Chapitre 11
LILY
Je suis de retour dans ma cellule. Après m'avoir posé ses questions, le chef ô tant respecté m'a aimablement donné congé. Il m'a dit qu'il doit réfléchir à quoi faire de moi, je l'aurais bien aidé en lui proposant de me relâcher, mais je n'ai pas osé à cause de ses capacités surhumaines à s'énerver et ses penchants pour la torture.
Je me retrouve donc assise dans la crasse, avec une plaie par laquelle mon sang n'arrête pas de s'écouler. Je commence à avoir froid, je ne sais pas si ça a un lien avec le fait que je me vide de mon sang ou si la température a simplement considérablement diminué. Je me demande comment je vais bien pouvoir m'en sortir. Si je résume la situation, nous avons un chef que tout le monde semble respecter qui reste évasif et qui aime se servir de son couteau. Nous avons aussi le blond, sadique et pervers, sans pitié, il a l'air plutôt limité intellectuellement, ou alors il se sert de ses capacités mentales d'une manière qui m'échappe. Il y a aussi les deux autres hommes qui accompagnaient le blond dans la forêt, je ne les ai plus revus depuis. Et enfin, il y a Kyle, le gentil et naïf Kyle. Je pense que ce dernier est mon recours pour m'échapper d'ici, je dois me servir de lui.
En parlant de lui, le voilà qui entre dans ma cellule et nous enferme tous deux à l'intérieur. Je ne suis pas effrayée, si le blond ne s'approche pas de moi, tout ira pour le mieux. Il a un sac dans la main droite et je remarque aussi qu'il a changé de vêtements. Il porte un tee-shirt bleu marine, ce qui me provoque un choc. Le bleu est réservé aux Journées Exceptionnelles, pas pour un simple tee-shirt qu'on passe avec un jean. Je me demande d'où il vient, on n'est pas du même endroit lui et moi. Pourtant, mon cerveau me crie que l'Asile est la seule terre de vie, à l'extérieur de l'Asile, il n'y a que la mort. Mais à l'intérieur de l'Asile, on ne porte pas de bleu à notre guise. Je me demande l'espace de trois secondes si je ne serais pas à l'Extérieur, mais un mal de crâne fracassant me prend la tête, le front, les tempes, c'est douloureux. Je chasse cette idée, je ne peux décemment pas être à l'Extérieur, je serais déjà morte.
Il s'accroupit par terre, à mon niveau. J'ai toujours les mains liées mais on m'a retiré mon bandeau lors de mon retour dans la cellule. Kyle ouvre son sac, il en sort plusieurs objets que je n'identifie pas à cause de l'obscurité dans laquelle nous sommes plongés. Finalement, il en sort un morceau de pain, une bouteille d'eau et deux barres identiques à celles qu'on lui avait volées. Il ne me délie pas les mains et approche la bouteille d'eau de ma bouche. Je suis réticente à l'idée de lui faire confiance malgré sa gentillesse évidente, il pourrait y avoir un poison dans cette eau, je n'en sais rien.
— Il faut que tu t'alimentes, me dit-il.
— Toi d'abord.
— Quoi, tu crois que cette eau est empoisonnée ? me demande-t-il en émettant un léger rire.
Je ne lui réponds pas et le fixe simplement, de toute évidence il a bien compris ce que j'attends de lui.
— OK, comme tu voudras, ça en fera moins pour toi, dit-il.
Il porte le goulot de la bouteille à sa bouche et boit une gorgée d'eau, il prend le temps d'avaler, comme pour me prouver qu'il est bien en train de le faire, comme si j'étais stupide. Une fois le liquide avalé, il ouvre la bouche pour me prouver qu'il n'y a plus rien dedans. Je décide d'attendre, pour voir s'il se passe quelque chose.
— Oh, je vois ! Tu attends de voir si je meurs ? D'accord, attendons, me dit-il en me fixant dans les yeux.
