Chapitre 44
— Un peu de nerfs, que diable ! Jeff, boursemolle, t'es un soldat oui ou non ? Une fillette taperait plus fort que toi.
Émilia et Jeff échangèrent quelques coups supplémentaires avant de se regarder en silence. Aucun des deux ne se sentait d'aller contre Rayn dont l'humeur était exécrable. La reine savait très bien pourquoi et acceptait sa petite vengeance en silence. Jeff, par contre, faisait les frais des pots cassés.
En choisissant Rayn comme instructeur pour l'entraînement du jour, son premier depuis son retour, elle avait naïvement pensé que le soldat serait capable de faire la part des choses et rester partial dans son travail. Elle avait appris à ses dépens que ce n'était pas le cas.
Cela avait commencé par un échauffement draconien que même les soldats n'avaient pas réussi à tenir jusqu'au bout. Rien que son souvenir faisait revenir les nausées chez la souveraine qui s'était accrochée autant qu'elle l'avait pu. Puis ce furent les affrontements en binômes.
Avant l'arrivée de Rayn, Émilia s'entraînait souvent avec Jeff, un jeune soldat qui avait toujours à cœur de bien faire pour servir son pays et son roi. Un sens du devoir qu'appréciait la jeune femme. C'était donc tout naturellement qu'elle avait formé un groupe avec lui. Maintenant, elle avait pitié de lui.
— Tu comptes frapper plus fort ou il faut que je le fasse à ta place ? aboya Rayn qui leur tournait autour tel un vautour attendant l'instant propice pour achever sa proie mourante.
— Charognard, marmonna-t-elle en parant une attaque de Jeff et en contre-attaquant.
S'il ne répondit pas, le regard acéré de son amant l'informa qu'il l'avait parfaitement entendue. Elle ne détourna pas les yeux, pensant chacun des mots qu'elle employait. Il pouvait toujours aller voir ailleurs si cela ne lui convenait pas, elle ne changerait pas pour ses beaux yeux.
— Il s'est passé quelque chose avec Rayn ? l'interrogea timidement Jeff alors qu'ils s'étaient rapprochés pour un duel de force.
Bien que d'un naturel effacé, le soldat était très observateur, surtout vis-à-vis des personnes qu'il estimait. S'il était bien incapable de cerner la relation que son souverain entretenait avec son beau-frère, il voyait bien qu'un lien puissant s'était noué entre eux au fil des mois, pour son plus grand plaisir. Il s'était toujours secrètement inquiété pour son roi qui, malgré un contact facile avec tout le monde, ne s'était jamais vraiment ouvert à qui que ce soit, préférant rester solitaire.
— Je m'excuse que tu doives en payer le prix, éluda-t-elle la question.
Entendre de telles paroles dans la bouche de son roi déconcerta Jeff qui recula avant de revenir à la charge, poussé par le regard noir de leur instructeur tyrannique.
— Ne vous excusez pas. Je sais que Rayn ne ferait jamais rien pour nuire à nos hommes. Il suffit de ne pas chercher à comprendre et de simplement accepter ce qu'il tente de nous inculquer.
Elle ignorait si Jeff était très intelligent ou juste stupide mais elle lui offrit un sourire en guise de réponse. Elle espérait que Rayn ait comprit qu'il possédait des personnes à ses côtés capables de le comprendre et de le suivre jusqu'aux confins du monde.
— Cessez ces bavardages ! revint à la charge ce dernier après avoir corrigé un autre binôme. Je t'ai demandé de frapper plus fort, Jeff. Alors frappe.
Poussé par le désir de répondre aux attentes de son ami, Jeff abattit sa lame. Prête à parer le coup, Émilia sentit ses genoux flancher sous le poids, beaucoup plus important qu'auparavant. Le soldat saisit l'occasion et, faisant fi de tout statut, l'envoya au sol d'un coup de pied dans l'estomac.
Émilia vola et s'effondra dans la poussière, immobile.
— Tu vois quand tu veux, le félicita Rayn d'une tape amicale sur l'épaule.
Le garçon ne l'avait jamais réalisé mais, faisant partie de la dernière vague d'intégrés dans la Garde, il se retenait inconsciemment face à équipiers plus expérimentés à qui il n'avait pourtant rien à envier. Après avoir combattu sans entraves face au roi, il n'avait plus besoin de se brider et ce qu'importe qui serait son adversaire à l'avenir.
— Je suis désolé, Votre Majesté, bredouilla le soldat mal à l'aise. J'espère ne pas vous avoir frappé trop fort... Majesté ?
Émilia ne répondit pas, incapable de prononcer le moindre mot. Au moment où son dos avait rencontré le sol, l'air s'était expulsé brutalement de ses poumons qui peinaient à se remplir à nouveau. La tête aussi lourde qu'une enclume, elle fixait le ciel d'un pur blanc. Elle ne voyait rien d'autre.
— Majesté ! appela Jeff en se précipitant vers son roi.
Rayn fut plus rapide. En quelques foulées, il était au côté d'Émilia et contrôlait son état. Les soldats, abasourdis, l'observèrent soulever Daraen et le porter comme une princesse.
— Que quelqu'un aille quérir le médecin royal, aboya-t-il alors qu'il s'éloignait déjà. Je ramène Sa Majesté dans ses appartements.
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