Prologue

La nuit s'empressait de tomber, remplissant la forêt d'une épaisse obscurité, ne laissant deviner que les formes des arbres qui bordaient les alentours.

Un groupe de soldats, torche à la main pour éclairer le chemin, avançaient à pas feutrés dans la noirceur du lieu.

- Vous pensez que Dame Krisia s'intéresse à nous en ce moment ?, demanda l'un d'eux.

- Je ne sais pas si elle s'intéresse à vous, mais elle doit sûrement réfléchir à toutes les crasses que je lui ferais si je me retrouvais seul avec elle, rétorqua l'un d'eux avant de ricaner, entraînant le rictus du reste du groupe.

A la prononciation de ces mots, le commandant du groupe d'hommes arrêta son cheval et se tourna vers le soldat qui venait de parler avant de lui adresser la parole :

« Vor, si je t'entends encore parler de Lady Krisia avec ces mots, je jure devant les dieux de te pendre par les couilles trois jours durant. Je m'assurerai moi-même que cela soit fait en bonne et due forme. N'oublie pas qu'elle est l'épouse de ton roi. »

Les menaces de l'homme firent effet immédiatement, la troupe reprit son sérieux et Vor s'excusa de son comportement auprès de son supérieur.

Ce dernier lui adressa un dernier regard sévère avant de se remettre en marche.

La Lune avait maintenant complètement étouffé les rayons du soleil et le groupe continuait de s'enfoncer dans la forêt.

- Commandant Droge, quand pensez-vous que nous serons sortis de ces bois ?, questionna l'un des soldats.

- Dans une heure ou deux si l'on garde un rythme soutenu, pourquoi ? Es-tu effrayé par la pénombre ?, répondit son supérieur.

- Non mon commandant, cependant ce lieu ne possède pas une bonne réputation, et par les temps qui courent, l'ennemi pourrait nous tendre une embuscade à tout moment dans cette forêt.

- Alors reste concentré si tu ne veux pas que ça arrive.

Droge était un homme sévère mais protecteur. Il tenait à ce que tous les hommes qu'il avait sous son ordre restent en vie, quitte à sacrifier sa vie s'il le fallait. Ce sont ces mêmes principes qui lui coutèrent un œil autrefois mais qui bâtirent également sa renommée.

Il avait d'abord servi comme simple soldat dans l'armée Thyreanienne avant de s'illustrer lors de la bataille de Tilam, ce qui lui valut de monter en grade et de se voir attribuer une unité de cinquante soldats.

Il accordait beaucoup d'importance aux valeurs morales, au point de créer son propre code d'honneur qu'il suivait, et ne supportait pas que l'on déroge à ces valeurs.

Au fur et à mesure que le groupe progressait dans la forêt, des bruits de brindilles craquant et de feuillage venaient étouffer le son de leurs pas, ce qui commençait à perturber les soldats.

L'un d'eux se détacha du groupe afin d'examiner une fougère proche d'où provenaient des sons. Tandis qu'il s'approchait, les bruits s'intensifièrent, et quand il eût été au pied de la source du bruit, tout s'arrêta soudainement. Il dégaina son épée pour être prêt à se défendre dans le cas où quelque chose sortirait, mais au bout de quelques secondes, un renard surgit, effrayé. L'homme soupira, soulagé, puis le silence reprit de plus belle.

Mais autre chose attira son attention, il avait cru apercevoir du coin de l'œil une silhouette dans les branches en hauteur, il pensa à un oiseau mais à peine eut-il le temps de vérifier ses dires qu'une flèche rompit le silence et vint se loger dans son œil droit.

Le commandant scandait toutes sortes d'ordre à destination de son unité :

"Nous sommes attaqués !", "En position de combat !"

Mais la confusion régnait, plus d'un tremblait de peur ne sachant pas qui était l'ennemi et où il se cachait.

Tandis qu'ils se positionnaient tant bien que mal, une seconde flèche fendit l'air, touchant directement la jambe de l'un d'eux, qui se tordit aussitôt de douleur.

