Chapitre 18
RILEY
Je sais très bien que je n'aurais pas dû réagir comme ça. Je regarde Lily partir, elle s'éloigne en marchant d'un pas déterminé, est-ce qu'au moins elle sait où aller ? Elle marche sur la route, le meilleur moyen de se faire repérer. À quoi ça rime ? Je viens de la sauver des griffes d'un malade mental et elle, elle décide de se barrer parce qu'elle n'est pas satisfaite ? J'avoue que je n'ai pas été tendre avec elle dès le début, mais elle me rappelle trop de responsabilités et je ne suis pas la bonne personne à qui il faut en confier. J'ai l'impression qu'elle en attend beaucoup de moi, plus que je ne serais capable de lui offrir. Je ne compte pas passer ma vie à sauver Lily, si elle décide de partir, tant pis pour elle, elle peut bien se faire attraper encore une fois, je ne l'aiderai pas. Si je l'entends crier, si je vois quelqu'un lui vouloir du mal, je resterai où je suis et puis... Merde, non, je ne peux pas la laisser toute seule. Je descends de la voiture en la maudissant de tout mon être.
Je cours, elle est déjà loin mais je vois encore sa silhouette marcher de ce pas rapide et déterminé malgré la blessure que j'ai aperçue à sa cuisse. Je finis par la rattraper et marcher à son allure, mais elle ne s'arrête pas pour autant. Alors, je l'attrape par son poignet pour l'obliger à s'arrêter. Elle m'agace déjà assez, elle ne va pas en plus se faire désirer.
— Arrête tes conneries, je lui dis.
— Ben quoi, Riley ? Je vais de mon côté, tu vas du tien, ce n'est pas ce que tu veux ? répond-elle, me lançant un regard plein de défi.
Elle a raison, c'est totalement ce que je veux. Ce que je voulais. Je ne sais plus. Je suis complètement contradictoire, j'en suis bien conscient.
— Écoute Lily, c'est ridicule. Reviens à la voiture, on doit parler. Et puis, tu vas faire quoi toute seule ?
Elle reste figée un instant, l'air de peser le pour et le contre. Je me mets à détailler son visage, me rendant compte que je ne l'avais encore jamais fait. Je veux dire, au-delà de son apparence négligée de l'instant, avec ses cheveux ébouriffés et le sang sur sa peau. En dessous de ça, je vois un visage fin et délicat, angélique, celui d'une personne en laquelle on aurait confiance sans aucune hésitation. Ses iris sont d'un vert, assez foncé et tirant sur quelques notes orangées. Elle a un nez tout à fait banal, mais parsemé de petites taches de rousseur adorables. J'ai bien dit adorables ? Et pourquoi je mate son nez ? Mon regard se focalise plutôt sur sa bouche, pleine, joliment dessinée et naturellement rosée, tout à fait le genre que j'ai envie d'embrasser. Sa bouche est en train de bouger, mais je n'entends pas ce qu'elle me dit.
— Riley, tu m'écoutes ?
Non, je ne t'écoute pas. Riley, reprends-toi. Je n'ai aucune idée de ce qu'elle a bien pu me dire. Je me passe une main sur le visage, tentant de reprendre mes esprits.
— Euh...
Elle me lance un regard plein de condescendance et croise les bras sur sa poitrine.
— J'ai dit que je viendrai avec toi à une seule condition, répète-t-elle.
Elle se fiche de moi ? Je rampe jusqu'à elle pour la convaincre de rester avec moi parce que je sais pertinemment que sinon, elle ne sera pas en sécurité et elle, elle instaure des conditions ?
— Laquelle ? je demande en levant les yeux au ciel.
— Je veux entendre quelque chose.
— Je ne vois pas de quoi tu parles.
Je sais très bien de quoi elle parle. Elle veut quelque chose qu'elle n'aura pas. La seule personne à qui je dois ce que Lily veut, c'est à ma sœur et à personne d'autre.
— OK, alors t'as qu'à rester tout seul.
Elle recommence à marcher et moi, je suis là, sur le bitume à la regarder partir. Lily va réellement me rendre fou, elle a plus d'audace que je ne lui en pensais. Le pire dans tout ça, c'est qu'elle essaye de retourner la situation à son avantage alors que c'est elle la réelle perdante dans l'histoire, si elle s'en va.
— Je suis désolé ! je crie.
Elle s'arrête de marcher, elle a eu ce qu'elle voulait. Bon, ces excuses, je les pensais quand même un peu.
