Chapitre 12

RILEY

Deux jours sont passés, je le sais. Je suis resté assis à regarder les déplacements du soleil et de la lune, en comptant les heures. J'ai horriblement faim, mais je la compense en buvant. J'ai trouvé une source d'eau, alors que je marchais, j'ai entendu un bruit de cascade, et j'ai trouvé un ruisseau. J'ai bu l'eau qui y coulait, elle n'est probablement pas potable vu son goût, je verrai bien si je tombe malade. Après ça, je suis resté assis près d'un arbre, à essayer de me remettre les idées en place. J'ai aussi profité de l'abondance d'eau pour me laver, puis je me suis rassis et j'ai continué à observer le soleil et la lune.

Je ne sais pas quoi faire, les gens d'ici ne me paraissent pas vraiment civilisés, je n'ai pas envie de croiser une personne de plus. Quand je me remémore les flashs que j'ai eus à propos de ma sœur, je comprends pourquoi mon instinct me poussait à me séparer de Lily : je n'aurais pas pu veiller sur elle. Je n'ai même pas su sauver ma sœur, comment je pourrais protéger Lily ? J'ignore si elle a trouvé de quoi manger et peut-être que je croiserai bientôt son cadavre, mais j'espère qu'elle s'en est sortie.

Je me sens pitoyable à rester là près de mon arbre et de mon cours d'eau, c'est ridicule. Je ne sais même pas pourquoi on m'a envoyé dans un tel endroit, était-ce mon châtiment après m'être fait arrêter ?

J'entends des pas venir dans ma direction, je ne sais pas quoi faire, je me sens faible et je n'ai pas le cœur à la confrontation. Ce n'est pas comme si j'avais le choix de toute façon, mais je reste quand même assis, je verrai bien ce qu'il m'arrivera. Les pas se rapprochent de moi, je ferme les yeux. Je sens quelque chose me toucher la jambe.

— Réveille-toi, m'ordonne un homme.

Je ne bouge pas, un plan s'est formé dans ma tête, j'ai décidé de faire le mort.

— Tu crois qu'il est mort ? demande un autre.

— Je ne sais pas.

L'un des deux hommes s'approche de moi, je peux sentir sa présence tout près. J'ignore s'ils sont armés ou non mais de toute façon, ce n'est pas comme si j'avais une multitude de choix d'initiatives à prendre. Je n'ai qu'une chose à faire, attaquer. J'ai compris que je savais me battre, cependant, ça va être compliqué de me débarrasser de deux hommes probablement armés avec mon état de faiblesse. Mais je n'ai pas le choix, alors dès qu'il me touche, je le choppe.

Une main se pose sur mon épaule, je reste cependant un instant comme ça, tandis qu'il me secoue. L'autre se met à parler, je ne cherche pas à comprendre ce qu'il raconte, c'est le moment d'agir, je n'ai que quelques secondes. J'analyse mes deux adversaires : un grand brun à l'allure plutôt frêle, puis un autre homme qui regarde en arrière, comme s'il faisait le guet. Celui qui me fait face est accroupi et a un couteau dans la main. Je le pousse en arrière et lui envoie mon poing en pleine figure, ce qui le déstabilise l'espace de quelques secondes. L'autre réagit assez rapidement et tente de se jeter sur moi, alors je m'empare du couteau du premier qui est tombé au sol et menace celui qui fond sur moi avec. Il s'arrête net et garde les mains en l'air, comme pour me prouver qu'il ne tentera rien. J'attrape le brun qui est à terre par le col, le force à se lever et je le tiens devant moi en positionnant le couteau sous sa gorge, pour faire un moyen de pression sur l'autre.

— Toi, je dis à celui qui a les mains en l'air, tu dégages. Tu nous laisses.

— Ne le tue pas, s'il te plait.

— Très bien, on va faire quelque chose. Tu vas lancer de mon côté tout ce que tu as, provisions, armes, lampes. Et je ne le tuerai pas.

Il fouille dans ses poches et en sort des barres similaires à toutes celles que j'ai pu voir jusqu'ici, à croire qu'ils ne se nourrissent que de ça. Il en jette trois de mon côté et enlève délicatement son sac de son dos. Il en sort une bouteille, une lampe, un autre couteau et les lance tous derrière moi, à côté des barres. Il secoue ensuite le sac à l'envers pour me prouver qu'il est vide et le pose par terre. Il aurait autant pu me le lancer directement, quel abruti.