S'ensuivit un torrent de projectiles qui vint s'écraser sur le groupe qui tentait de se protéger au mieux de cet assaut.

Puis tout s'arrêta, si les cris de douleur de certains hommes ne retentissaient pas dans la nuit, on aurait cru que le temps s'était arrêté.

"Restez groupés, ne lâchez pas vos positions !", hurlait Droge à ses soldats.

Ils avaient dressé un mur de boucliers faisant face à la direction supposée des assaillants. Certains surveillaient cependant les arrières pour prévenir une attaque sur de multiples fronts.

Le son d'un cor retentit dans les profondeurs de la forêt, précédant le bruit des pas qui s'aplatirent brutalement et à toute vitesse sur le sol. Des dizaines d'individus surgirent des bois, épée à la main, le visage marqué par la rage.

Ils vinrent s'écraser contre les boucliers des défenseurs. Certains tombèrent à terre sous leur poids, avant d'être roués de coups, frappés par le pommeau d'une épée et achevés d'un geste brutal.

Les embusqués continuaient de déferler, ils étaient maintenant deux fois plus importants en nombre que leur cible, il en venait de tous les côtés.

« Repoussez-les ! Ne vous laissez pas submerger ! », s'écriait Droge, qui continuait de guider ses hommes malgré le désordre et le vacarme des armes se heurtant.

Un peu plus loin dans la forêt, deux cavaliers observaient, cachés, le déroulement de la bataille, d'un air satisfait.

Le premier portait une armure en soie, parsemée de clous de laiton, soutenant les plaques de métal à l'intérieur de la soie. Le noir était la couleur prédominante mais elle était aussi accompagnée de motifs circulaires rouges.

Par son accoutrement, on devinait facilement qu'il jouissait d'un grand prestige.

Le second lui portait une armure d'une couleur principalement noirâtre, composée de nombreuses écailles.

Le premier se racla la gorge, et se tournant vers l'autre cavalier, il demanda :

- Ser Veilon, savez-vous comment gagne-t-on une bataille ?

- Lorsque l'ennemi a été anéanti je suppose, sir, répondit-il

- Certes, mais cela reste vague, de même, dans certains cas, éliminer l'intégralité de l'armée ennemie peut s'avérer difficile. Tenez, prenons la question sous un autre angle : De quoi vous servez-vous pour réfléchir ?

- Eh bien, de ma tête, mais je ne vois pas où vous voulez en venir...

- « Coupe la tête du serpent, le reste suivra. Autrement dit, tue le général adverse, et l'ennemi finira déstabilisé, voire même démoralisé » répliqua-t-il en coupant la parole de son interlocuteur.

Il enchaîna ensuite, en s'adressant à deux hommes restés en retrait derrière eux :

- « Que l'on m'apporte mon arbalète »

Sir Feran, de la maison Bael, était le prince du royaume de Lydir. Il était connu pour ses méthodes jugées immorales ou lâches pour tout homme de guerre, pourtant, bien qu'il sache ce que pensaient les autres de lui, il en était satisfait et tenait à conserver cette réputation, qu'il prenait pour un amusement.

Les deux serviteurs s'exécutèrent et ils arrivèrent auprès du cavalier avec une arbalète ornée d'un cerf en or.

Ils lui tendirent l'arme qu'il chargea ensuite avec un carreau et se mit à viser Droge qui se défendait comme un diable face à l'ennemi.

Il prit son temps, laissant même échapper un ricanement, trahissant l'amusement que lui procurait la vulnérabilité de sa cible.

- «Ser Veilon, la tête ou le cœur ?, demanda le prince. Choisissez. Si le carreau atteint l'emplacement que vous avez choisi, je payerai une tournée de bières, accompagnée d'autant de catins qu'il le faudra à vous et à vos hommes à notre retour.

- Très bien, partons pour le cœur, répondit le second.

Puis après avoir patiemment ajusté son tir, il décocha le carreau d'arbalète qui s'en alla à toute allure se planter dans la poitrine du commandant adverse.

