Chapitre 25

LILY

Je ne m'attendais pas à croiser Riley dans les sanitaires, je pensais qu'ils auraient été plus malins et fait en sorte qu'on ne se croise jamais pour qu'on se pense mutuellement morts. Lorsque j'ai vu Riley débarrassé de sa crasse dans un jean bas sur les hanches qui lui sied bien mieux que ses vêtements de prison, c'est comme si je le redécouvrais. Je crois que je me suis un peu trop attardée sur mon analyse puisqu'il a eu l'air amusé ; maintenant, il va me prendre pour une perverse mais moi, je ne suis pas ce genre de fille. Et je ne veux surtout pas qu'il se pense irrésistible, il a déjà un gros problème de fierté et d'égo, il vaut mieux ne pas en rajouter une couche.

Kyle m'a ordonné d'aller à mon tour dans la cabine, j'attendais que Riley ait fini, les autres douches ne fonctionnant pas. Je me demande s'il y a d'autres salles de sanitaires, s'il y a du monde ici, c'est quasiment impossible qu'ils se battent tous pour une seule douche. Cette salle doit être réservée aux prisonniers. Une fois entrée dans la cabine de douche et le rideau tiré, la voix de Jordan retentit, il dit à Riley de tendre les mains pour les lui attacher et ils partent, laissant un silence pesant dans la salle.

Une fois débarrassée de ma crasse, je m'enroule dans ma serviette et contemple le tas de linge sale que j'ai laissé par terre. Je porte les mêmes vêtements depuis plusieurs jours et je trouve ça bête de me laver si c'est pour les remettre. Au même moment, sans que je ne m'y attende, Kyle pénètre dans ma cabine. J'hésite entre crier et tenter de l'agresser mais à la place, je ne fais rien et me plaque contre le mur, le plus loin possible de lui. Il approche dangereusement son visage du mien. Je suis en train de prier intérieurement pour qu'il n'ait pas des idées aussi mal placées que celles de Jordan. Pas Kyle, il ne peut pas me faire ça. Il est collé à moi, nos torses se touchent, ce qui me procure une sensation d'inconfort, je n'ai jamais été si proche d'un homme de toute ma vie. Il finit par coller sa bouche à mon oreille.

— Ne dis rien, ne parle pas, chuchote-t-il. Ils ont mis des micros et des caméras partout, il y en a une dans la salle, elle ne laisse pas voir dans les douches. Il y en avait dans la fourgonnette et il y en a aussi dans ta cellule, ils me surveillent. Elles enregistrent tout, c'est pour ça que tu dois me faire confiance. Jordan n'a plus confiance en moi, il a peur que je fasse une bêtise.

Je m'apprêtais à parler mais il plaque sa main sur ma bouche, me faisant sursauter. Il secoue la tête pour m'indiquer que je ne dois rien dire.

— Ici, c'est le seul endroit où je peux te parler, alors ne sois pas étonnée si je... si j'entre. Si Jordan te demande ce que je faisais, invente un truc qui me fera passer pour un porc, il sera content. Je vais sortir maintenant, mais ne t'inquiètes pas, je vais vous aider, Riley et toi. Je dois juste trouver un plan.

Sur ces paroles, il me tend du linge propre et s'en va, me laissant seule et sous le choc. Je ne m'étais pas imaginé une seule seconde que Kyle soit surveillé et que c'était la raison pour laquelle il se comportait aussi froidement avec moi ; il joue le jeu pour ne pas éveiller les soupçons de Jordan. Je suis néanmoins rassurée qu'il m'ait dit tout ça, il va nous aider à sortir d'ici, Riley et moi. Ce n'est qu'une question de temps.

J'enfile le short en jean, c'est étrange, je n'ai pas l'habitude de m'habiller comme ça. Les hommes portent des jeans – mais jamais bleus – parce que les hommes font bien ce qu'ils veulent mais nous les femmes, nous portons habituellement des matières nobles, fluides, et des couleurs pastel. Il est interdit de porter du rouge pour tout le monde, il nous est inculqué depuis tous petits qu'il représente la haine et le sang. J'enfile le tee-shirt noir et je suis étonnée de constater que ces vêtements, ainsi que les sous-vêtements qui m'ont été donnés me vont. À qui appartiennent-ils ?

Lorsque je sors de la cabine de douche, Kyle me regarde d'un air dur, il joue son rôle à fond, c'est certain. Je tends automatiquement les mains pour qu'il me les lie mais à la place, il me tend une trousse que je récupère instantanément. Je l'ouvre et constate qu'il s'agit de matériel médical. Kyle est en train de poser un regard insistant sur ma plaie à la cuisse, je l'avais presque oubliée. Si je comprends bien, je dois me soigner moi-même, il n'a plus droit à aucun contact un peu trop aimable envers moi. Je commence par prendre une compresse et j'y mets le même produit que Kyle avait mis. Je réitère tout ce qu'il avait fait, exactement de la même manière. Tout comme la dernière fois, le produit me brûle et m'arrache des larmes, je me retiens tout de même de crier. Je m'enroule ensuite la cuisse de bandage et je l'attache à l'aide d'une bande adhésive. Je suis satisfaite du résultat, c'est la première fois que je me soigne seule, je n'ai jamais subi de coup de couteau, en même temps. Après avoir rangé les produits dans la trousse, je la tends à Kyle qui me l'arrache pratiquement des mains. Il me lie les mains et me remet le bandeau sans plus de cérémonie.

