Chapitre 35

LILY

Je suis réveillée par un mouvement inconfortable. Mon corps est secoué dans tous les sens, j'ouvre les yeux, encore groggy. Je ne me souviens pas exactement de ce qu'il s'est passé mais je sais que Kyle a réussi à nous faire évader. La question est, pour combien de temps ? Je suis désormais assise sur la banquette arrière de la voiture, je constate que Kyle conduit toujours, nous avons l'air d'être sur un chemin rempli de bosses. Riley a l'air de dormir, sa tête est appuyée contre la vitre et il ne bouge pas.

— Ça fait combien de temps qu'on roule ? je demande.

— Tu es réveillée ! se réjouit Kyle. Comment tu te sens ?

— Je me sens bien. J'ai faim.

— Il y a des provisions dans le sac, me dit-il en désignant un sac à mes pieds. Et pour répondre à ta question, ça fait deux heures.

— Deux heures ? Mais où allons-nous ?

— Dans un endroit sécurisé.

— Tu es déjà allé dans cet endroit ? Est-ce qu'il existe, au moins ?

— C'est là d'où je viens.

Mes neurones s'échauffent, des points se connectent, tout fait sens.

— Kyle... Si je récapitule, nous étions dans un endroit mauvais et celui où nous allons est bon. Si tu viens de l'endroit bon, alors qu'est-ce que tu faisais dans l'endroit mauvais ?

— Ce n'est pas important.

— Si, ça l'est pour moi. Réponds à la question !

— Tu ferais mieux de répondre, elle ne va pas te lâcher, ajoute Riley qui apparemment ne dormait pas.

— Je... Jordan et les autres sont partis de là où nous allons, ils n'étaient pas d'accord avec eux alors ils ont pris leur indépendance et sont partis. Je me suis retrouvé avec eux. Mais je jure que je ne le voulais pas, c'est pour ça que je vous aide et que je m'en vais.

— Et les gens, là où nous allons, ils ne vont pas te prendre pour un traitre ? demande Riley. Tu t'en vas puis tu reviens... Moi je ne t'aurais pas accepté.

— Je ne voulais pas partir, ils m'ont emmené de force. Ils m'ont emmené et ensuite, ils ont essayé de me convaincre de faire partie des leurs. Alors j'ai fait semblant et quand vous êtes arrivés, ça m'a motivé à m'en aller. Ne vous inquiétez pas, Ok ? Même s'ils ne m'acceptent pas moi, ils vous accepteront vous.

— Et toi, tu feras quoi ? je demande.

— Je... je ne sais pas, je n'y ai pas trop pensé à vrai dire.

— Génial, dis-je en m'enfonçant dans mon siège.

— Au moins, on n'est plus dans cet endroit de malheur, dit Riley.

— Ferme-la Riley.

— J'aurais dû te laisser pour morte. C'est toujours un plaisir de t'aider ! me répond-il.

Ses mots sont durs mais maintenant que je le connais un peu, ça me passe au-dessus, je sais qu'il ne les pense pas, c'est son mode de communication quand il est blessé.

— De quoi tu parles ? je demande.

— Je t'ai sauvée tu sais, pour la deuxième fois.

— Développe.

— Tu ne respirais plus à cause de la fumée et j'ai... je t'ai... Laisse tomber.

— Tu m'as quoi, Riley ?

— Je t'ai dit de laisser tomber !

— Il t'a fait du bouche à bouche et un massage cardiaque, intervient Kyle.

Riley a fait quoi ? Riley a posé ses mains près de ma poitrine et sa bouche sur la mienne pour m'insuffler son oxygène ? Je me sens bête. Il passe son temps à me sauver. Il a beau être un abruti la plupart du temps, il me maintient en vie et ne reste jamais loin. Je ne sais pas comment réagir à ça, je suis reconnaissante évidemment.

— Merci, je lui dis simplement.

— J'aurais espéré plus de reconnaissance de ta part.

— Et qu'est-ce que tu veux que je fasse ? Je t'ai dit merci et si ça ne te plait pas, tu peux aller te faire voir. C'est pas de ma faute si tu t'en veux de m'avoir abandonnée et que tu te sens obligé de me sauver parce que tu culpabilises.