- On dirait bien que la chance vous sourit aujourd'hui, Ser Veilon, répliqua-t-il alors d'un ton amusé.

Droge était là, étalé sur le sol, tentant de retirer le carreau qui était logé dans sa poitrine sans aggraver sa situation. Mais il sentait ses forces le quitter petit à petit, il savait que cette forêt, ce champ de bataille serait sa dernière demeure.

Il jeta un œil aux alentours. Ici et là, ses hommes tombaient les uns après les autres, les cadavres, amis comme ennemis, continuaient de s'entasser par terre.

Malgré ses efforts, aucun de ses compagnons d'armes ne rentreraient en vie ce soir, les dieux en avaient décidé autrement.

« Doria i' Tilei¹ »

Ce sont les derniers mots qu'il prononça avant de s'éteindre.

Progressivement, le cliquetis des armes qui s'entrechoquaient devenait de moins en moins bruyant, jusqu'à disparaître complètement. La troupe thyreanienne finit par être anéantie, sous la supériorité numérique de l'ennemi, qui n'en sortait pas indemne pour autant. L'affrontement avait profondément creusé les rangs des soldats lydiriens.

Après l'affrontement, les soldats restants passèrent des heures à monter un bûcher funéraire pour leurs compagnons tombés au combat.

Pour les autres en revanche, il leur a été demandé de les laisser pourrir sur le sol, afin qu'ils servent de pâture aux corbeaux, selon la volonté du Prince.

Celui-ci exigea également qu'on lui apporte la tête du commandant Droge. Il l'accrocha ensuite à son cheval afin d'exposer fièrement ses faits d'armes à son retour.

¹ : « Gloire et Honneur » en Tirmenn, dialecte Thyreannien

« Monseigneur, si je peux me permettre, nous ferions mieux de ne pas nous attarder en ces lieux et de rentrer dès que possible, la cour doit s'impatienter de votre retour, votre père tout particulièrement. » dit l'un des soldats s'approchant du prince Feran.

« Je connais très bien mon père et je pense savoir mieux que vous ce qu'il désire ou non. Ce n'est qu'un demeuré aveugle qui refuse de prêter attention à mes idées qu'il juge trop puériles et trop peu réfléchies. Peuh ! », rétorqua-t-il, avant de cracher. « Que l'on ordonne aux hommes de se remettre en marche. »

« Vous avez entendu ? En marche bande de limaces ! » ordonna le soldat.

Après trois longues journées de marche épuisantes, le prince et les hommes qui l'escortaient arrivèrent enfin à Rhaedra, capitale du royaume de Lydir.

Ce jour-ci et, comme tous les autres jours d'ailleurs, flottaient dans les rues commerçantes une délicate odeur, mêlant tantôt des épices et diverses saveurs, tantôt des parfums enivrants.

Le retour de Feilan agita la population, admirateurs comme détracteurs, tandis que ce dernier se contenta d'observer la foule avec dégoût et mépris lors de son passage dans les rues de la capitale.

Il finit sa route devant le Thaennarion², la forteresse et résidence royale héritée de la lignée fondatrice du royaume, et érigée sur la Faerdos, la Haute Colline surplombant la ville.

C'était un édifice majestueux où se concentrait le pouvoir royal, mais aussi les intrigues politique et le culte réservé à Vithra, déesse protectrice de la ville.

Quatre gardes surveillaient l'immense porte donnant sur l'intérieur du monument. Chacun d'entre eux pourrait un casque à nasal noir agrémenté de grenat auquel s'ajoutait de la maille couvrant la nuque, ainsi qu'une grande armure en acier noir orné d'un cerf rouge élancé, debout sur ses deux pattes arrière.

Ils ouvrirent les deux grands battants de l'entrée pour permettre au jeune homme d'entrer.

Lorsque l'on pénétrait dans l'enceinte du château, on parcourait un long couloir, donnant sur une autre aile du château de part et d'autre, et débouchant sur une autre porte le séparant de la salle du trône. De grandes colonnes de marbre bordaient l'allée de part et d'autre, sur lesquelles étaient fixés des valets portant les torches.

