pense pas être en mesure de pouvoir faire des manières. Le tee-shirt m'arrive à la moitié des cuisses, je me sens à l'aise dedans. Je range mes affaires dans l'armoire vide qui semble m'être réservée et je détache mes cheveux. Lorsque je me glisse dans le lit, une vague de confort me submerge, je pensais que je n'allais plus jamais ressentir ça de ma vie.

Je suis bien dans ce lit, alors pourquoi la montre de Sydney posée sur la table de chevet séparant nos lits indique que ça fait une heure que j'essaye de dormir ? Je suis fatiguée et pourtant, j'ai une boule au ventre, je me sens plus seule que jamais. J'entends la respiration régulière de ma colocataire qui s'est endormie depuis longtemps. Je me tourne dans tous les sens mais ça ne fonctionne pas. Je sais ce qu'il me faut. Je sors de mon lit sans faire de bruit et je me déplace dans la pièce. J'appuie sur la poignée de la porte pour l'ouvrir en priant pour qu'elle ne grince pas et ne réveille pas Sydney.

Je suis plantée devant la porte B3 et ma boule au ventre ne fait que s'accroitre, qu'est-ce que je suis en train de faire ? Je ne fais rien de mal, je cherche juste à ne plus me sentir seule et à dormir. J'ouvre la porte et entre dans la pièce en refermant derrière moi. La chambre est plongée dans le noir, je ne vois pas grand-chose. Je m'approche du lit de droite pour vérifier qui dort là, ce n'est pas Riley. Alors je vais de l'autre côté et le trouve, les yeux grands ouverts, rivés sur moi. Il n'a pas l'air de comprendre ce qu'il se passe.

— Lily ? Mais qu'est-ce que tu fais là ? chuchote-t-il.

— Fais-moi de la place.

Il a l'air perdu mais se déplace tout de même dans son lit pour me laisser de la place. Je m'installe à côté de lui sur mon flanc droit et lui fais face. Je vois ses yeux briller malgré l'obscurité la plus totale. Sa respiration se fait plus lourde, sa main vient replacer mes cheveux derrière mes oreilles tandis que mon cœur fait des loopings derrière ma poitrine.

— Ça va ? demande-t-il à voix basse.

— Oui, je réponds simplement.

Je ne sais pas pourquoi j'y pense, mais si Riley m'embrassait, là, maintenant, je le laisserais faire. Il me sourit, je fais pareil. Pour une fois, je ne suis pas gênée, probablement un avantage de l'obscurité.

— T'as pas un lit ? demande-t-il d'une voix taquine. Je te manquais, c'est ça ?

— Tais-toi.

Il rit, puis sa main trace son chemin sur mon bras, jusqu'à trouver ma main qui prend dans la sienne. C'est réconfortant, ça me plait énormément. Nous restons silencieux, je savoure la sensation que cette proximité me procure. 

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