Chapitre 26

RILEY

Je l'entends déjà qui arrive. Il ne sait pas être discret, il est toujours en train de crier, de rire ou de parler fort. Je sais que Jordan va entrer comme un fou dans ma cellule avec un sourire sadique dans trois... deux... un...

— À chaque fois, c'est un plaisir de venir te voir Riley, surtout maintenant !

Ça en devient presque lassant. Il a ouvert la porte d'une manière assourdissante, elle a cogné le mur et il l'a refermée. Il a un sac dans la main, comme à chaque fois qu'il vient. Je suis assis par terre et j'ai fixé un point invisible depuis que je suis revenu dans ma cellule, en même temps, je n'ai pas un grand choix d'activités. Jordan s'accroupit devant moi et ouvre son sac tandis que je le jauge. Je me demande pourquoi il est aussi con, il a pourtant la tête du mec que toute mère voudrait voir avec sa fille. Sa ressemblance avec Ben est troublante, je dois lui demander au risque de passer pour un fou.

— Tu ressembles à Ben, je déclare.

Il fronce les sourcils, pour la première fois, je le sens déstabilisé. Mais il finit par redevenir dur, comme toujours.

— C'est qui, Ben ? demande-t-il.

— Mon ami.

— Je croyais que tu ne te souvenais de rien ? me dit-il en plissant les yeux.

— Je me rappelle seulement Ben.

Il me fusille du regard et je trouve ça étonnant d'avoir pu parler avec lui sans qu'il s'emporte, je m'attendais à ce qu'il m'attrape par le col et qu'il me plaque au mur pour ensuite me tabasser. Mais il ne fait rien de tout cela et honnêtement, il a l'air fatigué. Il sort du matériel de son sac sans que je ne comprenne de quoi il s'agit. Il fait un tas de manipulations pour finalement tenir dans sa main un petit tube en plastique, composé d'une longue aiguille. Il attrape mon bras nu, et me force à le déplier mais je résiste.

— C'est quoi, ça ? je demande.

— C'est pas tes affaires.

— Pourquoi tu veux me planter ça dans le bras ? Pour quoi faire ?

Il me fusille du regard et me stabilise le bras de force pour enfin me planter l'aiguille dans le creux, qu'il avait au préalable nettoyé avec une compresse imbibée d'un produit qui sentait fort. Il tire l'extrémité du tube en plastique, un liquide presque noir le remplit petit à petit. Pourquoi me prélève-t-il du sang ? Lorsqu'il a terminé, il réitère l'opération deux fois avec de nouveaux tubes, ça commence à m'affaiblir. Finalement, le fait qu'il m'ait autant nourri avant n'était pas par simple bonté mais bien dans leur intérêt, pour que je supporte cette prise de sang.

Je peux affirmer formellement que jamais auparavant on m'a pris mon sang. Je ne sais pas vraiment comment on s'y prenait pour les visites médicales mais je sais une chose, nous avions d'autres méthodes plus efficaces et moins barbares. Pourtant, cette sensation d'aiguille qui perce ma chair m'est étrangement familière sans que je ne puisse l'expliquer. Une fois l'affaire terminée, Jordan range tout son matériel dans son sac et s'en va, sans me dire un mot. Ma tête tourne jusqu'à m'en troubler la vision. Je me sens étonnement plus léger, comme si le sang qu'il m'avait prélevé pesait une tonne, mais je pense plutôt que je suis en train de me perdre. Des souvenirs se battent dans ma tête, je vois des visages, des lieux, j'entends des voix, sans pour autant pouvoir les identifier. Je ne sais absolument pas à quoi j'assiste, mais je suis exténué.

Alors que mon corps menace de s'endormir, la porte s'ouvre dans son éternel fracas mais je n'arrive pas à distinguer qui me rend visite. Je me rends juste compte qu'il y a plusieurs personnes et qu'ils s'approchent de moi. Un homme me maintient la tête, tandis qu'un autre touche ma nuque et note des informations sur une feuille. Je n'en comprends pas plus, une douleur fracassante s'abat sur mon crâne et tout s'assombrit autour de moi, les images et les sons s'estompent, ma volonté s'efface et je ferme les yeux.