Une fois dans ma cellule, je regarde discrètement autour de moi en démêlant mes cheveux mouillés à l'aide de mes doigts, malgré mes mains attachées. Je cherche le signe d'une quelconque caméra quelque part, mais je ne vois pas où elle pourrait être dissimulée dans cette pièce sombre et sans aucun meuble, je l'aurais vue s'il y en avait une. Cependant, Kyle m'a très probablement dit la vérité, alors je regarde mieux tout en restant discrète, il ne faut pas que Jordan sache que je me doute de quelque chose. Je m'allonge par terre, de tout mon long, ignorant le fait que je suis propre et que je vais probablement être tâchée de la poussière qu'il y a au sol. Je m'imagine différents scénarios possibles, je ne sais pas comment Kyle va bien pouvoir nous aider. Je sais qu'en se comportant comme Jordan, il obtient ses bonnes grâces et un peu plus de son estime, mais est-ce qu'il lui en donnera assez pour que Kyle monte un plan de génie ?

Alors que je scrute le plafond aussi noir que le reste de la pièce, éclairée par un faible faisceau lumineux grâce au soleil qui a l'air particulièrement brillant aujourd'hui, je me rends compte qu'il y a quelque chose sur le plafond, mais ça ne ressemble en rien à une caméra.


Quarante-deux. Ça fait quarante-deux jours que je suis enfermée dans cette cellule de verre, dans laquelle j'ai l'impression d'étouffer. Les murs qui m'entourent sont d'un blanc opaque qui brille, la porte coulissante est transparente, me laissant observer les va-et-vient du personnel et des prisonniers. Je dois dire que je suis bien traitée, je mange à ma faim et personne n'a usé de violence sur moi. Cependant, je ne sors de ma cellule que pour faire mes besoins et prendre une douche. Mes repas sont livrés par une sorte de petite trappe coulissante sur la porte. J'ai quinze minutes pour manger et je dois reposer mon plateau devant la trappe pour que le personnel vienne le chercher.

Je dois dire que depuis ces quarante-deux jours, je m'ennuie. Je repense à ma famille, à papa et maman, à Evie. Elle est si jeune, je me demande ce que mes parents lui ont dit de moi. De toute façon, je suis en tort, je n'avais pas à voler cette pomme et le protocole veut que le représentant du programme de Défense rende visite à la famille pour leur fournir toutes les informations concernant l'arrestation de leur proche. Ils ont forcément expliqué à ma petite sœur que j'avais volé une pomme. Ça me fait sourire, je sais qu'elle a été tiraillée entre deux émotions : la fierté et la peur. Je sais très bien qu'elle n'est pas déçue de moi. Je sais très bien qu'elle se dit que j'ai fait une erreur, mais elle doit probablement se dire que sa sœur a eu du courage et elle doit être triste que je sois enfermée pour une durée indéterminée.

C'est vrai ça, je n'ai aucune idée de combien de temps je suis supposée passer ici, est-ce que je sortirai un jour ? Personne ne m'a rien dit, je suis juste enfermée et c'est tout. Je n'ai parlé à personne depuis quarante-deux jours, je vais devenir folle. Je connais cette pièce par cœur et je m'amuse à parler seule, je sais qu'ils m'entendent. Parfois je m'excuse pour ce que j'ai fait en espérant qu'ils aient pitié de moi et parfois, je perds le contrôle et je dis n'importe quoi. Je regarde la caméra circulaire, d'un noir étincelant, je me verrais presque dedans si elle n'était pas perchée si haut sur le plafond. À côté de cette caméra, il y a un micro. Une petite grosseur blanche qui contraste avec le plafond tout lisse, je sais pertinemment que c'est un micro.

L'autre jour, je dis pour la caméra et le micro, mon voisin s'est fait arrêter parce qu'il s'était battu avec un membre haut placé de la Sécurité et il est sorti au bout d'un mois. Alors, dites-moi, pourquoi je suis encore là ? J'ai mangé une pomme ! Je ne peux pas être emprisonnée à vie pour ça !

Je me mets à rire toute seule, je ne sais pas si c'est le fait de n'avoir parlé à personne ou celui de ne pas me dégourdir assez.

Et puis, parlons de vos prix, c'est bien trop cher ! Cinquante crédits pour une pomme, est-ce que c'est vraiment raisonnable ? Parce que moi, je travaille à l'arboretum et je sais très bien qu'il y a une tonne de fruits et légumes, il y en a assez pour que le coût de la vie soit moins élevé, si vous voulez mon avis !

Comme à chaque fois que je me mets à parler toute seule, un ultrason perce le silence, il me détend, me fait me sentir mieux, en sécurité. La manière dont il agit sur les cellules de mon cerveau est impressionnante, je suis apaisée.

Je suis désolée, je déclare. J'ai fait une erreur et j'ai mérité ma peine. Ma place est ici, pas ailleurs.


Ce n'est pas une caméra, c'est un micro. Je souris pour moi-même, je suis contente de l'avoir trouvé, même si ça ne m'avance pas à grand-chose. Je me demande où est la caméra si elle n'est pas au plafond. J'ai déjà parcouru les coins des murs du regard, aucune caméra en vue. Elle doit être microscopique ou intégrée dans le métal des murs.

Je me redresse, un peu plus brusquement que je ne l'aurais voulu. Je parcours les murs du regard et je la vois enfin, un tout petit point pas plus gros que le bout de mon doigt. Je l'ai repérée, elle brille sur la surface lisse, à côté de la porte. Je me recouche instantanément. Je repense au souvenir qui m'est survenu, alors comme ça, ma sœur s'appelle Evie. Maintenant que je connais son nom, elle me parait plus familière. Elle me manque énormément. Riley a dit que sa sœur lui manquait, je pense qu'il me cache quelque chose et qu'il a un passé qu'il ne veut pas me raconter. À chaque fois que j'approche le sujet, il s'énerve et me demande de ne plus jamais poser de questions. Peut-être que ça a un rapport avec sa sœur.

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