— Je suis désolé de t'avoir abandonnée, mais j'avais mes raisons. OK, ça n'était pas sympa de ma part, je ne pensais pas que tu te ferais enlever par des fous !
Lily se retourne et avance dans ma direction. Elle s'arrête devant moi et m'adresse un sourire vainqueur puis, elle continue de marcher jusqu'à la voiture et s'y installe. Tout ça pour ça. Je n'aurais peut-être pas dû l'abandonner mais quelque chose en moi me hurlait de le faire. Quelque chose en moi m'a convaincu que je ne serai pas capable de la protéger de tous les dangers et que je devais plutôt la libérer. Et j'ai compris une chose : il ne s'agit pas de protection, Lily n'est pas une petite chose fragile, je suis sûr qu'elle est forte et débrouillarde. Il ne s'agissait pas de ça et maintenant je l'ai compris, nous sommes une équipe.
Maintenant que je l'ai rejointe dans la voiture, nous sommes tous deux assis en compagnie d'un silence pesant.
— Raconte-moi ce qu'il t'est arrivé, je lui dis.
Elle se triture les doigts et souffle comme si elle retenait tout cet air depuis des jours.
— Après que tu sois parti, trois hommes sont arrivés, ils m'ont emmenée dans un endroit. Mais avant, ils m'ont assommée et je me suis réveillée dans une cellule. Un blond qui s'appelle Jordan voulait que je lui dise qui tu étais et où tu étais.
— Comment me connaissent-ils ?
— Ils ont parlé d'un homme rôdant dans la forêt et tuant les leurs, ils en ont déduit que je te connaissais puisque j'y étais aussi. Ils ont parlé d'un jeune brun.
— Et qu'est-ce que tu leur as dit ?
— Rien du tout. Le blond m'a étranglée. Ces traces que tu vois sur ma gorge, c'est parce que je te protégeais. Leur chef m'a aussi tailladé la cuisse.
Je n'arrive pas à croire ce que Lily est en train de me dire. Elle s'est laissée torturer pour me protéger, alors que je l'ai abandonnée ? Mais pourquoi ? Je dois dire que ça n'a aucun sens. Mes yeux se rivent sur la cuisse en question, elle est recouverte d'un bandage blanc taché de sang.
— Je prendrai ton silence pour un merci, me lance-t-elle. L'autre homme, celui sur lequel je t'ai empêché de tirer, il venait me donner à manger.
— C'est celui que j'ai assommé ?
— Oui. Il était gentil avec moi, un peu trop même. J'en ai profité pour m'échapper. Et ensuite, tu es arrivé.
D'après ce qu'elle me raconte, il y a tout un groupe et ils ont des cellules à l'intérieur de ce grand hangar. Je me demande s'ils ont autre chose, comme des chambres, un réfectoire, et s'ils vivent ici ?
— Et toi, qu'est-ce qu'il t'est arrivé ? me demande-t-elle.
— J'ai dépouillé un cadavre et je me suis pris des décharges électriques. C'était un programme plutôt varié en activités.
Elle me regarde dans les yeux, comme si elle essayait de sonder mon âme, mais il faut qu'elle comprenne qu'elle n'y arrivera jamais.
— Et tu as tué un homme aussi, ajoute-t-elle.
— Ouais, aussi.
— Ils parlaient bien de toi, alors.
— Je n'avais pas le choix, ils étaient en train de m'attaquer !
— Je n'ai rien dit... En tout cas, nous ne sommes pas seuls et ce n'est pas une bonne nouvelle. Qu'est-ce qu'on va faire ? Et où est-ce que tu as trouvé cette voiture ?
Ça y est, je me rappelle pourquoi je l'avais abandonnée, elle pose bien trop de questions, elle m'a énervé dès la première fois qu'elle a ouvert sa jolie bouche.
— Je suis désolé de te décevoir, mais je n'ai aucun plan. Quant à la voiture, je l'ai volée à un gamin.
Elle ne répond rien et fixe en face, l'air particulièrement intéressée par l'état de la roche. D'un coup, elle se racle la gorge et tortille ses doigts, le regard fuyant.
— Est-ce que... tu t'es souvenu de quelque chose ? me demande-t-elle.
— Lily... tu sais très bien ce qu'il va se passer si on met ce sujet sur le tapis.
On va avoir des énormes maux de tête et on sera fatigué d'en parler, puis on retentera, jour après jour, sans jamais vraiment y parvenir.
