Chapitre 31

Le petit garçon espiègle attend patiemment le passage de la gouvernante. Lorsqu'elle glisse enfin la tête par l'encadrement de la porte, il fait semblant de dormir, prenant garde toutefois à respirer : On l'a déjà attrapé la main dans le sac parce qu'il retenait sa respiration. L'ogresse l'a d'abord cru mort avant de lui passer un savon qu'il n'oubliera jamais.

Une fois qu'elle s'est suffisamment éloignée, satisfaite, il saute hors de son lit et, à pas de loup, rejoint la fenêtre. En équilibre précaire sur le rebord, il saute sur l'une des branches solides de l'arbre le plus proche. Celles-ci sont si grandes qu'elles rentrent presque dans sa chambre.

— Tu peux le faire... Ce n'est rien du tout.

À quatre pattes, peu rassuré par la hauteur qui le sépare du sol, le garçon en appelle à tout son courage pour se mouvoir. Il parvient difficilement à traîner sa carcasse jusqu'à la fourche contre laquelle il s'adosse, épuisé.

Les battements affolés de son cœur s'apaisent comme par magie quand il l'aperçoit.

Installée sur le rebord du bassin construit en contrebas, la petite servante a ôté ses souliers et baigne ses pieds dans l'eau fraîche avec bonheur. Sa chevelure aussi noire que celle du petit prince, libérée de toutes ces épingles qui maintiennent son chignon en place en journée, flotte à présent au gré du vent.

Elle n'a pas conscience de sa présence et, pourtant, ce lieu est un peu comme leur point de rendez-vous secret. Un secret que le garçon ne souhaite partager avec personne.

— Qu'est-ce que tu fais ?

Daraen manque hurler et, par la même occasion, trahir sa présence. Il pose un regard complètement paniqué sur le nouvel arrivant qui n'a que faire de son inquiétude évidente.

— Tais-toi, idiot. Tu vas nous faire repérer, balbutie-t-il.

Tel un singe, Rayn est négligemment accroupi sur la branche voisine, dangereusement penché en direction du  vide afin de mieux voir l'objet de convoitise de son ami. Un sourire narquois étire ses lèvres lorsqu'il aperçoit à son tour la fille.

— Evelyn ne s'en remettra jamais lorsqu'elle découvrira l'objet de toutes tes pensées.

Le prince héritier ne cherche même pas à contredire son ami, peinant à contenir un éclat de rire qui les ferait prendre pour sûr. Il ne veut pas qu'elle les repère. Si jamais elle venait à les surprendre, elle cesserait de se détendre ici et il devrait alors réfléchir à un autre moyen pour la voir en cachette.

— Qu'est-ce qui t'intéresse tellement chez cette fille ? l'interroge Rayn, incapable de comprendre.

Pour lui, elle cette servante est comme toutes les autres, si ce n'est son âge qui se rapproche du leur. Elle n'est ni particulièrement belle ni bien née. Vraiment, le comportement de Daraen le dépasse parfois totalement.

Quand bien même il le voudrait, le petit prince ne pourrait lui répondre. Il s'est juré d'emporter ce secret dans sa tombe, pour le bien de tous ceux qu'il aime, elle y compris.

— Rayn, tu veux devenir chevalier, pas vrai ? se contente-t-il de répondre par une autre question.

Daraen fait ça chaque fois qu'il essaye de contourner un sujet de conversation qu'il trouve ennuyeux ou indiscret. Cela fait déjà plusieurs été que le jeune Prester a percé à jour cette manie mais feint toujours tomber dans le panneau pour ne pas le contrarier.

— Comme ça, je pourrai te protéger en toutes circonstances, confirme le garçon, non sans une certaine fierté perçant dans sa voix.

— Tu obéiras donc au moindre de mes ordres ?

— Si ce n'est ni dangereux pour toi ni pour le pays alors oui, j'obéirai sans hésiter.

Une étrange lueur illumine les yeux du prince en entendant ces paroles et il prend soudain cette voix sérieuse qu'il se force à employer chaque fois qu'il s'adresse à un adulte.

— Dans ce cas, peux-tu me promettre quelque chose ?

— Tout ce que tu voudras.

Daraen a un sourire triste qui n'échappe pas à son ami, sans que celui-ci ne parvienne à lui donner le moindre sens.

— Protège Émilia comme si c'était moi. Protège-la à ma place car, bientôt, je n'en serai plus capable.


Rayn s'éveilla, le cœur prisonnier d'un étau. Une larme vint s'écouler au coin de son œil et il réprima un reniflement. Cela faisait longtemps qu'il n'avait pas rêvé de la promesse qu'il avait faite à son ami. À cette époque, le petit garçon qu'il était ne s'imaginait pas que ce serait la dernière fois qu'il le verrait.

Il tourna la tête vers son bras engourdi et observa le visage endormi de la jeune femme, lovée tout contre lui, qui trouvait son bras visiblement plus confortable que le traversin, laissé à l'abandon. Sa poitrine se soulevait à intervalles réguliers et de légers soupirs d'aise s'échappaient parfois de ses lèvres entrouvertes.

D'un geste lent, il releva sa main et entreprit de caresser sa longue et soyeuse chevelure avec délicatesse. Puis il poussa un long soupir de résignation.

— Et c'est comme ça que je tiens ma promesse...

Ses mots étaient sortis comme une lente complainte adressée au néant de la nuit. Il savait être le pire des amis, comme le pire des frères.

Il avait eu beau retourner le problème dans tous les sens, essayé de taire ses sentiments et de s'effacer, il ne pourrait plus se séparer d'elle à l'avenir. Pas même pour le bonheur de sa petite sœur.

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