Après avoir parcouru le couloir, Feilan entra dans la salle du trône, où son père l'attendait patiemment, assis, ainsi que quelques gardes assurant sa protection. Le trône dont il est question était un grand siège en or et en cuir surplombant la salle, et sur lequel étaient sculptés des cerfs sur chaque accoudoir. L'homme qui trônait observait le nouvel arrivant, avec un air à la fois grave et sérieux.

« Père ! Magnifique journée n'est-ce pas ?» dit le prince, ouvrant le dialogue. Mais pas un mot ne sortit de la bouche du roi. « On m'a rapporté que tu m'attendais avec impatience, je suis ravi de savoir que tu t'inquiètes pour moi. » poursuivit-il, avant que le silence ne retombe. «Tu sais, je me disais...»

- Assez ! J'ai eu vent de tes... exploits, dit-il enfin, en marquant une pause. Puis il reprit :

- Combien d'hommes ont péri du fait de tes idioties cette fois-ci ?

- « Quelle importance ?! Ces hommes n'étaient que de la chair à canon, des hommes bons qu'à mourir pour leur seigneur, pour moi !», rétorqua Feilan, agacé par les reproches de son père.

- « C'est ainsi que tu vois les choses ? Ces hommes servaient la couronne, et jusqu'à preuve du contraire, il est encore trop tôt pour te présenter comme seigneur de Lydir. Tu n'es encore qu'un gamin immature, qui ne trouve son bonheur que dans le sang et la douleur. Tu ne connais rien au pouvoir, tu ne connais rien à la stratégie, ou à la politique, alors non, tu n'as clairement pas l'étoffe d'un roi, mon fils.», répondit sèchement le seigneur du Thaennarion , sous l'emprise de la colère. « Faites savoir à Iros que je souhaite le voir immédiatement » ordonna-t-il ensuite aux gardes présents dans la salle.

L'un d'eux s'exécuta et quitta alors la pièce, s'en allant quérir l'homme en question.

« Tu aimes la guerre mon fils. Tu rêves de livrer des batailles se terminant dans des bains où cruauté et mépris sont les seules valeurs prônées. Alors je vais exaucer ton souhait. Dès demain, tu intégreras la troupe d'Iros et partiras combattre à la frontière. Cependant, je préfère te mettre en garde, les hommes que tu auras à affronter ne seront qu'un danger parmi tant d'autres. Les bêtes sauvages, le manque de provisions, le froid feront partie de ton quotidien, ainsi qu'un nom, quelque chose que certains disent avoir aperçu à la frontière, et l'appelle Thoronn. Tu veux montrer à quel point tu es fort ? Trouve cette chose, quoique cela puisse être, et tue-le. Si tu y parviens, peut-être reconsidérerai-je mon jugement envers toi. ».

Après cela, il ordonna d'un geste de la main à Feilan de quitter la salle du trône.

Le roi Lyos était connu pour son jugement impitoyable, bien que ses décisions étaient peu souvent injustes.

Cela lui valait d'inspirer la crainte et le respect, aussi bien chez les royaumes voisins qu'au sein de son propre royaume, la cour étant remplie de conspirateurs.

Peu de temps après, un homme, grand, barbu, ni jeune, ni vieux, fit irruption d'une démarche fière dans la salle. La tenue qu'il portait était différente des autres soldats. Lui aussi portait une grande armure en acier noir, mais le cerf qui l'ornait n'était plus rouge mais, doré. Certaines pièces de son armure telles que les épaulettes paraissaient également plus robustes.

Il s'arrêta, laissant une distance suffisante entre lui et le roi, ôta son heaume pour le tenir au creux de sa main, puis se courba en avant pour saluer celui qui se tenait devant lui.

« Vous m'avez fait demander mon seigneur ?" engagea le soldat.

« - En effet. Je voulais te faire savoir que tu accueilleras Feilan dès demain parmi tes hommes. Il restera aux frontières jusqu'à ce qu'il accomplisse la tâche que je lui ai administrée », répondit Lyos.

