IV. ADIEUX

Je suis réveillée depuis quelques minutes et l'aube chaude beigne l'habitacle de sa lueur orangée, douce comme du satin. Je me défais de l'étreinte de Matthéo, le front collé à la vitre passager. Mon téléphone affiche neuf heures moins le quart, et je sens aux branches du noyer immobiles par la fenêtre qu'il est temps pour nous de partir de cette parenthèse hors-du-temps. Je m'étire légèrement et regarde Matthéo. Son visage, sublime dans la lumière noire de la nuit, est encore plus beau en plein jour. Ses paupières sont survolées par deux nuages blancs qui se rejoignent à la racine de ses cheveux, glissant sur ses tempes. Je laisse courir mes doigts le long de sa mâchoire, elle-même peinte d'ivoire. Il a l'air fragile, comme ça, Matthéo. Dans une beauté si pure et si simple que je pourrais en devenir aveugle.

Je glisse mes mains dans ses cheveux bouclés, et je le vois sourire.

— Tu étais réveillé ?
— Bien sûr. Bien avant toi.

Il ouvre ses yeux bleus-malicieux, bleus-amour. Je lui donne une petite tape sur l'épaule.

— Pourquoi tu ne t'es pas levé ?
— Tu es belle quand tu dors. Quand j'ai senti que tu te réveillais, j'ai fermé les yeux, parce que j'aime quand tu me touches les cheveux.

Il noue ses doigts avec les miens. Nos deux mains scellées aux couleurs différentes semblent complémentaires, comme un yin-yang involontaire. Si je m'accroche assez fort à sa peau, je peux encore entendre les éclats du piano dans notre intemporalité nocturne ; des graves envoûtants qui éclataient, tels des bulles d'eau de Seltz, en de jaunes aiguës nitescents. Nous avons encore sommeil, mais la route nous attend. La ville-douce est à portée de main, et je sais comme Matthéo veut voir la Garonne inonder ses yeux ; ensoleillant ses pupilles, noyant ses craintes.

— Allons-y.

Il lâche ma main et sort pour s'installer devant. Je fais de même pour m'installer à ses côtés. Les doigts agrippés au volant, il semble soudain mélancolique. Il regarde le noyer. Il est bien plus grand que tel que nous l'avions vus cette nuit. Comme s'il avait grandi avec nous, nos non-dits et Debussy. Comme un beau secret qui coule dans la sève, sous l'écorce mouillée d'un grand homme.

— Jupiter va me manquer, dit-il soudain.

Je sors alors de la voiture et me dirige vers l'arbre. La mousse qui a poussé le long de ses rides de bois sont encore pleines d'eau. Alors qu'une petite brise de vent passe entre ses branches, comme une caresse entre des mèches de cheveux, la rosée suspendue aux feuilles plates coulent sur mon front. Cette fraîcheur ressemble à une promesse. Nous allons lui manquer aussi.

La main toujours posée sur le tronc de l'arbre, je m'abaisse à ses racines et saisis entre mes mains une petite coquille de noix vide. Elle scelle notre promesse. Nous ne nous oublierons pas. Je fais volte-face et revient vers la voiture, Matthéo me regardant avec attention. Je m'assois sur mon siège et claque la portière.

— Qu'as-tu pris ?

Je lui montre la coquille, ses courbes épousant parfaitement le dessin de mes paumes.

— Un souvenir.

Il l'effleure de ses doigts blancs, puis me dévisage intensément.

— Merci, Vinciane.
— Au revoir, Jupiter.

Il démarre la voiture dans un vrombissement léger. Même si personne ne passe sur cette route perdue, Matthéo prend le temps de vérifier qu'aucune voiture ne se présente avant de s'engager sur la voie. Je sais qu'il a envie de rester encore un peu, mais nous connaissons tous deux la nostalgie et comment elle ronge les os. Alors il ne dit rien, et moi, le front mouillé et la coquille de noix enfermée dans la main, je regarde le soleil rouge au-dessus de l'horizon.

Alors que le noyer s'éloigne dans la lumière-tendresse, Matthéo met en route la radio. Je le regarde sans comprendre, lui qui aime tant voyager dans le calme.

— Je nous préfère en silence, dis-je.

Les yeux rivés sur la route, la mâchoire serrée en un air un peu grave, il répond :

— C'est pour couvrir le bruit que tu fais dans les battements de mon cœur.

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