Chapitre 43

— Tu n'aurais pas pris du poids ?

Confortablement installée dans son lit, Émilia profitait du calme du petit matin pour savourer son repas, apporté par son amant tel un rituel instauré entre eux. Si cela avait surpris les domestiques la première fois qu'il s'était présenté en cuisine, le plateau était maintenant toujours prêt lorsqu'il descendait le chercher.

Alors qu'elle s'apprêtait à engloutir un petit pain sous l'œil vigilant de Rayn, elle reposa son mets et dévisagea l'importun à la langue bien acérée ces derniers jours.

— Pardon ? l'invita-t-elle à répéter d'une voix éraillée, peu certaine d'avoir bien entendu.

— Tu as grossi, non ? réitéra-t-il sa question, de manière moins sophistiquée et tout aussi grossière.

Elle le foudroya du regard avant de baisser les yeux vers son repas et de repousser l'assiette. Tout ça parce qu'il l'obligeait à manger, elle qui avait un appétit de moineau ces derniers temps. « Mange. Je ne supporte pas de te voir dépérir ainsi. » avait-il dit en lui amenant son repas un jour. Voilà où cela la menait, à présent.

— Non, je n'ai pas pris de poids, nia-t-elle sans le regarder.

Le soldat s'installa à côté d'elle, l'air songeur. Il passa soudain un bras dans son dos et soupesa ses seins à pleines mains.

— C'est vrai, ce mensonge ? Pourtant, ils m'ont l'air plus gros.

— Rayn ! s'indigna-t-elle en le repoussant.

Il s'éloigna en riant, retrouvant sa place dans le fauteuil.

— Tu manques vraiment de délicatesse parfois.

Enfournant un croissant entier dans sa bouche, Rayn ne répondit pas tout de suite, prenant la peine de mâcher. Le voir mastiquer ainsi, inlassablement, tapait sur les nerfs d'Émilia qui se retint de lui envoyer son assiette au visage.

— Ce n'est pas quelque chose que l'on dit à une dame.

Rayn haussa les épaules, avala. Il n'avait jamais été très doué pour comprendre la gent féminine, bien trop complexe pour le commun des mortels.

— Je trouve que c'est plutôt une bonne chose, l'ignora-t-il en attaquant une autre viennoiserie. Tu étais si maigre... et maintenant tu es plus en chair que tu ne l'étais avant. Tu sais, les hommes aiment avoir de quoi se mettre sous la dent.

— Tu parles pour toi là, non ?

— Est-ce un mal ?

Il avait répondu avec sérieux, la fixant de son regard de glace. Il semblait presque en colère qu'elle trouve ainsi à redire sur ses préférences. Il n'était pas n'importe quel homme mais le sien, tout autant qu'elle était sienne. Ne possédait-il même pas le droit de la complimenter sans que celle-ci ne perçoive ses paroles de travers et ne les prenne mal ?

Il croyait qu'elle le connaissait mieux que ça. À tort, visiblement.

— Moi qui pensais te faire un compliment en soulignant tes kilos en plus, soupira-t-il de résignation.

— Je t'ai dit que je n'ai pas grossi ! hurla-t-elle soudain.

Le son du verre qui explose résonna dans la chambre, apportant un silence gênant. Émilia redressa la tête et observa la porte, aussi surprise que Rayn qui la dévisageait.

— Tes sautes d'humeur, par contre, c'est autre chose. Je n'ai pas besoin d'une seconde Evelyn dans ma vie.

Si elle avait voulu lui présenter ses excuses, être comparée ainsi à la fiancée de Daraen les lui fit ravaler. Elle s'adossa à ses oreillers et porta son attention par-delà la fenêtre, bien décidée à l'ignorer.

— Dehors. Tout de suite.

— Comme vous voudrez, Votre Majesté.

L'entendre ainsi la vouvoyer sur un ton incisif la stupéfia. Elle se retourna, prête à s'excuser, à le retenir à ses côtés, mais l'intéressé n'était déjà plus là.

Elle se perdit dans la contemplation de la tache de vin qui imbibait à présent le bois du battant de la porte, une longue trace cramoisie descendant jusqu'au parquet recouvert d'éclaboussures et d'éclats de verre.

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