« - N'avez-vous pas peur pour sa sécurité ? Il s'agit quand même de votre héritier, s'il lui arrivait malheur et que cela venait à se savoir, le peuple serait endeuillé, pire l'ennemi pourrait se décider à agir. »

« - Contestes-tu mes ordres ?» répliqua sèchement Lyos, puis il reprit « As-tu seulement mis un pied dans la ville ces derniers mois ? La majeure partie du peuple exècre mon fils, ils se réjouieraient davantage de le savoir mort que souverain. C'est d'ailleurs son comportement odieux qui lui vaut ce séjour parmi tes hommes. Quant à l'ennemi, de même que pour le peuple, il jubilerait devant une telle nouvelle, et serait peut-être même plus enclin à la négociation une fois sa présence effacée. »

« - Vous avez parfaitement raison messire, pardonnez mon impertinence », s'excusa Iros tout en se courbant de nouveau. Avant de partir il ajouta : « Vos ordres seront respectés. Je m'assurerai que votre fils accomplisse son devoir, tout en garantissant sa survie, au prix de ma vie s'il le faut.»

Le roi acquiesça d'un simple mouvement de tête, et le commandant retourna à ses occupations. ».

² : il n'existe pas de réelle traduction de ce nom issu du Lydirois, cependant, on peut distinguer le mot « Thaenn » qui signifie « Conquérir », « S'emparer de- » mais aussi le mot « Ari » qui signifie « Château », « Forteresse », on peut donc aisément penser que l'équivalent en langue commune serait « Le Château de celui qui conquit », « La Forteresse de celui qui conquit ».

Au fort de Bregha, l'une des nombreuses fortifications de la frontière séparant les royaumes de Lydir et de Parrhas, loin des intrigues de la capitale, la garnison suivait comme à son habitude son entraînement aux armes.

On n'avait de cesse d'envoyer des hommes de ce côté-là du pays afin de contrer les incursions des hommes venus de la mer, ainsi que des Thyreanniens.

La guerre, qui faisait maintenant rage depuis trois longs hivers avait déjà fait de nombreuses victimes dans les deux camps. Mais elle attira aussi des choses que nul ne veut voir, des créatures malfaisantes terrorisant les populations aux alentours, Thoronn en fait partie.

Tard le soir, les braseros éparpillés sur les palissades constituaient une faible source de lumière face à la brume épaisse qui couvrait les environs. Quelques soldats s'en allaient prendre leur tour de garde. Au pied du fort, les vagues caressaient la berge, soulevant sable et cailloux.

Soudain, trois longs bateaux accostèrent, profitant du rideau blanc qui cachait les environs pour débarquer en toute discrétion. Chacune des embarcations comptait environ quarante hommes, tous vêtus d'une tunique, complétée par une cotte de mailles pour certains d'entre eux.

Après avoir débarqué, ils traversèrent discrètement la plage, se faufilant jusqu'aux fortifications. Pas un mot ne venait interrompre le silence de la scène, mais des gestes ici et là venaient les remplacer. Deux des individus étaient prêts à bander leur arc, visant les gardes patrouillant en hauteur. Il suffisait d'un ordre, un geste, pour qu'ils encochent une flèche et que les projectiles transpercent la nuit. 

Pendant ce temps, un petit groupe longeait la palissade, cherchant une faille, un espace par lequel pénétrer la défense ennemie. Mais rien ne fut trouvé. Il fallait agir de l'extérieur.

Les archers attendaient toujours calmement le moment opportun pour que l'ordre leur soit donné. L'un des soldats en patrouille commença à s'approcher du bord de la palissade, prêt à glisser sa tête au-delà pour observer les environs. C'est à ce moment que l'un des tireurs s'exécuta. Le corps du malheureux visé tomba en avant. D'autres se saisirent alors d'un grappin attaché à une corde qu'ils lancèrent par-dessus la palissade. Une fois l'accroche solide, ils commencèrent à escalader le mur. Le tumulte n'avait pas manqué d'alerter certains guetteurs qui s'étaient empressés d'aller jeter un œil pendant que certains avertissaient le reste du camp de la possible menace qui pesait sur eux. Un premier individu surgit après avoir fini son ascension, puis un second, tandis que les assiégés fondèrent sur eux. L'affrontement entre les deux partis débuta. Le commandant mobilisa ses hommes pour contrer l'assaillant qui essayait par tous les moyens d'atteindre la porte afin de permettre au reste du groupe de pénétrer dans le fort.