Riley me fusille du regard et s'enfonce dans son siège. J'avoue que j'y suis allée un peu fort, il ne mérite pas autant de colère, surtout pas après m'avoir sauvée. Mais il y a quelque chose avec lui, il ne sait pas être normal, il est toujours en train de dire des choses désagréables. Kyle ne dit rien, je crois qu'il n'a pas envie de s'immiscer dans nos problèmes et il a bien raison, personne ne peut comprendre ce qu'il se passe entre Riley et moi, c'est trop électrique. C'est comme si nous étions aux antipodes l'un de l'autre et que nous ne pourrions jamais nous apprécier, comme deux aimants qui se repoussent.

— On va devoir laisser la voiture, annonce Kyle. On doit traverser la forêt et elle ne passe pas. On va marcher quelques heures et nous serons arrivés avant ce soir, normalement.

— Kyle, je croyais que les voitures étaient traquées et surveillées ? je demande, subitement inquiète.

— J'ai pensé à tout, j'ai retiré la caméra, le micro et le traqueur.

— C'est toi qui as foutu le feu ? demande Riley.

— Ouais, pour les occuper. Ils n'ont pas assez d'extincteurs, ils vont devoir utiliser leurs réserves d'eau. J'ai emporté à manger, tout est dans le sac.

J'ouvre le sac en question, c'est vrai qu'il me l'avait déjà dit tout à l'heure. J'y trouve une multitude de barres protéinées et de bouteilles d'eau. Je me sers et tends le contenant à Riley qui se sert à son tour.

— Y'a quoi dans l'autre sac ? demande-t-il.

— Des armes.

— Pourquoi Riley a été armé et pas moi ? je demande.

— Tu sais tirer ?

Kyle a raison, je n'ai jamais utilisé d'arme de ma vie, mais comment sait-il que Riley sait tirer ?

— Riley non plus, il ne sait pas tirer.

— Riley a abattu un homme donc si, il sait. Prends un couteau si tu veux, ça au moins tu sais t'en servir, ajoute-t-il.

Je reste figée un instant sur ce que vient de dire Kyle, on dirait que Riley l'a contaminé et qu'il devient aussi incisif que lui. Il m'adresse un sourire et je comprends qu'il rigolait, en même temps il a raison, je lui ai planté une lame dans la cuisse. J'ouvre le sac, effectivement, il y a plein d'armes à l'intérieur. Je choisis un couteau, celui qui a la plus longue lame.

— Très bon choix, me dit Kyle.

— Donner un couteau à une fille qui pose trop de questions, c'est la pire idée du siècle, dit Riley toujours affalé dans son fauteuil.

Riley s'imagine peut-être que je vais le harceler avec mes questions et que cette fois je vais le menacer avec mon couteau. C'est une plutôt bonne idée, je la garde en tête. Cependant, je me demande pourquoi il ne veut pas me parler de ses souvenirs et je sais pertinemment qu'il en a, tout comme moi. Je pense qu'il souffre et qu'il a vécu quelque chose d'horrible dont il ne veut pas parler, je devrais peut-être insister avec ça, nous nous devons d'être honnêtes l'un avec l'autre.

Au bout d'un long moment pendant lequel personne n'a rien dit, la voiture s'arrête et Kyle fouille ses poches pour en sortir une carte. Il la regarde un long moment et il la replie enfin.

— C'est le moment, dit-il.

Alors nous descendons tous les trois de la voiture, Kyle enfile son sac rempli d'armes et Riley se charge de celui rempli de vivres. Quant à moi, je me sens inutile, il n'y a rien d'autre à porter. Kyle regarde sa carte et pointe une direction du doigt, au milieu des arbres. Nous commençons donc à nous insinuer parmi les arbres et fouler la terre me fait du bien, tout comme sentir l'odeur de la végétation. Ça m'avait manqué, la nature ici est bien plus sauvage que dans l'arboretum. Absolument tout là-bas était soigné, tondu, taillé, toutes les plantes avaient une apparence parfaite alors qu'ici, tout est désordonné, les branches et les feuilles vont dans tous les sens, la nature est garante d'elle-même et personne ne s'en préoccupe. Cet endroit me plait rien que pour ça.