*

J'ai froid et horriblement mal à la tête à cause du coup que l'on m'a porté. Je suis assis sur une chaise en métal qui me glace les os. Quand j'ouvre les yeux, je suis ailleurs, je sens que je n'ai pas le plein contrôle sur moi-même. Peu à peu, je prends connaissance de mon environnement et me rends compte que je suis ligoté à l'aide d'une corde qui enroule mon torse et mes bras, me bloquant totalement sur mon assise.

— Il est réveillé, annonce une voix féminine que je jurerais avoir déjà entendue quelque part.

— Très bien, lui répond un homme. Tu peux aller le voir si tu le désires. Je te laisse deux minutes et après, tu fous le camp.

Mais de quoi parle-t-il ? Une femme traine une chaise et vient la poster devant moi. Elle est blonde et je discerne de la haine dans ses yeux. Personne ne m'a lancé un regard aussi glacial de toute ma vie, pas même Lily. Je reconnais cette blonde, sauf qu'elle ne porte plus une casquette, elle a un chignon fait à la va-vite perché sur le sommet de son crâne, je me rends compte seulement maintenant à quel point elle est jeune. C'est celle qui est devenue folle lorsque j'ai dépouillé son ami, celle qui m'a électrisé et qui m'a hurlé dessus en pleurant toutes les larmes de son corps. Elle est complètement hystérique, je crois qu'elle est encore plus redoutable que Jordan. Elle me regarde avec toujours cette haine irradiante dans les yeux, puis elle m'envoie une gifle assez violente, ça faisait quelques jours que je ne m'en étais pas pris et je m'en portais très bien.

Toi, dit-elle en me pointant du doigt, j'espère qu'ils vont te tuer et que tu vas mourir dans d'atroces souffrances. Et sache que si c'était moi qui décidais, tu serais déjà mort depuis longtemps, je t'aurais laissé à bouffer aux charognards dans la forêt, c'est tout ce que tu mérites !

Un homme l'attrape par les épaules et la force à se lever de sa chaise.

— C'est bon, maintenant tu n'y penses plus, affaire classée, lui dit-il.

— Mais..., proteste-t-elle.

— Eva, pas de mais qui tienne, tu t'en vas.

Elle me fusille une dernière fois du regard et s'en va, me laissant seul avec l'homme. Je regarde autour et remarque que je me trouve dans une petite pièce qui ne doit pas faire plus de dix mètres carrés. Les murs sont faits du même métal que ma cellule, il y a des miroirs sur ceux-ci. Je suis assis au beau milieu de l'espace mais au fond, une table rectangulaire en métal gris trône, accompagnée de deux chaises similaires à la mienne. L'homme qui se trouve en face de moi, je ne l'ai jamais vu. Peut-être que c'est lui, le chef. C'est un grand brun à l'allure soignée et athlétique, il porte un tee-shirt noir qui met en valeur sa musculature importante. Il est plus âgé que moi, j'en suis certain, il doit avoir entre vingt-cinq et trente ans, mais pas plus. Je n'ai pas fait attention à son timbre de voix, pour l'associer à celui du chef que j'ai déjà entendu, je suis incapable de savoir s'il s'agit de la même personne.

Il s'assied sur la chaise de sorte à ce que le dossier soit contre son torse, ses bras sont posés sur le haut du dossier. Il reste comme ça à me regarder et je me demande ce que je fous ici. On m'a pris mon sang et ensuite, on m'a assommé et je me suis évanoui. Maintenant, je suis dans une pièce lugubre à regarder un inconnu dans le blanc de l'œil. Il ne parle pas et nous restons comme ça un long moment, on dirait qu'il m'analyse. Finalement, il se racle la gorge et brise le silence :

— On va parler sérieusement, Riley. Cette fois-ci, tu vas répondre à toutes mes questions et si tu oses mentir, tu le regretteras amèrement. Compris ?

Je reconnais sa voix et sa manière condescendante de parler, c'est bien le chef auquel on m'avait déjà confronté. Il n'a pas l'air physiquement menaçant, si on oublie sa masse musculaire, il a plutôt une tête de gentil, du mec qui sauve les gens et qui les aide. Pas de celui qui donne des coups de couteau dans les cuisses des filles. Je me demande qui l'a élu chef et pourquoi il a tant d'influence ici.

— J'attends une réponse, dit-il calmement.

— D'accord, je réponds.