— OK, je lui dis, maintenant tu te casses. Tu cours loin et tu ne reviens pas. Je sais que tu vas sûrement alerter tous tes amis, mais je serai déjà loin. Je pourrais te tuer, mais je te laisse partir, alors ne fais pas le malin, parce que si je te retrouve, je te bute.

— Tu peux être sûr que je vais alerter tout le monde, ils vont te retrouver et on se vengera tous !

— Tu es sûr ? je lui demande.

— Ouais !

Je positionne le couteau sur l'abdomen de celui que je tiens toujours devant moi, je suis sincèrement désolé pour lui, mais son ami n'avait qu'à fermer sa grande bouche. J'enfonce brutalement le couteau dans sa peau qui résiste au début, mais lorsque le couteau déchire sa chair, il glisse tout seul, comme si c'était sa destinée. L'homme en face me regarde avec effroi, il comprend peut-être qu'il devrait être moins téméraire. Je retire le couteau du corps – ce qui émet un bruit assez dégueulasse, je dois l'avouer –, il pousse un cri étouffé et je le lâche, il tombe à terre. Je ne pense pas qu'il en mourra, j'ai évité tout point vital car je ne veux pas être un meurtrier. L'autre homme ne perd pas son temps et s'enfuit en courant. Je suis étonné d'avoir eu le cran de planter quelqu'un, je ne me rappelle pas si j'ai déjà tué, à part ma sœur, bien sûr. Je regarde celui au sol, il pisse le sang à l'endroit où je l'ai perforé. Cet homme va peut-être mourir à cause de moi, si ses amis ne le retrouvent pas à temps, et je ne sais pas si je suis humain de penser pouvoir vivre avec ça sur la conscience. Des bouts visions reviennent, je tente de me concentrer.

J'essuie le sang que j'ai sur les mains sur les vêtements de l'homme au sol, j'essuie également le couteau poisseux et rouge, mais je suis rapidement pris d'un tournis, je m'assieds pour reprendre mes esprits.

Des hommes approchent, ils viennent sûrement amener quelqu'un d'autre. Depuis que je suis enfermé, c'est-à-dire depuis deux jours, je passe mon temps à faire deux choses. La première est de me demander si ma sœur a survécu, si quelqu'un est allé la soigner ; je me dis que même si j'ai commis quelque chose de grave, ils savaient très bien pourquoi j'ai volé ces médicaments, peut-être ont-ils eu l'amabilité d'ensuite passer chez moi pour donner sa dose de pilules à ma sœur. La deuxième chose que je fais, c'est regarder les nouveaux détenus passer. Il y a des vieux, des jeunes, des filles, des garçons. Je ne m'imaginais pas un seul instant que les gens se faisaient arrêter aussi fréquemment, tout le monde est heureux ici, tout va bien, il n'y a aucune raison de se retourner contre le système qui est bon et nous protège.

Cette fois, je remarque que les gardes qui approchaient n'étaient pas là pour amener un nouveau détenu. Ils sont là pour moi, puisque j'en vois deux postés devant ma cellule. Ces deux hommes sont des défenseurs, ils ont une sorte de combinaison noire, confectionnée pour être à l'épreuve de tout choc sans jamais faillir. L'un d'eux a un grand sac noir dans ses mains, vraiment large. L'autre appuie sur un bouton, celui qui actionne le haut-parleur de ma cellule en verre, insonorisée. Il parle dans un petit micro connecté à un boitier sur lequel il a tapé le numéro de ma cellule, le son se propage à l'intérieur de l'habitacle.

Détenu cinq mille huit cent vingt-trois, nous avons quelque chose pour vous, me dit-il.

Je me concentre alors sur son sac, je ne vois pas ce qu'il pourrait avoir à me montrer. Comme je m'y attendais, celui qui tient le sac l'ouvre et en sort son contenu. Je m'attendais à voir n'importe quoi en sortir, mais sûrement pas ce qui se tient sous mes yeux. Je sens que je vais vomir, j'ai le tournis et j'ai envie d'exploser la vitre pour les tuer. J'ai envie de les marteler de coups jusqu'à ce que leur crâne explose, jusqu'à ce que mes poings soient totalement recouverts de leur sang.

