V. APOTHÉOSE
L'eau ondoie à un rythme régulier, celui de nos pas qui troublent l'eau pâle, glissant sur le granit. Nous sommes arrivés à la ville-belle, la ville-espoir, et je sens à côté de moi que Matthéo se détend enfin pleinement alors que nous nous promenons en silence sur le Miroir d'Eau. Les enfants courent dans l'eau et aspergent en passant nos pantalons, ce qui nous rafraîchit les jambes. Je baisse les yeux sur le jean mouillé de Matthéo. Les empreintes plus foncées des gouttes forment des constellations éparses, me remémorant le tonnerre, le bleu et les étoiles dessinées sur ses bras clairs. Le stylo s'est effacé depuis, et sa peau pâle a absorbé l'encre noire, marquant sa chair à jamais.
Un tatouage à l'intérieur. Je me plais à imaginer Sirius brillante et éclatante scintiller tout près de son cœur, et cette image est apaisante.
— C'est beau, pas vrai ?
Matthéo a la voix calme. Je regarde tout autour de moi la Place de la Bourse, les façades du XVIIIème qui se reflètent dans le miroir aquatique à mes pieds. Bordeaux est une ville magnifique.
— Oui. C'est vraiment très beau.
Il me lance un regard tendre suivit d'un sourire malicieux.
— Sur les façades, il y a Minerve sculptée. Tu es vraiment l'enfant préféré de Jupiter.
— Je suis sûre qu'il y a Vulcain aussi.
Pris d'un rire léger, Matthéo m'emmène au plus près de la Fontaine des Trois Grâces et nous nous rechaussons. Je lève la tête pour observer la fontaine, autour de laquelle trois jeunes femmes s'enlacent et inclinent des amphores, d'où coule l'eau limpide.
— Regarde, dit-il. Ici, il y a Aglaé, Euphrosyne et Thalie.
— Elles sont sublimes.
— Est-ce tu comprends pourquoi il n'y a pas Vulcain, sur les façades de l'Hôtel ?
Je ne sais pas. Matthéo saisit ma main et me donne un regard brûlant de douleur.
— Pourquoi diable y aurait-il un homme aussi vil que Vulcain, brûlant et ravageant tout sur son passage, entouré de ces beautés ? D'abord Minerve, puis les filles de Zeus. Il n'y a pas de place pour un démon comme lui.
Je ne dis rien. Je suis prise de court.
— Minerve est entourée de Mercure, régnant sur le commerce et messager des dieux. Est-ce que tu pensais vraiment que Vulcain aurait pu mériter la compagnie de Minerve ?
Avant de répondre, nous sortons de la Place et nous installons au bord des quais, près de l'Embarcadère de Quinconces. La Garonne est magnifique. Le soleil se couchant peu à peu sur la ville peint l'eau foncée d'éclats dorés, de pastels orangés, comme l'aube de ce matin. Nous avons passé tant de temps dans la voiture, à la recherche d'un nouvel air à respirer, alors faire face au fleuve ensoleillé inhibe tous nos soucis. La main de Matthéo dans la mienne est moins ferme. Nous nous asseyons sur un banc face à l'eau.
Le visage de Matthéo est un peu fermé, je sens qu'il regrette les mots qui a prononcé devant les trois beautés du dieu des dieux. Je lui caresse le bras, et suis le contour des nuages blancs éclatés sur sa peau.
— Minerve ne pouvait rêver mieux que de vivre avec Vulcain. Qu'il l'embrase ou qu'il l'embrasse, peu importe, le résultat est le même.
Son sourire est tellement doux que je lui caresse le visage, comme pour le retenir de s'en aller.
— Minerve fait quand même beaucoup trop de bruit dans le cœur de Vulcain, et ce beaucoup trop souvent pour une déesse de la sagesse.
Soudain, il glisse son doigt sous mon bracelet élimé et l'arrache de mon poignet en un grand coup brusque. Je suis effarée.
— Mais qu'est-ce que tu as fait ? (Je regarde le bracelet coloré tombé au sol.) Le vœu... il ne se réalisera pas !
— Peut-être est-il déjà réalisé.
Matthéo remet une mèche de mes cheveux en place.
— Je suis heureux, Vinciane. Maintenant, tout de suite.
— Comment as-tu deviné ?
— Tu es clairement le genre de fille à faire un vœu pour le bonheur de quelqu'un.
Il me regarde avec tant d'intensité que je revis ma chute dans les bras de Debussy. C'est l'amour qui réchauffe mon cœur très fort, à la manière de Vulcain. Je sais que c'est lui. Matthéo. Alors j'embrasse sa mâchoire d'ivoire et il plaque ses lèvres sur les miennes, doucement. Devant nous, j'entends les rires des enfants et le clapotement de l'eau du fleuve.
Matthéo me caresse les cheveux, et je crois que je suis heureuse moi aussi. De tous les garçons que j'aurais pu rencontrer, j'avais passé mes jours avec un tableau vivant, un clair-obscur magnifique qui s'ignorait. Nous nous séparons et ses yeux bleus et clairs me dévisagent.
— Je t'aime.
【 FIN 】
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