Alors que nous marchons, Riley s'arrête soudainement :

— Je vais pisser, je vous rattrape.

Je marche à côté de Kyle et maintenant que Riley n'est plus là, je me rends compte que j'ai un tas de choses à dire à Kyle.

— Merci de nous avoir sauvés, je commence. Merci de ne pas avoir laissé Riley dans sa cellule.

— Pourquoi je l'aurais laissé dans sa cellule ?

— Tu sais, il est... Il est insupportable.

Il rit et semble réfléchir.

— Je pense qu'il se créé une carapace et qu'il te cache des choses, dit-il. Il se la joue gros dur pour ne pas exposer son côté sentimental.

— Tu crois ?

— J'en mettrais ma main à couper.

— Je dois te demander quelque chose. Pourquoi tu es si gentil avec moi depuis le début ?

— Pourquoi je ne le serais pas ?

— Je veux dire... Tu es vraiment gentil. Tu n'attends rien en retour.

— Pour être honnête avec toi, je t'aime bien Lily.

— Tu ne me connais même pas. Je ne me connais même pas moi-même alors je ne vois pas comment tu pourrais m'apprécier.

— Effectivement, on ne se connait pas. Mais depuis la première fois que je t'ai vue, je ne sais pas, j'ai...

— Je vous interromps ? demande Riley qui vient de nous rattraper.

Il se pointe au mauvais moment, Kyle était sur le point de me dire quelque chose d'important.

— Non, lui répond Kyle. On se demandait ce que tu nous caches à propos de tes souvenirs.

— Vous aimeriez savoir, hein ?

— Riley, tu n'es absolument pas drôle, lui dis-je. Je ne sais pas ce qu'il s'est passé quand on était dans l'Asile, mais de toute évidence on n'y est plus alors...

Je ne peux finir ma phrase, ma tête me fait tellement mal que je ne peux m'empêcher de m'accroupir au sol. Mon crâne va imploser, mais pourquoi est-il si difficile de songer à l'évidence ? Parce que j'ai raison, nous ne sommes plus à l'intérieur et nous sommes dans un endroit qui est supposé nous tuer, pourtant c'est ici que je me sens plus libre que jamais, même quand j'étais en captivité. La douleur devient trop insupportable, je sais ce qu'il me reste à faire :

— Nous sommes dans l'Asile. Nous sommes dans l'Asile. Nous sommes dans l'Asile...

J'ai répété cette phrase à voix haute en me comprimant le crâne de mes mains. Je dois m'en persuader, c'est ce que mon esprit veut. Je dois y croire. Après tout, si j'étais à l'Extérieur, je serais morte, c'est bien ce qu'on nous a inculqué.


Est-ce que tu as bien compris la leçon ? me demande maman.

Oui maman.

Répète-le encore une fois.

Dehors, il n'y a que la mort. L'Extérieur est synonyme de malheur.

C'est bien.

Maman est retournée à la cuisine pour préparer le repas et je suis restée figée dans le canapé après avoir été réprimandée. J'ai posé des questions sur l'Extérieur, il y a des rumeurs au Centre d'Apprentissage. Certains disent que des gens vivent dehors mais à chaque fois, tout le monde rigole parce que ça ne peut qu'être complètement faux.

Il y a même un garçon qui soutient avoir trouvé un livre qui parlait de choses qui n'existent pas. Il était question de « guerres » et de « conflits ». Il nous a demandé de garder ça secret, il a dit que ça appartenait à son grand-père. Je pense qu'il a inventé cette histoire de toutes pièces. Il n'y a pas d'autre monde que celui dans lequel nous vivons, nous sommes nés dans un Asile parfait qui nous protège du mal. Il n'y a jamais eu de guerre, le monde a toujours été tel qu'il est. L'Asile est la seule partie du monde viable, nous le savons bien.


— Dehors, il n'y a que la mort. L'Extérieur est synonyme de malheur.

— Il faut qu'on y aille, me presse Kyle.

— Nous sommes dans l'Asile, sinon nous serions morts, est-ce que vous comprenez ça ?

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