— Je sais, mais là, je demande juste à ce qu'on se résume nos souvenirs. Par exemple moi, je me rappelle une fois en Apprentissage, nous étions habillés en bleu pour la Journée Exceptionnelle. Tu te souviens de ça ?
— Euh... Non.
— Nous devions nous habiller en bleu et écouter une femme nous parler. Ensuite, nous répétions tous un mantra, je le connais par cœur : L'Asile est un lieu de sûreté et de protection...
— ... Ne vous retournez pas contre l'Asile, ce serait comme vous retourner contre vous-même.
La femme qui parlait, une grande brune, joint ses mains et nous entamons tous une minute de silence. Je m'exécute et ferme les yeux, ne comprenant pas bien pourquoi nous devons faire ça, mais je sais que je le dois. Je reçois un coup de coude dans ma côte gauche, j'ouvre discrètement un œil et je vois Ben, la tête bien levée et les yeux grand ouverts, un large sourire aux lèvres. Je lève un sourcil, je ne comprends pas à quoi il joue, il risque de se faire emprisonner pour cet affront.
— Regarde, me chuchote-t-il.
Alors j'ouvre mon autre œil et doucement, je lève la tête. Tout le monde a la tête baissée, les yeux fermés, même la femme qui parlait. Ici sont regroupés tous les élèves du programme d'Apprentissage, du plus jeune âge au plus vieux. Il y a des personnes que je n'ai jamais vues, et il y a aussi des amis à moi. Je ne sais pas exactement combien nous sommes, mais une chose est sûre, nous sommes beaucoup et la masse de dos bleus que je distingue est impressionnante. Ben est en train de regarder tout autour avec toujours ce sourire plaqué sur les lèvres ; sourire espiègle qu'il a tout le temps, dans toutes les situations. Je lui ai déjà dit qu'il avait un air d'imbécile heureux à sourire tout le temps comme ça, mais il m'assure qu'au contraire, il fait tomber les filles.
— Riley, tu devrais apprendre à m'écouter quand je parle, me dit Lily quand je reviens à moi.
— Je me souviens ! Le bleu, la cérémonie de la Journée Exceptionnelle. J'ai un ami, Ben.
— Et moi j'ai une amie, Sierra. Côté famille, j'ai mes deux parents et une petite sœur. Je ne connais ni leur âge, ni leur nom. Et toi ?
Je n'ai absolument pas envie de répondre à cette question, je passe mon tour. Sauf que Lily est là, en train de me scruter en attendant que je lui donne une réponse. Je ne peux pas lui dévoiler toute la vérité, elle ne peut pas tout savoir.
— Mon père est mort, je vivais avec ma mère et ma sœur. Elle a six ans. Je ne connais pas leur nom.
— C'est tout ?
— Je... je me rappelle aussi avoir été emprisonné.
Une étincelle jaillit dans ses yeux, comme si elle était heureuse que je lui dise une chose pareille. Elle doit probablement jubiler que je confirme ses théories.
— Je suis le détenu cinq mille huit cent vingt-trois.
— Pourquoi tu t'es fait emprisonner ?
— Je ne sais pas.
— Quoi, tu veux dire que...
— J'ai dit que je n'en sais rien ! Maintenant, arrête avec tes questions.
Elle s'enfonce dans son siège et ne dit plus rien durant d'interminables minutes. Puis, elle finit par briser le silence.
— À propos du bleu, je n'avais pas fini. Il faut que tu saches que le garçon qui était gentil, Kyle, il portait du bleu. Or, nous savons maintenant que l'on n'en porte que lors de la Journée Exceptionnelle et c'est uniquement pour se rendre à la cérémonie. Clairement, on n'est pas chez nous...
Elle ferme brusquement les yeux, une douleur vient probablement de l'assaillir pour ce qu'elle vient de dire. Elle tente de reprendre ses esprits.
— On est à l'Extérieur, ajoute-t-elle en pleine souffrance.
Elle pousse un cri étouffé par ses mains qu'elle plaque sur sa bouche, elle a mal et je sais très bien ce qu'elle endure. Je ne comprends cependant pas pourquoi elle se force à dire ces choses alors qu'elle sait que nous n'en avons pas le droit. D'ailleurs, qui nous les interdit ?
— Nos problèmes de mémoire, continue-t-elle, c'est lié. J'en suis sûre !
Elle se tord de douleur sur son siège, des larmes ruissèlent sur ses joues.
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