Je le détaille du regard et ce que je vois, c'est que cet homme est tout à fait banal. Il est plutôt mignon, avec ses cheveux bruns et ses yeux tout aussi marron que sa chevelure, il n'a rien d'exceptionnel, mais il dégage un charme naturel. Ça fait un petit moment que nous sommes en train de nous fixer sans rien dire et il n'est toujours pas mort. Je décide alors de lui faire confiance mais si ça avait été le blond, aucune preuve n'aurait pu alléger mon anxiété.
— C'est bon, je te crois, dis-je.
— Il valait mieux pour toi.
Il porte la bouteille à ma bouche et je bois plusieurs gorgées, je dirais même que je bois toutes les gorgées que je peux étant donné que la bouteille se retrouve rapidement vidée de son eau. J'ai soif, il m'en faut encore. Il me tend désormais le morceau de pain, il veut me faire manger comme si j'étais un enfant, ma fierté en prend un coup.
— Tu pourrais... me détacher, pour que je mange seule ?
Il semble étudier ma question, il se dit probablement que s'il me détache, je risque de tenter quelque chose, je risque de tenter de m'échapper. Sauf que je ne tenterai rien. Je vais prendre sa confiance, petit à petit, je vais le faire me détacher plusieurs fois, il verra que je ne tente rien et baissera sa garde. Et ensuite, c'est là que j'attaquerai. Sans parler de mon plan pour l'attendrir. Je me sens cruelle de lui faire ça, mais je suis dans une situation où m'échapper d'ici est tout ce à quoi je pense, mon instinct de survie est exacerbé.
J'ajoute un sourire timide, peut-être qu'il y sera sensible. En agissant de la sorte, toutes les cellules de mon corps me crient que ce n'est pas moi. Ce n'est pas mon style d'être une telle manipulatrice. Il faut croire que la captivité et mon instinct de survie m'inculquent de nouvelles qualités. Il me rend mon sourire et dirige ses mains vers les miennes. Il attrape les deux extrémités de la cordelette mais il ne fait rien, il semble encore indécis.
— Je ne vais rien tenter, je le rassure. Je veux juste un semblant de dignité et en plus, ça commence à me faire mal, j'ai l'impression que ça me coupe la circulation. Et puis, je suis déjà enfermée, pourquoi m'entraver ? Vous avez peur de moi ou quoi ?
Il réfléchit à tout ce que je viens de lui dire et il desserre finalement mes liens, pour m'en débarrasser totalement. Je fais des mouvements circulaires avec mes poignets, ça fait du bien d'être un minimum libre. Il me tend le bout de pain, alors je le prends et plante mes incisives dedans et bientôt, il n'en reste plus. J'ai l'impression que cette eau et cette nourriture ont agrandi mon estomac, je n'ai jamais eu autant faim de ma vie.
Kyle me regarde avec un sourire triste, je crois qu'il a pitié de moi, mais c'est parfait. Il tend les deux barres vers moi.
— Ça, c'est de ma part. Je ne suis pas censé te les donner, alors mange-les vite.
— Pourquoi tu enfreins les règles ?
— Écoute, je ne suis pas d'accord avec ce qu'il se passe ici... Je ne peux pas t'en dire plus, je n'ai pas le temps maintenant. Je dois te soigner.
Je regarde ma plaie qui saigne encore, je dois dire que le fait de manger m'a fait oublier que j'avais mal. Il sort du matériel de son sac, des outils qui me semblent inconnus. Il sort une compresse, un contenant rempli d'un liquide transparent, un long bout de tissu, du scotch. J'ai l'impression qu'il se prépare à un atelier pratique tel que ceux qu'on donne à faire aux enfants pour développer leur imagination et leur créativité.
— C'est quoi tout ça ? je demande.
— Tu te fiches de... Laisse tomber. C'est pour te soigner, tu vas avoir mal, mais je n'ai pas le choix, il ne t'a pas loupée. Au moins, il ne t'a pas tuée, c'est le bon côté des choses.