— Très bien. Pour commencer, raconte-moi en détails ce qu'il s'est passé depuis ton réveil, jusqu'à maintenant.

J'ai voulu contourner la question et mentir, mais après tout, je n'ai rien à perdre, je ne connais rien de ma condition et je ne sais même pas ce qu'ils me veulent — je ne sais même pas pour combien de temps encore je suis vivant. Alors autant dire la vérité, je n'ai rien à perdre. Finalement, je lui raconte tout, depuis le début, jusqu'à aujourd'hui, comme il l'espérait. Sauf que je n'ai pas mentionné mes souvenirs. Je n'en ai parlé à aucun moment et je sais que c'est ce qui l'intéresse. C'est malheureusement la seule information que je ne peux lui donner.

— D'accord, je n'apprends pas grand-chose, mais c'est un début. Parle-moi de ce dont tu te rappelles.

— Je vous ai dit que je ne me rappelais rien.

— Es-tu sûr de toi, Riley ?

Il a penché la tête sur la droite, comme si quelque chose lui échappait. Zoe faisait la même chose quand elle butait sur un exercice de calcul. Je reviens à moi, mes souvenirs ne doivent surtout pas arriver lorsqu'on est en train d'en parler, pas maintenant, pas devant le chef des connards. Puis, sa tête vient se replacer au centre de ses épaules et il pince les lèvres en hochant la tête. Il se lève de sa chaise, ouvre un petit placard que je n'avais pas vu jusque-là et il en sort un petit écran, vraiment minuscule. Il le pose sur la table, branche le câble à une prise électrique et effectue quelques réglages à l'aide de sa télécommande. L'écran s'allume sur une pièce sombre, similaire à celle dans laquelle je me trouve. Même taille, mêmes couleurs des murs, même chaise. Sauf que sur cette chaise, quelqu'un est assis. Je me demande si c'est moi, si je suis filmé et qu'il me montre les images. Mais je me rends compte qu'il ne s'agit pas de moi, je n'ai pas les cheveux aussi longs. L'homme vient se placer derrière ma chaise et la pousse sur le sol en direction de la table, les pieds en métal raclant le sol provoquent un crissement insupportable. Une fois plus proche de l'écran, je comprends.

— C'est... Lily ? je demande en tentant de garder mon calme.

Il me répond par un hochement de tête, je ne comprends pas très bien pourquoi nous sommes tous les deux dans une pièce différente au même moment et surtout, pourquoi il me montre ça. Il sort de sa poche un boitier muni d'une antenne et active un bouton avant de l'approcher de sa bouche :

— Une décharge, dit-il dans son boitier.

Dans l'écran, un homme s'approche de Lily, mais elle ne cille pas. Il approche un objet d'elle et le lui colle sur le dos, elle se dresse d'un coup et son corps est pris de spasmes. Il est en train de lui donner une décharge électrique avec ce boitier, le même dont la blonde était équipée l'autre jour. J'ai envie de crier, de protester, mais ça les confortera dans l'idée qu'ils peuvent se servir de Lily contre moi et vice-versa, ce qui est vrai. Je tente de me contrôler un maximum pour donner l'impression que je suis détaché de la situation. Lily tiendra le coup, je sais qu'elle est forte. Je sais aussi que les décharges que je me suis prises ont été bien plus longues et intenses et j'ai survécu. Certes, ce n'est pas agréable, mais je doute qu'ils la tuent, ils ont l'air d'avoir besoin de nous.

— Raconte-moi tes souvenirs, dit le chef. Je sais que tu en as. Je sais comment ça se passe. Tu n'en avais aucun au réveil, mais c'est revenu progressivement, quand tu dors, après certains traumatismes, ensuite, ils se pointent de plus en plus sans crier gare. Je sais que ça n'est pas grand-chose et que tu ignores d'où tu viens, que tous tes souvenirs liés à ta ville, son dirigeant ou son système te sont inaccessibles. En revanche, je sais que tu te souviens de choses te concernant et je veux savoir. Lily nous a raconté ses souvenirs, elle.

