I. BLEU
Le sol vibre sous son pas lourd ; celui de l'Orage qui prend la place, s'étend et s'étire comme un géant réveillé. Il hurle, son grondement cruel résonne dans mes oreilles et je sens mon cœur qui bat vite, bien plus vite que les gouttes chutant du ciel en d'aquatiques anges déchus. Je noue mes doigts entre eux en espérant garder ma contenance : peut-être que si je lie mes deux mains assez fort, jamais ne craindrais-je le ciel à nouveau ?
Un éclair percute le sol bleuté du dehors. Je ne sais plus où je suis, la tempête s'est immiscée dans mon esprit, l'imbibant d'alcool et de tonnerre de Brest. Son flash blanc m'empêche de respirer, bien trop semblable aux phares pâles que l'on voit avant de percuter la voiture dans lesquels ils sont ancrés.
Tout est bleu, froid et sonore.
Alors je lève la tête, je dirige mes yeux vers Matthéo. Je l'aime, Matthéo. Sur ses épaules bien dessinées sont tatouées des traînées blanches, d'ivoire elles reflètent la lumière du néon, colorant sa peau de saphirs fugaces. Je sais à ses paupières fermées qu'il aime le vent qui cogne les gouttes de pluie contre les carreaux des vitres, la fraîcheur de l'air à humer au petit matin, le ciel impétueux qui gronde et se tache de nuages noirs.
Sur les bras de Matthéo, je vois les traits que j'ai dessinés sur sa peau. Dans les petites nuées pâles qui contrastent tant avec son corps cuivré, j'ai tracé de légers points au stylo que j'ai reliés entre eux, créant dans ces nuages malades d'anonymes constellations. Elles sont éteintes, ne brillent pas, authentique reflet des nuits d'été et d'orage. Il est beau comme ça, Matthéo. La carte du ciel est tatouée dans son dos, à l'abri du soleil.
Le tonnerre écrase l'atmosphère à nouveau, mais je n'ai plus peur car je vois Matthéo, mes constellations sans nom et d'autres galaxies sur ses joues.
Il ouvre les yeux.
— Tu as peur de l'orage ?
— Un peu.
Il sourit, peignant ses dents de bleu comme le néon l'a fait sur sa peau blanche.
— Qu'est-ce qu'on attend ?
Il m'apparaît enfin que nous sommes sous le porche d'un restaurant au bord de la route. Le néon qui trace les courbes de l'enseigne dans la nuit grésille un peu, l'orage doit l'effrayer à son tour.
— J'attendais de te voir sourire.
— Nous sommes en cavale, et il pleut. Tu pouvais attendre encore longtemps.
On était partis, avec Matthéo, parce que les gens de la ville-grise n'aiment pas ceux qui ont la peau-nuage. J'ai juste laissé un mot à mes parents. Matthéo, lui, est parti sans rien dire.
— Je sais à quoi tu penses. Ce ne sont pas mes parents, je ne leur dois rien.
Il m'a déjà expliqué le jour où sa maman l'avait abandonné à cause de sa beauté. Il avait cinq ans, des taches blanches sur les coudes et les genoux, c'était un petit garçon perdu dans un troupeau de zèbres différents de lui. Un petit garçon aux rayures ivoire dans un monde aux traits noirs. Et pourtant, même s'il se répugnait, Matthéo était beau, si beau. Des cheveux bouclés couleur de chocolat, des yeux clairs comme des bleuets, et des nuées pâles s'étalant sur sa peau sombre comme des roses blanches s'épanouissant dans un bosquet de ronces noires.
Je souris à mon tour, il me fixe sans un mot. La lueur bleue teint ses cheveux de manière éphémère.
— Alors tout va bien.
— Partons.
Il se lève et me tend sa main trop claire. Je la saisis et regarde la pluie tomber en de frénétiques joyaux de couleur. Le tonnerre a cessé d'exposer sa fureur, mais je redoute encore son ébrouement de cheval fou.
— N'aie pas peur, dit-il, et il me semble que je pourrais croire ses plus obscurs mensonges en regardant ses yeux bleus.
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