Chapitre 34
— Je sais que toutes les excuses du monde ne pourront jamais rattraper mes actions passées. Toutefois, permettez-moi de faire amende honorable.
Assis sur le divan en face de son souverain, David s'était tant penché qu'il aurait pu embrasser le bois de la petite table qui les séparait. Ne sachant trop quoi faire de ses mains qui, laissées à l'abandon, auraient pu lui donner un air bien plus décontracté qu'il ne se sentait en réalité, il avait décidé de les croiser et de les poser sur ses genoux.
De l'autre côté, Émilia se tenait droite, la posture raide. Pour respecter sa parole donnée à son ministre des armées, elle s'était aventurée dans le petit salon, incertaine de ce qui l'y attendrait. Sans la présence de Rayn, au garde-à-vous dans son dos, nul doute qu'elle aurait écouté le nœud formé dans son estomac et aurait fait demi-tour avant même de passer la porte.
— Redressez-vous, Marden, l'invita-t-elle d'une voix qu'elle espérait maîtrisée.
Le noble s'exécuta sans attendre mais n'ouvrit pas la bouche. Il coula un regard nerveux en direction du soldat qui prenait sur lui pour garder un masque impassible.
— Faîtes fi de sa présence, enchaîna-t-elle après avoir suivi son regard. Sentez-vous libre de parler.
L'aîné des enfants Marden était bien différent des souvenirs de Rayn, bien qu'il n'ait guère eu beaucoup d'occasions de l'apercevoir au cours de ces derniers mois passés au château, lui qui esquivait tous ses devoirs grâce aux pouvoirs de papa. S'il n'avait jamais été très musclé, il avait clairement maigri, et les profonds cernes sous ses yeux attestaient de nuits agitées.
En d'autres circonstances, il aurait pu le prendre en pitié, accepter le repentir de l'homme et faire table rase du passé. Le cas de David était pourtant différent, certainement la seule exception que ferait le soldat. Au souvenir de Sophie et du traitement qu'il lui avait donné avec autant d'ardeur, il comprenait enfin l'acharnement de la reine et trouvait tout à coup la sanction bien légère.
Il savait n'être nullement partial mais cela ne l'empêchait pas de mourir d'envie de défigurer sa belle gueule à coups de poing. Afin de contenir ces pulsions, il serrait les mains si fort dans son dos que les jointures de ses doigts viraient au blanc.
— Au vu de ma présence ici, je me doute que mon père vous a déjà fait part de certaines choses mais je tiens à...
Il fut coupé par les portes du salon qui s'ouvrirent à la volée. Appuyée contre l'un des battants, pliée en deux, Jeanne essayait de retrouver un semblant de respiration. Lorsqu'elle se redressa, ses yeux s'agrandirent d'embarras en se posant sur les occupants des lieux.
David arqua un sourcil quand Rayn soupira et qu'Émilia tenta un léger sourire qui se voulait rassurant.
— Je... Je suis vraiment navrée, bégaya-t-elle, confuse.
— En quoi pouvons-nous vous aider ? la questionna la reine.
— Veuillez m'excuser, Votre Majesté, mais je dois vous emprunter votre garde du corps. Ma Dame requiert votre présence de toute urgence, précisa Jeanne en se tournant vers le soldat.
Rayn n'avait nulle envie de laisser Émilia seule avec cet homme mais il savait qu'en ne concédant pas à la demande de sa sœur, il risquait de l'avoir sur le dos pendant un long moment. Ce qui n'arrangerait pas leurs affaires.
Discrètement, du regard, il interrogea son amante qui lui donna l'autorisation de disposer. David semblait véritablement enclin à s'excuser et elle se sentait suffisamment en confiance pour pouvoir se passer de sa présence un moment.
Le militaire s'inclina et prit congé, non sans lancer un regard en biais au noble qui se trémoussa nerveusement sur son divan.
— Que peut bien vouloir ma sœur, cette fois ?
Parti pour traverser les couloirs au pas de course, il avait dû ralentir son allure pour la caler sur celle de la jeune servante dont les jambes n'étaient pas aussi longues. Elle seule savait où ils devaient se rendre.
— Je l'ignore, répondit-elle d'une petite voix penaude en fixant ses pieds. Dame Evelyn n'a pas jugé bon de me mettre dans la confidence.
Rayn leva les yeux au ciel. Il n'était même pas certain que sa sœur elle-même savait pourquoi elle le faisait quérir. Il espérait toutefois qu'elle ait une bonne raison.
Son attention se reporta sur Jeanne dont le regard était toujours rivé sur les pavés. Chaque fois qu'il la croisait, l'adolescente faisait preuve de gaucherie. Si ce n'était jamais bien grave, il se demandait comment elle pouvait encore servir au sein du palais. Pis encore, comment elle pouvait être au côté d'Evelyn depuis des mois et ne pas encore avoir été remerciée, la jeune femme étant bien moins indulgente que ne l'était Émilia.
Sentant son regard, Jeanne redressa la tête et le dévisagea un instant, curieuse face à ce soudain intérêt.
— Servir Evelyn n'est-il pas trop pénible ? demanda-t-il simplement.
Elle continua à le fixer un moment et garda le silence encore un temps, mûrissant sa réponse. Lui demandait-il cela par simple politesse ou cherchait-il à la tester ? Elle n'arrivait pas à le cerner.
— Votre sœur est très bonne envers moi, finit-elle par répondre en affichant un sourire forcé. Je suis heureuse de pouvoir contribuer au bien-être de la future souveraine de ce pays.
— Humm...
Si Rayn ne fut guère convaincu par sa piètre tentative de noyer le poisson dans l'eau, il ne chercha pas à aller plus loin. Il ne semblait pas inspirer suffisamment confiance à Jeanne pour que celle-ci se permette de révéler le fond de sa pensée. Son statut d'aîné de la demoiselle ne devait pas aider.
— Si vous permettez.
Elle se plaça soudain devant lui et ouvrit une fenêtre qui donnait sur une petite terrasse, à l'abri des regards indiscrets. Installée à une table finement forgée, Evelyn se délectait d'un fruit rouge du bout des lèvres.
— Dame Evelyn, Messire Rayn vient d'arriver.
— Ce n'est pas trop tôt, râla la cadette en dévisageant son frère qui n'avait pas franchi le seuil de la terrasse.
— Pourquoi m'as-tu fait demander ?
La noble soupira avant de tapoter du bout des doigts le panier en osier tressé qui reposait sur la table ; il était plein à craquer de fraises.
— Maman nous a fait porter ces fruits directement de la maison. Comme je sais que tu en raffoles, j'ai pris sur moi pour ne pas tous me les garder. Tu devrais être reconnaissant.
Le soldat passa les mains sur son visage, soufflant à plein poumons pour garder le peu de sang-froid qu'il possédait encore.
— Mais où vas-tu ? s'écria la jeune femme en le voyant tourner les talons.
Il ne répondit pas. Il avait prévu d'expédier la demande de sa sœur, mais pas aussi rapidement. Comme il l'avait craint, la raison de sa présence ici était futile et n'aurait pas dû l'obliger à quitter le côté d'Émilia.
Il traversa le palais d'un pas raide, agacé contre sa propre bêtise. Plus jamais il ne ferait passer Evelyn avant Émilia, c'était une promesse qu'il se faisait à lui-même.
— Veuillez excuser ce léger contretemps, annonça-t-il en refermant la porte du petit salon derrière lui.
Lorsqu'il se retourna pour rejoindre sa place auprès sa bien-aimée, le sang se glaça dans ses veines. Émilia n'était plus là, au même titre que Marden.
La pièce était vide.
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