— Il tue souvent des gens ?
— Oui, très souvent. Il a même déjà tué l'un des nôtres, alors je te laisse deviner ce qu'il me fera s'il découvre que je suis gentil avec toi. Tu devrais manger le temps que je te soigne, ils ne doivent pas te trouver avec ça.
Je l'écoute et ouvre le premier sachet, je mange la barre en trois bouchées et je passe à la deuxième avant même qu'il n'ait le temps de commencer à me soigner. Il verse le liquide transparent sur la compresse et se lève. Qu'est-ce qu'il fait ?
Il se déplace, vient se placer derrière moi et je ne bouge pas. Il s'accroupit juste derrière moi, son torse est collé à mon dos et je sens même son cœur battre contre mon omoplate. Il plaque sa main gauche sur ma bouche et cale ma tête contre son épaule, je ne peux plus bouger, je suis prisonnière et je ne comprends pas pourquoi il fait ça. Enfin, sa main droite vient frotter ma plaie avec la compresse imbibée du produit transparent et je sens une vive douleur, encore pire que lorsqu'on m'a assommée. En revanche, je ne sais pas si c'est pire que lorsque le couteau a déchiré mes tissus, la douleur doit être équivalente.
Je hurle, mais le son est étouffé par la main de Kyle, je comprends enfin pourquoi il fait ça, il savait que j'allais hurler de tout mon être. Au bout d'un moment, la douleur est tellement vive que je ne la ressens même plus, c'est comme si j'étais anesthésiée. Je trouve ça tout de même étrange que leurs méthodes pour soigner les gens soient presque aussi douloureuses que le mal en question à soigner. Une fois que j'ai arrêté de m'époumoner sans son, Kyle retire sa main et me caresse les cheveux de sa main gauche, tandis que mon corps est parcouru de spasmes et que je tremble. Son geste est bien trop affectueux pour moi, il ne devrait pas faire ça. Sauf que pour ma mission, celle qui consiste à m'échapper de là, je le laisse faire, je prends sur moi et après tout, ce n'est pas désagréable.
Après un long moment, il se déplace à nouveau et vient se poster devant moi pour recoudre ma plaie, ce qui me semble barbare, et me colle une autre compresse et la scotche à ma cuisse, il entoure ensuite tout ça d'un long ruban blanc, un bandage.
— Lily, commence-t-il, je dois te dire quelque chose. Je ne sais pas ce qu'ils vont faire de toi ni ce qu'ils vont m'obliger à faire, mais je dois garder un semblant de crédibilité devant eux, alors si j'ai un comportement déplacé ou si je les laisse te faire du mal... ne le prend pas personnellement. Je n'ai aucun pouvoir ici, je fais ce qu'on me dit et je ferme ma gueule. Tu comprends ?
Kyle est donc en train de gentiment m'expliquer qu'il va très certainement me faire du mal et laisser le blond faire ce qu'il veut de moi, mais que je ne dois pas le prendre personnellement. Je ne sais même pas comment réagir à ça tant ça me parait insensé. Il reprend la parole devant mon mutisme :
— Si jamais j'ai l'air dur avec toi, répète-toi que c'est faux, tu n'auras qu'à te dire que c'est un jeu.
— Un jeu pas très amusant, je lui réponds.
— Je suis désolé.
Il se lève et referme son sac, il s'apprête à partir.
— Attends ! je lui dis. Tu ne nous en veux pas pour ce qu'on t'a fait dans la forêt ?
— Je t'ai déjà dit que tu ne m'as rien fait. Quant à ton ami, je ne peux pas lui en vouloir, je vous ai menacés, il a suivi son instinct de survie, j'aurais fait la même chose. Si je le retrouve, je ne lui ferai rien, si c'est ce que tu veux savoir.
— Merci.
Il m'adresse un dernier sourire et s'en va, me laissant seule dans ma cellule. Kyle est réellement gentil, j'éprouve de la culpabilité en pensant à ce que je m'apprête à faire.
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