3e désASTRE

"Je veux toucher les étoiles."

Une épaisse buée blanche sortait d'entre ses lèvres gercées.

Pendant qu'elle allait à la rencontre de son destin maudit, des hordes de familles déballaient des cadeaux colorés, arrachaient le papier dissimulateur et riaient de plaisir. Ils se retrouvaient joyeusement autour d'une table décorée et se goinfraient d'un excellent repas.

Ils fêtaient Noël.

Elle marcha jusqu'au lac bordé d'immenses sapins. Las-bas, une petite barque, attachée à un poteau par une corde, flottait tranquillement à la surface de l'eau miroitante.

Quand elle arriva à sa destination, elle remarqua qu'une embarcation vide dérivait sur le lac noir, perdue dans les ombres de la nuit, presque invisible.

Mais ça n'avait pas d'importance. Plus rien n'avait d'importance.

Elle monta dans la barque, la détacha et rama.

Longtemps.

Jusqu'à ce qu'aucun retour en arrière ne soit possible. Alors seulement là, elle jeta les pagayes à l'eau et les regarda couler.

L'eau calme reflétait la douce lumière de l'astre nocturne. Ce sera bientôt la pleine-lune.

Mais elle ne sera plus là pour la voir.

«Je n'ai aucune raison, aucun but, aucun rêve qui puisse me retenir.»

Elle soupira. Si seulement elle avait connu le bonheur, la joie simple d'un foyer aimant, ou la chaleur d'une amitié véritable, d'un amour généreux.

Elle aurait aimé connaître les Noël que les autres fêtaient chaque année.

Juste une fois.

"Quand vient Noël, je me sens vide. Tellement vide."

Un seul souvenir heureux.

Ça lui aurait suffit.

Mais elle n'avait que des remords, des choses qu'elle préférais oublier. Et beaucoup de souffrance.

Trop de souffrance.

Et pendant qu'elle souffrait, les gens normaux recevaient des cadeaux. Ils étaient heureux, ils ne connaissaient pas les tourments, pas l'horreur, pas le désespoir, ni la douleur.

Surtout, elle ne devait pas penser à la douleur.

Sinon, elle allait se mettre à pleurer. Quand la mort approche, il faut lui sourire.

Ses habits tombèrent un à un à ses pieds. Aussitôt, son corps, recroquevillé sur lui-même, se mit à grelotter et son nez à couler.

Elle éternua.

"Maintenant, j'ai aussi froid à l'extérieur qu'à l'intérieur."

Elle se leva et contempla l'image déformée de son enveloppe charnelle renvoyée par l'eau. Si fragile et maigre.

"Je vais enfin savoir ce que ça fait de mourir."

Elle observa une dernière fois les étoiles. Elle espérait qu'elle allait les rejoindre. Comme ça, elle ne serrait plus seule.

"Cher Père Noël, cette année, je voudrais comme cadeau la délivrance."

Elle sauta.

L'eau glacée la brûla.

Elle ne bougea plus et laissa l'eau rentrer dans son nez et sa bouche ouverte.

Elle coula.

Mais elle avait très mal.

Sa gorge voulut recracher l'eau, ses poumons demandèrent de l'air, son cœur s'affola et ses bras se remirent à bouger, comme dirigés par une volonté autre que la sienne, pour remonter à la surface. Mais elle ne souhaitait pas survivre.

Alors elle lâcha prise et ordonna à son corps d'abandonner la lutte.

Elle pensa à sa vie, celle qu'elle allait quitter.

Sous l'eau, il faisait de plus en plus sombre.

Et dans les ténèbres, elle finit par comprendre qu'en mourant, jamais plus elle ne reverrait la lumière bienfaisante des étoiles.

Alors elle voulut se battre, elle décida de se construire sa propre vie elle-même, elle choisit de prendre ses problèmes à bras-le-corps et de les vaincre.

Mais il était trop tard.

Malgré tous ses efforts, elle se noyait.

Elle ferma les yeux.

Des bras l'attrapèrent avec force et la hissèrent à la surface.

Elle fut projetée dans une barque. Elle toussa et cracha l'eau encore présente dans ses poumons et aspira un air frais, nouveau, salvateur et bienvenu.

Elle leva les yeux et croisa le regard inquiet de son étoile. C'était un homme au visage mangé par la barbe. Une personne qu'elle n'avait jamais vue auparavant.

Il la recouvrit d'une épaisse veste bordeaux et rama jusqu'à la berge. Ensuite, il la porta jusqu'à un petit chalet rustique et la déposa sur un canapé recouvert de couvertures de laine. Il alluma rapidement un feu dans la vieille cheminée de brique et s'assit.

– J'ai pris l'habitude de pêcher pendant les fêtes de Noël. Ça me permet de penser à autre chose. Et j'aime regarder le reflet du ciel sur l'eau. Les nuits d'hiver sont les plus belles. Tu as de la chance que je sois là. Quand tu as plongé, j'ai entendu le bruit de l'eau.

– Je voulais mourir.

– C'est pas passé loin. Murmura-t-il.

– Vous n'étiez pas obligé de me sauver.

– Quand on n'arrive pas à sauver quelqu'un, on s'en veut toute sa vie, crois-moi sur parole. Ça nous hante et nous empêche de fermer l'œil. Alors, quand j'ai compris que tu n'allais pas survivre sans mon aide, j'ai pas hésité.

– Vous auriez pu vous noyer.

– Oui. Mais je ne pouvais pas te regarder crever sans rien faire.

Elle resta silencieuse. Personne ne lui avait jamais accordé d'importance, personne ne l'avait jamais aimée, personne ne lui avait jamais rien offert. Et cet inconnu avait risqué sa vie pour elle.

– C'est la première fois que je reçois un cadeau à Noël.

– Je ne t'ai rien donné, pourtant. S'étonna-t-il.

– Si. Vous m'avez offert une seconde chance. Grâce à vous, aujourd'hui ne sera pas mon dernier Noël.

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