Lily a cédé si facilement, sérieusement ? Je m'attendais à plus de résistance de sa part, c'est une battante. Peut-être qu'elle en avait marre de se faire torturer et qu'elle a fini par coopérer. Je ne peux pas lui révéler ce que j'ai appris, alors je vais me glisser dans la peau d'un menteur. L'art de la mythomanie repose sur le fait de croire à ses mensonges comme s'ils étaient réellement partie intégrante de sa vie. Le chef ne peut pas savoir ce qu'il y a dans ma tête, qu'il ait une arme électrisante ou pas, il ne sait rien et je ne suis pas obligé de dire la vérité. Il ne fait que bluffer. Je dois lui donner quelques informations, mais jamais je ne lui révèlerai que ma sœur est morte par ma faute. Je vais m'inventer de nouveaux souvenirs, je vais lui raconter ce qu'il veut entendre, n'importe quoi.

— Une deuxième décharge pour Lily, dit-il dans son boitier.

Je vois dans l'écran que l'homme s'approche d'elle une nouvelle fois et l'électrise. Lily se tord et le chef appuie sur un bouton de la télécommande qui contrôle l'écran. J'entends un cri perçant, c'est celui de Lily et le sourire du chef monte jusque ses oreilles.

— C'est encore mieux avec le son, tu ne trouves pas ? Encore plus vivant et intense.

— C'est bon, arrêtez, dis-je.

— Je t'écoute.

— Je me souviens que je vivais avec mes deux parents, je ne me rappelle pas leurs noms. J'ai l'air fils unique, d'après mes souvenirs. J'allais à l'école, j'avais un ami, Ben.

— Tu es sûr de toi ? demande-t-il avec un regard perçant.

— Oui.

— Et quelle est ta spécialité ? Lily nous a dit qu'elle avait choisi l'arboretum. Et toi ?

Je ne peux pas lui dire que j'ai appris à me battre et à manipuler des armes, que j'ai été entrainé pour ça. Je dois inventer autre chose.

— L'architecture, je réponds.

Je me souviens qu'il y a une catégorie Architecture pour ceux qui veulent aider au développement et à la croissance de la ville. C'est la première chose qui m'est venue à l'esprit.

— Ce n'est pas ce que Lily nous a dit, dit-il.

— Lily ne sait rien, je réponds du tac au tac.

— Tu es sûr ? demande-t-il avec un sourcil arqué.

Je réfléchis quelques secondes, j'ai le fort pressentiment qu'il bluffe et que Lily ne lui a rien dit. Elle s'est pris un coup de couteau pour me protéger, elle ne dira rien sur moi.

— J'en suis certain, c'est la vérité, je réponds.

Il rigole et semble satisfait, je savais qu'il bluffait.

— Une autre question, dit-il. Pourquoi t'es-tu fait emprisonner ?

— Comment vous...

— Je sais plein de choses. Maintenant, dis-moi ton délit.

— J'ai... j'ai volé du matériel au Centre d'Architecture.

— Vous êtes tous les deux des petits voleurs. Pas étonnant que vous ayez dépouillé mes hommes. J'ai une dernière question, tu ne te souviens pas de ton nom, n'est-ce pas ?

— Je m'appelle Riley.

— Envoie une décharge, augmente la puissance, dit-il dans son boitier.

Dans l'écran, je vois l'homme qui s'approche de Lily.

— Non, non, s'il vous plait, je vous en supplie..., hurle-t-elle.

L'homme l'électrise et la décharge n'en finit pas, quand il détache son arme d'elle, sa tête pend vers l'avant, elle ne crie plus. Est-ce qu'il l'a tuée ? Je jure que s'il l'a tuée, j'irai lui faire la peau, je lui ferai avaler son arme électrique, je le massacrerai jusqu'à ce que son sang recouvre le sol.

— Écoute-moi mon grand, me dit-il, arrête tes conneries maintenant. Je sais que Riley et Lily sont des noms que vous vous êtes trouvés vous-même, je sais que Lily est numéro huit cent trente-quatre et que toi, tu es le cinq mille huit cent vingt-trois. Je voulais juste t'entendre le dire.

— Vous allez faire quoi avec mon sang ? je demande soudainement.

— Tu n'as aucune question à poser. Si on veut te prendre ton sang, ainsi soit-il. Estime-toi heureux d'être encore en vie.

Il éteint l'écran et active son boitier pour parler dedans :

— Jordan, viens le chercher.

— Ouais, j'arrive, répond la voix de ce dernier.

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