Loin des combats, dans la forêt avoisinante, s'échappa un cri monstrueux, fort, robuste, menaçant, perturbant les volatiles qui s'envolèrent en un éclair. Ce n'était pas un loup, la bête qui avait poussé ce hurlement était bien plus gigantesque.

Les arbres s'affolèrent, la terre se mit à trembler. Elle était proche, en mouvement, et elle se rapprochait des hommes. Rien ne semblait perturber les combattants pour le moment qui continuaient à s'entretuer pour le contrôle de la place-forte. Dans cette lutte indécise, le commandant du camp est tué, anéantissant le moral de la garnison qui entame un repli dans un coin plus facile à défendre. 

La terre, elle, tremblait toujours plus, ce qui capta finalement l'attention de ceux qui étaient restés en dehors, attendant l'ouverture de la porte. Leur regard se tourna vers la forêt. La peur prit possession de leur corps quand surgit soudainement une immense silhouette, noircie par la nuit, mais dont s'échappaient deux flammes, deux flammes qui fixaient maintenant ceux qui les observaient. 

Dans un élan de rage, la bête poussa un autre hurlement, et s'élança à toute vitesse dans leur direction, s'émancipant peu à peu de l'obscurité qui l'entourait.

Elle était immense. Semblable à un ours, elle en faisait pourtant trois fois la taille. Sa fourrure était profondément noire. De longues cicatrices se dessinaient sur son visage et son corps. C'était elle, celle qu'on appelait Thoronn, celle qui terrorisait la région. Elle finit sa course contre le groupe d'hommes terrorisés, qui, tant bien que mal agitaient leur arme pour se défendre, et projeta certains d'entre eux contre la palissade, avant d'embrocher à tour de bras ceux qui avaient évité sa charge. 

La panique prit le dessus dans le fort également. Le bruit assourdissant des lames se croisant fut bientôt submergé par des bruits de terreur. On entendait « Thoronn ! », ici et là. Ce n'était plus un combat pour le contrôle du lieu, mais un combat pour la survie. Ami comme ennemi, chacun d'entre eux savait que le danger qui les guettait était plus important. A l'extérieur, les murs pleuraient, laissant s'écouler des filets rouges. Le sol accueillait les corps agonisants des victimes du monstre, qui se dirigeait déjà vers ses prochaines cibles. Les deux camps mirent de côté leurs différends pour se défendre contre cette bête assoiffée de sang.

« Tenez la barre ! », pouvait-on entendre. Plusieurs hommes se dressèrent alors contre la grande porte du fort, maintenant autant que possible la barre qui fermait cette dernière, et leur dernier rempart contre Thoronn, dont les assauts se faisaient de plus en plus féroces. D'autres vinrent alors à la porte, mais malgré tous leurs efforts, celle-ci céda. Bien que se sachant condamnés, tous tentèrent un dernier assaut contre celui qui s'apprêtait à être leur bourreau. L'un d'eux parvint à blesser l'animal, qui gémit aussitôt de douleur et fit un bond en arrière. Un autre encore le blessa à l'abdomen. Mais ces blessures ne firent que renforcer sa rage, et l'issue était déjà décidée.

Ce soir-là, près d'une centaine d'hommes perdirent la vie dans les affrontements. Le lendemain, une patrouille découvrit la scène macabre qui s'était déroulée au fort de Bregha, ne pouvant expliquer ce qui avait causé des blessures d'une telle gravité sur plusieurs cadavres, mais également certaines traînées de sang se dirigeant vers la forêt. On dépêcha alors un messager pour prévenir le roi : Thoronn avait encore frappé.

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