L'homme porte à bout de bras le corps lâche et sans vie de Zoe. Sa tête pend vers l'avant, ses bras sont ballants, tout son corps et relâché et plongé dans un sommeil infini. Sa peau n'a pas sa couleur habituelle, elle est bien trop pâle et légèrement grisâtre. C'est un détail superflu, mais je remarque que le défenseur porte des gants, comme pour se protéger d'une infection. Il attrape la chevelure de ma sœur et la tire en arrière pour lever sa tête, pour que je puisse voir son visage. Pour que je puisse voir ses petits yeux clos, son sourire perdu à jamais et surtout, pour que je puisse voir qu'elle est morte.

Mon sang s'échauffe, j'ai l'impression qu'il est tellement bouillant qu'il pourrait me cuire de l'intérieur. Je frappe sur les vitres, j'ai envie de leur dévisser la tête, j'ai envie de sauver ma sœur, de lui donner ses médicaments.

Votre sœur est morte et c'est de votre faute. Vous l'avez tuée. Pourtant, on vous l'apprend depuis que vous êtes jeune, « ne vous retournez pas contre l'Asile, ce serait comme vous retourner contre vous-même », dit l'homme au micro, sans une once d'émotion.

J'ai tué ma sœur. Elle est morte à cause de moi. Elle était si jeune, elle avait toute la vie devant elle. Elle aurait dû survivre et choisir la voie scientifique, comme elle me l'a répété encore et encore lorsqu'elle résolvait ses problèmes de mathématique en faisant ses exercices. Une part de moi se dit que notre mère l'a tuée, c'est elle qui a avalé tous ses médicaments en ne se souciant de rien d'autre que de sa personne, mais une autre part de moi me dit que c'est de ma faute, j'ai pris des risques à cause desquels ils l'ont laissée mourir pour me donner une leçon. J'ai tué ma sœur, je suis un monstre.

Vous êtes un monstre, dit l'homme, comme s'il lisait en moi.

Je suis un monstre, je suis un monstre, je suis un monstre. J'ai tué ma sœur. Tout est de ma faute. Je ne suis capable de protéger personne, je ne suis digne de la confiance de personne.

À peine ce souvenir passé, je dégobille tout ce que j'avais dans l'estomac, c'est-à-dire, pas grand-chose, principalement de la bile. J'ai des vertiges et lorsque je regarde le corps mourant de l'homme qui git à côté de moi, une nausée me vient encore, mais je tente de ne pas vomir pour ne pas m'affaiblir encore plus.

C'est donc ça alors, la fin de l'histoire ? J'ai tué ma sœur, elle est morte par ma faute, je ne la reverrai plus jamais ? Lily est bien mieux sans moi, j'en suis sûr. Je ne l'avais même pas remarqué, mais des larmes ruissèlent le long de mes joues. Je me sens en colère, j'ai envie de retourner dans le passé et de changer le cours des choses.

Je me ressaisis, pas le temps de me laisser abattre. Je me lève et fouille l'homme à côté de moi. Je me demande si au moins il me voulait du mal, mais peu importe, les gens vivent, les gens meurent, c'est comme ça. Ma sœur n'a pas mérité de mourir non plus. Je ne trouve qu'une seule et unique chose dans ses poches, je prends cet objet avec précaution. C'est une arme, une sorte de pistolet qui ne ressemble à aucun autre de mes maigres souvenirs. Je ne me rappelle pas vraiment comment sont les nôtres, mais je sais que celui-ci est différent. Je le contemple et le manipule, il n'a pas l'air simplifié, il est totalement manuel, je dois me charger de tout faire et pas uniquement de tirer. Heureusement que j'ai appris. Je l'ouvre et vérifie le chargeur qui est plein. J'en profite pour tester l'arme : je vise au loin et appuie fort sur la détente, je n'ai pas le souvenir que je devais appuyer aussi fort avec celles que j'ai manipulées. Mon bras est légèrement projeté en arrière lorsque la balle est propulsée à toute vitesse, perçant l'air, et un bruit assourdissant retentit. Merde, je ne m'attendais pas à ça, cette arme est sacrément bruyante, niveau discrétion, on repassera. Je la range dans la poche de mon pantalon et je me dirige vers le corps de l'homme qui sue à grosses gouttes.

Je l'attrape par les bras et le traine près du ruisseau. Je remplis le sac à dos de tout ce que l'autre abruti a vidé, je mange quand même deux des barres et bois l'eau jusqu'à la moitié du contenant. Maintenant, je ne sais pas où je vais, mais je ne devrais pas rester ici, s'il y a du monde dans ce coin, il y a sûrement une civilisation, je devrais la trouver.

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